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68 selon Ferdinand
Octobre
Vous vous souvenez peut-être qu’à la fin du Théâtre selon Ferdinand, notre héros
parvenait in extremis à obtenir d’un examinateur compréhensif et désespéré, son bac. Au
début de ce nouvel épisode, Claudine revient sur la scène, non plus pour l’occuper avec sa
propre histoire, mais pour assister, à la demande de son “p’tit garçon”, à la suite de la
prestation. Elle commence à faire, — au public et à madame Colomer, des commentaires
sur ce bac 68 obtenu avec tout juste onze de moyenne, “alors qu’il aurait p’têt’ pu profiter
d’ la situation pour obtenir une p’tit’ mention”. Cela donne à Ferdinand l’idée de lui
demander de devenir présentatrice de son spectacle. Elle le fait aussitôt, non sans ironie, ni
plaisir évident. Tapant sur un tambour imaginaire et ridicule elle annonce au public ébahi
que son p’tit garçon va leur interpréter son premier cours de théâtre, “Mon Dieu, quel
évènement!”
Octobre 1968, Ferdinand débarque au “Cours Molière” et rencontre dans le hall
obscur une extraordinaire créature pleine de charme et d’érotisme: Marlène. Reine des
lieux, elle lui annonce que le cours ne s’appelle plus dorénavant “cours Molière” mais
“Studio 35” en fonction du numéro de la rue, mais surtout des récents évènements
politiques. Et nous voila partis dans une évocation burlesque du théâtre de ces années-là :
Living Theatre, Grotowsky, Barba, etc. Après une audition très chaude où, tel un Artaud de
pacotille, il hurle jusqu’à en perdre la voix et la raison les mots du poète beatnik Bob
Kaufmann, il est admis. Dès le lendemain, après une furieuse séance d’expression
corporelle au cours de laquelle Ferdinand se déchaîne, envoûté par la passion qu’il éprouve
pour cette forme de théâtre nouvelle et inattendue et par l’effet qu’exerce sur lui la
mystèrieuse Marlène, voici qu’une autre femme fait son apparition: Micheline. C’est la
prof’ de théâtre classique. Pas si classique que ça, d’ailleurs. Stanislavsky, Apollinaire et
même l’expression corporelle, — vue sous un autre angle, il est vrai, — sont au
rendez-vous. Pas de doute: entre les deux écoles, — et surtout les deux femmes —, c’est la
guerre ; incarnée par l’importance que Marlène donne immédiatement à Ferdinand pour
l’opposer à Bruno, champion de Micheline, qu’elle humilie sans pitié. On assiste aussitôt
après sous les yeux éblouis quoique effrayés de Ferdinand à la vengeance de Micheline: le
triomphe du grand Bruno dans le rôle d’Iliouchine…
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Avignon
Nous sommes toujours à Aix-en-Provence, au Centre Dramatique, cette fois (je
précise que cet épisode est totalement imaginaire : une fois n’est pas coutume…). Roger, le
directeur, a été violemment remis en cause par son équipe. Tel Jean-Luc Godard à
Grenoble, pour ceux qui s’en souviennent, il doit expier son passé de directeur bourgeois et
réactionnaire ayant livré Molière et Shakespeare à la classe ouvrière. Le plus féroce de ses
inquisiteurs est Gérard, dit “Gégé”. Acteur récemment révolutionnaire, il profite de la
situation pour essayer de jouer le premier rôle d’une création collective qui doit évoquer les
évènements ayant agité Avignon l’été précédent. Malheureusement, il ne parvient pas à
taper sur sa grosse caisse en mesure tout en disant son texte. De toute façon, le masque à
gaz dont il s’affuble l’empêche de parler de façon audible. Le voila donc à son tour
violemment contesté. Henri, lui, n’a qu’une idée: la haine féroce qu’il porte à Béjart pour
avoir empêché son groupe de jeunes danseurs, le groupe Électron, de s’exprimer dans un
petit coin du Palais des Papes pendant une représentation de La Messe pour un temps
présent. Patrick, le drogué, dort dans son coin sans presque jamais s’éveiller. On le respecte
beaucoup car il a “une forme de rigueur dans sa dope” et surtout parcequ’il est beau, mou et
désenchanté. Tout le monde en est fou : c’est l’égérie. La tête pensante, c’est Michel, le
cadre politique ; le commissaire du peuple. Très dur, casquette vissée sur la tête, lunettes
cerclées de fer sur le nez, il ramène tout à la Révolution russe. Lénine, Trostky,
Kommisserskaïa et Lounatcharsky sont ses mots de passe et ses chevaux de bataille.
C’est dans ce marigot que Ferdinand débarque sur les recommandations (perfides) de
Bruno, son nouvel ami. Interrogations et interrogatoires se succèdent à propos de l’origine
sociale et politique de ce drôle de paroissien arrivant tout droit — quelle horreur !— de
l’immonde Cours Molière. Notre héros trouve alors une idée de génie: se dire “fils de toute
petite bonne atrocement exploitée par des patrons abjects”. C’est l’enthousiasme général,
on lui confie la responsabilité du spectacle. Devant un public avachi et clairsemé, —tout ce
bazar se passe en public —, il va improviser une histoire du Festival d’Avignon totalement
fantaisiste jusqu’aux fameux évènements de l’été 68 qu’il évoque de mille façons. Il
n’oublie pas cependant, afin d’avoir la paix et pouvoir faire l’andouille tout son soûl, de
demander au groupe d’incarner la classe ouvrière en descendant dans la salle tout en faisant:
“Ôââââââh…”, car elle n’a pas de langage. Il leur jure qu’elle reviendra à la fin faire la
révolution.
Mais le spectacle s’achèvera sur Roger, abandonné de tous et totalement dégradé,
vingt, trente, cent quarante ans plus tard, tapant— à contre-temps — sur le vieux tambour
de Gégé et obligeant, d’une voix chevrotante, ses petits enfants à venir écouter pour la
ènième fois “la terrible et triste épopée d’une révolution manquée…”
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Extraits d’un dialogue entre Gao Xinjian, prix Nobel de littérature et Denis
Bourgeois.
G. X.— “ Il y a eu une période où le théâtre était un théâtre d’auteurs — de Molière à
Claudel — c’était d’abord un art de la dramaturgie. Et avant encore, en Occident comme en
Orient, le théâtre était un théâtre d’acteurs, comme la commedia d’ell arte. À notre époque,
le théâtre est devenu un théâtre de mises en scène. C’est le rôle du metteur-en-scène qui
devient prédominant. Il a chassé les deux pôles antérieurs qui sont pourtant les deux pôles
fondamentaux du théâtre. Maintenant les acteurs deviennent des objets, des décors vivants,
qu’on peut déplacer comme des ustensile. Et le texte est utilisé dans sa dimension auditive.
C’est l’époque des metteurs en scène. Moi, je pense que pendant un certain temps, c’était
amusant, j’étais fasciné (…) mais ça a fini par se scléroser, et maintenant ça m’ennuie. Je
trouve souvent le théâtre fade et, surtout, artificiel. (…) Il faut renouveler la théâtralité.
Pour moi, ce qu’il y a de fondamental, c’est la communication entre les acteurs et avec le
public. Il faut toujours maintenir cette communication.
(…) Il faut étudier l’art du jeu des acteurs. Qui parle? Il y a l’individu vivant et, de
l’autre côté, le rôle interprété. C’est comme ça en général qu’on pense le jeu des acteurs.
(…) Mais si on approche, on peut trouver un passage entre le comédien et son rôle, un état
d’acteur neutre.(…) À partir d’une base de neutralité, il peut passer aussi bien à son rôle du
moment qu’à son rôle dans la vie, qu’à son identité propre (…). L’acteur, par son jeu, peut
alors explorer toutes les gammes de l’écriture théâtrale: il peut devenir un conteur, il peut
s’adresser directement au public, il peut revêtir un personnage. Sans maquillage, sans
éclairage, sans décor, sans toute la mise-en-scène et les machineries du théâtre, il a déja ce
potentiel. Pourquoi le théâtre moderne oublie-t’il de faire confiance à l’acteur? Retrouver ce
potentiel renouvellerait déja l’écriture théâtrale.”
D. B. — “ C’est ce que font le acteurs dès qu’ils sont en situation de monologue.”
G. X. — “ Dans ce cas-là, la poésie, et même la prose, peuvent participer du théâtre.
Une fois qu’on pressent l’extrème plasticité de l’acteur, on peut réfléchir à un type
d’écriture moderne pour le théâtre. Il y a plein de possibilités, mais il faut aussi former des
acteurs qui soient capables de développer tous ces potentiels. Et d’ailleurs, par ce biais,
l’acteur retrouvera sa place originale au sein du théâtre.”
Au plus près du réel. Dialogues sur l’écriture (1994-1997) Éditions de l’Aube.
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