A. DENIZOT (Poznan - Polonia) SUR UN PHÉNOMÈNE OBSERVÉ PAR GUGLIELMINI À BOLOGNE EN 1791 Qual pare a riguardar la Garisenda Sotto il chinato, quando un nuvol vada, Sovr'essa sì, ch'ella in contrario penda. Tal parve Anteo a me che stava a bada Di vederlo chinare. DANTE, Inferno, XXXI. Voici comment chante le plus grand poète du monde des vers consacrés à une des tours penchantes qui font l'orgueil de Bologne. Pour un* physicien, le géant Antée comparé avec la tour Garisenda d'une hauteur de 47,50 mètres ne présente pas beaucoup d'intérêt: c'est plutôt le fait que ces vers immortels comprennent un théorème de physique qui attire son attention. En observant d'en bas, du côté où la tour penche, un nuage s'approchant de ceUe-ci, on aura l'impression que le nuage reste immobile et la tour va en s'incUnant vers lui. Voilà le problème du mouvement relatif : Le nuage se mouvant vers la tour présente le mouvement « vrai » ou « absolu » par rapport à la tour, et en prenant le nuage comme système de référence, c'est la tour qui, par rapport au dernier, exécute le mouvement « apparent » ou « relatif ». La seconde tour, Torre degU AsineUi, qui penche beaucoup moins que la Garisenda, mais qui est deux fois aussi haute que ceUe-ci, n'est pas éternisée dans la « Divina Commedia », mais eUe est devenue célèbre par des expériences qui vers la fin du XVIII siècle ont été exécutées par l'abbé GUGLIELMINI (*) dans cette tour sur la chute Ubre des corps. Poursuivant une idée de NEWTON, il a constaté que les corps en chute dévient vers l'est et en outre il a le premier observé une rotation des corps pendant leur chute. Ce dernier phénomène, confirmé plus tard par BENZENBERG à Hambourg et étudié en 1831 plus exactement par R E I C H (2) en Saxe, est resté jusqu'à ce jour sans exphcation. Il me semble que ceUe-ci peut être donnée, si l'on considère le corps en chute non comme un point matériel, mais comme un système de points maté- (*) Jo. BAPTISTAE GUGLIELMINI : De diurno terrae motu experimentis physico-mathematicis confirmato opusculum, Bononiae, 1792, p. 12. (2) T. REICH : Fallversuche ueber die Umdrehung der Erde, Freiberg, 1832. 476 COMUNICAZIONI riels. A cet égard, en poursuivant mes recherches (l) sur le mouvement relatif d'un point matériel, j'ai publié (2), il y a quelques années, un mémoire, où se trouvent des équations différentieUes se rapportant au mouvement relatif d'un système de points matériels et définissant la différence des deux vecteurs d'impulsion, dont l'un, « le vecteur relatif », correspond au mouvement progressif, et l'autre, « le vecteur instantané », au mouvement rotatoire du corps. La forme de ces équations rappeUe les équations qui se rapportent au mouvement d'une toupie et passent dans les équations d'EuLER, en les appUquant au cas du repos relatif. Dans le mémoire en question, j'ai appliqué les mêmes équations au gyroscope de Foucault et en les intégrant on parvient immédiatement à la loi de Foucault, savoir que l'extrémité de la résultante des vecteurs sus-mentionnés décrit un cercle autour de l'axe instantané, c'est-à-dire autour de la Ugne des pôles, dans le sens du mouvement apparent des étoiles. Dans le mémoire présent j'ai recours aux mêmes équations différentieUes relatives à la chute libre d'un corps, considéré également comme un système de points matériels. Aussi dans ce cas l'intégration de ces équations s'effectue d'une manière simple, par quoi j'entends la représentation du vecteur envisagé en fonction du temps. Les résultats auxquels je suis parvenu donnent immédiatement une expUcation de la rotation des corps en chute, observée par GUGLIELMINI et confirmée plus tard par d'autres savants. § 1. - Les équations, dont il s'agit dans ce problème, sont les suivantes ( 3 ): d -ft=(L+Lü) (1) + (rQ-qR) < §~(M+M0) + (pR-rP) *£~{N+N*) + (qP-pQ). Ces équations se rapportent à un système d'axes mobiles qui par rapport à un système fixe tourne autour de l'axe instantané avec la vitesse angulaire co, dont les composantes sont p, q, r. P, Q, R sont les composantes de la différence du vecteur relatif et du vecteur instantané. L, M, N, sont les composantes du moment rotatoire des forces extérieures, L0, M0, N0 ceUes d'une force fictive qui se détermine par la position de l'origine mobile par rapport au système fixe. (*) A. DENIZOT : Das Foucaultsche Pendel und die Theorie der relativen Bewegung, Leipzig und Berlin (B. G. Teubner), 1913. (2) A. DENIZOT, Sitzungsberichte der Akad. d. Wiss. in Wien, 123, II a , p . 903, 1914, v. a. Jahresbericht d. Dtsch. Mathem.-Vereinigung, Leipzig und Berlin (B. G. Teubner), p . 452, 1914. (3) Dans ce qui suit je me rapporte au mémoire cité auparavant dans la note précédente. A. DENIZOT : Un phénomène observé par Guglielmini à Bologne 411 § 2. - En appUquant les équations (1) à la Ubre chute d'un corps à la surface de la Terre, nous nous servons d'abord du système d'axes OÇrjÇ, défini de la manière suivante: Prenons comme origine O un point de la verticale du heu d'observation, l'axe des f dans le plan du méridien, perpendiculairement à la Ugne des pôles et dirigé dans le sens opposé à ceUe-ci, l'axe des rj normalement au méridien, dirigé vers l'Est, l'axe des f paraUèlement à la ligne des pôles, dirigé vers le pôle boréal. L'axe instantané coïncide avec l'axe des f, et les composantes de la vitesse angulaire seront p=0, q=0, r=œ, cette dernière étant la vitesse angulaire de la Terre. En désignant par G l'attraction de la Terre, ses composantes par rapport à l'unité de masse seront — G cos cp, 0, — G sin cp, où cp est la latitude géocentrique du heu d'observation, et il vient £ = 2 (yZ-zY) = ^ (-mG sin oo . y) il_f==2 (zX—xZ) = ^(—mG cos cp • z—mG sin OD • x) i V = 2 ( x Y - y X ) = ^(mGcos OD . y). En y introduisant les coordonnées £, rj, £ du centre de gravité et en désignant par m la masse du corps, on obtient L= —mG sin OD • r\ M= —mGcos cp • t>—mGsin OD • f N=mG cos OD • rj. La force agissant sur l'origine est dans ce cas la force centrifuge engendrée par la Terre en rotation. En nommant h la distance de l'origine de la Ugne des pôles, les composantes de cette force seront mco2h, 0, 0 et les moments correspondants Xo=0 M0=mco2h£ N0= —mwPhr}. Par conséquent L + L0= —mG sin OD • rj M+ M0= —m(G cos OD — œ2h)Ç + mG sin OD • f N+ N0=m(G cos cp — co2h)rj. En y posant G cos cp — co2k=g cos tp G sin cp=g sin \p, 478 COMUNICAZIONI où g est la pesanteur du lieu d'observation sous la latitude géographique xp, il vient L + LQ= —mg sin xp • r\ M+MQ= —mg cos xp • Ç + mg sin xp • f N+No = mg cos \p • 97. Quant aux coordonnées f, ?;, C du centre de gravité, on peut les représenter comme fonctions du temps de la façon suivante: g cos y) , , tA , . ,v f=^—___: ( i _ c o s cot—cot sm cot) g cos y> . . ^ = . , ,v *—_JL ( s m cot—cot cos cor) C = - - p r s i n t / ; . *2. § 3. - Par conséquent les équations différentieUes (1) peuvent s'écrire : dP mg2 . ~ — —coQ= (1') , . . ^ sin \p cos i/;(sin cot —cot cos cor) — + coP= —y-sin xpcos xp(l + - co2t2 — cos co£ — cousin con —- = ——cos2 TV d s i n cor —colcos con. dt co* ' § 4. - Avant d'intégrer ces équations, supposons qu'à l'instant 1=0 le centre de gravité coïncide avec l'origine O, et les axes principaux d'inertie avec les axes des | , r\, £. Alors, à l'instant t=0, les moments centrifuges du corps étant D0=E0 = Fo = 0, et A0, B0, C0 désignant les moments principaux d'inertie, les composantes initiales du vecteur instantané seront: Ao=—Ap + Fq + Er=0 M0=Fp-Bq + Dr=0 No=Fp + Dq-Cr=-C0co. Les valeurs initiales des composantes du « vecteur relatif », s'exprimant en général dans la forme X=^m(y'z— zy), ju=^lm(zx—xz), v=^m(xy—yx), sont X0= pt0=v0=0, parce que le corps est abandonné sans vitesse relative. Par conséquent l'état initial est défini par les valeurs suivantes : (2) Po=^o-Ao=0 Q0=JUo-M0=0 Ro=v0—*No=Coco. Le corps a donc dans son état initial une impulsion qui s'exprime par C0co, en conséquence de quoi il tourne autour de l'axe instantané. A. DENIZOT : Un phénomène observé par Guglielmini à Bologne 479 Nous voyons que l'état initial du corps conçu comme un système des points matériels n'est pas défini seulement par la position initiale et la vitesse initiale du centre de gravité, mais encore par sa rotation relative autour de l'axe instantané. Tant que le corps est soutenu par le centre de gravité, son énergie de rotation est donnée par l'expression To = - \ (pAo + qM0 + rN 0 ) = \ Coco2. En projetant le vecteur de rotation instantanée (co) sur le vecteur instantané (-2*0)1 il s'ensuit la relation co cos (co, -Zo) = v^ = —co, donc cos (co, 20) = — 1. On y reconnaît un théorème de POINSOT (*) concernant le mouvement d'une toupie, en conséquence de quoi le corps, soutenu par son centre de gravité et tournant autour de l'axe instantané avec la vitesse angulaire co peut être considéré de même comme une toupie. § 5. - Intégration des équations (1'). A cet effet, nous différentions la première des équations (1') selon t, en y substituant dQ/dt de la seconde équation et nous obtenons ainsi la suivante équation différentieUe linéaire non homogène du second ordre: d2P (3) ma2 ( 1 \ 2 —5- -\-co P= —— sin î/; cos xp \1 + -co212 — cos cot—2cot sin cot). Selon un procédé connu nous posons (4) P= d cos cot+ C2 sin cot et il s'ensuit (5) dP = — Ci co sin co t+ C2C0 cos co t, où les fonctions d et C2 doivent satisfaire aux conditions (6) x cos cot • -rr +sin cot • -^ ' dt (&) dt =0 —sin cot • -^ + cos cot • -jjr=y, co t \ y= —Y-sin xpcos xp\\-\- —~ mo ( cos cot—2cot sin coti. Les équations (6) et (6') donnent / r -v (7) CLL/A ~dt=~ysm . j rfCo > ~dt==,ycos œt (*) v. A P P E L : Cours de mécanique rationnelle, . œt Paris 1911, II, p. 163. 480 COMUNICAZIONI et en intégrant ces équations, on obtient à l'aide de l'expression pour y: Ci=m ^3 sin xp cos xp-co2tf2(l + cos cot) — cousin cot— — - cos 2cot— - cot sin 2cot (8) + Ci, C2=m ^y sin xp cos xp — -cot+ -co2t2 sin cot+cot cos cot— — - sin 2cot + - cot cos 2cot + c2. Pour déterminer les constantes d et c2 nous posons (8) dans (4), et en tenant compte de ce qu'à l'instant t=0 selon (2) devient P0=0, il résulte Ci=-m\ 2 / sin xp cos xp 1 1 \ P=m —z sin t/; cos xpl- co2t2 — cot sin co£+ - co2t2 cos con + c2 sin co£. (9) § 6. - Pour obtenir Q nous formons dP Q2 ( 1 \ — =m—^ sin t/;cos t/;l co£—sin co£— -co2t2 sin con + céco cos co£ et en posant ceci dans la première des équations (1') on obtient (10) Q=m—2 sin xpcos xp • n i —cos cot— -cousin cot) + c2 cos cot. Quant à la constante c2 nous la déterminons à l'aide des équations (2) et trouvons c 2 = 0 . Nous intégrons encore la troisième des équations (1'), ce qui nous fournit R comme fonction du temps et nous avons r/2 9 P=m Y~ 2 sin xp cos xp • t(cot—2 sin cot+cot cos cot) (H) Q=m~ R=2m^ sin xpcos xp • til — cos cot—-cot sin cot\ coà cos2 xp-(l- cos cot— -cotsin co£^+C 0 co. Les expressions pour Q et R donnent encore cette simple relation : R—C.co = -cot tang xp. § 7. - En développant les fonctions trigonométriques en séries, et en tenant compte de ce que œt est petit, il s'ensuit P== — — mg2cot* sin xp cos xp 12 (11') Q= — mg2co2t5 sin xp cos i/; i£= — mg2coté cos2 i// + (70co. 12 A. DENIZOT : Un phénomène observé par Guglielmini à Bologne 481 § 8. - Transformons encore P, Q, R par rapport au système de coordonnées Oxyz, dont l'axe des x est paraUèle à la tangente au méridien du Ueu d'observation et dirigé vers le Nord, l'axe des y coïncide avec le précédent des rj et celui des z avec la verticale du Ueu, dirigé vers le bas. Alors nous aurons entre P, Q, R et Pf, Q', R' qui correspondent à ce nouveau système les relations suivantes : p ' ______ p sin xp + R cos xp Q'-Q R'=—Pcos xp — Rsin xp. Par suite, à l'égard de (ll')i on trouve P'= ' ( C o + jzW>g2t*)tt> cos xp Q'= — mg2co2th sin xp cos xp ' Rf= — C0co sin xp. Les termes Co co cos xp et —C0co sin xp sont les impulsions initiales du corps par rapport à l'axe horizontal (x) et à l'axe vertical (z). Nous voyons que l'impulsion donnée par Rf ne varie pas pendant le mouvement du corps, tandis que celle exprimée par P' augmente de — mg2t* co cos xp= - mz2 co cos xp, où désigne la hauteur de chute du centre de gravité du corps. Cette augmentation dépassera l'impulsion initiale à un degré considérable, quand le corps tombe d'une grande hauteur. Aussi dans la direction vers l'Est l'impulsion Qf atteint-eUe une valeur appréciable. § 9. - Les expériences de R E I C H . Pour avoir une notion des valeurs des moments d'impulsion (12), je me sers des données numériques citées par R E I C H ( £ ). Les boules de zinc avaient le diamètre de 2a=4,034 cm, la masse m=270,45 gr, la hauteur de chute 2=15850 cm, la durée de chute £=5,7 sec, ( # = 9 8 1 cm sec -2 , co=0,000073 sec" 1 , t/;=50 o 53'). On trouve C 0 = - m a 2 = 4 4 0 , 2 gr cm2 5 C 0 co=0,0213, Coco cos ^ = 0 , 0 2 0 3 , P ' = 0 , 0 2 0 3 +1,05 . 106, Q'=170, O T. REICH, 1. c, pag. 14. C0co sin xp=0,0249 gr cm2 sec" 1 P ' = - 0 , 0 2 5 gr cm2 sec" 1 . 482 COMUNICAZIONI De là s'ensuit pour le moment résultant par rapport à l'axe horizontal ÌP72~+Q,'2 = 1,05 . IO6 gr cm2 sec" 1 , où le moment initial C0co cos 99=0,0203 est sans importance. La valeur trouvée pour le vecteur résultant nous donne une exphcation du phénomène observé pour la première fois par GUGLIELMINI en 1791 à Bologne, notamment de la rotation des corps pendant leur chute. R E I C H observa non seulement une plus grande rotation autour de l'axe horizontal, mais parfois aussi une plus petite rotation autour d'un axe vertical, ce qui correspondrait à l'effet du plus grand moment P ' et du plus petit Rf. Cependant il faut remarquer que dans ces expériences les boules n'étaient pas suspendues par leur centre de gravité, comme je suppose dans ce qui précède. Plutôt on prit soin « de poser artificieUement le centre de gravité au-dessus du centre des boules suspendues, afin d'empêcher leur rotation ». Mais ces efforts devaient être vains, car les boules saisies au début de leur chute par une impulsion de rotation relative autour de l'axe instantané, ne pouvaient être empêchées de tourner. A cet égard la remarque de R E I C H : « Nous n'étions pas en état d'observer avec sûreté si cela a été obtenu », mérite d'être souhgnée. Si cet observateur, de même que GUGLIELMINI, avait constaté que les boules ne tournaient pas, il aurait en même temps constaté que la Terre ne tourne pas. Sous ce rapport le phénomène de GUGLIELMINI est une preuve de plus en faveur de la doctrine de COPERNIC et en même temps l'accomplissement des paroles légendaires : « Eppure si muove ».