doi: 10.1684/hma.2010.0487
Lillusion du choix thérapeutique
The illusion of the therapeutic choice
Jean-Pierre Jouet
Service des maladies du sang,
CHU de Lille ;
et membre de la Commission déthique
de la SFH
Depuis que la médecine existe, même dans ses formes les plus
primitives, depuis quun être humain sest préoccupé de soigner
les maux de ses contemporains, le médecin ou son équivalent
parfois dailleurs auto-désigné, a toujours eu un ascendant sur
« son » malade puisque le savoir se situe de son côté et la demande
de lautre côté. On connaît le rôle des sorciers ou des « hommes médecine »
dans les tribus dites primitives africaines, américaines ou aborigènes. En est-il autre-
ment aujourdhui dans nos sociétés dites avancées ?
Jusquà une période très récente en fait, de lordre dun demi-siècle, la question du
choix du traitement curateur vue par le médecin ou vue par le malade, ne sest
jamais réellement posée, sauf en termes très tranchés : le traitement, et non « un »
traitement, doit-il ou peut-il être envisagé ou pas. La réponse dépendait, dune part,
de lexistence de réelles aptitudes de la médecine à guérir la maladie et, dautre
part, plus souvent sans doute, de la raison du soignant. Si le moyen thérapeutique
nexiste pas, le médecin va-t-il sengager ou plus exactement engager le malade
dans une aventure incontrôlée, voire incontrôlable, ou au contraire demeurer dans
une sage prudence ? Il est incontestable toutefois que certaines avancées thérapeu-
tiques majeures ont vu le jour parce que des médecins visionnaires ont osé (sans
nécessairement consulter le patient). Quoi quil en soit, lavis du malade
était dimportance modeste ou, le cas échéant, conditionné à son niveau socio-
économique.
Quy a-t-il de si nouveau dans notre société ?
Les progrès de la médecine ont été, au cours des six décennies passées, formi-
dables et presque fulgurants ces dernières années. La techno-science a envahi le
champ de lart médical, toujours plus innovante, repoussant chaque jour les limites
du faisable et du possible. Elle permettrait presque au malade de toucher parfois
du doigt lillusion de limmortalité. Elle permettrait presque au médecin de toucher
parfois du doigt lillusion dune puissance quasi divine. Tout, ou presque sera
possible au XXI
e
siècle. Il nen demeure pas moins que ces progrès considérables,
y compris dans le domaine des maladies à haute potentialité de mortalité, ont
permis, dans bien des cas, délargir les possibilités de traitement, de développer
des alternatives thérapeutiques, accréditant de facto lidée dun choix envisageable.
Dans les pays où le niveau de soins est acceptable, les malades, ou plus probable-
ment certains dentre eux, ont bénéficié de louverture quasi illimitée aux moyens
dinformation et du développement considérable des moyens de communication.
Il nest pas rare de voir arriver nos patients en consultation, assistés dun volumineux
dossier composé de références obtenues sur la toile, ou même de voir le médecin
demander au patient sil a consulté Internet à propos de sa pathologie. On peut
bien entendu se poser la question de la pertinence de certaines informations dispo-
nibles et de la capacité, pas nécessairement intellectuelle, qua le malade à adapter
le flot dinformations à sa situation. Linformation au malade est maintenant
un droit que nul ne peut contester. Le médecin avait le devoir dinformer et il en a
maintenant lobligation. On peut dailleurs sinterroger sur la nécessité quil y a eu
Tribune de réflexion éthique
Hématologie 2010 ; 16 (4) : 316-7
Tirés à part :
J.-P. Jouet
Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010
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à légiférer dans ce domaine. Linformation doit porter sur la
maladie, les traitements, leurs effets attendus et inattendus. Je
nentrerai pas dans le débat sur le degré dinformation
à transmettre : faut-il toujours dire toute la vérité à tous les
malades ? La tentation que peut avoir le médecin de « tout
dire » ne peut-elle se confondre avec le désir de se décharger
dun lourd fardeau, voire de se défausser de toute respon-
sabilité sur lavenir de ce malade ?
Quoi quil en soit, lécart du niveau de connaissance entre
malade et médecin samenuise progressivement. Quen est-il
du niveau du savoir, cest-à-dire de lintégration et de lappli-
cation des connaissances ? Quand se pose aujourdhui la
question dun choix thérapeutique, médecins et malades
sont-ils réellement sur un pied dégalité ? Il me semble impor-
tant, pour les deux parties, quils ne le soient pas et que leur
relation soit et demeure asymétrique.
Le malade doit être informé le plus possible, le mieux
possible, et de la façon la plus adaptée : cest évident,
cest aussi la loi.
Le malade doit avoir une opinion sur les options thérapeu-
tiques proposées : cest tout aussi évident.
Le médecin ne doit pas se décharger de la responsabilité
du choix : cest à lui de dire au malade ce qui, à lui méde-
cin, lui paraît être le mieux, le plus adapté, le plusle
moinspour le malade, et seulement pour ce malade parti-
culier. Lun des piliers de léthique médicale est, à mon sens,
la responsabilité du médecin face au malade. Cette respon-
sabilité ne doit pas être transférée au patient.
Dans la situation où lon dispose de deux traitements possi-
bles qui ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients,
il existe un fossé entre le fait de dire au malade : « moi,
Docteur, je pense quil vous faut ce traitement car»ou
« quel traitement souhaitez-vous recevoir, car moi, Docteur,
je vous laisse ce choix ? ». Bien entendu le malade a et doit
avoir la possibilité de ne pas suivre le choix du médecin. Mais
le médecin ne doit pas pour autant être contraint de prescrire
un traitement quil ne juge pas opportun pour ce malade,
quitte à lui conseiller de solliciter un autre avis médical.
Il est des situations où ni le médecin ni le malade ne sont en
mesure de pouvoir choisir entre deux ou plusieurs traitements
possibles. Lexemple des protocoles thérapeutiques et
singulièrement ceux qui proposent une randomisation est
particulièrement instructif.
Pour une pathologie donnée, il existe un traitement de réfé-
rence parfaitement connu, maîtrisé, dont on sait les résultats
attendus et une innovation thérapeutique quil faut tester et
comparer. Il est scientifiquement admis que seuls les essais
randomisés contrôlés peuvent apporter une réponse à cette
problématique. Les malades qui participent à ces essais
sont protégés par la loi. Cest donc au hasard de décider
du traitement à entreprendre. Bien entendu le médecin est
libre dinclure ou non les malades dans ces protocoles et le
malade est libre de donner ou non son consentement
« éclairé » après avoir reçu une information « précise et
adaptée » comme lexige la loi. Il est néanmoins légitime de
se poser trois questions :
Quest-ce quun consentement « éclairé », demandé dans
des situations parfois sombres, voire particulièrement drama-
tiques, obtenu dans des délais nécessairement très courts ?
Pourquoi le médecin accepte-t-il dinclure des malades
dans le protocole ? Il ny a évidemment pas de réponse
unique : par désir de mieux pour le malade ; par pur esprit
scientifique, « pour faire avancer la science » ; par attrait de
la publication scientifique, moteur de la carrière
Pourquoi le malade accepte-t-il dêtre inclus dans le proto-
cole ? Il ny a évidemment pas non plus de réponse unique :
parce quil a confiance en ce médecin ou en la médecine ;
par désir de plaire au médecin ; par désir de contribuer à
lavancement de la science ; par goût du risque
Nous sommes à une époque où la normalisation envahit le
champ sociétal, où la mondialisation règne, où linformation
simpose en droit, où la relation qui sétablit entre un médecin
et le malade subit nécessairement des bouleversements.
Doit-on pour autant affirmer que médecin et malade sont,
face à la maladie et aux possibilités thérapeutiques que les
progrès techno-scientifiques autorisent, sur un même niveau ?
Les relations entre soignant et soigné sont, resteront et doivent
demeurer asymétriques. Il appartient certes au médecin
dadapter son discours aux demandes légitimes de la société
actuelle mais léthique de son métier implique lacceptation
dune responsabilité vis-à-vis du malade et non de lui laisser
lillusion dun choix quil na pas.
Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010
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