108 REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE •JANVIER-MARS 2012 •N ° 3 0 Droit lÉconomie lRégulation
DIALOGUE
AVOCAT-ÉCONOMISTE
Sous la responsabilité de Gildas DE MUIZON, économiste, Microeconomix
d’une faute et d’un préjudice qui lui est directement lié, cette
exigence probatoire se pose avec une acuité particulière dans
le cadre du private enforcement. Soit la faute peut être évidente
dans son principe (xation de prix, répartition de marchés
entre concurrents, etc.) mais elle est alors souvent dissimu-
lée, soit elle suppose une analyse économique ne pour la
caractériser (une approche par les effets des pratiques étant
de plus en plus privilégiée). La même complexité se rencontre
au niveau du préjudice.
Cette situation peut ainsi conduire les plaignants à privilégier
les actions de follow on à la suite d’une décision rendue par
une autorité de concurrence, puisque cette décision peut
comprendre des éléments intéressants sur ces deux para-
mètres essentiels. Cette stratégie peut également permettre,
le cas échéant et sous conditions, d’accéder aux éléments de
preuve réunis par l’autorité considérée. La contrepartie de
cette stratégie est toutefois de repousser l’indemnisation à une
date lointaine et ce, alors que les pratiques ont déjà pu durer
plusieurs années avant d’être détectées.
O.S. : Ces éléments de preuve sont capitaux pour assurer
une évaluation rigoureuse des effets de la pratique. Un autre
facteur-clé pour la détermination du préjudice est le choix du
contrefactuel, c’est-à-dire la dénition de la situation qui aurait
prévalu en l’absence d’infraction. La Commission européenne
propose plusieurs méthodes, dont les méthodes par comparai-
son à d’autres marchés dans le temps (méthode avant-après)
ou dans l’espace (méthode de type benchmark). Quelle que
soit la méthode, la principale difculté est d’identier les
différences entre le marché étalon et le marché affecté qui
seraient dues à d’autres facteurs que la pratique (évolution
du coût des matières premières, choc réglementaire, entrée
Revue Lamy de la concurrence : Comment expliquer le
nombre limité de demandes de réparation en préjudice
jusqu’alors ? Quelles sont les perspectives à venir ?
Sylvain Justier : Cette situation s’explique principalement en
France par la complexité de ce type de dossiers, l’absence de
procédure de recours collectifs et la conclusion – fréquente – de
transactions. II est par ailleurs courant que, pour des pratiques
d’envergure internationale, les victimes choisissent de porter
le fer devant des juridictions étrangères considérées comme
plus accueillantes. Mais la tendance est clairement au déve-
loppement de ce contentieux.
Olivier Sautel : Si l’on regarde l’arbitrage coût-bénéce des
victimes, deux cas peuvent expliquer une réticence légitime
à lancer de telles procédures. Le premier renvoie à la coordi-
nation des victimes. Si le préjudice total est élevé mais qu’il
est dispersé entre de très nombreuses victimes, tandis que
les coûts de procédure ne peuvent être valablement partagés,
chaque victime isolée a un intérêt limité à poursuivre l’auteur
de l’infraction. C’est tout l’enjeu économique de la question
des recours collectifs.
Le second cas renvoie à la possibilité d’interactions répétées entre
la victime et l’auteur de l’infraction. Si les relations commerciales
se poursuivent, la victime peut craindre un coût en forme de
représailles si elle demande réparation de son préjudice.
RLC : Quelles sont les facteurs-clés pour l’exercice d’une
action en réparation ?
S.J. : Le choix pertinent de stratégie juridique est un élément-
clé. Si toute action indemnitaire suppose de rapporter la preuve
Les procédures de demande
de réparation en préjudice
anticoncurrentiel
Ainsi que l’illustre l’annonce de la publication prochaine par la Commission européenne
d’un document d’orientation portant sur la quantification du préjudice, les institutions
françaises et européennes multiplient les initiatives en faveur du développement
des procédures de private enforcement. Parallèlement, les victimes font le constat
de la complexité des procédures qui sont notamment soumises aux problématiques
de l’accès aux preuves ou de la répercussion éventuelle des surcoûts subis sur leurs clients.
Juristes et économistes sont donc de plus en plus fréquemment confrontés à la montée
en puissance des demandes en réparation, ainsi qu’aux enjeux pratiques qu’elles suscitent.
Regards croisés.
1953
RLC
Sylvain JUSTIER
Avocat à la Cour