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Tribune
Paris, le 19 janvier 2015
Continent africain / Evaluation de préjudice
Les économistes apportent des réponses à 360 degrés
lors des procédures litigieuses
Par Gildas de Muizon (Directeur associé) et Sidy Diop (Vice-Président)
Dans un contexte de croissance économique soutenue sur le continent africain et
d’explosion des opportunités économiques, les investissements directs étrangers poursuivent leur
ascension sur le continent. Face à un risque élevé (perçu ou réel) de recourir à des juridictions
locales pour le règlement des litiges - notamment entre Etat et investisseurs - les contrats associés
aux investissements importants intègrent des clauses de règlement des litiges renvoyant souvent à
des tribunaux arbitraux situés en Europe ou aux Etats-Unis. Cette pratique est considérée par les
investisseurs d’une certaine taille comme un mode de règlement de litiges approprié dans un
contexte de complexité des opérations, d’éloignement géographique et de faible maitrise de la
situation politique locale.
Le développement des investissements par des acteurs privés conduit ainsi parallèlement à
un accroissement du nombre de contentieux aux enjeux financiers importants.
Pour aider les entreprises à évaluer au plus juste leur risque ou à chiffrer précisément les
effets d’une pratique litigieuse, l’expertise économique est une solution privilégiée, fournissant des
outils indispensables pour identifier les effets spécifiquement imputables à la dite pratique. Les
économistes interviennent de plus en plus sur le chiffrage des préjudices, tant en amont des litiges
qu’au cours des procédures. Explications.
Chiffrage des préjudices : l’élément déclencheur de toute procédure
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Que ce soit pour une entreprise minière dont le permis d’exploitation a été retiré ou modifié
par un Etat africain, pour un opérateur télécoms à qui le régulateur national a infligé une sanction
financière, ou encore pour un opérateur gazier qui a accusé un retard important dans la construction
d’une usine pour le compte d’un Etat, les contentieux impliquant des enjeux financiers lourds sont
souvent traités au niveau d’un tribunal arbitral ou dans le cadre de négociations précontentieuses.
Ces grands dossiers d’arbitrage en Afrique sont de plus en plus complexes et mobilisent
systématiquement des expertises externes, notamment dans la question centrale de la quantification
des préjudices.
La préoccupation première des acteurs impliqués dans des situations de contentieux, avant
de se lancer dans un procès coûteux, est d’avoir une idée de ce que celui-ci peut lui rapporter.
Question d’équilibre ; les acteurs ne se lancent dans une procédure que si celle-ci a suffisamment de
chances d’être gagnée et si le montant potentiellement récupérable est largement supérieur au coût
de la procédure. Cette expertise se fait fréquemment en amont. Dans un contexte de sophistication
des cas d’arbitrage et de sensibilité accrue des juges aux arguments quantifiés, elle ne se résume
désormais plus uniquement à une simple évaluation comptable. L’appréciation, par exemple, du
préjudice subi par un opérateur télécoms dont la licence d’exploitation a été retirée ne peut se
résumer à un simple prolongement de son chiffre d’affaires actuel sur les années couvrant la durée
restante de sa licence. L’évaluation des préjudices telle que pratiquée par les économistes résulte de
la construction d’un scénario dit « contrefactuel » décrivant ce qui se serait passé en l’absence de la
pratique litigieuse et d’une analyse fine des marchés concernés. Dans l’exemple des télécoms, les
dynamiques de marché, les changements au niveau de l’intensité concurrentielle, les évolutions
attendues des tarifs de détail et des tarifs de gros, les probabilités d’attribution de nouvelles licences
doivent être modélisées pour apprécier l’évolution du résultat net de l’opérateur sur les années
couvrant la durée de sa licence.
Si l’expertise économique permet d’évaluer les chances de succès en cas de recours en
justice, elle permet également de transiger afin d’éviter les litiges. En effet, les coûts élevés et la
durée des procédures font de ces recours un véritable épouvantail pour les entreprises. Une
évaluation financière préalable du préjudice permet également aux parties de bien cadrer les enjeux
financiers des litiges et, le cas échéant, de transiger au plus juste. Si le procès ne peut être évité, le
rôle de l’expert économique reste quasi-similaire. En appui de l’une des parties, il peut notamment
contester les prétentions du requérant si celles-ci ne sont pas réalistes ou faire une évaluation plus
précise de la valeur du préjudice allégué.
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Les économistes sont outillés dans les évaluations de préjudice, pour mettre en évidence la
manière dont l’équilibre du marché a pu être modifié et quantifier les impacts que cette atteinte a pu
causer à l’une des parties. Cette mission fine d’évaluation, distincte des interventions des expertscomptables, avocats et autres conseils, constitue la valeur ajoutée des experts-économistes.
3 exemples concrets
Les trois exemples suivants illustrent la façon dont les experts économistes appréhendent ce
chiffrage des préjudices et leur rôle crucial dans le cadre de cette évaluation :
1) Un gestionnaire de réseau électrique d’un pays africain invoque un préjudice lié à un
retard de livraison d’une ligne électrique construite par une multinationale, et chiffre le montant
du dommage : la demande est rejetée, faute d’une argumentation économique fiable
Le gestionnaire d’un réseau d’un pays d’Afrique du nord affirme avoir subi un préjudice du
fait du retard de la livraison d’une nouvelle ligne électrique. Il invoque principalement la perte de
revenus suite à ce retard de livraison. Un premier chiffrage est effectué… mais la demande est
rejetée car ce chiffrage est contesté et le demandeur manque d’arguments pour détailler la
détermination du prix de dommages demandé.
Voici un cas typique de litige où l’intervention d’économistes spécialisés dans le
fonctionnement des systèmes et des marchés électriques permet de déterminer un montant précis
et facilement explicable, grâce à la modélisation (qui reconstitue un monde économique tel qu’il
serait avec certains paramètres). En effet, pour évaluer l’éventuel préjudice, il faut modéliser
précisément le système électrique dans le but de déterminer le moment précis où l’absence de la
nouvelle ligne se serait traduite par des coupures d’électricité en prenant en compte différents
facteurs, tels que la disponibilité des centrales sur le réseau ou la congestion de certaines lignes. Sans
cette modélisation, la prétention financière du plaignant n’était pas légitime et sa demande a été
rejetée. Cette insuffisance de légitimité dans l’analyse financière du préjudice peut s’avérer être un
manque à gagner considérable pour certaines entreprises.
2) Un Etat africain demande réparation auprès d’un tribunal arbitral pour la non mise en
exploitation d’un permis minier
Le deuxième exemple concerne un Etat d’Afrique de l’Ouest qui avait signé un contrat avec
une multinationale pour l’exploitation de ses ressources minières. La multinationale ayant finalement
fait le choix de ne pas investir dans l’exploitation de la mine (ainsi que dans les infrastructures
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complémentaires), l’Etat a demandé réparation du préjudice subi auprès d’un tribunal arbitral et a eu
gain de cause.
L’approche économique permet dans ce cas de figure de fonder l’évaluation du préjudice sur
des éléments objectifs et quantifiables. Les permis d’exploitation des ressources naturelles étant
délivrés sur des périodes assez longues (20 ans, par exemple) la modélisation des équilibres futurs
des marchés occupe une place centrale dans l’estimation du préjudice. Les gains escomptés de l’Etat
à travers l’octroi du permis d’exploitation dépendent des redevances, taxes et impôts, dividendes (les
Etats prennent souvent une part du capital de la société créée localement), versés par la société
exploitante. Afin d’estimer ces gains, il est nécessaire d’évaluer convenablement à la fois la demande
adressée à l’entreprise (fonction de la demande mondiale, mais aussi du positionnement
concurrentiel de l’entreprise), ainsi que les prix futurs (dépendant, dans cet exemple, des équilibres
mondiaux en termes d’offre et de demande). En outre, les gains indirects concernant la création
d’emplois ou encore l’impact sur le tissu d’entreprises local doivent également être modélisés.
Dans ce type de projet (bénéfices à long terme, impact sur l’économie local, bénéfices
fonction d’éléments exogènes) l’expertise économique est incontournable. Elle permet de construire
des modèles d’évaluation de préjudices beaucoup plus robustes qu’une approche strictement
comptable basée sur l’exploitation des comptes de l’entreprise.
3) La production des génériques dans l’industrie pharmaceutique
Le troisième exemple concerne le marché des médicaments génériques qui représentent un
véritable enjeu pour le continent africain en termes financiers, mais aussi de santé publique. Deux
types de contentieux peuvent survenir dans la production de génériques en Afrique : plaintes de
laboratoires pharmaceutiques contre la fabrication par un Etat de médicaments encore sous brevet
mais considérés par le pays en question d’intérêt public ; plaintes d’un génériqueur face à une
pratique déloyale d’un laboratoire pharmaceutique voulant protéger les ventes d’un médicament
dont le brevet est tombé dans le domaine public.
Dans le premier cas, les préjudices réclamés par les laboratoires concernent le manque à
gagner suite à une production locale, mais aussi les risques d’exportation de la production locale vers
des pays où le brevet est « respecté ». Tout le monde a encore à l’esprit l’exemple très médiatisé du
procès intenté par un groupement de laboratoires pharmaceutiques contre le gouvernement sudafricain concernant la vente de médicaments génériques contre le sida. Les laboratoires
pharmaceutiques avaient finalement renoncé à poursuivre le gouvernement sud-africain
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vraisemblablement pour des questions d’image, alors même que les enjeux strictement financiers
étaient importants.
Dans le second cas, des génériqueurs peuvent être victimes de pratiques déloyales de la part
d’opérateurs en place qui ont voulu coûte que coûte maintenir leur suprématie sur le marché d’un
médicament dont le brevet est entré dans le domaine publique. L’évaluation du préjudice subi par le
laboratoire générique consiste à calculer la différence entre les bénéfices actuels du génériqueur sur
le marché en question et les bénéfices hypothétiques qu’il aurait engrangés en l’absence de
pratiques déloyales. Etudier les comptes du génériqueur ainsi que son business plan pourrait
conduire à des résultats erronés. Les business plan peuvent surestimer, par exemple, les ventes
potentielles du génériqueur. L’utilisation d’outils économétriques permet d’aller plus loin. En effet,
une comparaison effectuée avec d’autres marchés (dans d’autres pays ou concernant d’autres
médicaments) et la constitution d’une base de données permettant de tenir compte de nombreuses
variables économiques susceptibles d’impacter la performance d’un médicament générique. On
pense ainsi au nombre de concurrents lançant le médicament générique, au lancement par le
laboratoire historique d’un « auto-générique », etc.). En mobilisant un modèle économétrique
finement calibré, il est possible d’estimer l’impact spécifique causé par les pratiques déloyales, en
tenant compte des autres variables économiques.
Ces trois exemples illustrent l’importance des outils fournis par l’analyse économique et les
techniques économétriques dans le cadre d’un chiffrage de préjudice. Leur approche,
complémentaire de celle des experts-comptables et financiers, permet une analyse fine du préjudice
et un chiffrage fondé sur une reconstitution rigoureuse de la situation contrefactuelle tenant compte
des effets spécifiquement imputables à la pratique litigieuse.
Les économistes de plus en plus sollicités pour des contentieux en Afrique
Les flux d’affaires vers le continent africain se sont considérablement développés ces dernières années,
notamment dans les secteurs miniers, pétroliers, télécoms ou hôtelier. 57 milliards de dollars ont, par ailleurs,
été investis en Afrique en 2013.
Ces investissements font émerger de nouveaux comportements dans les relations commerciales : la
multiplication du nombre de contentieux conduit les opérateurs privés à porter leur litige devant les tribunaux
ou à privilégier la résolution des litiges par des négociations précontentieuses. Dernière grande bataille sur le
continent : la révision récente des codes miniers a donné lieu à d’âpres négociations entre Etats africains et
opérateurs privés. Des négociations préalables ont eu lieu et les experts économiques sont intervenus en appui
de ces négociations afin de caractériser et chiffrer les préjudices.
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Contact presse
Agence FARGO / www.agencefargo.com
Vicktrin GERALD / [email protected] / 01 44 82 66 91
A propos de Microeconomix
Cabinet de référence en France et au niveau européen, Microeconomix réalise des travaux de
recherche et d’expertise économique en mobilisant les outils de la microéconomie appliquée et de
l’économétrie.
Fondé par François Lévêque, professeur d’économie à Mines ParisTech et dirigé par Gildas de
Muizon, Microeconomix réunit une vingtaine d’économistes et intervient sur des sujets variés tels
que l’évaluation des effets des fusions, l’évaluation des préjudices et du dommage à l’économie
causée par une pratique anticoncurrentielle, l’analyse économique des secteurs régulés et
l’économétrie appliquée aux stratégies d’entreprises.
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