Y a-t-il « judiciarisation de la médecine »? Le cas du dépistage et du diagnostic prénatals Bénédicte ChampenoisRousseau Sociologue Emmanuelle Fillion Sociologue Quentin Mameri Avocat CPDPN Grenoble 10 Mars 2015 Le projet ANR : Enjeux du diagnostic prénatal dans la prévention du handicap Un projet sur 3 ans composé de deux volets Un volet socio-historique de reconstitution de l’histoire des techniques séminaire de témoins du 4 octobre 2012 Un volet plus ethnographique Comparaison des pratiques de DPN en France, Angleterre, Pays Bas et Brésil Un site: http://anr-dpn.vjf.cnrs.fr/ La question de la judiciarisation Une question très présente dans les discours des professionnels Une justification de la mise en œuvre des pratiques avec la demande des femmes Un premier travail de dépouillement de rapports d’activités et de dossiers d’assureurs importants + décision des CE et CC Importance des accidents à la naissance dans le corpus Effet de la loi du 4 mars 2002 Difficulté de l’accès à un corpus exhaustif (décisions de première et deuxième instance) La « judiciarisation » : une préoccupation très présente chez les professionnels du DPN Tabuteau, Pariente & Laude remettent en cause la juridiciarisation Etude statistique menée sur les recours des patients auprès des tribunaux et CRCI entre 1999 et 2009. (Laude, Pariente & Tabuteau 2011) Pas d’augmentation du nombre de demandes de réparation (contentieuses ou amiables)/ nombre d’actes effectués Evolution de la pression conflictuelle par rapport aux autres professions Nature des spécialités, actes et causes des dommages indemnisés Evolution du montant des indemnités dues en réparation de ces dommages Présentation de la Recherche et Méthodologie Analyse d’un corpus d’une cinquantaine de décisions de contentieux devant les cours d’appel (administratives ou civiles) et devant la Cour de cassation et le Conseil d’Etat Analyse de la doctrine Analyse des effets de la loi du 4 mars 2002 Renforcés par la loi du 7 juillet 2011(Bioéthique) L’arrêt Perruche (2000) Séisme judiciaire? L’affaire Les contestations de l’arrêt La Cour de cassation reconnaît à Nicolas Perruche le droit à « la réparation du préjudice résultant de (son) handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute de diagnostic des praticiens», son indemnisation prend en charge les frais liés à son handicap (plusieurs millions) D’ordre juridique – absence de causalité entre handicap et la faute – handicap congénital (« inhérent au patrimoine génétique de l’enfant ») D’ordre éthique: reconnaissance du préjudice de naissance portant atteinte à la dignité de l’enfant handicapé D’ordre politique : résurgence des contestations de la loi de 1975 sur l’IVG Débats sur la responsabilité médicale Les professionnels du DPN craignent d’avoir à prendre en charge les handicaps à la naissance, y compris quand ils ne sont pas provoqués par l’acte médical Les primes d’assurances professionnelles des échographistes s’envolent Les contrefeux législatifs à l’arrêt Perruche L’article 1er de la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades: Limite la responsabilité des professionnels Limite l’étendue des indemnisations Renvoie l’indemnisation du handicap à la solidarité nationale En revanche, les autres articles de la loi du 4 mars 2002 Confirment les droits des patients À l’information Au consentement éclairé… Les conséquences sur la jurisprudence Resserrement des conditions de responsabilité des professionnels Exigence d’un lien de causalité direct entre l’acte médical et le dommage : exempte les professionnels du DPN de la responsabilité du handicap de l’enfant La faute professionnelle dans le cadre du DPN doit être « caractérisée » Pas de définition légale mais définition jurisprudentielle : « faute évidente et grave » Appréciation de la faute distincte de la responsabilité médicale traditionnelle (gravité indifférente) L’expertise médicale, outil de détermination de la faute médicale Analyse de la jurisprudence: faute caractérisée 1) absence de difficulté de l’acte 2) multiplication des manquements 3) absence de renvoi vers un confrère plus spécialisé 4) manquement à l’obligation d’information Loi du 7/7/2011: renforcement de l’obligation d’information « Toute femme enceinte reçoit, lors d'une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d'imagerie permettant d'évaluer le risque que l'embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse. (…) Le prescripteur, médecin ou sage-femme, communique les résultats de ces examens à la femme enceinte et lui donne toute l'information nécessaire à leur compréhension. « En cas de risque avéré, la femme enceinte et, si elle le souhaite, l'autre membre du couple sont pris en charge par un médecin et, le cas échéant ou à sa demande, orientés vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Ils reçoivent, sauf opposition de leur part, des informations sur les caractéristiques de l'affection suspectée, les moyens de la détecter et les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du fœtus ou de l'enfant né. Une liste des associations spécialisées et agréées dans l'accompagnement des patients atteints de l'affection suspectée et de leur famille leur est proposée ». VI. Préalablement au recueil du consentement mentionné au V et à la réalisation des examens mentionnés aux II et IV, la femme enceinte reçoit, sauf opposition de sa part dûment mentionnée par le médecin ou la sage-femme dans le dossier médical, une information portant notamment sur les objectifs, les modalités, les risques, les limites et le caractère non obligatoire de ces examens. En cas d'échographie obstétricale et fœtale, il lui est précisé en particulier que l'absence d'anomalie détectée ne permet pas d'affirmer que le fœtus soit indemne de toute affection et qu'une suspicion d'anomalie peut ne pas être confirmée ultérieurement. (Article 2213-1 du code de la santé publique) Une responsabilité traditionnelle soumise à l’« obligation de moyens » Pas d’« obligation de résultat » des praticiens du DPN Les juges n’exonèrent pas forcément les femmes de leurs responsabilités Lorsqu’une mère ne s’enquiert pas des résultats d’une analyse biologique, et que le médecin ne s’en est pas inquiété non plus (Papeete 12 mai 2011) Lorsqu’une mère entre Sèvres et le Liban ne respecte pas les dates recommandées pour les examens échographiques Une limitation des actions en réparation L’exclusion de l’indemnisation de l’enfant handicapé Demande de réparation de l’enfant désormais irrecevable: seuls les parents peuvent demander réparation de leur préjudice La charge du handicap étant renvoyée vers la solidarité nationale, seul le préjudice moral est indemnisable : les montants d’indemnisation sont faibles, voire symboliques (quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros) 3. Indemnisation du seul préjudice propre des parents Principe – indemnisation de la seule perte de chance -- appréciée au regard du seul droit français -- appréciée sur la base des conclusions expertales -- appréciée sur la base de critères multiples : marge d’erreur de la technique utilisée / gravité du handicap de l’enfant / structure familiale Tempérament : indemnisation d’un préjudice autonome de la perte de chance : Le manquement à ces obligations constitue un « préjudice autonome » pouvant être sanctionné, en dehors de tout préjudice de santé et en dehors de toute « perte de chance » (Cassation, 14/11/2010) Impréparation au handicap ou au décès de l’enfant Indemnisation du préjudice moral de la fratrie TGI Reims du 19 juillet 2005 : Préjudice moral aux deux frères d’une enfant trisomique dont la condition n’a pas été détectée avant la naissance (non proposition de l’amniocentèse) Pour l’attention maternelle dont ils ont été privés du fait des soins que leur mère a dû consacrer à leur sœur Parce que les juges imputent la séparation des parents à l’arrivée de l’enfant handicapée D&I de 8000€ par enfant Comprendre les débats sur la « judiciarisation » au regard des évolutions de la médecine et du droit Les évolutions du droit en faveur des droits des individus Malgré une limitation de la menace judiciaire sur l’activité de DPN Une affirmation des droits des patients sur les plans législatif et judiciaire Les évolutions de la médecine: une érosion de l’autonomie médicale Juridicisation de la médecine: montée des normes, cadrage administratif et règlementaire… Fin de la tradition clinique: recueillir le consentement du patient, collégialité intraprofessionnelle, coordination pluridisciplinaire, fragmentation du travail médical sur la grossesse… Suscitent chez les professionnels un sentiment de responsabilité accrue et de moindre contrôle de leur propre activité La question de la « faute » et du » risque médico-légal » très présents, malgré des sanctions relativement rares et faibles Bibliographie Mameri, Q; Fillion E; Rousseau B; Le juge et le diagnostic prénatal après la loi du 4 mars 2002: un régime de responsabilité exceptionnel des professionnels du diagnostic prénatal » (soumis à publication) Vassy, C; Rosman, S; Rousseau B. « From policy making to service use. Down’s syndrome antenatal screening in England, France and The Netherlands ». Social Science and Medicine 2014 Champenois Rousseau, B.; Vassy, C; « Les échographistes face au dépistage prénatal de la trisomie 21. Le difficile arbitrage entre excellence professionnelle et éthique du consentement ». Sciences Sociales et Santé 2012 Merci! Les suites du projet ANR: le projet PICRI en collaboration avec le CIANE qui s’intéresse à l’expérience des femmes enceintes Un questionnaire en ligne Des entretiens approfondis avec une cinquantaine de femmes identifiées grâce au questionnaire Nous avons besoin de votre aide pour le tester avant de le mettre en ligne http://ciane.net/lime/limesurvey/index.php/7 3336/lang-fr