AA-Congres-BIC1_SFPO-2016:N°2 16/03/16 09:23 Page20 Copyright © 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 09/06/2016. Compte rendu de congrès « La mort et ses représentations en oncologie : un possible à vivre et à penser » 32e congrès de la Société Française de Psycho-Oncologie Lille les 18-20 novembre 2015 Charline Danguy, membre de l’Afic [email protected] C La fin des certitudes enracinées ancérologues, psychologues, psychiatres, sociologues, philosophes, anthropologues, soignants de différents horizons ont animé le débat de ce 32e congrès de la Société française de psycho-oncologie (SFPO) autour d’une thématique qui a suscité réflexions et émotions auprès de plus de 250 participants : professionnels, étudiants, associations confrontés à cette grande difficulté qu’est la prise en charge de la mort dans le champ de la cancérologie. Aujourd’hui l’accompagnement de la maladie cancer se construit avec des espoirs, des croyances qu’ont les patients grâce à une espérance de vie en évolution, des progrès techniques et médicaux et de nouveaux traitements. Cependant, 150 000 décès par cancer surviennent chaque année en France, ce qui amène les soignants exerçant dans le champ de l’oncologie à être potentiellement confrontés à la fin de vie. Penser la mort possible reste difficile et suscite effroi, interrogations et impacte directement la qualité des soins, la souffrance des équipes sur fond de débats publics et politiques en attente que la nouvelle loi soit promulguée. Bulletin Infirmier du Cancer Chaque société créée sa propre culture par des rites, des croyances, une prolifération d’images thanatiques qui lui est propre. Cela permet de donner du sens, de panser, soigner l’angoisse, orienter les pratiques de la mort. Notre société contemporaine est marquée par la fin des certitudes enracinées et la médiatisation nous renvoie une mort violente, impersonnelle et valorisée voire irrationnelle, c’est une mort extérieure. L’accès facile à l’information internationale sur les progrès de la médecine et de la technologie engendre défiances et espérances populaires concernant, par exemple, le clonage ou le rajeunissement des cellules. Le monde actuel est technologique avec une carence dans la solidarité collective. Psychologues et psychiatres nous ont rappelé que la mort est le désarroi solitaire de l’individu contemporain qui veut « une belle mort », rester debout, volontaire, sans dégradation. Cette problématique se retrouve au cœur des débats publics et politiques et, en attendant la parution de la 20 Vol.16-n°1-2016 AA-Congres-BIC1_SFPO-2016:N°2 16/03/16 09:23 Page21 Copyright © 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 09/06/2016. Compte rendu de congrès Se méfier des évidences loi, il est clair que la demande sociétale est l’autonomie des patients dans la participation aux décisions et dans la maîtrise du parcours de soin. Internet redonne du pouvoir, une meilleure connaissance, le patient et sa famille sont acteurs du soin, engagés dans celui-ci. Ils peuvent ainsi anticiper, préparer leurs affaires, parler et penser la mort à venir. Plusieurs intervenants ont témoigné de la volonté de certains patients d’utiliser la maladie comme un tremplin avec un désir infini de vivre, de repousser la limite. La représentation sociétale du toujours plus, dépasser la limite, qui pousse à agir sans se poser la question de la finalité. Une étude réalisée par une anthropologue présente au congrès a confirmé cette demande forte des patients d’aborder la question de la mort afin d’organiser leur temps, leur avenir. Par contre, cette même étude démontre qu’il est difficile pour de nombreux médecins de parler de la mort. Certains patients se plaignent encore du manque d’information et d’un langage flou, exemple : « 50 % de guérison » ou « pause thérapeutique » et surtout du silence sur les complications des traitements possibles. Il apparaît clair pour les intervenants qu’une réalité est absente des discours et influe sur la prise en charge, c’est la réalité psychique. Une des psychologues, s’appuyant sur les directives anticipées, a mis l’accent sur l’ambivalence des patients. Le cadre législatif donne la décision au patient, il doit être écouté, mais attention, respecter le patient, c’est respecter son ambivalence. Pour cette psychologue, la parole, le dialogue, doivent être au centre, la loi doit être un levier pour poser des questions (sans y répondre) bien que cela soit fatiguant, épuisant, mais l’ambivalence protège le patient. Il faut accompagner le patient malgré les mécanismes de défense et ses remaniements. C’est un aller-retour psychique, un accompagnement non linéaire, plutôt chaotique, c’est un renoncement à des protocoles. Il faut de l’écoute et laisser le temps au psychique. Penser la mort en unités de soins palliatifs La complexité de la décision médicale Les conditions authentiques du soin en fin de vie nécessitent un espace, une limitation de la charge du professionnel, une absence d’abandon, de désintérêt de la médecine, il faut éviter l’usure de la compassion. L’accompagnement en fin de vie demande écoute et adaptabilité. Les schémas traditionnels sont bouleversés par cette fin des certitudes enracinées. Aujourd’hui, il faut partager et accompagner la connaissance ; ajuster, développer l’écoute, mais aussi accueillir les mots et les pensées, créer un lien de confiance, identifier la dynamique familiale. Comme en témoigne une représentante du Centre national de ressources (CNDR) soins palliatifs, Internet fait partie de la relation soignant/soigné. 70 % des patients et/ou leur famille ont consulté le Web à la recherche du miracle par les traitements expérimentaux dans le monde entier. À la fois recherche mais aussi échanges avec d’autres dans le même cas sur les effets secondaires mais également pour un soutien. Sachant que l’information est déshumanisée, sans individualisation, multiple et contradictoire, Internet est une source qui peut augmenter l'angoisse. Ainsi les soignants peuvent se trouver en porte-à-faux entre les attentes des patients et la réalité thérapeutique individuelle. C’est aux médecins qu’incombe l’obligation de l’annonce, les oncologues présents posent la question du comment et quand aborder la mort en consultation. Formés et préparés à l’annonce du diagnostic, ces professionnels sont souvent en difficulté face à la demande forte du pronostic chez les patients métastasés. Seul avec le patient et sa propre dynamique familiale, la formation personnelle et professionnelle apparaît comme primordiale. Quelle formation pour les soignants et quelle pédagogie pour les médecins ? L’oncologue doit être à la fois accompagnateur, médiateur, créateur avec les autres soignants d’une culture pour avoir un choix politique, un discours cohérent, sinon tout incombe au médecin, seul face à sa limite. Ce qui pose le problème de la responsabilité professionnelle et de la nécessité d’une stratégie thérapeutique collective (directives anticipées, réunion de concertation pluridisciplinaire [RCP], recommandations de l’Haute Autorité de santé [HAS]). La décision médicale aborde l’éthique, les limites thérapeutiques et psychiques mais aussi des notions financières d’où sa complexité. Bulletin Infirmier du Cancer 21 Vol.16-n°1-2016 AA-Congres-BIC1_SFPO-2016:N°2 16/03/16 09:23 Page22 Copyright © 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 09/06/2016. Compte rendu de congrès Une infirmière d’une unité de soins palliatifs est venue parler de sa pratique quotidienne et a mis l’accent sur la dimension humaine et spirituelle mais surtout sur la charge émotionnelle lourde. Parler, accompagner la mort dans les unités spécialisées est un choix avec une motivation forte des soignants. Ils sont confrontés à l’expérience de la mort et il apparaît important de leur permettre d’exprimer leurs émotions et de libérer la parole. Un long échange avec les expériences de l’assemblée a permis de pointer que malgré de nombreuses initiatives riches et constructives, un certain nombre de soignants préfère les échanges informels et est peu enclin à s’exprimer devant des inconnus, notamment les groupes de parole. évoquent peu la mort avec les enfants car « ils veulent rester en vie », « savoir si les parents les aimeront toujours ». De plus, leur représentation de la mort est très variable en fonction de leur âge. D’où la volonté de plusieurs établissements de créer un dialogue autour de la maladie, de la mort, à travers un soutien et une présence de psychologues, que ce soit en binôme médecin/psychologue ou l’animation de groupes de parole. La préoccupation principale des équipes soignantes est d’accompagner la famille, de construire un triangle avec les parents, l’enfant sans oublier la fratrie. Dans ces unités, l’après-mort est évoqué. Les équipes restent présentes encore pour accéder aux différentes demandes des parents, les soutenir et pour certaines participer aux obsèques. Cet accompagnement de l’après mort ne se retrouve pas dans les autres unités, les soignants de la chambre mortuaire sont à part comme s’il est impossible de faire une place aux morts. Ce colloque riche en émotions et en échanges nous a montré la complexité actuelle de la relation soignant/soigné face aux évolutions sociétales, médicales. Les schémas traditionnels sont bouleversés, les équipes soignantes en cancérologie sont amenées à développer des prises en charge très individualisées et ainsi à dépasser leurs propres limites. La mort en pédiatrie, un tabou Aujourd’hui, on n’oublie la fragilité des enfants, voilà 150 ans il était normal de mourir. Notre regard s’est transformé jusqu’à oublier que cela peut encore arriver. 1 700 nouveaux cas par an principalement tumeurs cérébrales, leucémies, sarcomes des tissus mous, et osseux avec 80 % de succès thérapeutiques. Bien que la mort soit présente à l’esprit des parents, ils sont très confiants dans la médecine, d’où le ressentiment fort de l’échec pour les familles et les équipes soignantes dans les 20 % de décès. Parler de la mort aux parents se fait souvent en période palliative, progressivement. Oncologues et soignants Bulletin Infirmier du Cancer Liens d’intérêts : l'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec cet article. 22 Vol.16-n°1-2016