La mort et ses représentations en oncologie : un - chu

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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.16-n°1-2016
Compte rendu de congs
« La mort et ses
représentations en
oncologie : un possible
à vivre et à penser »
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e
congrès de la Société Française de Psycho-Oncologie
Lille les 18-20 novembre 2015
Charline Danguy,
membre de l’Afic
ancérologues, psychologues, psychiatres,
sociologues, philosophes, anthropologues,
soignants de différents horizons ont animé
le bat de ce 32econgrès de la Société française
de psycho-oncologie (SFPO) autour d’une thématique
qui a suscité réflexions et émotions auprès de plus
de 250 participants : professionnels, étudiants, associa-
tions confrontés à cette grande difficulté qu’est la
prise en charge de la mort dans le champ de la
cancérologie.
Aujourd’hui l’accompagnement de la maladie cancer se
construit avec des espoirs, des croyances quont les
patients grâce à une espérance de vie en évolution, des
progrès techniques et médicaux et de nouveaux traite-
ments. Cependant, 150 000 décès par cancer survien-
nent chaque ane en France, ce qui amène les soi-
gnants exerçant dans le champ de loncologie à être
potentiellement confrontés à la fin de vie. Penser la mort
possible reste difficile et suscite effroi, interrogations et
impacte directement la qualité des soins, la souffrance
des équipes sur fond de débats publics et politiques en
attente que la nouvelle loi soit promulguée.
La fin des certitudes
enracinées
Chaque société créée sa propre culture par des rites, des
croyances, une prolifération d’images thanatiques qui
lui est propre. Cela permet de donner du sens, de pan-
ser, soigner l’angoisse, orienter les pratiques de la mort.
Notre société contemporaine est marquée par la fin des
certitudes enracinées et la médiatisation nous renvoie
une mort violente, impersonnelle et valorisée voire irra-
tionnelle, c’est une mort extérieure. L’accès facile à l’in-
formation internationale sur les progrès de la decine
et de la technologie engendre défiances et espérances
populaires concernant, par exemple, le clonage ou le
rajeunissement des cellules.
Le monde actuel est technologique avec une carence
dans la solidarité collective. Psychologues et psychiatres
nous ont rappelé que la mort est le désarroi solitaire de
l’individu contemporain qui veut « une belle mort », res-
ter debout, volontaire, sans dégradation.
Cette problématique se retrouve au cœur des bats
publics et politiques et, en attendant la parution de la
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loi, il est clair que la demande sociétale est l’autonomie
des patients dans la participation aux décisions et dans
la maîtrise du parcours de soin.
Internet redonne du pouvoir, une meilleure connais-
sance, le patient et sa famille sont acteurs du soin, enga-
gés dans celui-ci. Ils peuvent ainsi anticiper, préparer
leurs affaires, parler et penser la mort à venir.
Plusieurs intervenants ont moigné de la volon de
certains patients d’utiliser la maladie comme un trem-
plin avec un désir infini de vivre, de repousser la limite.
La représentation sociétale du toujours plus, passer
la limite, qui pousse à agir sans se poser la question de
la finalité.
Une étude réalisée par une anthropologue présente au
congrès a confirmé cette demande forte des patients
d’aborder la question de la mort afin d’organiser leur
temps, leur avenir. Par contre, cette me étude
démontre qu’il est difficile pour de nombreux decins
de parler de la mort. Certains patients se plaignent encore
du manque d’information et d’un langage flou, exemple :
« 50 % de guérison » ou « pause thérapeutique » et surtout
du silence sur les complications des traitements possibles.
La complexité
de la décision médicale
C’est aux médecins qu’incombe l’obligation de l’annonce,
les oncologues présents posent la question du comment
et quand aborder la mort en consultation. Formés et pré-
parés à l’annonce du diagnostic, ces professionnels sont
souvent en difficulté face à la demande forte du pro-
nostic chez les patients métastasés. Seul avec le patient
et sa propre dynamique familiale, la formation person-
nelle et professionnelle apparaît comme primordiale.
Quelle formation pour les soignants et quelle pédago-
gie pour les médecins ?
L’oncologue doit être à la fois accompagnateur, média-
teur, créateur avec les autres soignants dune culture
pour avoir un choix politique, un discours cohérent,
sinon tout incombe au decin, seul face à sa limite. Ce
qui pose le problème de la responsabilité profession-
nelle et de la nécessité d’une stratégie thérapeutique col-
lective (directives anticipées, réunion de concertation
pluridisciplinaire [RCP], recommandations de l’Haute
Autorité de santé [HAS]).
La décision médicale aborde l’éthique, les limites thé-
rapeutiques et psychiques mais aussi des notions finan-
cières d’où sa complexité.
Se méfier
des évidences
Il apparaît clair pour les intervenants qu’une réalité est
absente des discours et influe sur la prise en charge, c’est
la réalité psychique.
Une des psychologues, s’appuyant sur les directives anti-
cipées, a mis laccent sur l’ambivalence des patients.
Le cadre gislatif donne la décision au patient, il doit
être écouté, mais attention, respecter le patient, c’est res-
pecter son ambivalence.
Pour cette psychologue, la parole, le dialogue, doivent
être au centre, la loi doit être un levier pour poser des
questions (sans y pondre) bien que cela soit fatiguant,
épuisant, mais l’ambivalence protège le patient.
Il faut accompagner le patient malgré les mécanismes
de fense et ses remaniements. C’est un aller-retour
psychique, un accompagnement non liaire, plutôt
chaotique, c’est un renoncement à des protocoles. Il faut
de l’écoute et laisser le temps au psychique.
Penser la mort en unités
de soins palliatifs
Les conditions authentiques du soin en fin de vie ces-
sitent un espace, une limitation de la charge du pro-
fessionnel, une absence d’abandon, de désintét de
la médecine, il faut éviter l’usure de la compassion.
L’accompagnement en fin de vie demande écoute et
adaptabilité. Les scmas traditionnels sont boulever-
sés par cette fin des certitudes enracinées. Aujourd’hui,
il faut partager et accompagner la connaissance ; ajus-
ter, développer l’écoute, mais aussi accueillir les mots
et les pensées, créer un lien de confiance, identifier la
dynamique familiale. Comme en témoigne une repré-
sentante du Centre national de ressources (CNDR) soins
palliatifs, Internet fait partie de la relation soignant/soi-
gné. 70 % des patients et/ou leur famille ont consulté
le Web à la recherche du miracle par les traitements
expérimentaux dans le monde entier. À la fois
recherche mais aussi échanges avec d’autres dans le
même cas sur les effets secondaires mais également
pour un soutien. Sachant que l’information est déshu-
manisée, sans individualisation, multiple et contradic-
toire, Internet est une source qui peut augmenter l'an-
goisse. Ainsi les soignants peuvent se trouver en
porte-à-faux entre les attentes des patients et la ali
thérapeutique individuelle.
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Compte rendu de congs
Une infirmière d’une unité de soins palliatifs est venue
parler de sa pratique quotidienne et a mis l’accent sur
la dimension humaine et spirituelle mais surtout sur la
charge émotionnelle lourde. Parler, accompagner la mort
dans les unités spécialisées est un choix avec une moti-
vation forte des soignants. Ils sont confrontés à l’expé-
rience de la mort et il apparaît important de leur permettre
d’exprimer leurs émotions et de libérer la parole. Un long
échange avec les expériences de l’assemblée a permis de
pointer que malgré de nombreuses initiatives riches et
constructives, un certain nombre de soignants préfère les
échanges informels et est peu enclin à s’exprimer devant
des inconnus, notamment les groupes de parole.
La mort en pédiatrie, un tabou
Aujourd’hui, on n’oublie la fragili des enfants, voilà
150 ans il était normal de mourir. Notre regard s’est trans-
formé jusqu’à oublier que cela peut encore arriver. 1 700
nouveaux cas par an principalement tumeurs brales,
leumies, sarcomes des tissus mous, et osseux avec
80 % de succès thérapeutiques. Bien que la mort soit
présente à l’esprit des parents, ils sont très confiants dans
la médecine, d’où le ressentiment fort de l’échec pour
les familles et les équipes soignantes dans les 20 % de
décès.
Parler de la mort aux parents se fait souvent en période
palliative, progressivement. Oncologues et soignants
évoquent peu la mort avec les enfants car « ils veulent
rester en vie », « savoir si les parents les aimeront tou-
jours ». De plus, leur représentation de la mort est très
variable en fonction de leur âge. D’où la volonté de plu-
sieurs établissements de créer un dialogue autour de la
maladie, de la mort, à travers un soutien et une présence
de psychologues, que ce soit en binôme médecin/psy-
chologue ou l’animation de groupes de parole.
La préoccupation principale des équipes soignantes est
d’accompagner la famille, de construire un triangle avec
les parents, l’enfant sans oublier la fratrie.
Dans ces unités, l’après-mort est évoqué. Les équipes
restent présentes encore pour accéder aux différentes
demandes des parents, les soutenir et pour certaines
participer aux obsèques. Cet accompagnement de l’après
mort ne se retrouve pas dans les autres unités, les soi-
gnants de la chambre mortuaire sont à part comme s’il
est impossible de faire une place aux morts.
Ce colloque riche en émotions et en échanges nous a
montla complexiactuelle de la relation soignant/soi-
gné face aux évolutions sociétales, médicales. Les sché-
mas traditionnels sont bouleversés, les équipes soi-
gnantes en cancérologie sont amenées à velopper des
prises en charge très individualisées et ainsi à dépasser
leurs propres limites.
Liens d’intérêts : l'auteur déclare n'avoir aucun lien
d'intérêt en rapport avec cet article.
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