
Du point de vue de l’analyse de l’entreprise ou des organisations, les tableaux d’input-
output supposent implicitement une structure institutionnelle donnée et décrivent ce que les
entreprises qui s’y trouvent prennent dans leur environnement sous forme d’inputs et ce
qu’elles y retournent sous forme de produits. Pour plusieurs décennies après Léontief, la
théorie de l’entreprise enseignée par la science économique aux gestionnaires s’est limitée
à la détermination des choix optimaux d’intrants, en fonction des outputs à produire et des
vecteurs de prix. Le changement de perspective dans la recherche théorique sur
l’entreprise s’amorce à partir des années 70s avec des contributions comme celle d’Alchian
et Demsetz (1972, [2]), et la parution de l’ouvrage de Chandler (1977, [4]). Les années 80’s
marqueront une croissance exponentielle de la recherche sur des thèmes reliés à
l’organisation de l’entreprise et son fonctionnement: les contrats, les coûts d’information et
de transaction, l’intégration verticale et la sous-traitance ou l’impartition, la motivation et
l’encadrement des cadres supérieurs, les coûts d’agence, la syndicalisation et la qualité de
la main d’œuvre, le recours au système de franchise.
Autant l’analyse économique traditionnelle touchant la production était préoccupée par
la technologie, autant l’analyse économique récente de l’entreprise est préoccupée par le
domaine, moins tangible mais tout aussi fondamental du point de vue de la gestion, des
interactions entre les multiples parties prenantes à son activité. Il est raisonnable de parler
de convergence entre les thèmes de la nouvelle analyse économique et ceux de la théorie
des organisations et du management.
Du point de vue de l’histoire de la pensée, cette
nouvelle analyse économique de la production et de l’entreprise a découvert et consacré
avec près de cinquante ans de retard le génie de Ronald Coase et son article classique sur
la nature de l’entreprise paru en 1937. Ironiquement, la première célébrité de Coase lui est
venue des rangs des juristes pour un article plus récent, paru en 1960, portant sur un autre
sujet (1960, [7]). Comme pour l’article sur l’entreprise, Coase a raisonné à un niveau
d’abstraction supérieur à celui caractérisant la littérature existante sur le sujet. Son discours
de réception du Prix Nobel d’économie au début des années 90, intitulé « The Institutional
Structure of Production » fait bien ressortir une fois de plus sa préoccupation pour les
aspects moins tangibles de la production. Avec la découverte un peu tardive de Coase en
théorie de l’entreprise, il y a eu la redécouverte de l’article de Hayek de 1945 sur l’utilité de
la connaissance (1945, [13]). Inspiré par le débat sur les avantages et désavantages
respectifs du socialisme et du capitalisme entre O.Lange, L.Mises et quelques autres,
Hayek y présente une analyse des contraintes organisationnels en termes de disponibilité
de l’information pertinente et d’incitations des parties prenantes. Il n’est pas exagéré de
soutenir que ces contraintes constituent les fondements de la nouvelle analyse économique
de la production.
Au niveau des ouvrages d’enseignement général à l’attention des futurs gestionnaires, il
a fallu attendre l’ouvrage de Milgrom et Roberts (1992, [22]) pour une présentation intégrée
de cette nouvelle analyse économique de la production et de l’entreprise. On y consacre un
chapitre entier et plusieurs sections à la transition dans les économies socialistes, et
particulièrement celles de l’Europe de l’est. Au-delà d’une préoccupation journalistique, il y
Putterman et Kroszner (1996, [27]) rassemblent un échantillon des plus importantes contributions et présente une
synthèse de l’ensemble de cette littérature.
Il est possible de mesurer cette convergence en comparant par exemple le contenu et les préoccupations des auteurs
suivants : Gabrié et Jacquier (1994, [12]) largement inspirée par la nouvelle analyse économique de la production et de
l’entreprise, Williamson (1995, [33]) rassemblant des contributions multidisciplinaires en hommage au classique de Chester
Barnard The Functions of the Executive paru en 1938, et Boyer et Equilbey (1999, [3]).