Voir savoir et comprendre
Fabienne Bergmann
L'Ecclésiaste associe déjà vision et sagesse et proclame ושארב ויניע םכחה (hehaham
eynav berocho), littéralement : le sage a ses yeux dans la tête. Le verbe האר (raa),
voir, signifie aussi comprendre, savoir, estimer et désigne autant une vision
sensorielle qu'abstraite. La Michna, quant à elle, définit le sage comme celui qui voit
ce qui adviendra,דלונה תא האורה (haroé èt hanolad), autrement dit celui qui comprend
les conséquences des actes ou des situations, prévoit les conséquences,
retentissements ou retombées des choses, ou, pour employer un registre plus familier,
voit plus loin que le bout de son nez.
Le verbe האר (raa), tout comme en français son équivalent voir, apparait dans son
sens figuré dans nombre d'expressions. ןוכנל האר (raa lenakhon) signifie penser qu'il
est juste – d'agir de telle façon par exemple ; החוכנ האר (raa nehkoha) signifie voir
juste ; ןיעב ןיע האר (raa ayin beayin), littéralement : voir du même œil, signifie voir les
choses de la même façon, être sur la même longueur d'ondes et le ןובשח האור (roé
hechbon) n'est pas celui qui voit un compte comme le laisserait croire une traduction
littérale, mais bien l'expert comptable qui le comprend et sait quoi en faire…
La racine 'ן'י'ב recèle aussi les deux sens de voir et savoir. A sa forme réflexive du
hitpael, le verbe ןנובתה (hitbonen) signifie observer, regarder tandis que cette même
racine au mode hifil dans le verbe ןיבה (hevin) équivaut à comprendre. De même, ןובנ
(navon), intelligent, sensé, celui qui, selon la Michna רבד ךותמ רבד ןיבמ (mevin davar
mitokh davar), soit littéralement : comprend une chose à partir d'une autre, est celui
qui comprend les implications. Ce sens apparait aussi dans הנובת (tevouna),
l'intelligence, l'esprit, l'entendement ; הניב (bina), l'intelligence et bien entendu
l'adverbe ןבומכ (kamouvan) signifiant justement… bien entendu.
On retrouve le même phénomène pour la racine 'ל'כ'ש ou 'ל'כ'ס qui donne d'une part les
mots לכש (sékhel), intelligence, ליכשמ (maskhil), cultivé, instruit, הלכשה (haskhala),
l'instruction, la culture, le savoir et d'autre part לכתסה (histakhel), regarder.
De même le חקיפ (pikéah) est celui qui voit, l'opposé de l'aveugle, celui qui a les yeux
ouverts – l'hébreu a pour l'ouverture des yeux un terme spécial : םייניע תוחוקפ (eynayim
pkouhot), le contraire étant תומוצע םייניע (eynayim atsoumot), les yeux fermés – mais
c'est aussi celui qui voit les choses de manière intelligente et le חקיפ, le clairvoyant,
s'apparente au םכח, l'intelligent.
La vision est aussi la qualité du prophète, le איבנ (navi), également appelé האור (roé)
ou הזוח (hozé), le voyant. Le mot ןוזח (hazon), vision – prophétique dans son sens
premier, תושביה תומצעה ןוזח (hazon haatsamot hayevechot) est la vision des ossements