C'est tout le contraire ! Fabienne Bergmann L'antiphrase est une figure de style consistant à employer, par ironie ou par euphémisme, un mot, une locution ou une phrase dans un sens contraire à sa véritable signification. Cette façon de s'exprimer est en hébreu ( לשון סגי נהורlachon sagui nahor). Sagui nahor, en araméen, signifie "beaucoup de lumière", mais l'expression − employée dans le Talmud et aujourd'hui, dans un langage littéraire − a un sens exactement opposé, puisqu'elle désigne un aveugle, soit celui qui ne voit que l'obscurité. De là nous vient la forme de langage ( לשון סגי נהורlachon sagui nahor) où ce qu'on exprime est exactement le contraire de ce qu'on veut dire ! Si l'antiphrase française est très souvent moqueuse et ironique, son homologue hébraïque apparaît surtout dans la tradition juive par souci de tenir ce qu'on appelle "un langage propre", ( לשון נקייהlachon nekiya), et éviter d'exprimer quelque chose de négatif. A deux reprises au chapitre II du Livre de Job (versets 5 et 9), le verbe ( ברךbarekh, bénir) est employé au sens de renier ou maudire. D'où l'avertissement talmudique ( אזהרה למברךazhara lamevarekh) qui est un avertissement à celui qui maudit Dieu. Le Traité de deuil ( אבל רבתיevel rabbati) est souvent appelé "Traité de fêtes" ( מסכת שמחותmassekhet smakhot) et les gens ayant perdu leur fortune, des ( עוליםolim, ceux qui s'élèvent). Dans le même esprit, un cimetière est ( בית חייםbeit haim, la demeure des vivants) et pour parler d'un animal impur, on évite l'emploi du mot ( טמאtamé, impur) pour dire plutôt: ( בהמה שאינה טהורהbehema chéeyna tehora, soit : une bête qui n'est pas pure). De même pour parler d'un danger de mort, on dira "un danger de vie" ( סכנת חייםsakanat haïm). En hébreu moderne, dans le langage parlé où l'intonation a son rôle, le langage segui nahor n'est plus obligatoirement vertueux. Le ( חכם גדולhaham gadol, littéralement: quelqu'un de très intelligent) est évidemment moqueur. De même qu'on s'exclame: ( כישרוןkicharon, soit : talent) pour stigmatiser quelqu'un qui fait une bourde. Ainsi, il faut être particulièrement doué pour écrire un mot aussi "long" (voilà que je ne peux m'empêcher d'appliquer ce dont je parle…) que ( נחNoah, soit le personnage biblique de Noé ou le qualificatif "confortable" ou "aisé") en faisant sept fautes ! Ce qui se dit : ( לכתוב נח בשבע שגיאותlikhtov noah becheva chguiyot). L'expression ( יפה מצדךyafé mitsidekha, c'est trop aimable à toi) est toujours ironique. De même l'exclamation big deal, intégrée telle quelle à l'hébreu parlé ( )ביג דילdésigne quelque chose dont ce n'est pas la peine de faire un plat. Et n'oublions pas le très populaire ( חבל על הזמןhaval al hazman, littéralement: dommage pour le temps [passé à quelque chose], autrefois employé pour déplorer un gaspillage de temps) et depuis plus de dix ans, dans la bouche de tout Israélien dans le vent, en guise de jugement laudatif.