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I - LE RÉSEAU DE BLANCHIMENT COMME DÉLÉGATION
D’INTERMEDIAIRES
Le coût de blanchiment n’est pas seulement une fonction croissante des
bénéfices à blanchir car il dépend aussi étroitement de l’efficacité de la répression
(Savona Ernesto U, 1995). L’application des dispositifs d’une loi contre le
blanchiment, en augmentant le risque de repèrage des recettes criminelles, conduit
par la même occasion à accroître le coût de légitimation du narco-capital3.
Plus précisément, l'argent de la drogue oblige à recourir à des intermédiaires chaque
fois plus nombreux, à déléguer la légitimation et la gestion des patrimoines acquis en
dehors de la loi à des agents économiques extérieurs au trafic des stupéfiants. Pour
optimiser la collecte des produits financiers de la drogue et leur ré-investissement
réussi, à côté des différents procédés techniques légitimant les narco-dollars, la mise
en œuvre du blanchiment requiert la présence de nombreux intermédiaires chargés
de faire circuler les masses monétaires interlopes : fourmis, déposant moyen,
investisseur local, administrateur financier, gérant de société-écrans, prête-noms des
paradis fiscaux…
Au cours de l’opération policière baptisée Casablanca4, les enquêteurs
américains ont pu mettre à jour un réseau international de blanchiment composé de
près de 100 banques et institutions de crédits dont American Express Bank, Laredo
National… Structure internationale dans la mesure où son extension géographique
considérable favorisait la circulation de l’argent des drogues au travers d’une
multitude de nations : USA, Mexique, Colombie, Vénézuela, Panama, Equateur,
Italie, Israël, Japon, Allemagne, Brésil , Hong-Kong, Les Bahamas, Les Barbades, etc.
D'un point de vue théorique, on peut affirmer avec Dominique Pilhon5 que le
blanchiment est une illustration emblématique de l'importance de la délégation au
sein de l'économie criminelle : en plus de créer du << lien social >> entre les
trafiquants et les blanchisseurs, la raison d’être économique du réseau en tant que
forme organisationnelle spécifique réside, entre autres, dans la possibilité de
maîtriser les coûts de délégation consubstantiels à l'activité de blanchir. Car le
fonctionnement d’un réseau de blanchiment engage de nombreuses dépenses (cf.
infra) lesquelles ne se réduisent pas seulement à des coûts de transaction liés à des
marchandises légales et illégales. La métamorphose de l'argent de la drogue en
monnaie "propre", légitime, non stigmatisée socialement, comporte un prix qu'il faut
payer aux multiples intermédiaires chargés d’en estomper l’illégalité initiale, un coût
perçu en échange d’une légitimité sociale irréfragable.
3 Steiner Sampedro (1997) rappelle opportunément que jusqu’en 1989, le coût du blanchiment représentait en
moyenne 10 % des gains du trafiquant alors qu’aujourd’hui ce pourcentage atteindrait facilement 20 % et même
plus parfois.
4 Cf El Financiero du 5/04/1999.
5 Car la lutte contre le blanchiment constitue un cas où <<… L’Etat délègue une partie de son pouvoir aux
institutions bancaires et financières en sollicitant leur coopération dans la surveillance des opérations financières
et la détection des transactions menées par les trafiquants de drogue …>>. Blanchiment des capitaux et
économie du crime, Rapport moral sur l’argent dans le monde, 1996, pp.33-38.