UNE AUTRE CONSTRUCTION DU CORPS DES
R´
EELS
Les coupures de Dedekind
Jean Gounon
http://dma.ens.fr/culturemath
1 Introduction
Dans le chapitre intitul´e ”Nombres r´eels” nous avons construit le corps des
r´eels en utilisant comme point de d´epart les suites de Cauchy de rationnels.
Cette m´ethode est due historiquement `a Cantor. Mais il existe une deuxi`eme
pr´esentation classique, due `a Dedekind, fond´ee sur la notion de ”coupure” `a
l’int´erieur de l’ensemble Qdes rationnels. C’est de cette seconde pr´esentation
que nous nous inspirons dans ce qui suit ;cette ethode est par moments un
peu laborieuse, par exemple dans l’´etude des propri´et´es des lois de composi-
tion sur R; par contre, elle permet un acc`es plus direct `a certaines propri´et´es
fondamentales de R(densit´e de Qdans Ret th´eor`eme de la borne sup´erieure).
2 D´efinition d’un nombre r´eel. Exemples
efinition 2.1 On appelle nombre r´eel (ou plus simplement eel) tout sous-
ensemble αde Qerifiant les propri´er´es suivantes :
1) α6=;α6=Q
2) xαyQ α:x < y
3) αne poss`ede pas de plus grand ´el´ement.
L’ensemble des nombres r´eels est not´e R.
Remarque 2.2 C’est une telle partition de Qen deux sous-ensembles non
vides (ici not´es αet Qα) tels que tout ´el´ement de l’un soit inf´erieur `a tout
´el´ement de l’autre qui fut d´esign´ee comme ”coupure dans les nombres ration-
nels” dans la pr´esentation de Dedekind.
Exemples 2.3
1. Soit aQ; soit l’ensemble α={xQ/ x < a}. Cet ensemble αv´erifie
bien les trois propri´et´es ci-dessus : c’est donc un r´eel.
2. Soit l’ensemble α=xQ+/ x2<2Q.αv´erifie clairement les pro-
pri´et´es 1) et 2) ci-dessus. Pour la 3), raisonnons par l’absurde en supposant
que αadmet un plus grand ´el´ement a.
1
On a 0 < a et a2<2. Soit alors le rationnel
b=a(a2+ 6)
3a2+ 2
on a
ba=2a(2 a2)
3a2+ 2 >0
et
b22 = a2(a2+ 6)22(3a2+ 2)2
(3a2+ 2)2=a66a4+ 12a28
(3a2+ 2)2=(a22)3
(3a2+ 2)2<0
On a obtenu un ´el´ement b > a dans α, ce qui contredit la d´efinition de a
comme plus grand ´el´ement de α.
Notons tout de suite que ces deux exemples sont diff´erents : montrons que
l’exemple (2) n’est pas du type de l’exemple (1). Raisonnons par l’absurde et
supposons que α={xQ/x < a}avec aQ
+. Comme a /α, on a a22.
Reprenons le nombre b=a(a2+ 6)
3a2+ 2 . Le calcul pr´ec´edent montre ici que
ba0, donc ba, et que b220, donc b22 donc b /αdonc ba;
finalement donc b=a, d’o`u a=a(a2+ 6)
3a2+ 2 d’o`u on d´eduit a2= 2.
Or, il n’existe aucun rationnel de carr´e 2 : pour le montrer raisonnons encore
par l’absurde en supposant que 2 = p
q2
avec pq= 1 :
On a donc p2= 2q2donc 2 |pdonc p= 2p0donc 4p02= 2q2donc 2p02=q2
donc 2 |q; et finalement 2 esr un diviseur commun `a pet Q, ce qui contredit
pq= 1.
On va noter provisoirement eels du type 1 les r´eels du type de l’exemple 1),
et eels du type 2 tous les autres r´eels. Vous vous en doutez peut-ˆetre ej`a, une
fois notre construction termin´ee, les premiers seront les rationnels et les seconds
les irrationnels. . .
Propri´et´e 2.4 L’inclusion est une relation d’ordre total sur R
emonstration :
RP(Q) (ensemble des parties de Q) ; on sait que l’inclusion est une
relation d’ordre (partiel seulement) sur P(Q) ; reste `a d´emontrer que l’ordre
ainsi induit sur Rest total, donc que :
α, β R:αβ ou β α.
Supposons que α6⊂ β:xαβ. Soit alors yβ: on a donc y < x (car
x /β) donc yα(car xα) ; on a donc βα.
2
3 Le groupe (R,+)
3.1 efinition d’une addition sur R
efinition 3.1 On va d´efinir une addition sur Rainsi : Si αet βsont des
eels, on pose
α+β={zQ/xαyβ:z=x+y}.
Cette d´efinition associe plus g´en´eralement, `a tout couple de sous-ensembles de
R, un troisi`eme sous-ensemble dit somme des deux premiers). Pour affirmer que
l’on d´efinit ainsi une addition sur Ril faut montrer que α+βRet donc
v´erifier pour α+βles propri´et´es 1), 2) et 3) de la d´efinition d’un r´eel. :
1. x0αy0βdonc x0+y0α+βdonc α+β6=
x1/αy1/β; si x1+y1α+β, alors x1+y1=x+yavec xα
et yβ; or x1> x et y1> y d’o`u une contradiction : x1+y1/α+β
donc α+β6=Q.
2. Soient zα+βet tQ(α+β) : montrons que z < t :
z=x+yavec xαet yβ
t=x+y0avec y0/β(car t /α+β)
Donc y < y0donc t > x +y=z
3. Par l’absurde, supposons que α+βait un plus grand ´el´ement aQ:
alors a=a1+a2avec a1αet a2β;a0
1αa0
2β:a0
1> a1et
a0
2> a2; d’o`u : a0
1+a0
2> a1+a2=aavec a0
1+a0
2α+β: impossible.
On a donc bien d´efini une addition sur R.
3.2 Propri´et´es de l’addition sur R
3.2.1 Commutativit´e
Elle r´esulte de la commutativit´e de l’addition sur Q.
3.2.2 Associativit´e
Elle r´esulte de l’associativit´e de l’addition sur Q.
3.2.3 El´ement neutre
On va montrer que ε=Q
est ´el´ement neutre, donc que : αR:α+ε=α
Soit zα+ε:z=x+yavec xαet yεdonc z < x donc zα
R´eciproquement, si zα:z0α:z0> z ; on a z=z0+ (zz0) avec
z0αet zz0εdonc zα+ε
3.2.4 Tout ´el´ement a un oppos´e
On va montrer que : αRα0R:α+α0=ε. Pour cela on va distinguer
deux cas, selon que le r´eel αest du type 1 ou du type 2 (notation vue `a la fin du
§2) :
3
1. αest du type 1 :α={xQ/x < a}avec aQ
Choisissons α0={xQ/x < a}(c’est encore un r´eel du type 1) :
Soit zα+α0: on a z=x+yavec x < a et y < adonc x+y < 0
donc z=x+yε
Soit zε:z
2<0 et z= ( z
2+a)+(z
2a) avec z
2+a < a et z
2a < a
donc z
2+aαet z
2aα0donc zα+α0.
2. αest du type 2
Choisissons α0={xQ:x /α}. Ici, il faut montrer que α0R: on
doit v´erifier les propri´et´es 1), 2), 3) de la d´efinition d’un r´eel.
(a) α06=: Soit y /α:yα0
α06=Q: Soit yα:y /α0
(b) Soient xα0et y /α0:x /αet yαdonc y < xdonc
x < y
(c) Supposons (par l’absurde) que α0poss`ede un plus grand ´el´ement
a: alors α0={xQ:xa}(en effet : si xα0, alors xa;
r´eciproquement, supposons xa: si x /α0, comme aα0,a < x
d’apr`es le point 2) ci-dessus) ; alors : xα⇒ −x /α0⇒ −x >
ax < adonc α={xQ/x < a}et donc αest du type 1,
ce qui est contraire `a l’hypoth`ese.
Donc α0est bien un r´eel.
Reste `a v´erifier que α+α0=ε:
Soit zα+α0:z=x+yavec xαet yα0donc y /αdonc
x < ydonc zε
Soit zε:
Supposons d’abord que 0 α.
Soit y /α. Alors y > 0 ; soit nNd´efini par n(z)y < (n+ 1)(z)
(nest le quotient dans la division euclidienne de ypar z). Alors :
(n+ 1)(z)/αet donc l’ensemble {xα/kN:x=k(z)}est
fini et admet donc un plus grand ´el´ement p(z). On a : z= (p+ 1)z+
p(z) avec (p+ 1)zα0(en effet (p+ 1)(z)/α) et p(z)α. Donc
dans ce cas on a bien zα+α0.
Supposons maintenant que 0 /α.
Alors 0 α0: on reproduit le raisonnement ci-dessus en rempla¸cant α
par α0.
Tout r´eel αest donc bien sym´etrisable pour l’addition ; son oppos´e α0sera
not´e dor´enavant α.
Conclusion : (R,+) est un groupe commutatif .
On notera αβ=α+ (β) (diff´erence des r´eels αet β).
4 Nombres r´eels positifs, n´egatifs
efinition 4.1 Un r´eel αest dit strictement positif si et seulement si 0α;
leur ensemble est not´e R
+.
4
Un r´eel αest dit strictement n´egatif si et seulement si αR
+; leur
ensemble est not´e R
.
Propri´et´e 4.2 R
+R
=
emonstration :
Supposons en effet un r´eel αR
+R
:
αR
+0α
αR
⇒ −αR
+0∈ −α0/α
Notation 4.3 R=R
+R
Propri´et´e 4.4 R=R∪ {ε}
emonstration :
Pour prouver cela, il suffit de montrer l’implication : α /R=α=ε.
Soit donc α /R; montrons que xQ:xαx < 0
=xα;α /R
+donc 0 /αdonc x < 0
= Soit x < 0 ; si x /α,x∈ −α; or α /R
donc α /R
+donc
0/∈ −α; donc x < 0 donc x > 0 : contradiction.
Notation 4.5 On pose
R+:= R
+∪ {ε}
et
R:= R
∪ {ε}
Les ´el´ements de R+sont les nombres r´eels positifs (au sens large), ceux de
Rsont les nombres r´eels n´egatifs (au sens large).
D’apr`es ce qui pr´ec`ede : R+R={ε}et R=R+R
Propri´et´e 4.6 1) [αR+et βR+] =α+βR+
2) [αRet βR] =α+βR
emonstration :
1) Les cas o`u α= 0 ou β= 0 ´etant triviaux, supposons αet βdans R
+:
0αdonc : xα: 0 < x ; 0 = x+ (x) ; x < 0 et 0 βdonc xβ;
donc 0 α+β: donc α+βR
+R+
2) De eme, on peut prendre ici αet βdans R
: alors αR
+et βR
+
donc, d’apr`es 1), (α)+(β)R
+donc (α+β)R
+donc α+βR
R
Propri´et´e 4.7 Soient α, β R
+(donc α+βR
+). Pour tout zQ
+
(α+β), il existe deux rationnels strictement positifs xet ytels que xα,
yβet z=x+y
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