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Une arthrite dislocante révélatrice
d’un syndrome des anti-synthétases
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A. Monnier, C. Richez, J. Dehais, T. Schaeverbeke*
OBSERVATION
Madame D., 54 ans, avait comme antécédents :
– une poliomyélite à l’âge de trois ans ;
– une fracture du fémur en 1985 traitée par enclouage fémoral et
compliquée d’une ostéomyélite staphylococcique ;
– une ostéonécrose aseptique de la tête humérale consécutive à
une corticothérapie au long cours.
En 1990, s’est installée une polyarthrite symétrique et bilatérale
pour laquelle avait été posé le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde. La patiente avait bénéficié de plusieurs traitements de fond :
initialement, la D-pénicillamine, puis les sels d’or et enfin l’hy d roxych l o roquine sans qu’aucun n’ait permis d’obtenir un bon contrôle
de la symptomatologie. Un an plus tard, apparaissait une fibrose
pulmonaireresponsable d’une dyspnée de plus en plus invalidante
avec une insuffisance re s p i rat o i re chronique nécessitant une oxygénothérapie à domicile. Elle a été adressée dans le service en avril
2003 pour avis diagnostique.
La patiente se plaignait de douleurs art i c u l a i re s , de mya l gi e s , d’un
s y n d rome de Ray n a u d, ainsi que d’une asthénie import a n t e.
L’examen clinique a objectivé :
– une art h ro p athie destru c t rice et défo rmante des mains ave c
notamment subluxation des IPP des deux pouces et déformation
en maillet des autres doigts (figure 1) ;
– une scl é rodactylie avec une acro - o s t é o lyse des index essentiellement ;
Figure 1. Subluxation des IPP des pouces et sclérodactylie.
* Service de rhumatologie, CHU Bordeaux.
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– une dyspnée de stade 4 avec crépitants bilat é raux à l’auscultat i o n
pulmonaire,
– des nodules sous-cutanés aux deux ava n t s - b ras (figure 2).
Différents examens complémentaires ont été réalisés pour comprendre ces manifestations.
◗ Les radiographies des mains ont montré des lésions destructrices
t o u chant surtout les pre m i e rs rayons avec une subl u x ation des
IPP des deux pouces ainsi qu’une carpite bilatérale. À noter également, une acro-ostéolyse (figure 3).
◗ Les ra d i ographies des ava n t - b ras ont objectivé de nombre u x
nodules radio-opaques en regard des structures osseuses, en rapport avec une calcinose sous-cutanée floride (figure 4).
◗ Les EFR ont mis en évidence un syndrome restrictif avec une
capacité vitale et un VEMS diminué à 30 % de la normale.
Figure 2. Nodules sous-cutanés des avants-bras.
Figure 3. Radiographies des mains avec subluxation des IPP et aspect de
carpite.
La Lettre du Rhumatologue - n° 302 - mai 2004
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Ces éléments cliniques, biologiques et radiologiques ont permis
de poser le diagnostic de syndrome des anti-synthétases ou syndrome des anti-Jo1, associé à une sclérodermie de type CREST.
DISCUSSION
Figure 4. Calcinose sous-cutanée des avant-bras.
Figure 5. TDM thoracique avec aspect de fibrose pulmonaire.
◗ Le scanner thoracique a montré des lésions diffuses de fibrose
pulmonaire (figure 5).
◗ Le bilan biologique a révélé différentes anomalies :
– un syndrome inflammatoire marqué avec une VS à 106 mm,
une CRP à 109 mg/l et une anémie normochrome normocytaire ;
– une myolyse biologique (CPK à sept fois la normale, myoglobine à huit fois la norm a l e, aldolase à deux fois la normale) ;
– une cytolyse hépatique (ALAT à deux fois la normale, ASAT
à trois fois la normale), mais les sérologies des hépatites étaient
négatives et l’échographie hépatique normale.
◗ Enfin, le bilan immunologique retrouvait :
– l’absence de facteur rhumatoïde et d’anticorps anti-filagrine ;
– des anticorps anti-noyaux au 1/50e avec une fluorescence cytoplasmique avec des anticorps anti-ECT positifs à 134 U avec une
spécificité anti-Jo1 (figures 6 a et b).
a
b
Figure 6.
– a : anti-Jo1 en immu n o fl u o rescence indirecte sur cellules Hep-2.
– b : anti-PL7 en immu n o fl u o rescence indirecte sur cellules Hep-2 (collection J. Sibilia).
La Lettre du Rhumatologue - n° 302 - mai 2004
Initialement, le diagnostic de polya rt h rite rhumatoïde avait été
évoqué, mais différents éléments atypiques comme la sévérité de
l ’ atteinte respiratoire, la nat u re des défo rmations, la présence d’une
calcinose sous-cutanée et l’absence de FR et d’anti-fi l agrine ne sont
pas en faveur de ce diagnostic.
En fait, le syndrome décrit dans cette observation se cara c t é rise par
une art h ro p athie destru c t ri c e,une atteinte respirat o i retrès sévère,
une atteinte mu s c u l a i remodérée, un acro s y n d romeavec une scl érodactylie et une calcinose sous-cutanée, associée à la présence
d ’ a n t i c o rps anti-Jo1. Ces éléments évoquent un syndrome de ch eva u chement associant une sclérodermie de type CREST (attesté par
la sclérodactylie, l’acro-ostéolyse et la calcinose sous-cutanée)
et un syndrome anti-synthétase (anti-Jo1). Dans ce syndro m e,
l’atteinte respiratoire, qui est très fibrosante et qui s’installe progressivement, peut être liée soit à la composante sclérodermique,
soit au syndrome des anti-Jo1.
Ce syndrome de ch evauchement est une fo rme de scl é ro myosite qui
p e rmet de discuter l’ori ginalité du syndrome des anti-synthétases.
Le syndrome des anti-synthétases est une affection rare touchant
p rincipalement l’adulte d’âge moyen, principalement la femme (sexratio à 3/1), dont l’incidence est de 1, 25 à 2, 5 cas pour un million
d’habitants et la prévalence de 1, 5 cas pour 100 000 habitants.
Ce syndrome fait partie des myopathies inflammatoires idiopathiques (MII). Il s’agit d’un tableau original avec comme spécificité une atteinte pulmonaire, a rt i c u l a i reet la présence d’anticorp s
anti-Jo1.
L’ a n t i c o rpsanti-Jo1 ou anti-histidyl t-RNA tra n s f é rase a été décri t
pour la 1re fois en 1976 dans le sérum d’un patient présentant une
polymyosite et une atteinte pulmonaire (1). Il existe au total sept
a n t i c o rpsdirigés contre les enzymes re s p o n s ables de l’acétylat i o n
des ARN de transfert : l’anticorps anti-Jo1, anti-PL7, anti-PL12,
anti-OJ, anti-EJ, a n t i - K S, anti-JS, avec des nuances cliniques
propres à chaque auto-anticorps (figures 6 a et b).
La symptomatologie clinique associe habituellement (2) :
– une polyarthrite bilatérale, symétrique et distale dans 90 % des
cas. Il s’agit d’une fo rme non destru c t ri c e,mais des lésions cara ct é risées par une dislocation de l’IPP du pouce et des calcifi c at i o n s
périarticulaires (3). Néanmoins, les calcifications décrits dans cette
observation évoquent plus une calcinose du CREST syndrome ;
– une atteinte pulmonaire évoluant fréquemment vers la fibrose
et entraînant une surm o rtalité de 40 %. Ces lésions de fi b rose sont
v i s i bles au scanner en haute résolution avec coupes millimétri q u e s
au stade précoce. Ce syndrome interstitiel radiologique apparaît
de façon retardée sur les radiographies standards ;
– une myo p athie infl a m m at o i rede type poly myosite ou derm at opoly myosite pouvant survenir de façon re t a rdée par rap p o rt à
l’atteinte pulmonaire ou articulaire, voire être absente ;
– un phénomène de Raynaud inconstant mais sans lésion acrale,
en particulier sans sclérodactylie et sans acro-ostéolyse ;
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Tableau I. Les anticorps anticytoplasmiques des myosites.
Antigène
PM (KDa)
Histidyl t-RNA synthétase
Thréonyl t-RNA synthétase
Alanyl t-RNA synthétase
Isoleucyl t-RNA synthétase
Glycyl t-RNA synthétase
Glutammyl t-RNA synthétase
Asparagmyl t-RNA synthétase
56
85
110
139
80
160
65
Anti-KJ*
Protéine de la translocation
cytoplasmique
30/34
IFI
Immunoprécipitation
(laboratoire spécialisé)
<5
Anti-Wa*
Non connu
48
IFI
Immunoprécipitation
(laboratoire spécialisé)
<5
Anti-Fer*
Facteur d’élongation eF1
30
IFI
Immunoprécipitation
(laboratoire spécialisé)
<5
Ribonucléoprotéine cytoplasmique
54
IFI
Dot (laboratoire spécialisé)
5
Anti-t-RNA synthétases
● Anti-Jo1 (PL1)
● Anti-PL7
● Anti-PL12
● Anti-OJ
● Anti-EJ
● Anti-JS
● Anti-KS
Anti-SRP
“signal recognition particle”
Identification
Fréquence dans les myosites (%)
IFI
Immunodiffusion
ELISA
Dot
20
<5
<5
<5
<5
<5
<5
* En IFI : l’aspect des anti-KJ, Wa et Fer est identifié aux anti-PL7 et PL12.
– plus rarement une hyperkératose fissuraire des mains appelée
mechanic’s hand et qui est très spécifique (figures 7 a et b).
Le traitement d’une telle affection est difficile et non codifié. La
corticothérapie semble être le seul traitement dont l’efficacité a
été évaluée. Les immunosuppresseurs sont utilisés en cas de corticorésistance ou s’il existe un échappement à la corticothérapie.
Quelques observations favo rables ont été décrites sous cy cl ophosphamide (4), tacrolimus ou ciclosporine (5). Les immunoglobulines intraveineuses semblent avoir une efficacité sur l’atteinte
musculaire. Globalement, le méthotrexate semble assez peu efficace mais il y a peu de données dans la littérature.
En conclusion, une arthropathie destructrice d’évolution rapide
et résistante aux traitements de fond habituels de la polyarthrite
rhumatoïde,associée à une atteinte re s p i rat o i reinterstitielle sévère
doit fa i reévoquer le diagnostic de syndrome des anti-synthétases.
Le diagnostic repose sur l’identifi c ation d’anticorps anti-Jo1 dans
le sérum. Le pronostic général de cette affection est dominé par
l’atteinte respiratoire interstitielle. Comme l’illustre cette observation des syndromes de chevauchement, des associations sont
p a r fois possibles, en particulier avec une scl é ro d e rmie de type
CREST.
Bibliographie
1. Wasicek CA, Reichlin M, Montes M, Raghu G. Polymyositis and interstitial
lung disease in a patient with anti-Jo1 prototype. Am J Med 1984;76:538-44.
2. Imbert-Masseau A, Hamidou M, Agard C, Grolleau JY, C h é rin P. Antisynthetase
syndrome. Joint Bone Spine 2003;70:161-8.
3. Delbrel X, Schaeverbeke T, Lifermann F, Dehais J. Arthropathy associated
with anti-Jo1 antibody. Joint Bone Spine 2001;68:166-9.
a
b
Figure 7 a et b. Hyperkératose fissuraire des doigts ou mechanic’s hand
(collection J. Sibilia).
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4. Al-Janadj M, Smith CD, Karsh J. Cyclophosphamide tre atment of interstitial pulmonary fibrosis in polymyositis / dermatomyositis. J Rheumatol 1989;16:1592-6.
5. Tellus M, Buchanan RR. Effective treatment of anti Jo-1 antibody-positive
polymyositis with cyclosporine. Br J Rheumatol 1995;34:1187-8.
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