Une grosse épaule douloureuse chez l’hémodialysé : la calcinose pseudo-tumorale C

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Une grosse épaule douloureuse chez l’hémodialysé :
la calcinose pseudo-tumorale
● F.X. Limbach*, R.M. Javier-Moder*, B. Moulin*, J.L. Kuntz*
L
es douleurs périarticulaires chez l’insuffisant rénal dialysé sont très fréquentes et peuvent avoir des étiologies
multiples. Il s’agit en particulier de lésions microcristallines qui sont parfois extrêmement invalidantes, comme
l’illustre l’observation suivante.
Le bilan radiologique objective d’importants dépôts calciques au
niveau de la région péritrochantérienne gauche (figures 1 et 2) et
de la coiffe des rotateurs gauches (figures 3 et 4). On note par
ailleurs des dépôts moins volumineux en regard de l’épaule droite
et de la deuxième métacarpophalangienne gauche.
OBSERVATION
Tableau I. Résultats biologiques.
Monsieur B., âgé de 29 ans, consulte en novembre 1993 pour des
douleurs aiguës de l’épaule et de la hanche gauches. Dans ses
antécédents, on note un méningocèle opéré à l’âge de six mois et
compliqué d’une paralysie des myotomes L5 et S1 avec troubles
vésico-sphinctériens. L’insuffisance rénale, connue depuis 1985,
est secondaire à une néphropathie interstitielle liée à des infections urinaires récidivantes sur vessie neurologique. L’hémodialyse est nécessaire à partir de 1987 à raison de trois séances par
semaine. Sur le plan cardiovasculaire, on note une hypertension
artérielle évoluant depuis 1988 et une péricardite en 1992. Une
hyperparathyroïdie secondaire modérée est diagnostiquée en
1990. Monsieur B. a été traité durant environ trois ans par
hydroxyde d’aluminium et par une supplémentation en calcium
et 1,25 (OH)2D3.
En 1992, on découvre chez le patient une calcinose pseudo-tumorale multifocale qui touche les épaules, la hanche gauche et la
deuxième articulation métacarpo-phalangienne gauche. La symptomatologie clinique est alors très modérée, puisqu’elle se limite
à une discrète limitation des amplitudes articulaires.
En novembre 1993, les calcifications de l’épaule et de la hanche
gauches ont une évolution inflammatoire, avec d’importantes douleurs locales. L’examen met en évidence une tuméfaction des
régions latéro-deltoïdienne et inguinale gauches associée à une
limitation majeure des mouvements de la hanche et de l’épaule.
Le bilan biologique (voir tableau I) objective une hyperphosphorémie avec augmentation du produit phosphocalcique et une
hyperparathyroïdie modérée. Le test à la déféroxamine, à la
recherche d’une intoxication aluminique, est ininterprétable.
* Service de rhumatologie, CHU Strasbourg Hautepierre.
** Service de néphrologie, CHU Strasbourg.
26
1990
1992
1993
1995
Valeurs
normales
Calcium
2,55
2,55
2,61
2,62
2,20-2,60 mmol/l
Phosphore
1,63
2,81
2,92
1,67
0,8-1,35 mmol/l
8 976 9 473
5 439
mg2/l2
Produit P X Ca2+ 5 202
PTH
NR
159
122
41
12-72 pg/ml
25 (OH)2D3
NR
NR
NR
8
6-50 ng/ml
1,25 (OH)2 D3
NR
NR
10,2
12
16,5-42,5 ng/l
Magnésium
NR
NR
0,86
NR
0,74-0,92 mmol/l
Aluminium
sérique
osseux
NR
NR
NR
NR
22
19
38
< 55 µg/l
< 1 µg/g
NR : non réalisé.
En janvier 1994, une résection chirurgicale incomplète des calcinoses de l’épaule et de la hanche gauche est effectuées. L’examen anatomopathologique des prélèvements des deux sites met
en évidence un tissu fibro-adipeux et musculaire strié renfermant
de volumineuses calcifications entourées par un infiltrat inflammatoire comportant des lymphocytes, des plasmocytes et de nombreuses cellules géantes multinucléées. À la biopsie osseuse peropératoire de janvier 1994, on ne trouve pas de signes
d’ostéopathie adynamique, le remodelage est actif et la coloration à l’aurine est négative. L’aluminium osseux est cependant
augmenté à 19 µg/g (taux normal < 1µg/g d’os). L’intervention
est suivie d’une radiothérapie postopératoire de 8 grays au total
et d’une intensification des séances de dialyse, avec un bain de
dialyse appauvri en calcium.
La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999
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1
3
2
4
1. Radiographie de la hanche gauche de face : calcinose pseudo-tumorale de localisation périarticulaire.
2. Tomodensitométrie de la hanche gauche : calcinose pseudo-tumorale de la région péritrochantérienne gauche avec une extension
antérieure entraînant un refoulement des masses musculaires.
3. Radiographie de l’épaule gauche de face : calcinose pseudo-tumorale de la coiffe des rotateurs et de la région latéro-deltoïdienne
gauche.
4. Tomodensitométrie de l’épaule gauche : volumineuse calcinose pseudo-tumorale s’étendant de la fosse sus-épineuse au sillon
delto-pectoral. Aspect typique de tumeur multikystique avec calcification des contours et de certaines logettes.
La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999
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Après une amélioration transitoire, on note, en juin 1994, une
nouvelle majoration de la taille des calcifications, avec récidive
des phénomènes douloureux. Le patient bénéficie alors d’un traitement chélateur de l’aluminium par déféroxamine en raison des
dosages élevés de l’aluminium osseux. L’évolution clinique et
radiologique est très satisfaisante et la déféroxamine est interrompue en juin 1995.
DISCUSSION
Les calcinoses pseudo-tumorales sont des lésions calcifiées juxtaarticulaires observées chez 0,5 à 1,2 % des patients dialysés. Plus
que leur taille (2 à 25 cm), c’est leur disproportion par rapport à
l’articulation voisine qui les distingue des autres calcifications
des tissus mous. Elles apparaissent après un délai moyen de
cinq ans de dialyse, avec des extrêmes allant de sept mois à dixsept ans, la fréquence de l’affection augmentant avec l’ancienneté de la dialyse. Les calcinoses pseudo-tumorales se développent préférentiellement au voisinage de la hanche et de l’épaule.
Par ordre décroissant de fréquence viennent ensuite le coude, le
genou et la main. Toutes les articulations peuvent être atteintes,
et des localisations atypiques, comme la paroi thoracique, la
région latéro-cervicale, l’omoplate, le creux sus-claviculaire et
la face antérieure de l’avant-bras, ont été observées. Les calcinoses pseudo-tumorales peuvent être uniques (deux tiers des cas)
ou multiples (un tiers des cas).
En raison de son caractère indolore, le diagnostic de calcinose
pseudo-tumorale est fréquemment posé au décours d’une complication. On peut ainsi observer :
– une limitation de la mobilité articulaire liée au volume de la
tumeur,
– un ou plusieurs épisodes inflammatoires locaux, probablement
secondaires à la migration intra-articulaire de matériel calcique,
– une compression nerveuse, en particulier au niveau du coude,
ou vasculaire, préférentiellement dans le creux poplité, pouvant
aboutir à une thrombose veineuse,
– une fistulisation cutanée, avec écoulement d’un liquide crayeux
ou laiteux, qui peut secondairement se surinfecter.
La lésion radiographique caractéristique est “multiloculaire” et
de siège para-articulaire. Elle est composée d’une juxtaposition
en grappes de petites images denses, arrondies ou ovalaires, bien
limitées par un cerne. La paroi de ces formations est radiotransparente si elle est purement conjonctive ou plus dense lorsqu’elle
est calcifiée. Dans certains cas, on peut observer un aspect spécifique, mais non pathognomonique, qui est le “signe de la sédimentation”. Ce signe correspond à un niveau liquide au sein d’une
formation élémentaire et est lié à la sédimentation des cristaux
calciques avec un surnageant séreux. Considérées initialement
comme exceptionnelles, des images d’érosions osseuses contiguës à la calcinose ont été observées par plusieurs auteurs. L’examen scanographique a peu d’intérêt dans le diagnostic positif
d’une calcinose pseudo-tumorale. Son apport principal est de préciser l’extension locale de la tumeur et ses rapports avec les tissus adjacents lorsqu’un geste chirurgical est envisagé. La scintigraphie osseuse détecte très précocement les calcifications
28
périarticulaires, avant leur visualisation radiographique, mais
cette technique est non spécifique. L’apport de l’IRM paraît limité
à la mise en évidence de lésions de type inflammatoire dans les
séquences pondérées en T2, ce qui pourrait permettre d’apprécier l’activité des lésions granulomateuses, et éventuellement le
pronostic après un geste chirurgical.
Histologiquement, la calcinose pseudo-tumorale est constituée
de cavités contenant des sels calciques entourés par une réaction
granulomateuse où l’on peut identifier des cellules mononucléées,
des cellules géantes et des macrophages ayant phagocyté des cristaux d’hydroxyapatite ou en phase de dégénérescence lipidique.
Le stroma est plus ou moins riche en cellules inflammatoires en
fonction du degré d’activité de la tumeur. Les cristaux dans les
cavités sont principalement constitués d’apatites carbonatées
associées à d’autres phosphates calciques : phosphates de calcium amorphes, phosphates octocalciques et/ou phosphates tricalciques.
Les mécanismes physiopathologiques de la calcinose pseudotumorale sont mal connus. Les anomalies biologiques le plus fréquemment rencontrées sont l’hyperphosphorémie avec augmentation du produit phosphocalcique et l’hyperparathyroïdie, mais
la correction de ces anomalies n’entraîne pas toujours une régression des calcifications. L’intoxication aluminique représente probablement un facteur étiologique important, mais qui devrait disparaître dans les années à venir. En effet, celle-ci est secondaire
à l’utilisation de chélateurs aluminiques du phosphore qui ne sont
actuellement plus utilisés par les néphrologues. On évoque, outre
les facteurs métaboliques déjà cités, un rôle favorisant de l’intoxication à la vitamine D, de l’hypermagnésémie, de l’hypervitaminose K et de l’alcalose post-dialyse.
La prise en charge thérapeutique des calcinoses pseudo-tumorales commence par une correction des troubles métaboliques
impliqués, avec en particulier une intensification des séances de
dialyse et le traitement d’une éventuelle intoxication aluminique
par déféroxamine. La parathyroïdectomie n’est indiquée qu’en
cas d’hyperparathyroïdie sévère non contrôlée par le traitement
médical. Ces mesures sont cependant souvent insuffisantes et
elles peuvent être associées à une résection chirurgicale lors de
complications locales ou d’une gêne mécanique invalidante. Toutefois, les récidives après chirurgie sont fréquentes.
La découverte d’une calcinose pseudo-tumorale nécessite un
bilan étiologique exhaustif, et le traitement doit être discuté
pour chaque patient, puisqu’il n’existe actuellement aucune
attitude thérapeutique consensuelle. La mise en évidence d’une
anomalie biologique, comme l’hyperphosphorémie ou une
hyperparathyroïdie, ne doit pas empêcher la recherche d’autres
facteurs étiologiques associés, en particulier une intoxication
aluminique.
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R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999
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