1 1994-2004, une décennie pour changer : et après ?

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1994-2004, une décennie
pour changer : et après ?
Didier Touzeau*
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La petite bulgare Russe, 2000,
Anne de Colbert Christophorov.
994, faculté de pharmacie de Chatenay-Malabry : la conférence interuniversitaire
que nous voulions au départ “de consensus” réunit “les pionniers” des traitements de substitution français encore vilipendés, ceux qui, pragmatiques, avaient
le désir de les connaître et de les développer, et de vrais “séniors” de leur utilisation venus des États-Unis et de différents pays d’Europe. Son thème : “Intérêt et limites
des traitements de substitution dans la prise en charge des toxicomanes”. De consensus,
point alors car, c’était, voilà dix ans, les grandes lignes du dissensus essentiel qui tenait
encore lieu de stratégie thérapeutique dans notre “champ” hexagonal très idéologique.
En dépit des expériences et pratiques des équipes travaillant sous d’autres cieux, en
d’autres lieux ! C’est donc avec le même souci de cohérence et dans l’esprit, tenace, de
confronter les expériences dans et hors des frontières, que nous animerons, le 29 avril
prochain, à la Mutualité, dans le cadre des journées Médecine et addictions, un symposium qui permettra justement de confronter, dix ans après Chatenay-Malabry, les expériences françaises (Marc Auriacombe et Didier Bry) et anglo-saxonnes (Walter Ling et
Robert Ali).
Dans la pratique – débats, confrontations, consensus ou pas –, d’autres événements
essentiels ont, heureusement, vu le jour. Sur le terrain, la mise à disposition des traitements (méthadone et buprénorphine haut dosage), leur prise en charge par le système de santé “banalisé” (médecines de ville et hospitalière, et remboursement par l’assurance maladie) et la politique de
réduction des risques et des dommages ont fait l’objet d’une reconnaissance officielle et figurent dans le
code de santé publique. Du coup, le statut de dépendants et de criminels dans lequel on enfermait les
usagers de drogues a volé en éclat, au profit de celui de citoyens et de patients, capables d’entretenir
une relation normale avec une équipe soignante, préalable indispensable à une psychothérapie.
Dix ans après
2004, la conférence de consensus, cette fois : “Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes aux opiacés : place des traitements de substitution”, organisée par l’ANAES et la jeune
Fédération française d’addictologie dont la Société d’addictologie francophone (SAF et Le Courrier des
addictions) est partie prenante, se tiendra les 23 et 24 juin à Lyon. Elle va discuter des modalités d’accession aux traitements, de la qualité des équipes et des services mis à disposition des patients, de leur
place dans la gestion des programmes de soins… Elle donnera donc, en principe, l’occasion de mesurer
le chemin parcouru en dix ans. À condition de ne pas s’en tenir au “stabilobossage” institutionnel et corporatif de l’intérêt de la substitution (déjà acquis voilà dix ans à la conférence de Chatenay-Malabry), ni
de ressortir les vieux habits des polémiques de l’époque, fussent-ils remis au gout du jour tendance postmillenium ! (c’est la faute aux traitements…). D’autant que voilà maintenant cinq ans, en 1999, nous en
appelions déjà à sa mise sur pied, à partir de travaux d’évaluation des mêmes traitements, qui seuls
auraient permis de faire avancer le débat. Et les pratiques !… Mais peu de ceux-ci ont vu le jour, faute de
moyens, la recherche clinique, au même titre que la recherche en général, balbutiant toujours, en attente de budgets, de temps, de bonne volonté… Les pratiques ont évolué pourtant, et c’est heureux, mais
sans leur baromètre. L’outil de mesure de la pression atmosphérique n’est pas, bien sûr, à l’origine des
modifications climatiques, mais il permet au moins de mieux gérer le cabotage du navire… Bref, l’approche
rétrospective est certes instructive, mais ne peut remplacer les études prospectives qui permettent d’identifier ce qui marche ou pas ! Alors, en l’absence de ces travaux d’élaboration, et pour que vogue ce qui
n’était déjà plus, heureusement, une galère, nous avons créé une société dite savante, la SAF, qui s’est lan* Rédacteur en chef du Courrier des addictions.
Le Courrier des addictions (6), n° 1, janvier-février-mars 2004
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cée dans une série de journées d’étude et de mises au point sur les sujets
suivants : “Le respect de l’éthique dans les pratiques”, “Le point sur la
génétique des addictions et les marqueurs biologiques des drogues de
dépendance”, “Les objectifs et la sécurité des traitements de substitution, les comorbidités psychiatriques, et la place des traitements de substitution dans leur prise en charge…” Et, bien entendu, nous avons largement débattu, à ces occasions, des adaptations des posologies des
traitements de substitution de méthadone mais aussi de buprénorphine
haut dosage (l’Italie et la Belgique ont prévu des posologies maximales
plus élevées), de la prise en charge de maintenance au long cours, de
la nécessité de l’alliance thérapeutique, des conditions d’accès à des services diversifiés (soins psychiatriques, insertion professionnelle…)
Dix ans après, nous espérons que la synthèse de tous ces travaux pourront nourrir les “menus” de cette importante conférence de consensus,
afin qu’elle permette de faire un grand pas en avant dans la prise en
charge des patients et des usagers de drogues en général. Il est déjà
acquis que loin de simplifier à l’excès nos théories de la toxicomanie,
l’introduction de ces traitements dans notre arsenal thérapeutique
devrait logiquement ajouter de nouvelles hypothèses à celles que nous
utilisons pour aider le patient à comprendre comment il en est arrivé là,
et comment il pourrait réaliser son désir d’en sortir.
En effet, le développement de ces traitements pharmacologiques s’est
accompagné de profondes transformations de leur prise en charge et du
regard porté sur eux ! La drogue a été considérée longtemps comme un
“mauvais objet de substitution” aux difficultés structurelles du Moi. En
proposant un traitement de substitution, comme la méthadone ou la
buprénorphine haut dosage, beaucoup pensaient que l’on faisait fausse
route en faisant disparaître magiquement la conduite addictive, en tranquillisant, voire en déresponsabilisant l’entourage et la société.
C’était méconnaître les mécanismes centraux neurobiologiques qui
sous-tendent l’auto-administration compulsive de nombreuses
drogues. La répétition des prises et son corollaire, la tolérance, témoigne
d’un mécanisme adaptatif du cerveau, l’arrêt brutal et le sevrage du
développement de contre-régulations. Le craving (envie irrépressible de
consommer), à l’origine de bien des rechutes à distance de l’arrêt des
consommations, montre que ses modifications sont durables et peuvent
s’exprimer en l’absence de drogue. Les mécanismes qui semblent responsables des modifications adaptatives au niveau neuronal sont comparables à ceux qui constituent les bases cellulaires de la mémoire.
Plus globalement, l’exposition chronique à une substance entraîne des
modifications graduelles et des adaptations de la cognition (attention,
apprentissage, mémoire, etc.), et ce quels que soient les types de personnalité, même si les effets de certaines drogues (sédatifs, stimulants,
etc.) sont plus particulièrement recherchés par des personnalités vulnérables : impulsive, à la recherche de sensations ou à tendance dépressive…
C’est en cherchant à combattre le comportement compulsif de recherche
Le Courrier des addictions (6), n° 1, janvier-février-mars 2004
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de drogue que les premiers traitements de substitution ont été
envisagés, dès les années 1960,
par Dole et Nyswander en faisant le parallèle avec une maladie chronique, le diabète et son
traitement au long cours par
l’insuline.
Les médicaments anti-addictifs
aux opiacés comme la méthadone et la buprénorphine haut
dosage, agonistes puissants des
récepteurs mu, induisent une
imprégnation opiacée suffisante
pour stabiliser le patient sans
produire d’effet euphorisant
(planant), ni de sensation de
malaise. Le même processus est
recherché avec les substituts
nicotiniques dans la dépendance au tabac.
La substitution a permis d’obtenir des succès thérapeutiques
en termes de qualité de vie et
de réinsertion sociale. Elle peut
se révéler insuffisante, mais avant d’accréditer l’idée que le patient fait
preuve “de mauvaise volonté”, il faut envisager l’existence d’autres perturbations !
Il est possible de chercher à agir sur le comportement d’autorenforcement
du système mésolimbique (bupropion pour le tabac, antagonistes opiacés
pour l’alcool, etc.). Ou sur les conséquences d’une prise prolongée d’autres
substances qui, dans le cadre de polyconsommations, entraînent des perturbations durables de l’expression génique. Des médicaments comme
l’acamprosate, qui agit sur les récepteurs à NDMA, visent à les corriger.
C’est lors de cette phase de stabilisation que peut s’instaurer une relation
psychothérapique, mais aussi que d’autres pathologies (troubles caractériels, de l’humeur, anxieux, etc.) seront identifiées et pourront être considérées comme pré-existantes, voire à l’origine de la pharmacodépendance.
De la qualité de leur prise en charge dépendra l’évolution favorable des
conduites addictives… C’est tout cela qui sera en débat en juin prochain à
Lyon. Pas seulement dans les grandes lignes, mais aussi dans tous les détails
des modalités pratiques de leur application.
Et après ?
On en aura peut-être enfin fini avec les pétitions de principe, plus ou moins
consensuelles…
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Le programme hépatites virales C et B
2002-2005
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Rappel : le plan national de lutte du gouvernement contre ces maladies qui atteignent 500 000 à 600 000 personnes pour l’hépatite C et
peut-être 8 000 nouveaux cas par an pour la B, comporte cinq grands
objectifs : le premier concerne la réduction de la transmission des virus
VHC et VHB, en particulier par la réduction des risques liés aux soins,
aux actes de perçage et de tatouage, aux pratiques spécifiques de certaines populations parmi les plus exposées : usagers de drogues injectables et per nasales, détenus. Le gouvernement compte également
renforcer la protection de la population par la vaccination contre
l’hépatite B. Le deuxième objectif est le dépistage des personnes
atteintes, en fonction des groupes “à risque” définis par l’ANAES en
2000 pour l’hépatite C. Une campagne de dépistage lancée en direction des personnes présentant des risques propres au VHB (transmission sexuelle, tatouage, perçage) sera poursuivie. Le troisième
objectif concerne le renforcement du dispositif de soins et l’accès aux traitements. Actuellement, le dispositif VHC spécifique, mis en place en
1995 (31 pôles de référence créés au sein des services d’hépatologie
hospitalo-universitaires), fonctionne à plein et est même débordé.
Aussi, l’effort particulier fait pour mobiliser les professionnels de
santé en dehors des CHU sera poursuivi, avec le renforcement des
consultations dites “avancées” (établissements pénitentiaires, autres
établissements de soins). Le quatrième objectif porte sur le renforcement de la recherche clinique et le cinquième sur celui de la surveillance
et de l’évaluation. En 2004, où en est-on ?
Inpes-ministère de la Santé. http://www.inpes.sante.fr
projet de loi d’orientation de santé publique.
Dans un premier temps adopté, celui-ci a été
rejeté quatre jours plus tard après dépôt d’une
proposition contraire par le gouvernement ! C’est au cours aussi du
dépôt de ce projet que l’on a confirmé le maintien de la taxation,
favorable aux producteurs et vendeurs de vins et alcool : les taxes
représentent 16,6 % d’une bouteille de Bordeaux de 15 euros,
alors qu’elles représentent 75 % de celui d’un paquet de cigarettes
de 3,90 euros !
Hausses du prix des tabac : ça marche !
Depuis l’augmentation du prix des cigarettes qui a fait couler tant
d’encre et suscité l’ire des buralistes, le nombre des appels à Tabac
Info Service a explosé, passant de 50 en moyenne par jour à 300
depuis juillet, tandis que la vente des substituts nicotiniques augmentait de 50 % dans le même temps. Quant aux consultations spécialisés dans l’aide au sevrage, débordées, elles peinent à faire face,
puisque leur délai d’attente est passé de 1 à 4 mois !…
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Les alcooliers ménagés
Il est décidément bien difficile, en France, de mener, en amont, des
actions de prévention des risques d’abus d’alcool. Le sénateur UMP
de La Réunion, Anne-Marie Payet, vient d’en faire les frais. Elle avait,
en effet, déposé un amendement, le 15 janvier, pour obliger les fabricants de vin et d’alcool à inscrire sur leurs bouteilles un message sanitaire destiné aux femmes enceintes, dans le cadre de l’examen du
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25-27 mars 2004 – 7e Conférence européenne sur les services drogues et
VIH/SIDA en prison – Prague, Tchéquie –
“La prison, la drogue et la société dans
l’Europe élargie : à la recherche de la bonne
voie”, organisée par l’ENDSP, European
Network of Drug Services in Prison.
Renseignements : Cranstoun Independant
Management, 4th floor, Broadway House,
112-134 The Broadway, London, SW19 1RL,
Royaume-Uni.
1-2 avril 2004 – Journées scientifiques de
l’Association des structures publiques de
soins en toxicomanies et alcoologie – Rodez
– “Catégorisations et réalités cliniques”, organisées par l’ASPSTA. Renseignements : Mme
Lombard, Mlle Magne, CASAP, CH SainteMarie, BP 3207, Olemps, 12032 Rodez Cedex
9. Tél. : 05 65 67 54 35. Fax : 05 65 67 54 36.
Le “snus” une drôle de pâte nicotinique
parfumée à sucer
Coincée entre la gencive et la lèvre supérieure, cette dose de pâte
brunâtre chargée en nicotine, produite par le fabricant suédois
Swedish Match de Göteborg, consommée par 1 million de Suédois
(donc par 1 habitant de ce pays sur 9), soulève de nombreuses polémiques : elle provoque des “flashes” de nicotine mais aussi des maux
de ventre et attaque les gencives. La Suède avait obtenu le maintien
de sa production et de sa vente lors de son entrée dans l’Union européenne en 1995, mais elle ne pouvait l’exporter vers les autres pays
de l’Union.Alors, le fabricant, qui argue de l’intérêt de ce produit discutable “pour la santé publique” (50 % des Suédois arrêtent de fumer
“avec” le snus), attaque par le maillon faible et porte le dossier à la
Cour européenne de justice, via un tribunal allemand… Affaire à
suivre...
9-10 avril 2004 – XXIIes Journées de
Reims – Centre des Congrès de Reims –
Thème : Institutions de santé entre déclin du
politique et re-naissance de la clinique.
Renseignements et inscriptions : secrétariat des
Journées. CAST, 27, rue Grandval, 51100
Reims. Tél. : 03 26 02 78 67 ou 03 26 02 19
43. Fax : 03 26 02 33 54.
E-mail : [email protected].
10-11 juin 2004 – XXVes Journées de
l’Association nationale des intervenants en
toxicomanie (ANIT) – Narbonne – “Le
risque dans tous ses états”. Renseignements :
ANIT, 28, chemin des Moulins, 69230 SaintGenis Laval. Tél. : 04 78 50 78 50.
Fax : 04 73 98 75 51.
Internet : http://www.anit.asso.fr
12-17 juin 2004 – 66e congrès annuel du
College on Problems of Drug Dependence(CPDD) – San Juan, Puerto-Rico – Caribe
Hilton. Renseignements : Center for
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F.A.R.
Substance Abuse Research. Temple University
School of Medicine, 3400, North Broad Street,
Philadelphia, PA 19140.
Tél. : 215 707 3242.
E-mail : [email protected].
29-30 avril – 6e Congrès francophone
d'addictologie – Maison de la Mutualité
Paris – “Médecine et addictions, peut-on
prévenir de façon précoce et efficace ?”
Dans ce cadre : le 29, à partir de 18 heures,
Symposium “Treatment practice and
research issues in improving opioid treatment outcomes”. Confrontation des expériences françaises et anglo-saxonnes :
Robert Ali, Walter Ling, Marc Auriacombe
et Didier Bry. Modérateur : Didier Touzeau.
Renseignements : PRINCEPS Éditions, 64,
avenue du Général-de-Gaulle, 92130 Issyles-Moulineaux. Tél. : 01 46 38 24 14.
Fax : 01 40 95 72 15.
E-mail : [email protected].
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