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Le Courrier des addictions (2), n° 3, septembre 2000
Psychologie ou
psychopathologie ?
Mécanisme de défense, fuite en
avant ou ultime révolte de
rebelles dépourvus d’idéaux,
les toxicomanies questionnent
toute la société. Et chacun de
développer sa petite théorie sur
la question...
Confrontés à cet “amas” d’af-
fectivité mal canalisée, les dif-
férents partenaires du soin ont
bien du mal à trouver leur place
et surtout à y rester. En effet, la
tentation est grande pour cha-
cun d’aller au-delà de son
champ d’action et de compé-
tences, de mesurer sa toute-
puissance à la complexité du
problème des addictions.
Face à cette situation, les pou-
voirs publics “tâtonnent” de-
puis une trentaine d’années. Le
spectre du sida a pourtant fait
accélérer la réflexion depuis
bientôt cinq ans.
Nous travaillons maintenant
dans le cadre d’un dispositif
tenant compte des différentes
dimensions de l’homme (bio-
psycho-sociale) et s’attachant à
réhabiliter celles-ci.
Reste à passer à l’étape suivante :
apprendre à travailler ensem-
ble. Infirmiers, médecins, édu-
cateurs, assistantes sociales,
psychologues... doivent savoir
confronter leurs connaissances
pour en retirer la meilleure ana-
lyse et la mettre à la disposition
de tous.
Dans cette optique, l’expérien-
ce de l’hébergement d’urgence
et/ou de transition mise en
place par le CSST permet une
intégration moins acrobatique
de patients géographiquement
éloignés de Clermont-Ferrand
dans le programme méthadone.
La substitution, en délivrance
quotidienne, nous est apparue
comme l’outil incontournable de
la prise en charge, à son début,
mais tout aussi impérative l’éva-
luation permanente de l’évolu-
tion des patients, de leurs
angoisses, de leurs peurs, de
leurs souffrances qu’ils doivent
pouvoir exprimer.
Malheureusement, cette solution
montre ses limites face à des
patients profondément ancrés
dans la toxicomanie ou dont la
comorbidité psychiatrique est
mal définie.
Pour tous ceux-là et pour ceux
dont l’angoisse est trop impor-
tante pour être apaisée par le dis-
positif actuellement en place, il
nous reste à inventer un “espace
du soin” où les différents parte-
naires pourraient se relayer pour
accompagner ces hommes et ces
femmes qui nous donnent le ver-
tige à force d’être sur le fil du
couteau...
L’ e xpérience, aussi incomplète
soit-elle, de notre centre nous
montre autant de situations dif-
férentes qu’il y a de patients.
Pourtant, quelques traits de
caractère, quelques mécanismes
d’adaptation semblent nous
revenir en écho.
L’ h ypersensibilité
Ils en sont tous submergés. Elle
pèse sur leur existence comme
un fardeau. Alors que devant les
agressions quotidiennes de la
vie, chacun de nous se forge ses
défenses, eux semblent ne pas
vouloir ou ne pas pouvoir se
construire une carapace adaptée
au milieu dans lequel ils vivent.
Ils se présentent nus face au
monde, comme pour mieux
montrer leur souffrance. Peu
importe qu’ils aient vingt ou cin-
quante ans : ils sont prêts à se
révolter tout autant contre la
faim dans le monde ou l’utilisa-
tion des souris à des fins
expérimentales.
La recherche de sensations
Toujours davantage, toujours plus
loin, tout semble bon à sacrifier
sur l’autel du plaisir. C’est
comme une boulimie de sensa-
tions, jamais rassasiée, un man-
Pascal Courty, Philippe Viguie
Le centre méthadone de Clermont-Ferrand existe depuis janvier 1995. Il est
situé dans un pavillon psychiatrique à l’intérieur du CHRU et travaille en liai-
son avec le Centre de soins spécialisés aux toxicomanes (CSST) qui se trouve
en ville. Le médecin référent du centre méthadone est le directeur du CSST.
Les équipes échangent leurs informations formellement toutes les semaines et
pratiquement tous les jours. La prise en charge des usagers a, dans un pre-
mier temps, été assurée par un médecin psychiatre et une infirmière à plein
temps. Puis l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée de deux médecins généra-
listes et, depuis bientôt deux ans, d’un autre infirmier à temps plein. Depuis
cinq ans, l’équipe a initié le traitement à la méthadone de plus de cent cin-
quante usagers de drogues. Parfois, les résultats ont été spectaculaires :
l’amélioration de la vie de ces patients s’est traduite par une réinsertion pro-
fessionnelle, une amélioration des relations... Mais parfois aussi, nous avons
eu la désagréable impression d’avoir été surtout des apprentis sorciers : cer-
taines des prises en charge ne sont en fait qu’un accompagnement destiné à
limiter “les dégâts”, pallier l’urgence, éviter le pire.
Le patient sous méthadone : réflexions croisées
entre psychiatre et infirmier
* Centre méthadone, CMP B,
CHRU de Clermont-Ferrand.
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que venu de loin, qui creuse un
trou béant en chacun d’eux.
Malheureusement, ils décou-
vrent assez rapidement que ce
plaisir se réduit en peau de cha-
grin, la souffrance psychique
s’accusant à chaque fois un peu
plus. Irrémédiablement, les
sensations s’épuisent et, avec
elles, l’illusion d’avoir atteint
un équilibre magique.
Le temps perdu
L’entrée dans la toxicomanie se
faisant à l’adolescence et,
le recours aux soins entre
vingt-cinq et trente ans, une
dizaine d’années au moins peu-
vent être considérées comme
ayant été perdues, en termes
d’autonomie pour des acqui-
sitions sociales de base. En
effet, combien sont démunis
devant un formulaire admi-
nistratif, devant une petite
annonce demandant une lettre
de motivation ou encore devant
un repas à faire, une maison à
entretenir ? Pour la plupart, leur
expérience scolaire a vite tour-
né court, stigmatisant leur mar-
ginalité, faisant d’eux de véri-
tables handicapés sociaux. La
prise de conscience de ce temps
perdu arrive souvent après
quelques mois de prise en char-
ge, de façon plutôt brutale et
douloureuse.
Il est primordial pour les dif-
férents partenaires du soin de
donner une réponse à la fois
rassurante et objective
Bien sûr, rien ne sert de s’api-
toyer sur leur sort. Il vaut
mieux évaluer précisément la
situation, repérer les manques
dans les différents apprentis-
sages de la vie courante et déci-
der d’objectifs à atteindre.
Alors commence un long
accompagnement vers une vie
moins grisante, mais plus stable
et à terme plus enrichissante.
Rôle infirmier au
centre méthadone
La première rencontre entre
l’infirmier et le toxicomane se
fait souvent au décours d’une
consultation de l’un des méde-
cins attachés au centre métha-
done mais également après une
rencontre avec un des tra-
vailleurs sociaux du CSST.
L’indication de mise sous pro-
tocole méthadone a été posée
après une réflexion collégiale,
le patient étant volontaire et
majeur. La première analyse
d’urine attestera biologique-
ment de la prise d’opiacés.
C’est un moment un peu
étrange où ni l’un ni l’autre ne se
dévoile, les explications de l’in-
firmier restent d’ordre général
(déroulement du programme,
exigences particulières, poli-
tique du centre), même si elles
doivent être assez précises. De
son côté, le futur “méthado-
nien” ne met en avant que son
besoin impérieux de changer de
“mode de fonctionnement”. Il
est prêt. La galère, c’est fini
pour lui. Il nous paraît impor-
tant à ce moment de lui expli-
quer qu’un autre genre de
“galère” risque de commencer,
que la prise en charge doit
durer des mois, voire des
années, pour avoir une chance
d’aboutir à un résultat positif.
Les premiers jours du pro-
gramme sont souvent délicats,
car la dose thérapeutique, celle
qui saura apaiser sans “casser”,
est difficile à trouver. Elle varie
selon la tolérance du patient
vis-à-vis des opiacés. De plus,
dans un premier temps, l’orga-
nisme n’utilise pas le produit
dans sa totalité. Il est parfois
difficile d’évaluer la part du
manque, de la tension psy-
chique et/ou du désir de s’en-
ivrer toujours latent, au moins
en début de prise en charge.
À nous de savoir apaiser les
angoisses des patients, jamais
certains d’avoir fait le bon
choix. À nous aussi de marquer
nos limites, de montrer que
nous ne sommes pas là pour
être complaisants mais pour
les aider, les accompagner.
Quand l’instauration de ce trai-
tement paraît trop acrobatique,
il est possible d’hospitaliser
(comorbidité psychiatrique) ou
d’héberger (éloignement géo-
graphique) les patients pour
une mise en route plus assurée.
Alors commence une autre
forme de lune de miel, parta-
gée par le patient et l’infirmier,
qui vont prendre le temps, jour
après jour, de faire connaissan-
ce. Soulagé de ne plus avoir à
courir de toute part pour cher-
cher de l’argent ou des pro-
duits, le patient est moins
tendu, plus accessible. C’est le
moment des premières confi-
dences. Un grand moment
d’écoute pour l’infirmier.
Dans un premier temps, les
produits et la toxicomanie
envahissent la relation. À nous
de rester vigilants pour qu’ils
ne la parasitent pas, pour ne pas
tomber insensiblement dans
une fascination morbide.
C’est alors aussi que l’on fait le
point sur les problèmes soma-
tiques (bilans hépatique, infec-
tieux, dentaire...). On prend des
rendez-vous avec des spécia-
listes le plus rapidement pos-
sible, afin d’affiner et de
rendre plus efficace la prise
en charge.
Aux problèmes somatiques
viennent souvent s’ajouter des
problèmes sociaux. Nous
encourageons ces patients à
contacter le centre de soins pour
toxicomanes localisé en ville où
ils rencontreront une assistante
sociale, des éducateurs.
Très rapidement, les pro-
blèmes personnels, sociaux,
familiaux... souvent à l’origine
de la toxicomanie, vont ressur-
gir dans l’existence de nos
patients. Ils sont souvent, à ce
moment précis, d’une extrême
fragilité, déstabilisés par une
angoisse massive. L’infirmier
doit alors, au-delà de l’écoute,
réassurer, relativiser ou...
passer la main au médecin
référent pour des consultations
plus rapprochées, voire pour
une hospitalisation dans l’une
des unités du pavillon psychia-
trique où se situe le centre
méthadone (évaluation psychia-
trique, voire mise en route ou
réajustement d’un traitement).
Commence alors une réflexion
sur le temps perdu. C’est le
moment des désillusions. Cela
fait 12 à 18 mois que le patient
est “dans” le programme. Il sait
maintenant que le chemin vers
le sevrage total des opiacés sera
beaucoup plus long qu’il ne le
croyait. Sa mémoire lui faisant
moins défaut, il arrive à recons-
tituer le puzzle de sa vie.
Paradoxalement, cette désillu-
sion est souvent atténuée par
une confiance plus importante
dans les soignants d’autant
plus que ceux-ci ont été clairs
avec lui en ce qui concerne la
durée du traitement en début de
prise en charge, que leurs
réponses auront été pertinentes,
ou du moins authentiques.
La relation thérapeutique
s’inscrivant dans le temps, il
nous faut être vigilants afin de
ne pas tomber dans une impli-
cation trop personnelle avec le
patient, ou a contrario n’être
plus qu’un outil au service d’un
protocole “administratif ”.
Les patients demandent souvent
une relation avec les soignants la
plus “cool” possible. À nous de
savoir l’établir sans qu’ils aient
l’illusion que nous voulons faire
d’eux des amis.
La rencontre au quotidien avec
les patients du centre fait de
nous des “aiguilleurs du
soin”, capables de décrypter les
comportements des patients et
d’en faire part aux différents par-
tenaires. Nous sommes aussi
les garants du cadre, ceux qui
permettent de donner un sens à
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cette prise en charge pour tous
ceux qui l’observent de l’exté-
rieur (analyse d’urine, respect
d’horaire de délivrance, respect
de soi et des autres...).
Puis, la prise en charge évolue.
Les rencontres s’espacent, les
patients ne viennent plus
qu’une fois par semaine. Leur
vie à l’extérieur du centre s’en-
richit (réhabilitation profes-
sionnelle, relations familiales
et amicales rééquilibrées). La
relation devient moins intense et
soignants et patients sont
presque prêts pour le passage
de relai... au médecine de
ville.
Et la psychothérapie,
dans tout ça ?
Souvent, au cours de la prise en
charge, revient cette question
lancinante. Nous avons choisi
de ne rien imposer au-delà des
obligations légales. Pas de
périodicité de rendez-vous avec
le médecin, le psychiatre, le
psychologue, l’assistante sociale
ou l’éducateur spécialisé. C’est
au moment opportun que nous
proposons les différents ser-
vices disponibles. Il nous
semble, en effet, que s’il
convient de saturer les récep-
teurs de l’usager par un médi-
cament de substitution, il ne
faut pas le submerger dans le
même temps de rencontres pré-
coces et intempestives qui ris-
queraient plus de le décourager
que de l’apaiser. Ainsi, en fonc-
tion des besoins ressentis, va-t-
il pouvoir faire appel à celui ou
à celle qui sera le mieux à
même de donner une réponse
adaptée à une demande authen-
tique. Progressivement se “sub-
stituera” au réseau de l’usage
de drogues imposées, le réseau
de soignants choisi selon ses
potentialités d’aide.
Et peu importe s’il n’y a pas
d’entretiens psychothérapiques
structurés deux fois par mois !
En revanche, il nous semble
beaucoup plus intéressant que
le patient vienne nous voir et
nous dise “j’ai besoin de parler
à quelqu’un d’autre chose. Je
ne peux pas avec vous, vous me
connaissez trop et j’ai envie de
garder le souvenir de notre his-
toire commune avec ses hauts
et ses bas”.
Alors, on peut penser qu’une
nouvelle étape vient d’être
franchie au-delà du passage en
médecine de ville, et que le
temps que nous avons laissé au
temps va permettre à celui-là
de s’écouler à nouveau norma-
lement.
Ce respect des choix est la
garantie, à notre avis, de la ré-
appropriation par le sujet de
son existence. Il faut qu’à notre
tour, nous soyons capables de
lui donner les moyens de partir
et faire notre deuil de cette rela-
tion particulière qui a duré par-
fois des années.
Mais bientôt arrivent de nou-
veaux patients…
Qui vont mal…
Comment allons-nous pouvoir
les aider ?
Place à la réflexion et
à l’évaluation
En ce début de troisième millé-
naire, notre Vieux Continent n’a
pas encore trouvé de réponses
satisfaisantes et définitives au
problème des addictions. La
substitution est un fabuleux
observatoire qui peut nous faire
gagner beaucoup de temps dans
le décryptage des comporte-
ments. Aux pouvoirs publics de
nous donner plus de temps et
d’espace, plus de moyens pour
la réflexion. Si nous sommes le
plus souvent dans l’action, qui
est indispensable, la réflexion
doit continuer à nourrir nos
actions.
La cohésion de nos équipes
passera par une meilleure
connaissance des hommes et
des femmes que nous suivons.
Pour cela, les évaluations de
nos pratiques, les réajustements
éventuels et l’élaboration d’ob-
jectifs de soins sont indispen-
sables. Sans ces outils, nous
gaspillerons toute notre énergie
à nous protéger des tourments
dont souffrent les usagers de
drogues sans pouvoir réelle-
ment les aider.
L’AP-HP organise la prise en charge
des addictions
L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a proposé, au cours de son
deuxième colloque sur les addictions qui s’est tenu les 22 et 23 juin
derniers, la coordination de ses actions en matière d’addictions (tabac,
alcool, drogues...) et aussi avec les praticiens de ville.Ainsi, tout servi-
ce de médecine interne ou de psychiatrie peut s’orienter vers l’addic-
tologie, créer “un centre de prise en charge des addictions”. Un comi-
té local d’addictologie et de prévention des pathologies associées
(CLAPPA), constitué sur le modèle des CLIN (comité de lutte contre
les infections nosocomiales), installé dans chaque hôpital d’aigus de
plus de 50 lits (une quinzaine pour l’ensemble de l’AP-HP), fonction-
nera comme un observatoire et une structure de proposition d’ac-
tions sur le terrain. Il facilitera le regroupement des activités de consul-
tation des 12 équipes d’intervention auprès des usagers de drogues
existantes (les ECIMUD qui ont pris en charge 2 332 patients toxico-
manes en 1998), des équipes de coordination et d’intervention auprès
des malades en difficulté avec l’alcool (15 à 35 %
des patients hospitalisés, soit 110 000 personnes
environ par an !), des unités de coordination
tabacologiques (28 consultations spécialisées dans 22 hôpitaux), des
unités d’alcoologie et des centres de cure ambulatoire d’alcoologie. La
coordination des ces équipes et interventions serait assurée par un
médecin praticien hospitalier et l’AP-HP participera au financement
des vacations des médecins coordonnateurs médicaux et à la forma-
tion des médecins généralistes travaillant dans le cadre des réseaux
ville-hôpital pour le VIH (coût : 2 millions de francs). Les “trois” piliers
de cette coordination sont les Prs Bertrand Dautzenberg, pneumo-
logue à la Pitié-Salpêtrière, responsable de la collégiale addictologie
tabac, Dominique Barrucand, alcoologue à l’hôpital Emile-Roux, res-
ponsable de celle d’alcoologie et le Dr William Lowenstein, interniste
et responsable du centre méthadone Monte-Cristo de l’hôpital
Laënnec, pour celle des substances psychoactives.
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