Les indications des traitements de substitution : de la réduction des risques aux indications médicales ? Jacques Bouchez* Depuis 1996, les traitements de substitution ont une existence légale de médicaments. Les autorités sanitaires ont mis à la disposition des médecins la buprénorphine haut dosage et la méthadone, avec des cadres formalisés de prescription. Dans les mentions légales de l’AMM, ces deux molécules répondent pourtant à des indications médicales extrêmement proches, celles d’une dépendance aux opiacés ancienne et avérée. • Les pratiques de prescription autorisées ont longtemps orienté les indications médicales retenues. La méthadone réservée en primoprescription aux centres spécialisés, a longtemps servi de molécule de référence pour des patients justifiant une prise en charge globale nécessitant un recours à une équipe multidisciplinaire et à un accompagnement quotidien. La buprénorphine, avec un potentiel de prescription moins contingenté, a pris la place d’une molécule de premier choix, disponible en pratique de ville, avec un accès au soin privilégié et plus immédiat. • Les profils pharmacologiques de ces deux molécules divergent. Même si, dans les bonnes pratiques cliniques, les modalités d’induction de ces deux traitements sont comparables (doses progressives, vérification de la tolérance et de l’activité avant des posologies de stabilisation), leurs prises, leurs tolérances, leurs effets secondaires et leurs risques relatifs peuvent amener à discuter leur prescription. Les AMM des traitements de substitution ont entraîné, dans les premiers temps, le développement de pratiques associant médecine de ville et centre spécialisé avec notamment des inductions rapides en centre et des relais chez un généraliste. Ce type d’échange et de collaboration peut favoriser de vraies discussions sur les indications relatives de ces molécules. Il nécessite une grande proximité dans les exercices professionnels, sans parler de la disponibilité. Il suppose aussi une prise en compte sans a priori idéologique de la demande du praticien de ville et de son patient par les spécialistes des centres souvent limités par les conditions de délivrance au sens large. Ces discussions nécessitent un respect mutuel entre praticiens d’origines très diverses. Dans ce domaine, les expériences sont souvent soumises à des particularismes, notamment des limites liées à des contraintes géographiques. Et ces différences régionales peuvent être à la source de nombreux débats de forme sur les indications de ces traitements en ignorant leurs disponibilités relatives. Or jusqu’à présent, où s’est porté le débat sur les indications de traitement ? Sur une disponibilité équivalente de ces deux produits ? Sur les échecs d’une prescription majoritaire avec un recours possible à une autre molécule qui bénéficie d’un accompagnement renforcé ? Dans le domaine des antibiotiques, pour limiter des prescriptions abusives, les pouvoirs publics étudient la possibilité de donner aux généralistes des tests fiables de dépistage pour les angines à streptococcoques en complément d’une approche diagnostique. C’est privilégier l’approche clinique. Les modalités de prescription des traitements de substitution, plus que l’évaluation des contextes cliniques, ont induit une pratique séquentielle de ces molécules. On peut utiliser en première intention la buprénorphine haut dosage et plus difficilement la méthadone. Devant une dépendance aux opiacés, ces limites peuvent restreindre les indications. • Des études américaines ont comparé, avec des méthodes rigoureuses, l’efficacité clinique de ces deux molécules, essentiellement en termes de rétention dans le dispositif de soins. Les données recueillies avant l’AMM développée en France, étaient en faveur d’une équivalence des ces produits pour des dosages élevées (plus de 8 mg pour la buprénorphine versus plus de 60 mg de méthadone). Dans les études cliniques, aux États-Unis, la présentation de la buprénorphine en solution alcoolisée est longtemps restée prédominante avec une bio-équivalence discutée par rapport à la forme 155 européenne en tablette sublinguale. D’autres études, cette fois suisses et autrichiennes, avec la même galénique qu’en France, ont depuis comparé l’efficacité relative des ces produits avec le même type de méthodologie. Les divergences de résultats s’expliquent en grande partie par des inductions de traitements trop lentes avec un nombre de perdus de vue plus conséquent dans cette phase initiale. Avec des effectifs limités pour ces études randomisées, en double aveugle, d’une durée de six à vingtquatre semaines, il est difficile de s’intéresser aux facteurs individuels qui pourraient limiter la compliance à ces deux modalités de traitements. • Une approche plus prometteuse et récente en France a permis de s’intéresser de façon rétrospective aux facteurs de réponse positive aux traitements de buprénorphine. Ces données suggèrent que les patients les mieux insérés socialement, avec peu de troubles ou des difficultés psychologiques associées et avec une durée de leur toxicomanie inférieure à dix ans, ont une meilleure réponse au traitement. Ce type de méthode d’évaluation d’une population permet de privilégier à terme des indications mais pas d’en exclure, d’autant que ces études sont limitées par l’offre de soins associée ou non. Les éléments pronostics des traitements de substitution semblent ainsi multifactoriels. On voit que le contexte social, les aspects de comorbidité psychiatrique, que l’ancienneté des troubles et l’histoire des prises de produits peuvent être déterminantes dans l’évolution du sujet et dans sa réponse aux traitements de substitution. Ces éléments peuvent amener à une nouvelle évaluation, à une nouvelle approche diagnostique. Ils peuvent amener à proposer une nouvelle stratégie de suivi. Les enquêtes de terrain relèvent aussi depuis la réglementation sur les traitements de substitution, la réduction du marché de l’héroïne. Le terme d’indication représente un temps primordial de la pratique clinique. Il définit aussi le champ de l’activité médicale dans le domaine de l’addiction. Et si le terme d’indication du traitement de substitution reste finalement ambigu dans la pratique clinique courante, encore faut-il ne pas oublier que bon nombre d’opportunités de traitement se poseront tout au long de la prise en charge aussi “pharmacologique” qu’elle puisse paraître. s r a e c i s h Le de la * Psychiatre, praticien hospitalier, clinique Liberté, 10, rue de la Liberté, 92290 Bagneux.