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Clarifier l’objectif du traitement
pour ne pas gauchir
la demande du patient
À trop réduire le problème de l’usage de
drogues illicites à celui du “produit” et de
son dosage, on en oublie le principal béné-
ficiaire : l’usager lui-même.
Les participants aux groupes de parole
montrent que les usagers, qui sont pourtant
demandeurs d’un traitement de substitu-
tion, ont souvent une mauvaise compréhen-
sion et représentation des objectifs de cette
modalité de traitement : certains lui préfé-
reraient en fait un sevrage et d’autres une
dispense de drogues médicalisées comme
l’héroïne sur le modèle d’autres pays euro-
péens. La primauté du cadre de prescription :
centre méthadone ou médecine de ville sur
l’objectif recherché gauchit parfois leur
réelle demande.
Lorsque ce sont les usagers qui demandent
assez rapidement des réductions drastiques
de dosage, c’est parce qu’ils comprennent
la différence entre protocole thérapeutique
et prise de drogues. Ils ont envie, en fait, de
réduire le plus possible la substitution et de
prendre des drogues parce qu’ils ne sont
pas prêts à “observer” un tel traitement. Il
n’est pas facile au médecin de “décoder” ce
qui, dans un premier échange, risque de
déboucher sur un malentendu essentiel.
Le déficit d’information
C’est la dimension humaine avec ses
défaillances, ses incompréhensions réci-
proques qui est “remontée” principalement
au cours de ces réunions de groupes. Avec
une attention particulière au déficit d’infor-
mation. “Lors de la première consultation,
le médecin ne m’a pas expliqué tous les
effets du traitement sur les différents
aspects de ma vie, à court, à moyen et à
long terme, sur les interférences avec
d’autres produits ou traitements”, ont-ils
dit. “Et, en plus, il n’a pas discuté. Il me l’a
prescrit très vite.” Or, la plupart d’entre eux
ont été littéralement “surpris” par la “ges-
tion” de ce traitement qu’ils ne connais-
saient pas, qu’ils “comprenaient” donc
comme les drogues de rue qui étaient leur
“ordinaire” ! Or, il est tout à fait compré-
hensible qu’un usager répète avec le “pro-
duit” de substitution le mode de consom-
mation des drogues de rue qui était le sien.
S’il les injectait, il devra faire un gros effort
pour ne pas en faire autant avec celui-ci.
Cet effort est l’un des domaines où le grou-
pe de parole peut l’accompagner.
Pourtant, les usagers expérimentés sont
d’accord : l’injection d’un médicament de
substitution “ça ne fait pas l’effet d’une
drogue” : la défonce est plutôt un phéno-
mène de groupe, le mésusage avant tout un
“plaisir” solitaire que l’on cache même à
ses anciens copains de “défonce”, à sa
compagne ou à son compagnon. “Je ne
voulais pas qu’il (ou elle) sache que j’ai
replongé dans le shoot, car je savais qu’il
(ou elle) allait me juger comme un inca-
pable : même avec la substitution, tu n’es
pas capable de changer !”, ont-ils dit en
substance.
La réunion de ces groupes a permis à ces
usagers, culpabilisés, stigmatisés, de réali-
ser qu’ils n’étaient pas seuls dans leurs cas,
isolés, exceptionnels. Ils ont pu entendre
d’autres “mésuseurs” parler de leurs pra-
tiques : “j’ai vu des gens qui mélangeaient
alcool et substitution, d’autres qui se fai-
saient six injections par jour. Du coup, je
sais mieux où j’en suis”.
Autre effet très positif du groupe: une fois
levé le tabou de la parole sur le mésusage,
a émergé l’envie d’aller plus loin, de
demander et de chercher une information
approfondie sur ce médicament de substitu-
tion qu’au fond, ils prenaient pour un pro-
duit… qu’ils ne connaissent pas vraiment
bien !
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12eréunion annuelle du GEST :
l’appel urgent des tabacologues
Le Groupe d’études sur le sevrage tabagique (GEST) vient de tenir sa
12e réunion annuelle les 8 et 9 janvier 2004. À ces journées ont par-
ticipé plus de 200 tabacologues français, tous médecins de terrain
impliqués dans l’aide à l’arrêt du tabac. Ils ont été unanimes pour sou-
ligner que la situation actuelle des centres de tabacologie était extrê-
mement préoccupante. Malgré l’apport important réalisé par le plan
Kouchner, le fonctionnement de ces centres reste, depuis plusieurs
années, très difficile. Les tabacologues (médecins, infirmières, sages-
femmes) doivent faire face à des demandes qui sont toujours dispro-
portionnées par rapport à leurs moyens réels. Ils doivent, soit refuser
des fumeurs en difficulté, voire déjà victimes du tabac, soit raccourcir
la durée de chaque consultation, ce qui est toujours néfaste en matiè-
re de dépendance.
Les problèmes posés sont devenus encore plus importants ces deux
derniers mois, la forte augmentation des prix du tabac ayant conduit
de nombreux fumeurs à effectuer une tentative d’arrêt. Ces fumeurs
n’ont pas toujours pu recourir à leur médecin traitant, car le nombre
de médecins généralistes formés à cette approche reste encore insuf-
fisant. La poursuite de la situation actuelle risque
d’avoir les plus graves conséquences :
- Les fumeurs les plus dépendants, les plus gros
consommateurs, ayant donc un risque très important continueront à
fumer, et seront, dans les années qui viennent, les victimes des can-
cers, BPCO et accidents cardiovasculaires.
- Les fumeurs en détresse risquent de se tourner vers des «
méthodes » obsolètes et inefficaces,ou même d’être victimes de véri-
tables arnaques (laser et autres, etc.) L’échec, malheureusement pré-
visible, sera un facteur de démotivation.
Il y a donc extrême urgence à donner aux consultations et centres
de tabacologie les moyens nécessaires en secrétariat, psychologues,
infirmières et médecins, afin de pouvoir répondre dans des délais rai-
sonnables à toutes les demandes et, d’autre part, participer à l’indis-
pensable formation de médecins généralistes.
C’est donc un appel urgent que lance aux pouvoirs publics, l’en-
semble des tabacologues de terrain présents à cette réunion, afin
que, dans les plus brefs délais, les moyens indispensables soient déga-
gés,afin de mieux assurer les objectifs du plan cancer, auquel sont très
attachés tous les tabacologues.
Pr Gilbert Lagrue, Pr Pierre Delormas, Dr Dominique Chomard
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