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Le Courrier des addictions (6), n° 3, juillet-août-septembre 2004
o p i a c é s ” et les résume par le sigle M S O ( vo i r
texte suiva n t ) . Les pouvoirs publics, en 1994,
ont abandonné la périphrase “empru n t é e ”
“outil de prise en ch a r ge ” pour “ m é d i c a -
m e n t ” (“le toxicomane” devenant en même
temps un “patient dépendant d’un opiacé”) .
“Et, en 1999, la MILDT ajoutait à l’énuméra-
tion des différents dispositifs de soins, ‘ t ra i t e -
ments de substitution’, comme catégorie par-
ticulière sans les intégrer dans une stratégie
thérapeutique globale”, expliquait A n n e
Coppel. Le Pr Marc Au r i a c o m b e , lui,
concluait pratiquement en introduction de la
conférence, que la méthadone et la bu p r é n o r -
phine haut dosage n’étaient pas des substituts.
Goût du paradoxe ? Non, mais de la rigueur
conceptuelle, très certainement. “Contraire-
ment à ce que ce mot peut laisser entendre, le
but n’est pas de substituer une substance à une
autre, au sens de ‘remplacer avec le même
e f fet’, mais d’agir sur un mécanisme de péren-
nisation de la dépendance : l’envie ou le
besoin compulsif de consommer”, ex p l i q u a i t -
il. Pour qu’un agent pharm a c o l ogique part i c i-
pe au traitement d’une dépendance, il est
nécessaire que l’envie de consommer soit suf-
fisamment atténuée pour délivrer le patient de
la contrainte que représente la dépendance. “Il
faut également que l’agent pharm a c o l og i q u e
n’ait aucun effet renforçant perceptible lors de
la prise. L’absence d’effet renforçant diff é r e n -
cie le traitement d’une drog u e .” Ainsi, le véri-
t a ble “traitement de substitution” serait l’hé-
roïne médicalisée que nous n’avons pas enco-
re développé en France (comme le sont les
substituts nicotiniques, inhaleurs et gommes,
pour le tabac). “Or, l’effet renforçant de la
méthadone et de la bu p r é n o rphine haut dosage
(l’euphorie), qui ‘fa i t ’ l’addiction, est très peu
i m p o r tant. Leur intérêt n’est donc pas qu’elles
remplacent l’héroïne, mais qu’elles réduisent
l’appétence pour elle. Les deux médicaments
s ’ i n s c r ivent pleinement dans la finalité princi-
pale des soins aux personnes dépendantes des
opiacés en leur permettant de devenir et de
rester abstinents dans le cadre d’une améliora-
tion générale de leur état de santé.” Une
conception que Fabrice Olive t , pour A s u d ,
réfutait avec vigueur : “Cette distinction entre
substitution vraie, dédiée à la réduction des
dommages ‘collatéraux’à la prise de drog u e s ,
et le traitement ‘nobl e ’ donné aux vrais
patients désireux de sortir de leur dépendance,
a une connotation idéologique et morale, ave c
en arrière-plan, l’idée toujours présente du
s e vrage…” “Dans le présupposé médical, il y
a une maladie, un diagnostic et un traitement
pour la traiter, lui répondait Marc
Auriacombe. Et nul n’a parlé d’abstinence du
médicament…”
“On n’a pas osé y croire...”
Vraie ou fausse substitution, depuis les années
quatre-vingt quinze, la mise à disposition de ces
deux traitements et aussi l’institution d’une
politique de réduction des risques, a obtenu des
résultats tellement favo r a b les “que nous
n ’ avons pas osé y croire et les diffuser”, ex p o-
sait Anne Coppel : entre 1994 et 1999, baisse
de 80 % des overdoses mortelles, de 67 % des
i n t e r pellations pour usage d’héroïne, des deux-
tiers de la mortalité par sida. “Associé à ces
résultats, bien que plus difficile à quantifi e r, est
le changement de comportements des usagers
dont témoigne la baisse des contaminations par
sida (soit actuellement 4 % des taux de conta-
minations, contre 30 % au début des années
1990). L’injection pratiquée par quelques 90 %
des héroïnomanes français des années 1980,
persiste, même si le pourcentage de la réduc-
tion de l’injection sous bu p r é n o r phine haut
dosage est discuté. Pour cette ex p e rte et pion-
nière de ces traitements et de la politique de
réduction des risques, ces résultats incroy a b l e s
sont imputables essentiellement à l’accès larg e
aux traitements de substitution grâce à la possi-
bilité off e r te aux usagers d’être traités en ville,
donc d’être considérés comme des patients qui,
mieux stabilisés, ont pu de ce fait “être mieux
acceptés dans les hôpitaux”. Et, en fait, le bilan
du dispositif de “réduction des risques”, essen-
tiellement définis comme étant les risques
infectieux, a été bien au-delà de la diminution
de ceux-ci. “La lutte contre le sida a abouti à
une baisse de la mortalité par surdoses, comme
à celle des interpellations pour usage”, disait-
elle.
Un bilan positif partagé par Je a n - M i c h e l
C o s t e s , directeur de l’Observatoire français
des drogues et des toxicomanies. Selon les éva-
luations émanant de diverses études (OFDT,
SIAMOIS…) : 51 000 à 58 000 pa-tients
étaient en processus de traitement par la bu p r é -
n o rphine haut dosage au moins pour 6 mois
( d e r nier trimestre 2002), “de 16 000 à 23 0 0 0 ,
soit entre 20 et 30 % ayant reçu une prescrip-
tion au cours du semestre, pouvaient être des
‘intermittents de la substitution’ ou bien débu-
taient ou finissaient un traitement, 6 %, soit
e nviron 5 000 sont à considérer comme per-
sonnes ayant une activité de revente import a n-
te”, disait-il. En ce qui concerne la méthadone,
le nombre des patients était évalué en juin
2003, entre 11 000 et 15 200. Au total, entre
6 0 000 et 75 000 personnes seraient sous trai-
tement de substitution dont 20 % par la métha-
done. Autour d’eux “gr aviterait une import a n-
te population recevant des prescriptions de
produits substitutifs de manière irrégulière ou
consommant sans prescription”. “Leur impact
a été clairement positif ”, commentait-il tant en
ce qui concerne la chute des surdoses mor-
telles, des cas de sida, que la mortalité globale
( “ d i visée par cinq entre 1994 et le début des
années 2000”), que l’amélioration du recours
aux soins, le meilleur suivi des grossesses, le
moindre recours à l’injection, la diminution de
la délinquance, de la consommation de sub-
stances illicites, l’amélioration de l’insert i o n
sociale et professionnelle.
De nouvelles difficultés
En revanche, d’autres difficultés sont appa-
rues comme le recours à d’autres substances
(persistance d’une consommation import a n t e
de benzodiazépines, d’alcool). “L’ e n q u ê t e
AIDES menée en 2001 auprès des patients
r e c e vant un traitement de substitution en
centre ou en médecine de ville, méthadone ou
bu p r é n o r phine haut dosage, montre la persis-
tance de consommations occasionnelles d’hé-
roïne chez environ un quart des patients, tan-
dis que 26 % consomment quotidiennement
des benzodiazépines et 72 % de l’alcool. De
même l’enquête SPESUB montre que la
dépendance à l’alcool déclarée initialement
par 20 % des patients concerne, après deux
ans, 32 % d’entre eux”, tempérait J. M . C o s t e s .
La consommation de buprénorphine haut
dosage hors protocole thérapeutique,
comme autosubstitution, ou comme
d r ogue, concernerait, selon une étude
TREND/OFDT en 2002 menée auprès de
571 usagers pour l’usage non substitutif au
cours de la vie et 407 au cours du dernier
mois, respectivement 24,7 et 25,1 %. Ces
usages concernent des tranches d’âge assez
larges (de 15 à 51 ans dans cette étude) et
des profils sociodémographiques variés :
de très jeunes usagers au début de leur
“carrière” ; des consommateurs plus âgés
qui n’avaient pas développé de dépendance
à un opiacé ; des sujets parfois très éloignés
des usages de drogues ; des usagers de l’es-
pace festif qui régulent leurs consomma-
tions de psychostimulants ou l’utilisent à
des fins de défonce ; des délinquants non
toxicomanes à l’occasion d’une incarcéra-
tion ; des personnes très précarisées vivant
dans la rue, en squat ou en institution, et