editorial Pour les héroïnomanes, maintenir une offre de soins adaptée, diversifiée et de qualité ! We have to maintain appropriate care provision, diverse and quality for heroin addicts D. Touzeau* L’ Pour ceux qui ont tout essayé, en vain ensemble des actions menées depuis les débuts de la stratégie de réduction des risques, dans les années 90, a eu un impact positif sur l’évolution sanitaire et sociale des usagers de drogues et, en particulier, des injecteurs. Les résultats obtenus (réduction importante des surdoses et des contaminations infectieuses) illustrent l’efficacité de cette politique de santé publique. Mais qu’en est-il en matière d’accès aux soins et de leur qualité ? On a bien identifié des populations spécifiques, comme les femmes enceintes ou les sortants de prison. Des efforts ont été faits pour inclure ces derniers dans les programmes, à l’aide des équipes de liaison ou de prévention des ruptures de traitement à la sortie de détention. Reste les héroïnomanes qui ont tout essayé - traitement résidentiel, désintoxication ou traitement de substitution -, et pour lesquels on peut légitimement proposer un traitement par diamorphine : c’est l’héroïne médicalisée. Plusieurs pays offrent cette possibilité. C’est le cas du Royaume-Uni où la diamorphine est un médicament ou de la Suisse, de l'Allemagne, de l'Espagne, des Pays-Bas et du Canada qui le proposent aux héroïnomanes “réfractaires” aux traitements de substitution. Une récente évaluation de son efficacité, comparée à celle de traitements à la méthadone de groupes témoins, menée par J. Strang et al. (2), conclue que ces programmes d’injection d’héroïne supervisés sont susceptibles de réduire, de façon significative, l’usage d’héroïne de rue. À condition, entre autres, que les demandeurs en soient sélectionnés, que l’équipe de supervision soit compétente et disponible 7 jours sur 7. Il s’agit là d’une option de traitement supplémentaire, réservée à des patients en échec thérapeutique, qu’il faut bien distinguer de la proposition de salles de consommation à moindres risques. Dispositif bicéphale En France coexistent des pratiques très différentes. Dans les années 90, la médecine de ville a été largement sollicitée et a permis une mise à disposition des traitements, en particulier des médicaments de substitution et le dépistage des maladies infectieuses (sida et hépatites). La prise en charge des comorbidités psychiatriques s’est avérée difficile, faute de relais et de temps disponible pour les médecins à consacrer à la formation et au travail de réseau. Le système spécialisé permet une délivrance supervisée et gratuite. Il regroupe toutes les compétences nécessaires (infirmières, psychologues et travailleurs sociaux), mais est d’un accès inégalement réparti. Son niveau d’exigence est souvent restrictif (liste d’attente) et peut être aussi source de stigmatisation (risque de constitution de “ghetto”). En 2015, ce dispositif bicéphale doit répondre à des tableaux cliniques qui se sont diversifiés (1), alors que nos guidelines remontent à 2004 et qu’une certaine routine semble s’installer. Débat amorcé Le débat sur la possibilité d’une substitution injectable a été initié par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), avec une proposition d’utilisation de la buprénorphine par injection intraveineuse. Reste à en évaluer les bénéfices attendus, et pour quelle population, et réfléchir au signal envoyé aux usagers concernant la prévention de l’usage de la buprénorphine haute dose mésusée par voie intraveineuse. Cette proposition a fait l’objet d’une réunion de travail en mai 20151. Trois problèmes Certes, l’efficacité des traitements de maintenance à la méthadone ou à la buprénorphine n’est plus à démontrer, mais leur adaptation à des patients complexes suppose une expérience clinique qui ne se résume pas à l’application des recommandations. Schématiquement, on peut repérer chez nos patients 3 problèmes qui se combinent : tolérance variable aux opiacés, c’est-à-dire faible, moyenne ou élevée (quelle est l’intensité de l’addiction à l’héroïne ?) ; psychopathologie (faible ou importante comorbidité psychiatrique comme des troubles dépressifs ou de la personnalité) ; abus d’autres substances (cocaïne, alcool ou benzodiazépines). Le choix d’un médicament (buprénorphine ou méthadone) prend en considération ces dimensions et l’association possible avec d’autres médicaments à visée antiaddictive (baclofène, topiramate, varénicline, etc.) ou antidépressive. La supervision de la délivrance de ces traitements complexes, qui nécessitent une éducation thérapeutique par des équipes entraînées, est indispensable. C’est, en effet, l’obtention d’une amélioration de la qualité de vie qui permet une prise au long court, avec des contraintes adaptées à chaque patient, et, au bout du compte, un succès thérapeutique. Comment les traiter et qui peut le faire ? Dans les années 90, en France, la question était : devons-nous traiter les héroïnomanes ? Le dispositif de soins actuel en témoigne encore. En 2015, la question est plus complexe et pourrait être ainsi formulée : comment les traiter, et quels cliniciens sont compétents pour le faire ? Après 30 ans d’expérience, il me semble incontournable de pouvoir disposer d’une prescription de diamorphine. C’est l’une des réponses thérapeutiques qui s’appuie sur des données solides et que l’on ne peut plus remettre en cause. Par frilosité ou craintes des débats polémiques ! v D. Touzeau déclare avoir des liens d’intérêts avec Lundbeck et Indivior (collaborations ponctuelles). Références bibliographiques 1. Avis d’experts sur la buprénorphine injectable organisé par la Société d’addictologie francophone, la société européenne toxicomanies hépatites sida et la Société française de pharmacologie et de thérapeutique. 20 mai 2015, hôpital Paul-Guiraud, Villejuif. Questions posées : Quelle devrait être la place d’un opioïde injectable comme la buprénorphine dans la problématique de la prise en charge des usagers d’opioïdes avec ou sans prescription ? Nouvel outil de réduction des risques et/ou réel médicament de substitution aux opioïdes ? 1. Alho H, Fisher G, Torens M, Maremmani I, Ali R, Clark N. Guidelines in the treatment of opiate addiction, a review and recommendations. Heroin Addict Relat Clin Probl 2014;16(4):33-40. 2. Strang J, Groshkova T, Uchtenhagen A et al. Heroin on trial: systematic review and meta-analysis of randomised trials of diamorphine-prescribing as treatment for refractory heroin addiction. Br J Psychiatry 2015;207(1):5-14. * Rédacteur en chef du Courrier des addictions ; clinique Liberté, Bagneux. 3 Le Courrier des addictions (17) –­ n° 3 – juillet-août-septembre 2015