M I S E A U P O I N T Chimiothérapie des cancers bronchiques non à petites cellules : pourrons-nous sortir de l’ère du platine ? ● J.L. Pujol*, X. Quantin*, L. Carestia*, D. Choma*, V. Guyot*, F. Khial*, Ph. Godard*, J.P. Daurès** L a chimiothérapie prolonge la survie des malades atteints de cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) localement avancés ou métastatiques. De nombreux essais randomisés et plusieurs méta-analyses (1, 2) permettent de soutenir une telle assertion, alors qu’elle faisait l’objet de débats passionnés il y a seulement quelques années. Le cisplatine s’est imposé comme la drogue pivot des chimiothérapies des CBNPC. Cette drogue est active, mais elle est fortement toxique. La qualité de vie des malades qui retirent un bénéfice de la chimiothérapie est parfois altérée par cette toxicité. Une question s’impose à tout médecin prenant en charge des malades atteints de CBNPC : pourra-t-on demain se passer du cisplatine ? HISTORIQUE DE L’UTILISATION DU CISPLATINE La formule du cisplatine est le cis-diamine-dichloroplatinum II (N2Cl2PtH6). L’analogue trans- est dépourvu d’activité. En 1965, Rosenberg publie dans Nature les résultats d’une observation curieuse et fortuite (3). Étudiant l’influence des champs électriques sur la croissance de l’Escherichia coli, ce chercheur observe l’inhibition de la croissance de cette bactérie au voisinage de l’électrode de platine. Il est apparu que le cisplatine appartient à la classe des agents alkylants. Il s’agit d’un médicament “phase du cycle cellulaire non spécifique”, c’est-à-dire que les formations d’adduits (liaisons intrabrin d’ADN) ou de liaisons interbrins provoquées par le platine peuvent survenir à n’importe quelle phase du cycle cellulaire, mais qu’il est nécessaire que la cellule soit en cycle pour qu’elles deviennent létales. Entre la découverte de l’activité cytotoxique de cette molécule et son utilisation clinique, les obstacles ont été nombreux : la néphrotoxicité très élevée de ce médicament a fait craindre qu’il ne puisse être utilisé. Cependant, la démonstration de l’efficacité préventive de l’hyperhydratation (4-6) a permis le développement de cette molécule, qui s’est imposée très rapidement comme le médicament-clé de la guérison des tumeurs germinales malignes, de certains lymphomes et de certains cancers de l’ovaire. * Service des maladies respiratoires, CHU Arnaud-de-Villeneuve, Montpellier. ** Institut universitaire de la recherche clinique, laboratoire de biostatistique et d’épidémiologie, Montpellier. La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 3 - juin 1999 DES ÉVIDENCES EN FAVEUR DU RÔLE DU CISPLATINE Quatre types d’arguments extraits de la littérature constituent un corpus de données justifiant l’utilisation du cisplatine dans la chimiothérapie du CBNPC. Méta-analyse des études randomisées comparant les soins palliatifs à la chimiothérapie La chimiothérapie réduit le risque de décès des malades atteints de CBNPC de 10 % à un an. Cela a été démontré par la méta-analyse de 11 études comparant les soins palliatifs seuls aux soins palliatifs associés à une chimiothérapie (2). Cet avantage en survie est inhomogène selon que les études comparatives avaient opté pour une chimiothérapie fondée sur le cisplatine ou non. Dans le groupe des études où la chimiothérapie était fondée sur le cisplatine, la réduction du risque de mortalité était plus marquée. Méta-analyse des études randomisées réalisées pour les cancers bronchiques localement avancés et inopérables Jusqu’au début des années 80, le traitement conventionnel des malades atteints de CBNPC inopérables du fait de l’extension régionale de leur maladie était la radiothérapie. Vingt-deux études ont comparé ce traitement conventionnel (la radiothérapie exclusive) et différentes modalités combinant radiothérapie et chimiothérapie. Parmi ces études, 11 ont utilisé des chimiothérapies fondées sur le cisplatine. La méta-analyse globale de ces études démontre une réduction du risque de mortalité chez les malades traités par la modalité combinée (radiothérapie + chimiothérapie). Cependant, les combinaisons fondées sur le cisplatine offrent la plus nette évidence en faveur de l’intégration de la chimiothérapie, avec un avantage en survie de 4 % à deux ans. La chimiothérapie adjuvante des CBNPC opérés La question de l’utilité de la chimiothérapie adjuvante (postopératoire) chez des malades qui ont bénéficié d’une résection complète n’est pas tranchée, malgré 14 études randomisées ayant déjà tenté de répondre à cette importante question. La méta-analyse de l’ensemble de ces études ne montre pas de bénéfice statistique en termes de survie. Ainsi, les malades qui bénéficient de la chimiothérapie ne semblent pas protégés 105 M I S E A U significativement du risque de rechute en comparaison avec ceux qui sont simplement surveillés après l’intervention. Cependant, il existe une hétérogénéité statistique entre les différentes études selon le type de chimiothérapie utilisé. Ainsi, le groupe des études qui ont comparé une chimiothérapie fondée sur le cisplatine et la simple observation est, dans une analyse séparée, proche de la démonstration d’un effet de réduction de la mortalité de 13 % offert par la chimiothérapie. L’absence de preuve formelle a stimulé, depuis 5 ans, la réalisation de grands essais multicentriques internationaux, dont le plus important (International adjuvant lung trial) ambitionne la randomisation de 3 300 malades entre la chimiothérapie postopératoire et la simple observation (7). Cet essai est libéral sur le type de chimiothérapie utilisé dans la randomisation, sauf sur un point : l’administration d’une dose cumulée de cisplatine assez homogène d’un centre d’investigation à l’autre. Ici aussi, c’est bien le cisplatine qui est jugé essentiel dans la recherche d’une efficacité de la chimiothérapie. Études randomisées comparant une monochimiothérapie à une chimiothérapie associant deux drogues (doublet) De nombreuses études ont posé la question de l’utilité d’une association supposée synergique du cisplatine avec un médicament spécifique d’une phase du cycle cellulaire tel que les vinca-alcaloïdes ou les épipodophyllotoxines. L’analyse individuelle de certaines études, particulièrement de celles qui ont inclus le plus de malades, est en faveur d’une amélioration de la survie des malades bénéficiant d’une chimiothérapie de type doublet en comparaison à l’administration d’un vinca-alcaloïde seul (8). Une récente méta-analyse effectuée sur des données publiées démontre que la chimiothérapie de type doublet offre un taux de réponse objective sensiblement double en comparaison à la monochimiothérapie (9). En outre, elle permet une réduction du risque de la mortalité à un an de 22 %. Enseignement et limites des méta-analyses L’ensemble des études randomisées et des méta-analyses suggère que la chimiothérapie prolonge la survie des malades atteints de CBNPC. Elles font apparaître le cisplatine comme une drogue pivot. La démonstration de l’utilité de la chimiothérapie s’est imposée dans la même période qui a vu s’affirmer la place du cisplatine dans ce traitement. De nombreuses questions subsistent, particulièrement celles relatives aux doses nécessaires. Si la démonstration directe d’une relation effet-dose n’a pas été apportée à ce jour, il est cependant réaliste de considérer qu’une dose inférieure à 80 mg/m2 n’est pas en accord avec la littérature actuelle. La dose de 100 mg/m2 sur un schéma J1 = J28 est la plus utilisée. Pourquoi le cisplatine s’est-il imposé ? Une tentative d’explication réside dans l’hypothèse de la synergie. LE CISPLATINE, UNE DROGUE SYNERGIQUE Trois arguments soutiennent cette hypothèse : la faible activité du cisplatine en monochimiothérapie, la supériorité d’un doublet associant le cisplatine et un cytotoxique spécifique d’une 106 P O I N T phase du cycle cellulaire sur le cisplatine seul, enfin la congruence des résultats cliniques avec des études précliniques. Activité du cisplatine en monochimiothérapie Le tableau I démontre l’activité de différentes molécules cytotoxiques anticancéreuses chez des malades atteints de CBNPC chémo-naïfs. Tableau I. Activité indicative des différentes drogues en monochimiothérapie des CBNPC. Drogues Cisplatine Ifosfamide Mitomycine Vindésine Carboplatine Vinorelbine Étoposide Adriamycine Fotémustine Gemcitabine Docétaxel Paclitaxel RO (Mono-CT) 12-19 % 14-40 % 20 % 18 % 10 % 12-30 % 14 % 13 % 16 % 18-26 % 20-30 % 20 % Les réponses objectives induites par chaque drogue sont données à titre indicatif. La littérature montre souvent la faible reproductibilité de ces taux de réponse objective, et cela pour deux raisons principales : la première est que le taux de réponse objective dépend des critères d’éligibilité dans chacune des études, la deuxième est que la qualité des études est variable (10). Cependant, l’activité du cisplatine en monochimiothérapie est faible. Études randomisées comparant le cisplatine seul à un doublet fondé sur le cisplatine À ce jour, il existe 8 études rapportées de ce type (11-18). Le taux de réponse objective du doublet est constamment supérieur à celui du cisplatine seul. L’avantage en survie conféré par l’association cisplatine–étoposide paraît variable selon les études (11, 12). En revanche, la survie est améliorée uniquement lorsque le cisplatine est associé à la gemcitabine (16), à la vinorelbine (14) ou à la tirapazamine (18) (tableau II). Ces études soutiennent l’hypothèse d’une potentialisation du cisplatine par l’une des autres drogues citées plus haut, qui ont en commun (excepté la tirapazamine) d’être des médicaments stabilisant les lésions de l’ADN induites par le cisplatine. Ce concept de la synergie est conforté par l’étude de Rowinsky (19) effectuée dans un groupe de différentes tumeurs solides. Elle associe un inhibiteur de la topo-isomérase I (le topotécan) au cisplatine. Cette étude suggère un effet-séquence, tel que l’administration du cisplatine au jour 1 suivie d’une administration du topotécan à faible dose pendant 5 jours induit des taux de réponse élevés, mais également une hématotoxicité (vraisemblablement liée à une réduction de la clairance du topotécan). La séquence inverse est beaucoup mieux tolérée d’un point de vue hématologique, mais est en contradiction avec les études précliniques et risque d’être moins active. La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 3 - juin 1999 Tableau II. Études randomisées comparant le cisplatine en monochimiothérapie à un doublet fondé sur le cisplatine. Traitement Effectif Réponse Survie objective médiane (%) (SEM) Auteur CDDP CDDP-VP-16 81 81 19 26 26 22 Klastersky J. (11) CDDP CDDP-VP-16 24 61 4 36* 18 35* Crino L. (12) CDDP CDDP-vindésine 80 80 12 29* 39 45 Kawahara M. (13) CDDP CDDP-vinorelbine 209 206 12 26* 26 35* Wozniak A.J. (14) CDDP CDDP-mitomycine 105 110 12 27* 23 33 Gandara R.J. (15) CDDP CDDP-gemcitabine 154 155 10 31* 33 40* Sandler J. (16) CDDP CDDP-paclitaxel 197 190 17 26* 37 35 Gatzmeier U. (17) CDDP CDDP-tirapazamine 219 218 14 27* 28 34* Von Pawel J. (18) CDDP : cis-diamine-dichloroplatinum II. * indique une différence significative (p < 0,05). a POURQUOI FAUT-IL SORTIR DE L’ÈRE DU CISPLATINE ? Le cisplatine est un médicament toxique. Un certain nombre de ces toxicités sont contournables, mais il reste un médicament d’utilisation difficile et dont l’impact négatif sur la qualité de vie est probablement sous-évalué. À court et moyen terme, le cisplatine induit un émésis immédiat et retardé ; à moyen et à long terme, il induit une néphrotoxicité, une anémie et une neurotoxicité, notamment une toxicité cochléaire (20). L’ototoxicité induite par le cisplatine est d’autant plus fréquente que le dosage utilisé pour chaque cure est élevé. Cette relation dose-effet a été vérifiée expérimentalement chez le cobaye lors de l’exposition à des doses progressivement croissantes de cisplatine couplée à l’étude électrophysiologique de la cochlée (21). En outre, l’ototoxicité est fréquemment observée chez des malades qui ont des antécédents de traumatismes sonores (souvent professionnels [22]) (figure 1). Certaines recommandations élémentaires portant sur l’utilisation du cisplatine permettent de limiter l’ototoxicité. Une étude suggère que 26 % des malades encourent un risque de développer une toxicité tardive (neurologique ou rénale) de grade 2 ou plus après six cures de cisplatine (23). Cela laisserait supposer qu’il est délétère pour la qualité de vie de dépasser une dose cumulée de 600 mg/m2. c b Figure 1. Cochlée (a) et organe de Corti (b). Audiométrie d’un malade ayant reçu une dose cumulée de 400 mg/m2 de cisplatine (c). (Les figures a et b ont été importées depuis le site web : http://www.iurc.montp.inserm.fr/cric/audition grâce à l’obligeance du Centre régional d’imagerie cellulaire de Montpellier.) La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 3 - juin 1999 107 I S E A U PEUT-ON REMPLACER LE CISPLATINE ? Deux voies sont théoriquement possibles : - le remplacement par un autre sel de platine de toxicité différente, tel le carboplatine ; - le remplacement par une autre association. Le carboplatine Le carboplatine est un sel de platine dont la toxicité est très différente. Elle est essentiellement d’ordre hématologique. Il n’y a pas de néphrotoxicité, bien que le calcul conventionnel de la dose de carboplatine soit actuellement fondé sur la clairance de la créatinine (à l’aide des formules de Calvert ou de Chatelut, qui permettent d’estimer la dose en fonction de l’aire sous la courbe cible exprimée en h.mg/l.). Ce déplacement de toxicité n’est pas forcément un avantage. La plupart des médicaments synergiques avec le cisplatine sont myélotoxiques et potentialisent la toxicité du carboplatine. À ce jour, une seule étude présentée sous forme de résumé suggère que l’on puisse substituer le carboplatine au cisplatine (24). Cette étude a comparé un régime de type MVP (mitomycine-vindésine-cisplatine) comme bras de référence à un bras MVC (mitomycinevindésine-carboplatine). Ce bras expérimental remplaçait une dose de cisplatine de 120 mg/m2 par une dose de carboplatine de 500 mg/m2. Le taux de réponse objective ne différait pas (38 % et 35 % respectivement). Il n’était pas surprenant d’observer une plus forte hématotoxicité dans le bras MVC alors que les malades randomisés dans le bras MVP éprouvaient un émésis de manière plus fréquente. Les malades randomisés dans le bras MVC bénéficieraient d’une survie plus longue, mais, à ce jour, ce résumé reste le seul argument en faveur du carboplatine. Ainsi, une autre étude comparant l’association cisplatine-étoposide à l’association carboplatine-étoposide montre une activité supérieure de la première (25). En outre, l’association du carboplatine et du cisplatine dans un même régime thérapeutique n’est pas plus active que le seul cisplatine. À ce jour, le carboplatine n’est pas enregistré en France dans l’indication des CBNPC. L’association carboplatine-paclitaxel a été comparée dans une étude randomisée à l’association cisplatine-VP-16. De la première association résulte une amélioration transitoire de la qualité de vie (observée en début d’étude), mais elle n’a pas offert de bénéfice en termes de survie (26). L’association cisplatine-VP-16 n’étant pas elle-même supérieure au seul cisplatine, le rationnel de l’utilisation de l’association carboplatinepaclitaxel repose essentiellement sur des notions de tolérance. P O 108 N T cisplatine-VP-16, alors que les malades étaient affectés par une toxicité moins élevée (lorsque l’on considérait les infections de grade IV, les besoins transfusionnels et les nausées-vomissements). Cette étude est encourageante ; cependant, il s’agit d’une étude de phase II randomisée. De ce fait, le faible nombre de malades recrutés par bras ne permet pas de conclure, en termes de survie, à l’absence d’observation d’une différence, ne pouvant exclure qu’elle existerait dans une population plus étendue. Les doublets fondés sur une ou deux nouvelles drogues font l’objet d’une intense activité de recherche. Parmi l’ensemble de ces doublets ayant fait l’objet d’études de phase I-II, citons l’association gemcitabine-docétaxel. Une récente étude de phase I, réalisée conjointement par le centre Léon-Bérard de Lyon et le centre hospitalier universitaire de Montpellier, suggère que cette association est faisable (29, 30). Elle a permis de déterminer la dose optimale de docétaxel (figure 3). L’observation de réponses objectives confirmées par un panel indépendant est encourageante et autorise la réalisation d’une future étude de phase III comparant un régime standard fondé sur le cisplatine à ce nouveau traitement. Gemcitabine versus VP-16-CDDP Randomisation Gemcitabine (n = 71) 1 000 mg/m2 à J1, J8, J15 et J28 VP-16-CDDP (n = 75) VP-16 100 mg/m2, J1-J3 Cisplatine 100 mg/m2, J1 Gemcitabine VP-16-CDDP p 18 % 4,2 mois 15 % 4,9 mois NS NS 12 % 0% 11 % 24 % 8% 29 % S S S Réponses objectives Temps jusqu’à la progression Transfusions Sepsis Émésis Figure 2. Étude de Manegold randomisant une monochimiothérapie par gemcitabine versus un doublet de type cisplatine-étoposide (28). Gemcitabine Gemcitabine 1 000 mg/m2 J1 Recherches de combinaisons ne comportant pas de cisplatine Certains médicaments comme la gemcitabine, un analogue spécifique de la déoxycytidine, offrent en monochimiothérapie un taux de réponse de 21 % (27). Il s’agit d’un taux validé par des panels d’évaluation, qui soutient la comparaison avec certaines associations doublets fondées sur le cisplatine. Cela a été vérifié dans une étude de phase III. Les malades atteints de CBNPC étaient randomisés entre la gemcitabine, 1 g/m2 à J1, J8 et J15, reprise à J28, ou l’association cisplatine-VP-16 selon des posologies très conventionnelles (28) (figure 2). Le taux de réponse objective observé dans le bras monochimiothérapie ne différait pas de celui du bras I J8 J21 Corticostéroïdes Docétaxel Reprise M Niveau 1 : 60 mg/m2 Niveau 2 : 75 mg/m2 Niveau 3 : 85 mg/m2 Niveau 4 : 100 mg/m2 Figure 3. Schéma de l’étude de phase I-II de l’association gemcitabinedocétaxel. La dose recommandée à l’issue de l’étude de phase I est : docétaxel à J8, 85 mg/m2, associé à gemcitabine à J1 et J8, reprise à J21, 1 g/m2 (29, 30). La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 3 - juin 1999 QUALITÉ DE VIE, OU COMMENT TENIR COMPTE DU PROBLÈME HUMAIN Le questionnaire de qualité de vie QLQ C 30-LC 13, issu d’un travail de recherche de la European organization for research and treatment of cancer, s’est progressivement imposé comme le principal questionnaire d’autoévaluation de la qualité de vie (31). Comme toutes les échelles psychométriques, l’évaluation de la qualité de vie est imparfaite. Cependant, le questionnaire reste un outil de référence et sa réalisation est considérée par beaucoup de revues scientifiques comme un critère de qualité des études menées dans le traitement des cancers bronchiques. Son utilisation reste limitée, car la plupart des études qui l’ont utilisé ont observé une grande difficulté pour maintenir une surveillance de la qualité de vie avec cet outil. La raison en est, bien évidemment, qu’il est difficile d’imposer à un malade affecté par une détérioration évidente de son état clinique de remplir un questionnaire qui ne ferait que souligner la dure réalité des faits. Il est frappant d’observer, dans une étude récemment rapportée par Raphaël Rossel, que le nombre médian de questionnaires de qualité de vie remplis est proportionnel au temps jusqu’à la progression. Cela suggère que l’évaluation de la qualité de vie est limitée à la période sans progression. Un autre moyen d’analyse de la qualité du résultat d’une chimiothérapie existe : l’étude du temps sans symptôme et sans toxicité (TWiST) (32). Cette approche propose de considérer que la survie globale d’une cohorte de malades recevant un même traitement se décompose en trois états différents : – l’état tox, qui correspond à la période de temps consacrée par les malades à leur traitement ou au temps de survie gâché par une toxicité notoire (telle qu’une réhospitalisation pour sepsis) ; – l’état REL, qui correspond à l’état de récidive ou de progression de la maladie ; – l’état WiST, qui correspond à une période de bien-être, sans symptôme et sans toxicité. C’est l’état d’utilité réelle du traitement. Il ressort parfois d’une analyse de qualité TWiST qu’un traitement A, apparemment supérieur à un traitement B en termes de survie globale, perd de son intérêt en analyse TWiST si ladite amélioration de survie globale s’est accompagnée d’une augmentation de la toxicité. PEUT-ON SE PASSER DU CISPLATINE AUJOURD’HUI ? Il n’y a pas d’argument suffisant pour proposer une alternative aux doublets fondés sur le cisplatine dans le traitement des CBNPC localement avancés ou métastatiques. Dans l’attente, il faut donc soigneusement gérer et prévenir la toxicité résultant de ce cytotoxique pivot. Le tableau III regroupe un certain nombre de propositions susceptibles de limiter les effets toxiques immédiats ou retardés et de rendre le traitement plus Tableau III. Règles d’administration du cisplatine limitant la toxicité. ✓ Hyperhydratation ✓ Reconstitution du CDDP dans du NaCl 3 % ✓ Débit 1 mg/min ✓ Mannitol ✓ Contrôle de l’émésis immédiat et retardé ✓ Prise en compte de la clairance La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 3 - juin 1999 acceptable. Des études de phase III comparant un schéma classique fondé sur le cisplatine à un nouveau schéma ayant démontré une bonne tolérance en phase I et une bonne activité en phase II sont nécessaires. L’association gemcitabine-docétaxel pourrait être ce type de nouveau schéma. L’intégration de la notion de qualité doit faire partie des études futures. ■ Les auteurs remercient Mme A. Mas pour son aide à la préparation du manuscrit. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Souquet P.J., Chauvin F., Boisesel J.P. et coll. Polychemotherapy in advanced non-small cell lung cancer : a meta-analysis. Lancet 1993 ; 342 : 19-21. 2. Non-Small Cell Lung Cancer Collaborative Group. Chemotherapy in nonsmall cell lung cancer : a meta-analysis using updated data on individual patients from 52 randomized clinical trials. Br Med J 1995 ; 311 : 899-909. 3. Rosenberg B., Van Camp L., Krigas T. Inibition of cell division in Escherichia coli by electrolysis products from a platinum electrode. Nature 1965 ; 205 : 698-9. 4. Hill J.M., Loeb E., Mac Lellan A. Clinical studies of platinum coordination compounds in the treatment of various malignant diseases. 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