R É U N I O N S 2e Colloque Roche et VIH* QUELLE MÉTHODOLOGIE POUR L’ÉVALUATION DE L’EFFICACITÉ D’UN TRAITEMENT ANTIRÉTROVIRAL ? Les études cliniques dans le domaine du VIH se multiplient et une connaissance précise de la méthodologie utilisée devient indispensable. P. Clerson (Lille) a rappelé les caractéristiques des essais thérapeutiques et des suivis de cohortes, qui s’opposent tant par leurs objectifs que par leurs méthodes (tableau I). Tableau I. Comparaison entre essais cliniques et suivis de cohorte. Essai thérapeutique Suivi de cohorte Vise à évaluer une stratégie thérapeutique en comparant les résultats obtenus à ceux d’un groupe témoin Toujours prospectif et interventionnel Peut être exploratoire (plusieurs hypothèses) et/ou confirmatoire (une seule hypothèse de départ validée ou rejetée) Sujet déjà malade Groupe homogène (seul le traitement diffère entre chaque groupe) Randomisation Établir une relation de cause à effet entre la prise de traitement et le résultat observé Cherche à quantifier une relation entre une exposition et la survenue d’une maladie Peut être prospectif ou rétrospectif Observationnel Sujet non malade exposé à un risque Échantillon représentatif (le moins biaisé possible) Sujet exposé ou non exposé Établir une probabilité de survenue d’une maladie en rapport avec un facteur d’exposition L’importance de l’effectif (nombre de patients inclus) et la durée du suivi ne sont pas des facteurs discriminants entre les deux méthodes. Toute interprétation des résultats d’un essai thérapeutique doit tenir compte des biais de cet essai. On en distingue trois types principaux : le biais de sélection de l’échantillon (par rapport à la population générale), le biais de classement (entre sujet exposé et non exposé) et le biais de confusion (ignorance d’un facteur étranger à l’étude, mais qui pourrait intervenir sur les résultats de cette étude). Les biais sont quasi obligatoires, mais il faut les minimiser. G. Chêne (Bordeaux) a fourni quelques outils de lecture critique permettant de dépister les biais introduits dans les essais thérapeutiques. L’essai comparatif randomisé est idéal pour évaluer l’efficacité d’un traitement à condition de bien définir dès le début de l’étude les traitements à comparer, les critères d’évaluation, l’homogénéité et la taille de l’échantillon (qui doit être adapté à l’étude). En fait, compte tenu de l’efficacité des stratégies antirétrovirales aujourd’hui, on réalise souvent un essai d’équivalence ou de non-infériorité, c’est-à-dire que l’on fixe * Paris, 25 mars 1999. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 5 - mai 1999 au préalable l’intervalle de confiance pour lequel deux traitements seront considérés comme équivalents. L’analyse d’un essai en intention de traiter (ITT) est la plus proche de l’intérêt du patient. Elle peut être gênée si un trop grand nombre de sujets interrompt prématurément le traitement ou si la mesure de critère d’évaluation est manquante. Le traitement des données manquantes joue alors un rôle important (soit report de la dernière valeur disponible, soit valeur manquante considérée comme échec...). Des analyses répétées au cours des essais thérapeutiques devraient permettre une gestion cohérente. QUELLE PLACE POUR LA VIROLOGIE ET L’IMMUNOLOGIE DANS L’ÉVALUATION DE L’EFFICACITÉ D’UN TRAITEMENT ANTIRÉTROVIRAL ? Les discordances viro-immunologiques correspondent à des réponses paradoxales au traitement antirétroviral qui sont caractérisées soit par une absence de réponse immunologique malgré une réponse virologique (I-V+), soit inversement par une réponse immunologique en dépit de la persistance d’une charge virale élevée (I+V-). L. Weiss (Paris) a apporté le point de vue de l’immunologiste et V. Calvez (Paris) celui du virologue sur ces réponses discordantes. Ces discordances immunovirologiques sont observées chez environ 20 % des patients après initiation d’une trithérapie ; les réponses de type I-V+ et I+V- sont observées en proportions sensiblement équivalentes. À plus long terme, il existe cependant une évolution dans ces réponses : chez les patients présentant une réponse initiale I-V+, on observe le plus souvent une réponse immunologique qui se manifeste de façon retardée. Toutefois, chez les patients qui conservaient un taux de CD4+ stable avant mise sous traitement, on n’observe habituellement pas de remontée rapide du nombre de CD4+. En effet, il existe généralement une corrélation inverse entre la réponse immunologique initiale et la chute des CD4+ avant la mise sous traitement : ce sont les patients avec une chute rapide des CD4+ avant traitement qui présentent une remontée rapide de ces cellules après instauration du traitement. Ces observations sont en accord avec l’hypothèse de redistribution des CD4+ séquestrés dans les organes lymphoïdes. Concernant les réponses dissociées de type I+V-, différentes hypothèses peuvent être émises : les antiprotéases pourraient avoir un effet propre sur la réponse immunitaire en allongeant la durée de vie des CD4 par inhibition de l’apoptose ; par ailleurs, les virus résistants pourraient présenter une moindre pathogénicité. En effet, la capacité réplicative (“fitness”) des virus résistants aux antirétroviraux est réduite par rapport aux virus non mutés. On peut donc se demander si la baisse de “fitness” du virus ne pourrait pas constituer un objectif thérapeutique. F. Clavel (Paris) a présenté des données montrant qu’il existait une corrélation entre la diminution du “fitness” viral et le maintien des CD4+ ; cette corrélation n’est cependant plus observée pour les taux très bas de CD4+. Par ailleurs, 221 R É U N I O N S il n’existe pas de corrélation entre la baisse de “fitness” et la réduction de la charge virale. Cette situation apparemment paradoxale pourrait résulter du fait que la charge virale reflète le nombre de cellules infectées et non la vitesse de réplication du virus. Il semble en outre que la perte de “fitness” s’accompagne d’une diminution de la réplication et de la pathogénicité dans le thymus, cela n’étant pas observé dans les lymphocytes sanguins. J.F. Delfraissy (Le Kremlin-Bicêtre) et C. Rouzioux (Paris) ont ouvert la discussion sur les évaluations du traitement antirétroviral. Sur le plan immunologique, la mesure de la réponse CD4+ ou CD8+ spécifique du VIH serait d’un grand intérêt, mais la complexité des techniques représente actuellement un handicap. Sur le plan virologique, la quantification de l’ARN intracellulaire et de l’ADN proviral permet d’évaluer la persistance du virus chez les patients ayant un contrôle apparent de la multiplication virale (charge virale indétectable). Les tests de résistance phénotypique ou génotypique sont en train de se mettre en place sans que l’on connaisse encore leur valeur pour la prise en charge individuelle des patients. L’évaluation des différentes situations et les stratégies thérapeutiques qui en découlent sont résumées dans le tableau II. Tableau II. Évaluation des différentes situations et stratégies thérapeutiques. Situation Échec virologique sévère Patient multitraité CV > 50 000 copies/ml Échec virologique modéré Adhésion au traitement Échec immunologique CV < 1 000 copies/ml Succès virologiques avec effets secondaires importants Succès virologique stable et prolongé Fréquence Évaluation (%) 10 Stratégie à envisager Génotypage ? Méga-HAART Phénotypage ? Arrêt-recyclage 20 Génotypage +++ Adaptation du traitement Aide à l’adhésion <5 Marqueurs immunologiques IL2 ? 20 Exploration métabolique 45 0* Place des INNRT par rapport aux IP 0** * Tests à évaluer dans ce contexte : CD4+ spécifiques VIH, ARN cellulaire, ADN proviral, cellules infectées de manière latente. ** Stratégies à explorer dans ce contexte : renforcement thérapeutique, arrêt thérapeutique transitoire, immunothérapie : vaccin, IL2. pour comprendre et prévoir les résultats d’un traitement ainsi que pour contrôler les éléments de la non-observance. Son évaluation fait appel à des méthodes subjectives qui autonomisent et responsabilisent le patient (autoquestionnaire, perception des patients et des médecins) et à des méthodes objectives coûteuses, contraignantes mais plus précises (contrôle biologique et virologique, pilulier, système électronique de monitorage). La méthode des cohortes (cohorte MANIF 2000 et APROCO) permet d’améliorer la connaissance de certains facteurs de la non-observance tels que des facteurs sociodémographiques (âge, habitat), facteurs de comportement ( alcool, tabac), facteurs psychologiques (état dépressif) et permet d’évaluer les conséquences à long terme d’un traitement peu ou mal suivi. Il ressort de ces études qu’une approche ouverte et pluriméthodologique de l’observance doit se développer. Les médecins et les soignants doivent être très attentifs aux représentations et aux attentes des patients en début de traitement afin d’optimiser leur prise en charge. J. Soletti (Paris) a insisté sur le rôle déterminant que joue la personne touchée par le VIH dans le succès thérapeutique. Il paraît donc fondamental d’évaluer le besoin des personnes pour une meilleure adaptation des actions. Le patient doit être engagé dans sa propre prise en charge, ce qui impose d’œuvrer pour une meilleure compréhension de l’intérêt d’un traitement et d’améliorer l’intégration du traitement dans la vie quotidienne, ce qui devrait favoriser l’observance. Les enquêtes visant à confronter la perception des personnes en traitement à celle des professionnels de santé aideront probablement à une meilleure compréhension et donc à une meilleure prise en charge des difficultés du patient. Soutenir le désir de se soigner, soutenir le désir de vivre ( nécessité d’une écoute adaptée et prise en charge multidisciplinaire) sont des éléments fondamentaux de l’observance. Comme l’a souligné C. Maslo (Paris), le patient ne doit pas être isolé face à un traitement souvent contraignant aux effets secondaires nombreux, avec notamment un retentissement métabolique et morphotypique important (lipodystrophie). Les progrès thérapeutiques d’une part, une meilleure appréciation et une meilleure connaissance des attentes et des besoins du patient d’autre part devraient contribuer à améliorer sa prise en charge globale, et, comme l’a rappelé J. Reynes (Montpellier), devraient aider la personne touchée “à mieux vivre avec...”. J. Fabre, M. Segondy, Montpellier CV : charge virale ; HAART : highly active antiretroviral therapy (traitement rétroviral hautement actif) ; INNRT : inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse ; IP : inhibiteurs de protéase. PLACE DU PATIENT DANS L’OPTIMISATION DE LA PRISE D’UN TRAITEMENT ANTIRÉTROVIRAL L’intérêt et le développement des études sur l’observance se justifient par la fréquence de la non-observance (toutes pathologies confondues) et par ses conséquences sur l’efficacité thérapeutique. M. Morin (Marseille) a développé l’intérêt, les objectifs et les méthodes d’évaluation de l’observance. L’observance est une variable mesurable que l’on peut optimiser 222 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 5 - mai 1999