I Les dernières recommandations

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I
N T E R V I E W
Traitement de première ligne dans le VIH :
les Américains recommandent la puissance d’emblée
●
Interview de P. M. Girard*
Les dernières
recommandations
américaines
ne préconisent
l’introduction
formelle
d’un traitement
antirétroviral
que chez les patients
symptomatiques
ou ayant moins
de 200 CD4/mm3.
Chez les patients
dont le taux de CD4
est compris
entre 200
et 350 CD4/mm3,
l’introduction
d’un traitement
est toujours sujette
à controverse.
Qu’en pensez-vous ?
* Service des maladies
infectieuses et tropicales,
hôpital Saint-Antoine,
75571 Paris Cedex.
64
au-dessus de 350 CD4/mm3, à la fois en
termes de mortalité et de morbidité. L’essai SMART, qui a pour objectif de définir
l’indication au traitement chez des
patients pour lesquels on recommande
aujourd’hui l’abstention thérapeutique,
sera probablement un élément majeur de
cette évolution, mais les résultats ne seront
disponibles que dans plusieurs années.
Un dernier argument qui, à mon sens,
plaide en faveur d’une indication plus large
au traitement antirétroviral est le “risque
épidémiologique”. En effet, face à une
maladie infectieuse d’origine virale, avec
réplication virale active, les objectifs de
santé publique conduisent à réduire au
maximum la réplication virale afin de diminuer le risque de transmission du virus ; il
est important de s’en souvenir.
Pour conclure, je dirai que l’indication à
l’instauration d’un traitement restera sujette
à controverse tant qu’elle ne sera pas évaluée par des essais thérapeutiques validés.
Dans l’attente de tels essais, je traite en pratique tous mes patients à moins de
350 CD4/mm3, en tenant particulièrement
compte de l’évolution du taux de CD4, mais
aussi de la charge virale. Les recommandations actuelles ne doivent pas être considérées comme un carcan : à titre d’exemple,
je n’hésite pas à proposer un traitement aux
patients dits “à taux de CD4 élevés” dont le
suivi montre une évolutivité de l’infection.
Il est important de rappeler le contexte dans
lequel sont établies les
recommandations.
Les recommandations d’indications thérapeutiques,
qu’elles soient américaines,
anglaises ou françaises, ne sont
jamais fondées sur un essai thérapeutique. Cela les rend d’emblée sujettes à
caution. Rappelons que le dernier essai thérapeutique qui s’est intéressé à l’indication
de traitement antirétroviral était l’essai
CONCORDE, à la fin des années 1980.
En pratique, les experts se fondent sur un
certain nombre d’arguments qui sont la
puissance antirétrovirale des molécules,
leur capacité de restauration immunitaire,
leur profil de tolérance, mais aussi leur
coût et leurs contraintes. Au-delà de ces
arguments, les experts s’appuient sur les
résultats du suivi de cohortes de patients
traités et non traités pour définir un point
de repère qui décide de l’indication ou non
du traitement. Ainsi, quelques grandes
études de cohorte américaines, européennes ou anglaises ont amené, ces dernières années, la communauté scientifique
à penser, un peu vite à mon sens, qu’il fallait traiter le plus tard possible et en se
basant quasi exclusivement sur le taux des
CD4. Les résultats de suivi ne sont qu’une
base statistique dans des populations données, et rappelons que l’absence de différence dans un suivi de cohorte n’autorise
pas à exclure un effet positif du traitement.
Les cohortes ne distinguent généralement
pas la diversité des patients qui les constituent. Ces cohortes sont basées sur les premières trithérapies, alors que l’efficacité,
la tolérance et, plus généralement, le
“confort” des traitements actuellement disponibles se sont améliorés. En somme, le
progrès thérapeutique, avec des traitements plus simples et plus puissants, va
peser en faveur d’indications plus larges
au traitement.
Concernant les recommandations
actuelles, je pense qu’elles sont néanmoins indispensables et raisonnables,
même s’il faut les considérer comme
labiles. En effet, elles ne peuvent qu’évoluer avec le temps à la mesure des résultats de nouvelles études. Déjà, la cohorte
suisse (Milos Opravil), publiée en 2002,
montre que l’on a tout intérêt à traiter
L’introduction
plus tardive
d’un traitement
antirétroviral
peut-elle conduire
à modifier
les choix
thérapeutiques
de première ligne ?
A fortiori parce que
l’instauration est tardive,
il faut choisir un traitement
très efficace sur le plan virologique. Il s’agit là d’un
prérequis qui ne peut plus
être discuté. En effet, les traitements suboptimaux n’ont
plus leur place aujourd’hui, non seulement
parce qu’ils ne sont pas assez puissants,
mais surtout parce qu’ils exposent à des
problèmes de résistance. La très grande
efficacité de certains traitements actuels
ne permet plus de justifier l’utilité
d’autres, moins efficaces. De la même
manière, il n’y a pas de logique à “séquencer” le traitement en réservant les molécules les plus efficaces en cas d’échec thérapeutique d’un premier traitement
insuffisamment efficace. Je pense qu’il
faut définitivement arrêter ce type de raisonnement.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 2 - mars-avril 2004
I
Les deux régimes
recommandés
préférentiellement
chez le patient naïf
sont l’association
de deux inhibiteurs
nucléosidiques
de la transcriptase
inverse (INTI)
à l’efavirenz
ou au
lopinavir/ritonavir.
Qu’en pensez-vous ?
Ces thérapies
doivent-elles être
modulées
en fonction
des caractéristiques
des patients ?
Aucune donnée solide
actuelle ne permet de
conclure à la supériorité
de l’une ou l’autre de ces trithérapies. En revanche, en
fonction du type de combinaison thérapeutique, ces
traitements peuvent différer
sur quelques particularités.
Ainsi, les inhibiteurs non nucléosidiques
de la transcriptase inverse (INNTI) l’emportent actuellement en termes de confort
du traitement. Les inhibiteurs de protéase
(IP) l’emportent en ce qui concerne le
risque d’induction de mutations de résistance, c'est-à-dire qu’ils ont plus de
chances de préserver l’efficacité d’un traitement de deuxième ligne en cas d’échec
virologique. Concernant les effets indésirables, on peut dire que les problèmes sont
partagés et de nature différente entre IP et
INNTI.
Considérant plus particulièrement les
combinaisons thérapeutiques citées dans
les recommandations américaines, l’efavirenz est le seul INNTI que je prescrive
en première ligne thérapeutique. L’association lopinavir/ritonavir, appartenant à
la classe des IP, a toute sa place en première intention. Elle a sur les autres IP
l’avantage d’une efficacité indiscutable et,
surtout, son intérêt majeur réside dans
l’absence de mutations de résistance à
cinq ans. Cela dit, d’autres molécules antirétrovirales aujourd’hui disponibles au
sein de l’arsenal thérapeutique conservent
encore une place, soit qu’elles n’aient pas
démérité, soit qu’elles soient moins
chères, soit qu’elles aient l’avantage du
recul clinique.
Je pense qu’il est extrêmement difficile
de faire le “Gault et Millaut” des trithérapies antirétrovirales, car tout n’a pas été
comparé, notamment efavirenz versus
lopinavir/ritonavir.
Les recommandations doivent être modulées en fonction des caractéristiques du
patient que sont sa capacité à observer un
traitement, sa fragilité psychologique, ses
facteurs de risque cardiovasculaires, une
éventuelle dyslipidémie initiale, un diabète, etc. Malheureusement, la relation
entre troubles cardiovasculaires et lopinavir/ritonavir demeure mal documentée
dans l’attente d’autres études cliniques, y
compris d’approche observationnelle sur
le long terme.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 2 - mars-avril 2004
Les
recommandations
américaines
placent en retrait
les trithérapies
comportant
trois analogues
nucléosidiques
et ne font
pas une large place
au schéma
once a day.
Quel est votre avis ?
N T E R V I E W
Les trithérapies nucléosidiques ne doivent à mon
sens plus être proposées en
première ligne thérapeutique.
Elles ont aujourd’hui une place
limitée, ce qui est facile à comprendre. Fondamentalement,
pourquoi prescrire trois molécules agissant sur une même cible
virale, alors qu’il existe des molécules dont
les sites d’action sont différents ? Cliniquement, des essais ont montré que les trithérapies nucléosidiques avaient une efficacité antivirale moindre. Or, en première ligne
thérapeutique, il ne peut pas y avoir de compromis sur l’efficacité au nom de la simplicité. Bien entendu, ce discours est fondé sur
le contexte actuel de 2003. L’avenir thérapeutique permettra peut-être d’infléchir cette
position, grâce notamment à la puissance de
deuxièmes lignes qui rattraperaient aisément
la première.
La notion selon laquelle l’efficacité antirétrovirale liée à l’observance d’un traitement pris une fois par jour est supérieure
à celle d’un traitement pris deux fois par
jour est une notion intuitive. On n’en a
pas, aujourd’hui, de preuve scientifique.
Dans le concept du once a day, c’est la
demi-vie longue qui est l’élément important, car il nous faut des régimes qui puissent tolérer une mauvaise observance.
Si le once a day veut avoir une place prioritaire en première ligne thérapeutique, il faudra
la justifier par des essais comparant son efficacité à celle de combinaisons en deux prises
par jour, ce qui n’existe pas actuellement.
En pratique, l’utilisation du once a day
prend tout son intérêt dans certains contextes,
notamment en Afrique, comme l’ont montré les résultats d’un essai ANRS/IMEA
conduit à Dakar par R. Landman et al.
En quoi
ces recommandations
Visiblement, tout est une
question de décalage dans le
sont-elles différentes
temps entre les recommandations
des recommandations
françaises, qui datent de 2002,
françaises
et les guidelinesaméricaines,
pour l’instauration
parues en 2003. De ce fait, les
de la première ligne
recommandations françaises ont
thérapeutique ? vieilli (déjà !).
Les Américains ont ainsi pu tenir compte
de données récentes sur les trithérapies
nucléosidiques, notamment celles de
l’ACTG A5095 parues en mars 2003, de
même qu’ils ont intégré les excellents
résultats du lopinavir/ritonavir à long terme
et son absence d’induction de mutations de
résistance. Enfin, ils ont aussi hiérarchisé
efavirenz et névirapine. Ces modifications
sont légitimes, et je les approuve.
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