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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 2 - mars-avril 2004
INTERVIEW
au-dessus de 350 CD4/mm
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, à la fois en
termes de mortalité et de morbidité. L’es-
sai SMART, qui a pour objectif de définir
l’indication au traitement chez des
patients pour lesquels on recommande
aujourd’hui l’abstention thérapeutique,
sera probablement un élément majeur de
cette évolution, mais les résultats ne seront
disponibles que dans plusieurs années.
Un dernier argument qui, à mon sens,
plaide en faveur d’une indication plus large
au traitement antirétroviral est le “risque
épidémiologique”. En effet, face à une
maladie infectieuse d’origine virale, avec
réplication virale active, les objectifs de
santé publique conduisent à réduire au
maximum la réplication virale afin de dimi-
nuer le risque de transmission du virus ; il
est important de s’en souvenir.
Pour conclure, je dirai que l’indication à
l’instauration d’un traitement restera sujette
à controverse tant qu’elle ne sera pas éva-
luée par des essais thérapeutiques validés.
Dans l’attente de tels essais, je traite en pra-
tique tous mes patients à moins de
350 CD4/mm
3
, en tenant particulièrement
compte de l’évolution du taux de CD4, mais
aussi de la charge virale. Les recomman-
dations actuelles ne doivent pas être consi-
dérées comme un carcan : à titre d’exemple,
je n’hésite pas à proposer un traitement aux
patients dits “à taux de CD4 élevés” dont le
suivi montre une évolutivité de l’infection.
Afortiori parce que
l’instauration est tardive,
il faut choisir un traitement
très efficace sur le plan viro-
logique. Il s’agit là d’un
prérequis qui ne peut plus
être discuté. En effet, les trai-
tements suboptimaux n’ont
plus leur place aujourd’hui, non seulement
parce qu’ils ne sont pas assez puissants,
mais surtout parce qu’ils exposent à des
problèmes de résistance. La très grande
efficacité de certains traitements actuels
ne permet plus de justifier l’utilité
d’autres, moins efficaces. De la même
manière, il n’y a pas de logique à “séquen-
cer” le traitement en réservant les molé-
cules les plus efficaces en cas d’échec thé-
rapeutique d’un premier traitement
insuffisamment efficace. Je pense qu’il
faut définitivement arrêter ce type de rai-
sonnement.
Les dernières
recommandations
américaines
ne préconisent
l’introduction
formelle
d’un traitement
antirétroviral
que chez les patients
symptomatiques
ou ayant moins
de 200 CD4/mm3.
Chez les patients
dont le taux de CD4
est compris
entre 200
et 350 CD4/mm3,
l’introduction
d’un traitement
est toujours sujette
à controverse.
Qu’en pensez-vous ?
Il est important de rap-
peler le contexte dans
lequel sont établies les
recommandations.
Les recommandations d’in-
dications thérapeutiques,
qu’elles soient américaines,
anglaises ou françaises, ne sont
jamais fondées sur un essai théra-
peutique. Cela les rend d’emblée sujettes à
caution. Rappelons que le dernier essai thé-
rapeutique qui s’est intéressé à l’indication
de traitement antirétroviral était l’essai
CONCORDE, à la fin des années 1980.
En pratique, les experts se fondent sur un
certain nombre d’arguments qui sont la
puissance antirétrovirale des molécules,
leur capacité de restauration immunitaire,
leur profil de tolérance, mais aussi leur
coût et leurs contraintes. Au-delà de ces
arguments, les experts s’appuient sur les
résultats du suivi de cohortes de patients
traités et non traités pour définir un point
de repère qui décide de l’indication ou non
du traitement. Ainsi, quelques grandes
études de cohorte américaines, euro-
péennes ou anglaises ont amené, ces der-
nières années, la communauté scientifique
à penser, un peu vite à mon sens, qu’il fal-
lait traiter le plus tard possible et en se
basant quasi exclusivement sur le taux des
CD4. Les résultats de suivi ne sont qu’une
base statistique dans des populations don-
nées, et rappelons que l’absence de diffé-
rence dans un suivi de cohorte n’autorise
pas à exclure un effet positif du traitement.
Les cohortes ne distinguent généralement
pas la diversité des patients qui les consti-
tuent. Ces cohortes sont basées sur les pre-
mières trithérapies, alors que l’efficacité,
la tolérance et, plus généralement, le
“confort” des traitements actuellement dis-
ponibles se sont améliorés. En somme, le
progrès thérapeutique, avec des traite-
ments plus simples et plus puissants, va
peser en faveur d’indications plus larges
au traitement.
Concernant les recommandations
actuelles, je pense qu’elles sont néan-
moins indispensables et raisonnables,
même s’il faut les considérer comme
labiles. En effet, elles ne peuvent qu’évo-
luer avec le temps à la mesure des résul-
tats de nouvelles études. Déjà, la cohorte
suisse (Milos Opravil), publiée en 2002,
montre que l’on a tout intérêt à traiter
Traitement de première ligne dans le VIH :
les Américains recommandent la puissance d’emblée
Interview de P. M. Girard*
* Service des maladies
infectieuses et tropicales,
hôpital Saint-Antoine,
75571 Paris Cedex.
L’introduction
plus tardive
d’un traitement
antirétroviral
peut-elle conduire
à modifier
les choix
thérapeutiques
de première ligne ?
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 2 - mars-avril 2004
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INTERVIEW
Aucune donnée solide
actuelle ne permet de
conclure à la supériorité
de l’une ou l’autre de ces tri-
thérapies. En revanche, en
fonction du type de com-
binaison thérapeutique, ces
traitements peuvent différer
sur quelques particularités.
Ainsi, les inhibiteurs non nucléosidiques
de la transcriptase inverse (INNTI) l’em-
portent actuellement en termes de confort
du traitement. Les inhibiteurs de protéase
(IP) l’emportent en ce qui concerne le
risque d’induction de mutations de résis-
tance, c'est-à-dire qu’ils ont plus de
chances de préserver l’efficacité d’un trai-
tement de deuxième ligne en cas d’échec
virologique. Concernant les effets indési-
rables, on peut dire que les problèmes sont
partagés et de nature différente entre IP et
INNTI.
Considérant plus particulièrement les
combinaisons thérapeutiques citées dans
les recommandations américaines, l’efa-
virenz est le seul INNTI que je prescrive
en première ligne thérapeutique. L’asso-
ciation lopinavir/ritonavir, appartenant à
la classe des IP, a toute sa place en pre-
mière intention. Elle a sur les autres IP
l’avantage d’une efficacité indiscutable et,
surtout, son intérêt majeur réside dans
l’absence de mutations de résistance à
cinq ans. Cela dit, d’autres molécules anti-
rétrovirales aujourd’hui disponibles au
sein de l’arsenal thérapeutique conservent
encore une place, soit qu’elles n’aient pas
démérité, soit qu’elles soient moins
chères, soit qu’elles aient l’avantage du
recul clinique.
Je pense qu’il est extrêmement difficile
de faire le “Gault et Millaut” des trithé-
rapies antirétrovirales, car tout n’a pas été
comparé, notamment efavirenz versus
lopinavir/ritonavir.
Les recommandations doivent être modu-
lées en fonction des caractéristiques du
patient que sont sa capacité à observer un
traitement, sa fragilité psychologique, ses
facteurs de risque cardiovasculaires, une
éventuelle dyslipidémie initiale, un dia-
bète, etc. Malheureusement, la relation
entre troubles cardiovasculaires et lopi-
navir/ritonavir demeure mal documentée
dans l’attente d’autres études cliniques, y
compris d’approche observationnelle sur
le long terme.
Les trithérapies nucléosi-
diques ne doivent à mon
sens plus être proposées en
première ligne thérapeutique.
Elles ont aujourd’hui une place
limitée, ce qui est facile à com-
prendre. Fondamentalement,
pourquoi prescrire trois molé-
cules agissant sur une même cible
virale, alors qu’il existe des molécules dont
les sites d’action sont différents ? Clinique-
ment, des essais ont montré que les trithéra-
pies nucléosidiques avaient une efficacité anti-
virale moindre. Or, en première ligne
thérapeutique, il ne peut pas y avoir de com-
promis sur l’efficacité au nom de la simpli-
cité. Bien entendu, ce discours est fondé sur
le contexte actuel de 2003. L’avenir théra-
peutique permettra peut-être d’infléchir cette
position, grâce notamment à la puissance de
deuxièmes lignes qui rattraperaient aisément
la première.
La notion selon laquelle l’efficacité anti-
rétrovirale liée à l’observance d’un traite-
ment pris une fois par jour est supérieure
à celle d’un traitement pris deux fois par
jour est une notion intuitive. On n’en a
pas, aujourd’hui, de preuve scientifique.
Dans le concept du once a day, c’est la
demi-vie longue qui est l’élément impor-
tant, car il nous faut des régimes qui puis-
sent tolérer une mauvaise observance.
Si le once a day veut avoir une place priori-
taire en première ligne thérapeutique, il faudra
la justifier par des essais comparant son effi-
cacité à celle de combinaisons en deux prises
par jour, ce qui n’existe pas actuellement.
En pratique, l’utilisation du once a day
prend tout son intérêt dans certains contextes,
notamment en Afrique, comme l’ont mon-
tré les résultats d’un essai ANRS/IMEA
conduit à Dakar par R. Landman et al.
Visiblement, tout est une
question de décalage dans le
temps entre les recommandations
françaises, qui datent de 2002,
et les guidelines américaines,
parues en 2003. De ce fait, les
recommandations françaises ont
vieilli (déjà !).
Les Américains ont ainsi pu tenir compte
de données récentes sur les trithérapies
nucléosidiques, notamment celles de
l’ACTG A5095 parues en mars 2003, de
même qu’ils ont intégré les excellents
résultats du lopinavir/ritonavir à long terme
et son absence d’induction de mutations de
résistance. Enfin, ils ont aussi hiérarchisé
efavirenz et névirapine. Ces modifications
sont légitimes, et je les approuve.
Les deux régimes
recommandés
préférentiellement
chez le patient naïf
sont l’association
de deux inhibiteurs
nucléosidiques
de la transcriptase
inverse (INTI)
à l’efavirenz
ou au
lopinavir/ritonavir.
Qu’en pensez-vous ?
Ces thérapies
doivent-elles être
modulées
en fonction
des caractéristiques
des patients ?
Les
recommandations
américaines
placent en retrait
les trithérapies
comportant
trois analogues
nucléosidiques
et ne font
pas une large place
au schéma
once a day.
Quel est votre avis ?
En quoi
ces recommandations
sont-elles différentes
des recommandations
françaises
pour l’instauration
de la première ligne
thérapeutique ?
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