Nouvelles approches Nou velles approc hes

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Implication de la prolactine dans les pathologies
mammaires humaines
Prolactin involvement in human mammary diseases
C. Manhès*, D. Piwnica*, C. Mestayer, V. Goffin*, P. Touraine*, **
points FORTS
▲ La prolactine est une hormone hypophysaire impliquée dans de multiples fonctions de l’organisme,
mais dont les actions dominantes concernent le
contrôle du développement de la glande mammaire,
la lactation et la reproduction.
▲ L’implication de la prolactine dans la tumorogenèse
mammaire est parfaitement reconnue dans les modèles animaux, et plus controversée chez la femme.
▲ Peu d’études méthodologiquement bien menées
sont à notre disposition pour suggérer la présence
ou l’absence d’association entre taux de prolactine
et risque de cancer du sein mais aussi de récidive.
▲ Une étude épidémiologique portant sur le suivi de
près de 40 000 femmes a retrouvé un risque double
de cancer du sein chez les femmes présentant un
taux de prolactine à la limite supérieure de la normale, comparativement à celles avec un taux dans
la limite inférieure.
▲ La prolactine est synthétisée également dans le sein
sans que l’on connaisse précisément les mécanismes
régulateurs du contrôle de l’expression de son gène
dans ce tissu.
▲ La prolactine d’origine mammaire aurait un rôle
autocrine/paracrine, participant ainsi au processus
de prolifération cellulaire mammaire.
▲ Dans certaines conditions expérimentales, la prolactine peut être clivée en certains fragments aux
activités antiangiogéniques, donc antiprolifératives,
contrairement à la protéine complète.
▲ La surexpression du récepteur de la prolactine dans
les tumeurs mammaires laisse supposer une sensibilité sans doute plus importante de ces cellules
cancéreuses au signal hormonal.
▲ Des travaux expérimentaux sont en cours pour mieux
analyser le rôle de la prolactine intramammaire, son
action autocrine et sa freination par des molécules
spécifiques.
▲ Des phénotypes mammaires humains doivent être
individualisés, susceptibles de correspondre à des
anomalies génétiques spécifiques de la prolactine
et/ou de son récepteur.
L
a prolactine (PRL), hormone de la lactation par
excellence, reste encore mal connue dans ses diverses
actions biologiques. Autant, chez le rongeur ou dans
les espèces dites inférieures, plus de 300 fonctions lui
sont attribuables (1), autant, chez l’humain, son implication dans diverses pathologies reste mal cernée. Cela tient
au fait qu’aucune anomalie génétique de la PRL et/ou de
son récepteur n’a été à ce jour individualisée et associée
à un phénotype particulier laissant supposer une action
précise de la PRL. On peut cependant penser que, du fait
de l’action reconnue de la PRL sur la lactation mais aussi
sur le développement de la glande mammaire, c’est dans
les pathologies mammaires humaines, malignes et bénignes,
que son rôle devrait être mieux disséqué et compris.
Nouvelles approches
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Prolactine et cancer du sein
La place que prennent diverses hormones dans la cancérogenèse mammaire est indéniable. Les facteurs hormonaux
ont été décrits depuis très longtemps comme associés au
cancer du sein. Les estrogènes exerceraient un rôle plutôt
promoteur qu’initiateur sur la cancérogenèse mammaire.
Le rôle de la progestérone dans le cancer du sein est
actuellement assez mal défini, avec toujours une controverse sur son rôle synergique ou, au contraire, antagoniste de l’estradiol. Autant les données sur l’implication
de la PRL dans la tumorogenèse mammaire chez le rongeur sont assez concluantes, autant, chez l’homme, elles
restent plus controversées.
D’une façon générale, la plupart des études cliniques sont
décevantes et peu concluantes. En effet, bien que de
nombreuses études cliniques aient eu pour but de définir
la relation entre taux de PRL, incidence et pronostic du
cancer, aucune conclusion claire, générale ou définitive
n’a pu être, à ce jour, proposée.
Taux de prolactine et cancer du sein
La plupart des études n’ont pas retrouvé d’augmentation de
ce taux chez les patientes présentant un cancer du sein (2),
même si d’autres notaient un taux en moyenne plus élevé,
* Inserm U584, faculté de médecine Necker, Paris.
** Service d’endocrinologie et médecine de la reproduction, hôpital Necker, Paris.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
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le plus souvent proche de 20 ng/ml, soit 30 % de plus que
la population contrôle. Le taux de PRL mesuré à distance
de la cure chirurgicale du cancer du sein a aussi été évalué comme marqueur de pronostic. Ainsi, un taux haut a
été associé négativement avec le pronostic des patientes
(3), même si l’inverse a aussi été retrouvé. Il n’y a pas de
corrélation claire avec le statut ganglionnaire ni avec la
taille de la tumeur, mais il y en a une, pour certains, avec
le grade tumoral.
Néanmoins, plusieurs aspects de ces études sont critiquables. Une des limites majeures à une telle recherche
de corrélation est le fait que le taux de PRL augmente
sous l’effet du stress, allant jusqu’à 40-50 ng/ml dans ce
contexte ; or, le stress est majeur lors du diagnostic de
cancer du sein, ou lors de la simple pose d’un cathéter.
La mastectomie constitue en outre un geste chirurgical à
l’origine d’une rupture de la composante neurogénique et
de ce fait d’une élévation du taux de PRL, comme observée
au cours de la tétée. Le dosage radio-immunologique n’est
par ailleurs pas obligatoirement le reflet de l’activité
fonctionnelle de l’hormone ; on est donc en droit de se
demander si le taux de PRL reflète l’activité mitogène de
cette dernière sur le sein. En outre, les autres paramètres
hormonaux ne sont souvent pas pris en compte. Par
exemple, alors que la GH se lie au récepteur de la prolactine (RPRL) chez l’homme, et peut donc avoir les mêmes
effets, cette hormone est souvent ignorée dans les études
précitées. Enfin, et surtout, l’une des restrictions les plus
nettes concerne le fait que le taux de PRL n’est mesuré
que ponctuellement dans le contexte aigu de découverte
de cancer du sein, sans référence aux taux observés au
cours des années précédentes, pendant la phase cliniquement silencieuse de la cancérogenèse mammaire.
Données épidémiologiques
La corrélation du taux de PRL et du risque de cancer du
sein n’a été évaluée qu’à travers peu d’études. L’une, portant sur un petit nombre de cas (n = 40), n’a pas retrouvé
d’association. L’autre a été réalisée à partir de la cohorte
des infirmières américaines, l’analyse portant sur 337 cas
de cancer du sein (4). L’évaluation du risque de cancer
du sein a été réalisée chez des patientes qui étaient toutes
ménopausées, le taux de PRL analysé étant classé en
quatre sous-groupes : inférieur à 6,4 ng/ml ; entre 6,5 et
9,3 ng/ml ; entre 9,4 et 13,7 ng/ml ; supérieur à 13,7 ng/ml.
En analyse multivariée, il a été retrouvé une augmentation du risque relatif pour la population ayant un taux de
PRL supérieur à 13,7 ng/ml, ce risque étant de 2,03 (IC :
1,24-3,31) (tableau). Le plus étonnant dans cette étude
est sans doute que le risque de cancer du sein augmente
avec le taux de PRL, même lorsque celui-ci est dans la
norme (< 15-18 ng/ml), cela suggérant bien une activité
mitogène de la PRL sur le sein normal. Cependant, une
récente étude suédoise cherchant à évaluer de façon pros-
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
pective l’association entre cancer du sein et taux hormonaux n’a pas retrouvé d’association significative entre les
taux de PRL et le risque de cancer du sein, contrairement
à celle retrouvée avec les taux d’estradiol (5).
Tableau. Risque relatif de cancer du sein en fonction du taux
de PRL dans la population de la Nurse Health Study (d’après
Hankinson et al. [4]).
Quartile
1
2
3
4
p
Patients/contrôles 64/124 63/112 79/112
100/103
RR
1,0
1,05
1,45 2,03 (1,24 - 3,31) 0,01
1 : < 6,4 ng/ml ; 2 : 6,5-9,3 ng/ml ; 3 : 9,4-13,7 ng/ml ; 4 : > 13,7 ng/ml.
Hyperprolactinémie et risque de cancer du sein
Une autre façon d’analyser l’implication de la PRL
dans la genèse du cancer du sein chez la femme serait
d’observer le risque à long terme de développer une telle
maladie chez des femmes hyperprolactinémiques non
traitées. Or, le plus souvent, ces patientes sont traitées
soit par bromocriptine, soit par chirurgie hypophysaire,
et, quand elles ne le sont pas, elles reçoivent éventuellement un traitement hormonal séquentiel dont l’action sur
le sein pourrait interférer avec les résultats obtenus. C’est
pourquoi il n’existe pas de données précises concernant
l’association entre les deux pathologies.
Les rares publications font donc plus état de l’association
entre les deux pathologies que de leur relation causale (6).
On peut indirectement en rapprocher le travail de Malarkey
et al., qui ont étudié un cancer du sein provenant d’une
patiente présentant une hyperprolactinémie (7). La multiplication des cellules mammaires tumorales in vitro est
accrue lorsque des concentrations de PRL physiologiques
(20 ng/ml) ou pathologiques, correspondant aux concentrations de PRL plasmatiques de la patiente, soit 200 ng/ml,
sont rajoutées au milieu de culture, ce qui nous conforte dans
l’idée que la PRL et les situations d’hyperprolactinémie
peuvent être associées au cancer du sein chez la femme.
Enfin, la mise en évidence de cancers du sein chez
l’homme dans un contexte d’hyperprolactinémie pourrait
sans doute, plus que chez la femme, laisser penser à un
possible rôle direct de la PRL en cancérogenèse mammaire humaine.
Les essais thérapeutiques
Ils sont peu nombreux et peu concluants, en ce sens que,
dans le cadre des protocoles proposés, la bromocriptine
se révèle inefficace. Chez des patientes ménopausées présentant un cancer avancé, l’administration de L-Dopa
s’est révélée sans résultat, puisque aucune des 40 patientes
traitées n’a présenté de rémission, même partielle. La
bromocriptine ne s’est pas révélée différente du placebo
lorsque rajoutée au tamoxifène, dans le cadre d’une étude
en double aveugle. Divers essais utilisant différentes hormonothérapies ont été réalisés. La bromocriptine comme
la somatostatine (inhibiteur de la synthèse de la GH) se
sont révélées extrêmement décevantes (8). La bromocriptine donnée à des patientes avec cancer du sein, normoou hyperprolactinémiques, s’avère aussi inefficace à long
terme, même si elle réduit logiquement le taux de PRL,
en cas d’hyperprolactinémie.
Il est néanmoins vrai que la bromocriptine a été proposée
comme traitement adjuvant en périopératoire, chez des
patientes devant subir une mastectomie, avec comme
résultat une diminution du pool des cellules cancéreuses
en phase S. On peut éventuellement rapprocher de ce
résultat l’effet bénéfique de la bromocriptine sur la configuration en microscopie électronique des cellules mammaires humaines cancéreuses T47D. Enfin, on peut citer
le cas d’une patiente porteuse d’une métastase cérébrale
survenue à distance de son cancer du sein, et qui a complètement régressé sous traitement par bromocriptine seule.
Nous avons donc vu, à travers toutes les études précitées,
que nombre d’arguments cliniques vont à l’encontre d’un
rôle pivot de la PRL dans le processus de cancérogenèse
mammaire humaine. Ainsi, l’inefficacité quasi constante
de la bromocriptine comme traitement adjuvant des cancers du sein a permis à beaucoup de penser que la PRL
doit probablement rester, malgré sa diversité d’action
dans l’organisme, confinée à son rôle dans la lactation,
tout du moins chez l’homme.
Cependant, au cours des dernières années, le rôle éventuel
de la PRL dans le cancer du sein a été complètement
reconsidéré, avec la mise en évidence d’une synthèse de
PRL dans les tissus mammaires, tant chez les rongeurs
que chez l’homme (9).
Synthèse et rôle
de la prolactine intramammaire
La PRL est synthétisée dans bien d’autres tissus que
l’hypophyse, dont le sein. Indirectement, l’existence
d’autres sources de PRL avait été invoquée depuis que
des taux de PRL étaient retrouvés élevés chez des
patientes ayant subi une hypophysectomie dans le cadre
de leur cancer du sein. Il est néanmoins vrai qu’une
hypophysectomie partielle ou une section de tige pituitaire postchirurgicale pourraient expliquer ce résultat.
Plusieurs équipes ont confirmé par la suite la synthèse de
PRL par les cellules mammaires normales ou tumorales.
Chez l’homme, la présence de PRL dans les cellules épithéliales mammaires avait été suggérée par immunocytochimie, grâce à un anticorps dirigé contre la PRL
ovine. L’expression du messager de la PRL dans le sein
n’a été confirmée que plus tard, aussi bien in vitro qu’in
vivo. In vitro, la synthèse de PRL a été caractérisée par
RT-PCR dans des cellules T47D et MCF-7 (10). Cette
synthèse de PRL a également été retrouvée par RT-PCR
dans d’autres lignées cellulaires mammaires, mais aussi
in vivo, sur certaines biopsies mammaires tumorales (11)
(figure 1). Aucune analyse quantitative de l’expression
du messager de la PRL dans le tissu tumoral et le tissu
normal n’a été présentée.
L’hypothèse actuelle est que la PRL autocrine, c’est-à-dire
synthétisée par le tissu mammaire lui-même, joue un rôle
important dans les processus prolifératifs. Le premier
argument expérimental date d’une dizaine d’années,
lorsque l’équipe de B. Vonderhaar démontra que des anticorps neutralisants dirigés contre la PRL étaient capables
de réduire la prolifération de cellules mammaires tumorales in vitro (10). Plus récemment, N. Ben-Jonathan a
RT-PCR
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Tissu tumoral
Tissu normal
Cellules
épithéliales
normales
373 pb
8 patientes
Contrôles
+ –
Figure 1. Expression de la prolactine dans le tissu mammaire humain (d’après Touraine et al. [11]).
Mise en évidence par RT-PCR d’un signal dans le tissu mammaire humain normal ou tumoral ainsi que dans des cellules épithéliales mammaires en culture (à gauche). La sonde utilisée pour la reconnaissance du messager est délimitée par les deux flèches. Chez huit patientes,
l’expression du gène de la PRL a été retrouvée à la fois dans le tissu tumoral et dans le tissu normal.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
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confirmé le rôle mitogénique de la PRL en générant
des lignées de cellules tumorales mammaires humaines
MDA-MB-435 exprimant ou non la PRL (12). Elle a
constaté que l’expression de l’hormone augmente significativement la croissance tumorale, tant in vitro que dans
un modèle de xénogreffe chez des souris immunodéficientes (nudes). Nous avons quant à nous généré des
lignées tumorales mammaires de souris (MMT : Mouse
Mammary Tumor cells) exprimant de manière stable la
hPRL. Nous avons observé, in vitro, que le taux de prolifération des différents clones obtenus dépend de la PRL
qu’ils expriment, à savoir que les clones exprimant la
PRL sauvage prolifèrent plus rapidement que les clones
contrôles (cellules parentales ou transfectées par un plasmide non recombinant) ou ceux exprimant un antagoniste
de la PRL, à action antiproliférative (13). Nous avons
ensuite entamé l’analyse de l’activité proliférative de la
PRL sur ces cellules in vivo. Les cellules MMT ont été
injectées dans des souris sauvages (et non immunodéficientes). Quinze jours après leur inoculation, la taille des
tumeurs détectées varie également en fonction de l’hormone exprimée, ce qui s’avère cohérent avec les taux de
prolifération de ces mêmes clones in vitro. Une première
analyse par Western Blot a permis de corréler l’expression de la PRL à celle du marqueur antiapoptotique,
Bcl-2. Toutes ces données accréditent une potentialité
protumorale de la PRL locale, par un mécanisme autocrine
paracrine.
Une autre manière d’aborder la question est de générer
des souris transgéniques exprimant la PRL de manière
non pas systémique, mais au contraire tissu-spécifique.
Nous avons aussi développé un modèle animal exprimant
la hPRL de manière tissu-spécifique dans la glande mammaire, afin d’évaluer la fonctionnalité de la PRL autocrine in vivo, et quelques observations peuvent d’ores et
déjà être mentionnées. Les analyses de la glande mammaire dans sa globalité (whole mount), classiquement
réalisées sur la quatrième glande, ou encore les coupes
histologiques nous montrent que l’action “physiologique”
de la hPRL locale se répercute dans un hyperdéveloppement du tissu mammaire dès la première lactation. Après
plusieurs gestations, les souris transgéniques rencontrent
des problèmes de reproduction (difficulté de les rendre
gestantes, nombre de petits réduit), suggérant que la surexpression mammaire de hPRL finit par avoir des conséquences qui ne se limitent pas à ce seul tissu.
Expression du récepteur de la prolactine
dans la cellule mammaire
Une des limites à l’évaluation du rôle de la PRL, quelle
qu’en soit l’origine, dans le cancer du sein, a été la
grande divergence dans les résultats obtenus concernant
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
l’expression du RPRL dans la cellule mammaire, alors
même que l’expression du récepteur constitue la condition sine qua non pour statuer sur l’éventuelle action biologique de la PRL sur le sein.
In vivo, l’expression du RPRL a aussi été mesurée sur des
biopsies mammaires humaines cancéreuses. Suivant le
ligand utilisé, le marquage s’est avéré variable : de 10 %
avec de la PRL ovine à 30 % avec de la PRL humaine,
tandis que l’expression était retrouvée beaucoup plus
importante dans une autre étude. Néanmoins, la grande
hétérogénéité des résultats tient beaucoup à la nature du
ligand, et aux méthodes de liaison utilisées suivant les
études.
Avec le développement de techniques de biologie moléculaire, l’expression du messager du RPRL a été retrouvée
dans une proportion de cellules tumorales nettement plus
importante. Par Nothern-Blot, la synthèse de RPRL a été
retrouvée dans plus de 20 lignées cellulaires et 100 biopsies mammaires (14). Par hybridation in situ, l’expression
du RPRL a, là encore, été confirmée, avec une nette prédominance dans les cellules épithéliales tumorales, même
si quelques foyers de cellules stromales étaient aussi marqués. Par PCR quantitative, enfin, nous avons étudié l’expression de son messager chez 25 patientes, de façon
comparative, dans le tissu tumoral et dans le tissu adjacent
(11) (figure 2). Cette méthode de PCR quantitative a été
appliquée avec une grande reproductibilité. Elle nous a
surtout permis de mettre en évidence une expression du
messager du RPRL dans tous les cas, que ce soit dans la
tumeur ou dans le tissu normal. Si les résultats reflètent
bien l’extrême diversité d’une patiente à l’autre, il est
néanmoins frappant de noter que le nombre de molécules
de messager codant pour le RPRL peut être parfois très
bas, à savoir quelques milliers de molécules d’ARNm par
microgramme d’ARN total.
Le point important est qu’il existe toujours une surexpression du messager du RPRL plus importante dans le
Nombre de molécules
,
,
d ARNm/µg d ARN total
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Nouvelles approches
5x106
4x106
Tumeur
3x106
Normal
2x106
1x106
0
Patientes
Figure 2. Expression du récepteur de la prolactine par PCR quantitative dans le tissu mammaire humain normal et tumoral (d’après
Touraine et al., [11]). On observe une expression accrue de l’expression du messager du RPRL dans le tissu tumoral, comparativement au tissu normal, chez les 25 patientes étudiées.
tissu tumoral, bénin ou malin, que dans le tissu normal
adjacent. Ce résultat a aussi été retrouvé dans une autre
étude où l’expression du messager du RPRL a été étudiée
par hybridation in situ. Une des hypothèses que nous
pouvons émettre quant à cette surexpression du messager du RPRL dans le tissu tumoral est qu’elle serait due
à une action biologique, stimulatrice, de la PRL dans ce
tissu. L’hormonodépendance du RPRL (pour la PRL) a
déjà été décrite, que ce soit dans le foie de rat ou la
glande mammaire de lapine ou de rate. Le RPRL est donc
exprimé sur la cellule mammaire, normale ou tumorale,
et son expression pourrait être modulée par la PRL ellemême, cette dernière hypothèse appelant évidemment une
démonstration expérimentale – qui fait défaut aujourd’hui.
La question qui se pose alors est de savoir si cette surexpression observée dans les tissus tumoraux pourrait être
le fait de la PRL hypophysaire et/ou de la PRL synthétisée localement dans le sein. Nous-mêmes avons identifié
cette synthèse par RT-PCR, et, même s’il ne s’agissait
pas d’une analyse quantitative, le signal observé a, le plus
souvent, été retrouvé plus intense dans le tissu tumoral,
comparativement au tissu normal. Nous proposons donc
que l’augmentation de la synthèse locale de PRL dans le
sein tumoral pourrait participer à la surexpression de son
propre récepteur (figure 3). Cette hypothèse a déjà été
validée dans un contexte physiologique où la prolactine
est également élevée, à savoir dans la glande mammaire
de lapine et de rate lactante. Cette surexpression a aussi été
observée chez l’homme, dans un contexte pathologique,
puisque la synthèse du messager du RPRL est augmentée dans les adénomes à PRL.
Cellule normale
Prolactine et angiogenèse tumorale
Un des rôles de la PRL sur le tissu mammaire pourrait
également passer par le contrôle du processus de l’angiogenèse, et donc de la prolifération cellulaire. La prolactine compte de nombreuses isoformes (15), dont l’une est
un fragment N-terminal de 16 kDa, appelé PRL 16K (16).
Ce dernier se caractérise par des propriétés antiangiogéniques, ce qui suscite évidemment un grand intérêt de
la part de la communauté scientifique, non seulement
pour comprendre son mode d’action ou son rôle physiologique potentiel, mais également pour envisager d’éventuelles applications thérapeutiques. Dans ce sens, deux
études très récentes ont montré que des tumeurs de côlon
ou de prostate injectées à des souris immunodéficientes
avaient une croissance fortement limitée en présence de
PRL 16K recombinante, et ces observations ont pu être
corrélées à une densité réduite de vascularisation, confirmant in vivo les propriétés antiangiogéniques préalablement observées in vitro (17).
La PRL 16K résulte de la protéolyse de la PRL mature.
Le mécanisme de protéolyse a été particulièrement étudié
sur l’hormone de rat, et il a été montré que de nombreux
extraits cellulaires de tissus cibles de la PRL, comme la
glande mammaire, le rein ou encore la prostate, pouvaient cliver la PRL et ainsi générer de la PRL 16K.
L’enzyme impliquée dans cette protéolyse a été identifiée
comme étant la cathepsine D, ce qui corrobore l’observation
que la protéolyse ne s’observe, in vitro, qu’à pH acide.
Malgré une littérature désormais assez conséquente sur
Nouvelles approches
Nouvelles approches
Cellule tumorale
PRL
gène hPRL
gène hPRL
PRL
?
Différenciation – prolifération
Augmentation de la prolifération
Figure 3. Hypothèse quant à l’implication de la prolactine dans la cancérogenèse mammaire. Une cellule épithéliale mammaire normale (à
gauche) et tumorale (à droite) est représentée. On peut actuellement suggérer que la cellule tumorale est, compte tenu d’une surexpression du
RPRL, plus sensible à l’action mitogène de la PRL.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
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Nouvelles approches
Nouvelles approches
le sujet, les données concernant une éventuelle PRL 16K
chez l’homme sont encore très fragmentaires. En effet,
bien qu’une protéine immunoréactive pouvant correspondre à un fragment de PRL de quelque 16 kDa ait été
mise en évidence dans le sérum et le liquide amniotique
de femmes enceintes, il a été proposé récemment que la
PRL humaine était résistante à la cathepsine D (18), ce
qui remet en question la réalité physiologique de la
protéolyse et la nature des fragments identifiés. Notre
objectif au laboratoire a donc été de réévaluer la protéolyse in vitro de la prolactine humaine par la cathepsine D,
sans pour autant exclure d’autres candidats. Nous avons
montré que cette protéase était bien capable de cliver
l’hormone humaine en plusieurs fragments N-terminaux
d’une taille voisine de 16 kDa, et leurs propriétés antiangiogéniques ont été démontrées sans équivoque dans
des essais in vitro.
Ces résultats relancent évidemment le débat quant à
l’existence physiologique potentielle de PRL 16K chez
l’homme. Nous cherchons, à présent, à avoir une meilleure
compréhension du mécanisme de protéolyse dans un
contexte cellulaire ou chez l’animal, ce qui devrait nous
permettre d’orienter les études qui apporteront la réponse
ultime à la question posée. Par exemple, nous savons que
le tissu mammaire sécrète de la PRL, et les tumeurs
mammaires sont connues pour également exprimer en
quantité la cathepsine D, protéase candidate à la génération de PRL 16K humaine. Cela nous laisse penser qu’un
éventuel clivage de la PRL locale en fragments N-terminaux
antiangiogéniques pourrait avoir lieu dans un tel contexte
cellulaire. Si l’existence de PRL 16K était confirmée
chez l’homme, notre vision de l’action biologique de la
PRL dans un contexte tumoral devrait sans doute être
revisitée, l’action protumorale de l’hormone entière (voir
plus haut) pouvant alors être contrebalancée par l’action
antiangiogénique, donc potentiellement antitumorale, de
ses fragments protéolytiques N-terminaux. Dans un tel
contexte, la protéolyse de la PRL serait en quelque sorte
un élément régulateur de la fonction résultante de l’hormone. Bien sûr, il ne s’agit là que d’une hypothèse de
travail, pour laquelle tout, ou à peu près, reste à être
démontré.
Prolactine et pathologies mammaires
bénignes
Les pathologies mammaires humaines bénignes regroupent un large éventail de lésions physiopathologiques des
diverses composantes du sein (tissu épithélial, stroma,
adipocytes, vaisseaux, etc.). En 1985, sur la base des
travaux de Dupont et Page, un consensus international de
classification histologique a été adopté. Le concept de
maladie proliférative épithéliale bénigne identifie les
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
caractéristiques histologiques des maladies bénignes
mammaires ayant un potentiel d’évolution vers le cancer
du sein. Trois groupes de maladies bénignes ont ainsi été
déterminés : les lésions non prolifératives, les lésions prolifératives sans atypies cellulaires et les lésions hyperplasiques avec atypies cellulaires.
L’étiologie des maladies bénignes du sein semble être
multifactorielle. Bien que les mécanismes de modifications histologiques mammaires restent mal déterminés,
les facteurs hormonaux semblent jouer un rôle majeur
(19). Au début des années 1980, sur la base à la fois
d’études animales et d’expériences in vitro sur les cellules mammaires bénignes ou malignes, l’hyperestrogénie a été admise comme le déterminant majeur d’une
prolifération cellulaire mammaire excessive. Ainsi, certains dysfonctionnements de la sécrétion ovarienne retentissent sur la glande mammaire et entraînent des modifications morphologiques et histologiques bénignes.
Celles-ci s’observent plus fréquemment à des moments
bien précis de la vie : la période postpubertaire, où l’axe
hypothalamo-hypophysaire n’est pas complètement fonctionnel, la période de préménopause, quand la fonction
ovarienne commence à décliner d’abord aux dépens de
la progestérone, et aussi les périodes pendant lesquelles
certaines femmes présentent des dysovulations, avec
insuffisance lutéale en progestérone et hyperestrogénie
relative. Les estrogènes entraînent d’une part une vasodilatation avec extravasation et œdème interstitiel, et
d’autre part une hyperplasie cellulaire épithéliale et une
hyperplasie du stroma, avec secondairement formation
de fibrose. Le rôle de la progestérone est plus difficile à
évaluer. Par son action antiestrogénique, elle inhiberait la
survenue de l’œdème du tissu interstitiel et permettrait
d’éviter la prolifération cellulaire. En outre, la progestérone induit la formation des acini correspondant à une
différenciation sécrétoire. Un équilibre harmonieux entre
ces deux hormones pourrait éviter l’apparition de ces
pathologies (19). Quant au rôle de la PRL, il n’a été, à
ce jour, que peu étudié. L’hypothèse que nous pouvons
émettre est que la PRL, exerçant un rôle au cours du développement mammaire, notamment à la puberté, pourrait
être impliquée, à travers des anomalies de son gène et/ou
de son récepteur et/ou de sa voie de signalisation, dans
des processus dystrophiques mammaires. Il nous semble
en tout cas opportun de focaliser notre attention sur des
phénotypes mammaires particuliers susceptibles d’être
associés à de telles anomalies.
Conclusion
Depuis moins de cinq ans, les données concernant le rôle
de la PRL dans le tissu mammaire ont considérablement
évolué. À travers l’exemple du cancer du sein, c’est une
invitation à attribuer un rôle aux hormones synthétisées
localement qui se présente. Dans ce cas, la mise en évidence d’une synthèse locale de PRL, avec potentiellement l’induction d’une surexpression de son récepteur
dans les tumeurs mammaires, renforce la possibilité
d’une action autocrine/paracrine de la PRL. Enfin, la
capacité de la PRL à être clivée en de multiples fragments, dont certains pourraient être dotés de propriétés
antiangiogéniques, ouvre de nouvelles voies de recherche
prometteuses. Cependant, il apparaît incontournable
aujourd’hui de pouvoir définir un phénotype humain spécifique d’une anomalie de la prolactine et/ou de son
récepteur, justifiant la poursuite de travaux de recherche
clinique et expérimentale.
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 4-5, juillet/octobre 2004
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