É D I T O R I A L Intérêt des rhumatologues libéraux à s’impliquer dans un “réseau rhumatologique” Why rheumatologists have to be partners in health networks ● P. Monod*, V. Diebolt** DÉFI ET NÉCESSITÉ Défi Le réseau est une “nouvelle” forme d’organisation professionnelle qui tend à rompre avec l’exercice individuel de la médecine. Il représente une réflexion sur la réponse professionnelle à la prise en charge d’une pathologie. Spécialiste d’organe (l’appareil locomoteur), le rhumatologue doit de plus en plus s’affirmer comme le spécialiste de pathologies telles que l’ostéoporose, la polyarthrite rhumatoïde, les spondylarthropathies, les lombalgies, l’arthrose... Définir la rhumatologie est un défi que le réseau va aider à relever Le réseau passe par l’affirmation d’un champ de compétences. En organisant la prise en charge rationnelle des pathologies, nous conquérons nos territoires. Le réseau évitera le risque d’une fracture dans la définition de la rhumatologie qui séparerait la rhumatologie hospitalière, cantonnée à l’inflammatoire, et la rhumatologie de ville, réservée aux pathologies dites mécaniques. À terme, le réseau permettra d’accéder à des structures difficiles ou impossibles à développer en cabinet libéral et de disposer de moyens innovants, en particulier par : ✓ la mise en commun des investissements en matériel entre les établissements publics et le privé (ondes de choc, IRM dédiées, arthroscopies...) ; ✓ le travail en équipe, dans lequel les compétences personnelles peuvent se développer et s’appliquer (rhumatologie interventionnelle, imagerie...) ; ✓ l’accès aux nouveaux examens de biologie et d’imagerie, aux thérapeutiques en cours de développement, avec une couverture partagée du risque professionnel ; ✓ la participation à des protocoles thérapeutiques, à des campagnes de prévention et d’information, à la formation des confrères et des personnels paramédicaux. * Président du Syndicat national des rhumatologues. ** Secrétaire général du Syndicat national des rhumatologues. La Lettre du Rhumatologue - n° 295 - octobre 2003 Il nous faut construire des réseaux rhumatologiques avant d’envisager des réseaux pluridisciplinaires. N’attendons pas qu’“on” nous construise des réseaux dans lesquels nous ne nous reconnaîtrions pas. Nécessité Notre profession doit se structurer, s’organiser pour apporter une réponse à la désorganisation actuelle du système de santé, aujourd’hui dans une impasse. En dehors des associations de patients, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour défendre et promouvoir la rhumatologie. Si nous ne sommes pas présents, encore une fois, les structures se mettront en place sans nous. Différentes projections sur le système de santé de demain ne laissent pas de place pour la rhumatologie de ville. Notre meilleure défense est l’attaque : nous ne manquons pas d’atouts. Le réseau en est un. Le réseau est une réponse stratégique à un dysfonctionnement constaté par l’ensemble des acteurs. DÉFINITION DES RÉSEAUX J. Sibilia (dans le supplément au n° 293 de juin 2003 à La Lettre du Rhumatologue) a bien défini le cadre légal des réseaux, et en avait auparavant précisé la définition. Nous ne reviendrons donc pas sur la définition donnée dans la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner. On nous autorisera une définition plus professionnelle, plus libérale. On peut définir le réseau comme l’organisation autour d’un outil et une dynamique de professionnels dans une trajectoire commune. D’emblée, soulignons que les réseaux ne sont pas une fin en soi ; le risque est grand d’une dérive technocratique, “bureaucratique”. Le réseau est un élément qui participe à la gestion du risque, qui consiste à rationaliser la gestion d’une maladie. L’impasse du système de santé actuel légitime la place de premier plan que doivent retrouver les professionnels de santé, qu’ils soient libéraux ou hospitaliers publics. Un réseau est avant tout 3 É D I T O R I A L constitué par des professionnels de santé autour de leurs patients. C’est une lapalissade, mais le reste n’est qu’intendance ; si nous sommes bien organisés, si nous prouvons que nos patients ne connaissent pas de murs entre l’hôpital et la ville, mais ne connaissent que des médecins, l’intendance sera obligée de suivre. CONDITIONS DE RÉUSSITE Quelles sont les conditions de réussite d’un réseau ? Modestie, consensus, transparence, maîtrise de l’information et temps nous semblent les éléments essentiels. Modestie : les objectifs du réseau doivent être clairs et simples. Un réseau naît souvent d’un père fondateur qui fédère un petit groupe d’énergies autour d’un projet bien défini et réaliste. Consensus : un réseau ne se décrète pas ; tout acteur doit y trouver un intérêt et pouvoir apporter sa pierre à l’édifice. Une véritable charte doit être signée entre les membres du réseau. Transparence et évaluation : les règles du jeu doivent être clairement définies et une structure ou un groupe d’acteurs ne doivent pas jouer un rôle qui déséquilibrerait l’offre de soins, source de conflit entre les professionnels de santé, ce qui n’est pas toujours simple lorsque des libéraux adhérents individuels travaillent avec des structures très organisées et souvent fortement hiérarchisées. L’évaluation doit se faire à toutes les étapes du réseau et être un souci permanent afin qu’on ne fasse pas du réseau pour du réseau, mais bien dans une politique d’optimisation des pratiques et de service rendu au patient, ainsi qu’au praticien. Maîtrise de l’information : c’est à la profession et à la profession seule de maîtriser le réseau. Le réseau, quelles que soient ses sources de financement, ne doit pas appartenir à un opérateur extérieur, au risque de se retrouver en situation d’“OPA” de la part d’un acheteur avisé, comme on a pu le voir dans le système des HMO aux États-Unis. Enfin, le facteur temps est essentiel : il faut être lucide, l’élaboration d’un réseau demande de nombreuses années. Il s’agit d’une révolution à la fois culturelle et structurelle ; il convient donc de savoir ne pas brûler les étapes. UN EXEMPLE VÉCU DE CONSTITUTION D’UN RÉSEAU : LE RÉSEAU PR-LR Trois acteurs, trois partenaires principaux : le groupe de rhumatologues (le promoteur), l’URML (l’intendance), l’évaluateur (le metteur en scène). 4 Les promoteurs du projet Un groupe de rhumatologues libéraux et hospitaliers s’est mis en place pour discuter, de façon approfondie et sans tabou, des principes du réseau, des bénéfices et des difficultés pressenties. Cette phase initiale est essentielle ; sans consensus fort, il ne peut y avoir d’adhésion au projet et donc d’implication, la naissance d’un réseau imposant une volonté affirmée d’aboutir de la part du petit groupe initiateur du projet. Une fois les objectifs définis et adoptés par tous les membres du groupe, la construction du dossier médical commun partagé a pu débuter. Ce dossier médical partagé est conçu sur la base d’un menu déroulant informatique, son contenu étant défini par les membres du groupe en dégageant un consensus sur les habitudes de chacun et en tenant compte des référentiels de pratique. Cette étape rigoureuse est fondamentale, car elle doit aboutir à un dossier utilisable en pratique le plus exhaustif possible, sans être trop chronophage, et adapté à une pratique quotidienne. Dans un second temps, les membres du groupe testent le dossier médical partagé en temps réel. Dans un souci pragmatique, les premières étapes se déroulent entre rhumatologues avec la présence d’un médecin généraliste, dont l’avis est précieux pour tester la faisabilité. Ce n’est que dans un second temps que les autres professionnels de santé et les associations de patients sont impliqués. L’Union régionale des médecins libéraux (URML) Son rôle, trop souvent méconnu (alors que tous les médecins libéraux s’acquittent d’une cotisation obligatoire), est essentiellement facilitateur. En Languedoc-Roussillon comme dans les autres unions existe une cellule d’aide au montage de réseau. Le but est de décharger les promoteurs de toute contingence administrative, afin qu’ils puissent consacrer leur énergie à la conception du réseau. Ainsi, l’URML s’occupe de la constitution du réseau en association 1901, de la recherche de financements, notamment par le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville (FAQSV), ce financement servant non seulement à la logistique mais aussi à la rémunération des professionnels qui remplissent les fiches du dossier, de la logistique de secrétariat, du conseil informatique et, enfin, de la présence d’un médecin de santé publique, en particulier pour le dossier Commission informatique et libertés (CNIL) et pour les autres problèmes juridiques. Enfin, l’URML veille à une certaine cohérence architecturale entre les différents réseaux, afin que ceux-ci ne soient pas pour le médecin praticien une tour de Babel et apportent une protection contre des dérives de sociétés commerciales tentées de proposer des réseaux en kits préétablis. La cellule d’évaluation C’est le troisième acteur, en charge de la mise en scène. Cette cellule veille à l’architecture du dossier médical, à son évaluabilité. Elle joue un rôle d’interface avec le prestataire extérieur chargé du développement du logiciel, support informatique du dossier médical partagé entre les professionnels, .../... La Lettre du Rhumatologue - n° 295 - octobre 2003 É D I T O R I A L .../... lesquels ont un parc informatique très hétérogène. Le choix de l’évaluateur est important : il apporte la rigueur du biostatisticien, mais ne doit pas prendre le pas sur le porteur du projet. La phase de développement du projet, une œuvre de longue haleine Une fois le dossier informatique testé et validé, la montée en charge se fait en deux étapes menées parallèlement : formation et information des rhumatologues qui souhaitent participer au réseau (l’adhésion est par définition libre et volontaire), formation et information des médecins généralistes, des autres professionnels de santé et, bien sûr, des patients. Un comité de pilotage veille à harmoniser ces différentes étapes. On le comprend, une conjonction d’acteurs est nécessaire pour mener à bien l’œuvre de longue haleine que constitue un réseau, organisation autour d’un outil (le dossier médical partagé) et une dynamique de professionnels, dans une trajectoire commune. Trois fondamentaux doivent être présents à l’esprit : 1. Quels outils ? ✓ L’informatisation doit permettre l’accès aux données et leur partage. Cela pose le problème, entre autres, de l’“identifiant patient”, de l’intercommunicabilité à la fois entre les différents logiciels médicaux et entre les réseaux. Ces problèmes sont loin d’être résolus, et c’est pourquoi nous considérons que seuls les réseaux avançant pas à pas, ne surchargeant pas le travail du professionnel de terrain, ont une chance de survie. ✓ Les référentiels de pratique : par qui et dans quel but doivent-ils être élaborés ? C’est à la profession d’élaborer ces référentiels par l’intermédiaire des sociétés savantes, en collaboration avec les syndicats et les associations de médecins. La faisabilité de ces référentiels doit être certaine et acceptée. ✓ L’évaluation est présente à toutes les étapes. Elle crédibilise le réseau, mais ne doit pas faire perdre de vue les objectifs premiers. 6 2. Quels moyens ? ✓ Les financements : il existe encore, à l’heure actuelle, d’importantes barrières selon les structures (hospitalisation publique, hospitalisation privée, monde libéral). Les sources peuvent être l’État, les caisses, les collectivités ; citons le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville, géré par les URCAM et les professionnels de santé, et le nouveau fonds de développement des réseaux, géré par l’URCAM et l’ARH, dont l’articulation avec le FAQSV et les critères de choix en termes de santé publique doivent être mieux précisés. ✓ La rémunération peut se faire à l’acte, mais également dans le cadre d’un forfait, voire d’un salariat. Les réseaux bousculent les conceptions actuelles de la rémunération. Aucun réseau n’est viable, à terme, s’il est fondé sur le bénévolat. 3. Quels statuts ? Les statuts et la jurisprudence des réseaux posent le problème de la responsabilité morale et de celle de la structure qui gère le réseau ; se pose également le problème de l’assurance du praticien au sein du réseau. CONCLUSION Panacée ou réponse univoque ? Le réseau ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. ✓ Le réseau n’est pas la réponse à la maîtrise des dépenses de santé, non plus qu’une nouvelle structuration de l’offre de soins dans le cadre d’un délire technocratique. ✓ Le réseau n’est pas une organisation mafieuse avec des enjeux de pouvoir et de récupération. Ce n’est pas une organisation contrainte : hors du réseau, point de salut. Le réseau, rappelonsle, est pour nous l’organisation autour d’un outil et une dynamique de professionnels dans une trajectoire commune. Le réseau est un enjeu pour les rhumatologues ; s’il est nécessaire, il ne résout pas tous les problèmes. Le réseau rhumatologique maîtrisé par les rhumatologues, pour ce qui les concerne, permettra de consolider nos champs de compétence et, probablement, d’en défricher d’autres. ■ La Lettre du Rhumatologue - n° 295 - octobre 2003