La Lettre du Rhumatologue - n° 239 - février 1998
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COURRIER
e me fais l’interprète de la quarantaine de rhumatologues
universitaires ou libéraux réunis lors de notre séance de
bibliographie, à propos de l’article sur les infiltrations paru dans
La Lettre du Rhumatologue de décembre 1997 (p. 9).
I
l est manifeste que cet article a été écrit par des gens qui n’ont
aucune pratique des infiltrations, et sa publication dans une revue
de rhumatologie risque d’apporter des arguments à d’éventuels
jugements ultérieurs concernant les complications des infiltra-
tions. Certaines des personnes présentes ont remarqué que la photo
montre que la seringue d’infiltration était tenue par des mains gan-
tées, alors que cette seringue avait été préalablement manipulée à
mains nues, certes bien lavées mais sans gant. Par ailleurs, l’an-
tiseptique recommandé est, à côté de la Bétadine®, la chlorhexi-
dine, qui est incolore, alors que je recommande depuis longtemps,
y compris par un article paru dans la Revue du Praticien en 1990,
de prendre un produit iodé, à la fois pour l’efficacité et pour la
coloration, dont le patient se souviendra forcément. Mais surtout
la fiche d’emploi de la chlorhexidine (Vidal®1997) exclut for-
mellement son usage dans la désinfection de la peau avant une
ponction. En outre, les rhumatologues libéraux m’ont fait remar-
quer que l’ensemble des pratiques indiquées dans cet article
entraîne des frais qui vont très au-delà du simple remboursement
de l’infiltration elle-même. J’ajoute enfin que, sur près de
15 000 infiltrations de corticoïdes faites à Bichat, nous n’avons
pas vu un seul cas d’infection à quelque germe que ce soit.
Je pense qu’il n’est pas possible de laisser les choses en l’état,
dans l’intérêt de notre spécialité.
Excusez le caractère quelque peu incisif de cette lettre ; je ne
défends pas mes propres intérêts, vous vous en doutez, mais ceux
de la spécialité entière.”
Pr M.F. Kahn, service de rhumatologie, Hôpital Bichat,
Paris, le 19 janvier 1998
J
e Bureau du Conseil National de Rhumatologie a été alerté
par de nombreux confrères rhumatologues au sujet d’un
article publié par les Drs Vassal, Malandin et Boutin dans La Lettre
du Rhumatologue et intitulé “Techniques de préparation d’une
infiltration articulaire et ses implications médico-légales”.
La lecture attentive de cette publication permet de relever plu-
sieurs affirmations nécessitant une mise au point de la part des
utilisateurs de très loin les plus habitués à ces techniques, c’est-
à-dire les rhumatologues, et notamment :
1. Bien qu’aucun élément ne le précise de façon claire, la tech-
nique décrite semble s’appliquer essentiellement à des patients
hospitalisés en milieu non stérile, où l’on connaît le risque et la
gravité des infections nosocomiales. La qualité des auteurs (unité
d’hygiène et de surveillance biologique des infections nosoco-
miales, CHU Rouen) ne laisse planer aucun doute sur leur com-
pétence en matière d’asepsie et de prévention, les conduisant tout
naturellement à recommander des précautions quasi chirurgicales.
En matière d’infiltrations réalisées au cabinet du rhumatologue
libéral (et même en consultation externe hospitalière, dispensaire,
centre de santé, ou à domicile), chacun sait qu’il n’en va pas de
même, car la contamination du milieu ambiant n’a rien à voir
avec le cas précédent, au point que l’on peut raisonnablement
considérer la peau du patient comme l’élément le plus septique
de toute l’opération (et le seul qui sera en contact avec l’aiguille
d’injection).
Or, il est à noter que la seule étude publiée sur le risque septique
citée dans le texte (et qui remonte à plus de 25 ans) fait état d’un
sepsis pour 15 000 injections intra-articulaires, ce qui est lar-
gement inférieur aux infections constatées après la chirurgie, pour
laquelle les précautions sont encore plus draconiennes. Alors qu’il
est clair que si tous les rhumatologues se lavent les mains et désin-
fectent soigneusement la peau du patient avant d’injecter, seule
une petite minorité utilise des gants, pratiquement personne ne
met des gants stériles, et on ne connaît personne affirmant utili-
ser ou avoir utilisé le protocole décrit dans cet article, car il est
admis que la rapidité et la précision du geste sont les meilleurs
garants de sa sécurité (voir l’article du Pr Bernard Amor). Sans
vouloir se poser en hygiéniste ou en épidémiologiste, on peut
d’ailleurs se demander si l’utilisation, par tous, de précautions
exagérées ne serait pas à même, en sélectionnant les germes,
d’augmenter la fréquence (actuellement insignifiante) et la gra-
vité des arthrites post-infiltrations.
2. Les auteurs abordent aussi l’aspect médico-légal, au motif que
la jurisprudence est actuellement en évolution, et dans un sens
plutôt défavorable aux médecins. Ils insistent à juste titre sur la
notion de “bonnes pratiques”, terme qui recouvre à la fois l’usage
le plus courant d’une technique et la volonté générale de réduire
au minimum les risques encourus par le patient, ce qui amène
deux réflexions :
– Les juges (et les experts), en cas de litige, chercheront à appré-
cier quelle est la bonne pratique en matière d’infiltrations, et se
référeront souvent à la littérature. Il est donc important d’avoir,
dans des publications sérieuses, une évaluation vraiment objec-
tive de ce qui se fait réellement, et du risque réel que l’on fait
prendre au patient (ainsi qu’au rhumatologue, et au personnel soi-
gnant).
– Les auteurs introduisent la notion pénale de “mise en danger
de la santé d’autrui”. Il ne faut pourtant pas oublier qu’aucune
technique (efficace) n’est complètement dénuée de risque ; par
ailleurs, l’obligation morale, et maintenant juridique, du méde-
cin est d’avertir son patient du risque encouru, et non pas de
prendre des précautions disproportionnées qui finiraient par
dissuader patients et médecins d’avoir recours aux injections
intra-articulaires.
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