C A S C L I N I Q U E Acro-ostéolyses multiples : complication rare ou association fortuite de l’arthrite juvénile idiopathique ● S. Chékili, D. Mrabet, S. Kassab, L. Zakraoui* L ’acro-ostéolyse désigne la destruction de la partie distale des troisièmes phalanges des doigts et/ou des orteils.Plusieurs étiologies sont dénombrées, dont des formes acquises et des formes primitives ou idiopathiques, plus rares et touchant essentiellement l’enfant. Nous rapportons une observation d’arthrite juvénile idiopathique (AJI) associée à une acro-ostéolyse des orteils de découverte fortuite. OBSERVATION Mlle S., âgée de 13 ans, sans antécédent personnel ni familial particulier, a consulté en rhumatologie pour une oligoarthrite des grosses articulations (poignets et genoux) évoluant depuis l’âge de 4 ans. Ces manifestations articulaires sont associées à une éruption cutanée maculeuse et fugace du tronc, sans fièvre ni autre signe extra-articulaire associé. À l’examen, on notait une arthrite des genoux et une limitation de la mobilité des poignets. L’examen du rachis et des sacro-iliaques était sans anomalie, de même que celui des autres articulations périphériques. Il n’existait pas de déformations des mains ni des pieds, pas de syndrome dysmorphique ni d’hyperlaxité ligamentaire. L’examen cutanéomuqueux était normal ; il n’y avait notamment pas de lésions psoriasiques ni d’aspect scléreux des téguments. Le reste de l’examen somatique était sans anomalie ; on notait en particulier une absence d’hépatosplénomégalie, et des aires ganglionnaires libres. La vitesse de sédimentation était de 15 mm et la protéine C réactive (CRP) inférieure à 8 mg/l. L’hémogramme était sans anomalie ; il n’y avait notamment pas d’hyperleucocytose. Les bilans hépatique et rénal étaient normaux. La sérologie rhumatoïde et la recherche des anticorps antinucléaires étaient négatives. Le typage HLA mettait en évidence un haplotype HLA A26/32, B8/42, DR3/11, DQ2/3. L’examen ophtalmologique était sans anomalie, avec en particulier une absence de stigmate d’uvéite active ou séquellaire. Le bilan radiologique, comprenant des radiographies des mains (figure 1), des genoux, du bassin et du thorax, était normal. Les radiographies des avant-pieds mettait en évidence une résorption bilatérale des houppes phalangiennes des orteils (figures 2 et 3). * Service de rhumatologie, hôpital MongiSlim, La Marsa, Tunisie. La Lettre du Rhumatologue - n° 321 - avril 2006 Figure 1. Radiographie des mains : pas d’acro-ostéolyse des doigts. L’évaluation de la masse osseuse densitométrique n’a pas montré d'anomalie, avec un T-score vertébral à –1,2 DS. Ainsi, le diagnostic posé a été celui d’une AJI oligoarticulaire associée à des signes cutanés comparables à ceux observés dans les formes systémiques. Figure 2. Radiographie du pied gauche : acro-ostéolyse du pied gauche. La patiente a bénéficié initialement d’un traitement symptomatique (anti-inflammatoires associés aux antalgiques) et d’infiltrations locales de corticoïdes. 29 C A S C L I N I Q U E En raison de la persistance de la symptomatologie douloureuse et des poussées congestives des genoux, un traitement de fond par méthotrexate était institué, amenant une amélioration clinique. primitive. L’hypothèse d’une forme secondaire à l’AJI a été évoquée. Au cours des AJI, les anomalies radiologiques associent des appositions périostées, un élargissement épiphysaire et une brachydactylie, mais également des troubles de la croissance. L’acro-ostéolyse n’a jamais été décrite comme une complication directe de l’AJI. Costa et al. (8) ont rapporté l’observation d’une ostéolyse multicentrique idiopathique mimant une AJI. Faber et al. (9) ont rapporté l’observation de 5 patients (une mère et ses 4 enfants) qui présentaient une ostéolyse multicentrique du carpe et du tarse associée à une atteinte rénale. Tous les enfants avaient également une polyarthrite chronique touchant les poignets et les chevilles, mimant une AJI. Notre patiente n’avait pas d’anomalies de la fonction rénale, ni d’antécédents familiaux particuliers, et l’ostéolyse ne touchait que les phalanges distales des orteils. Une autre observation a été rapportée par Singh et al. (10), décrivant une polyarthrite chronique des poignets, des genoux et des chevilles, survenue chez deux sœurs âgées de 13 et 15 ans. Cette polyarthrite s’est associée à une brachymétacarpie des quatrièmes rayons ainsi qu’à une ostéolyse bilatérale et extensive affectant la rotule, le scaphoïde tarsien et le talus. À l’inverse, il n’a pas été relevé d’acroostéolyse des orteils, contrairement à ce qui a pu être observé chez notre patiente. DISCUSSION CONCLUSION Il existe deux formes anatomo-radiologiques d’acro-ostéolyse. La première forme correspond aux acro-ostéolyses longitudinales, effilant la houppe phalangienne, donnant un aspect “en lorgnette” aux doigts, qui sont parfois raccourcis. Sur les radiographies, les doigts prennent un aspect dit “en sucre d’orge” ou “en crayon taillé”. La seconde forme est représentée par les acro-ostéolyses transversales en bandes (1, 2). Les étiologies des acro-ostéolyses sont nombreuses (1, 2). Les formes secondaires sont plus fréquemment rencontrées, notamment chez l’adulte. Les principales étiologies sont les causes toxiques (chlorure de vinyle), hormonales (hyperparathyroïdies) ou nerveuses (lèpre, syringomyélie, tabès, insensibilité à la douleur, etc. [3]) et certains rhumatismes inflammatoires chroniques, notamment les formes sévères de polyarthrite rhumatoïde compliquée de vascularite (4) et le rhumatisme psoriasique. La sclérodermie constitue une cause fréquente d’acro-ostéolyse des houppes phalangiennes (40 à 80 % des sclérodermies systémiques), notamment en cas de syndrome CREST. Les acro-ostéolyses de l’enfant sont plus rares que celles de l’adulte. Elles sont subdivisées en deux groupes: ✓ Les formes idiopathiques sont le plus souvent héréditaires et comportent plusieurs entités, dont le syndrome de Hajdu-Cheney (5, 6) qui associe de nombreuses malformations cranio-faciales, une surdité de transmission et des anomalies osseuses, notamment une ostéopathie fragilisante (7). ✓ Les formes secondaires, également rares, sont dominées par les affections neurologiques et métaboliques (1) : les insensibilités héréditaires à la douleur, la pycnodysostose, le syndrome de Lesch-Nyhan chez le garçon, etc. Chez notre patiente, l’absence d’éléments cliniques et radiologiques d’orientation, notamment l’absence de multiples anomalies osseuses (impression basilaire, présence d’os wormiens, disjonction des sutures crâniennes, etc.) ainsi que l’absence de syndrome dysmorphique, nous a fait écarter le diagnostic de forme Notre observation illustre la possibilité de survenue d’une acroostéolyse associée à une AJI. Il convient d’éliminer avant tout une forme secondaire à des troubles neurologiques ou vasculaires mais aussi, surtout chez l’enfant, une forme primitive, notamment un syndrome de Hajdu-Cheney. ■ Figure 3. Radiographie du pied droit : acro-ostéolyse du pied droit. 30 Bibliographie 1. Hoeffel JC, Mainard L, Sbihi A, Nguyen QK, Kelner M. Les acro ostéolyses. Feuillets de radiologie 2001;41:146-56. 2. Abid-Ayad A, Laredo JD. Ostéolyses essentielles, ostéolyses post-traumatiques et post-fracturaires, acro-ostéolyse. In: Laredo JD, Morvan G, Wybier M (Eds). Imagerie ostéo-articulaire. Paris : Ed. Flammarion, 1998:649-53. 3. Jansen T, Romiti R. Progeria infantum (Hutchinson-Gilford syndrome) associated with scleroderma-like lesions and acro-osteolysis: a case report and review of the literature. Pediatr Dermatol 2000;17:282-5. 4. Van Linthoudt D, Malterre L, Bernet C, Pazera A. Isolated asymmetrical acro-osteolysis of the big toe in an elderly patient with asymmetrical rheumatoid arthritis. Joint Bone Spine 2002;69:340-2. 5. Blumenauer BT, Cranney AB, Goldstein R. Acro-osteolysis and osteoporosis as manifestations of the Hajdu-Cheney syndrome. Clin Exp Rheumatol. 2002;20:574-5. 6. Siklar Z, Tanyer G, Dallar Y, Aksoy FG. Hajdu-Cheney syndrome with growth hormone deficiency and neuropathy. J Pediatr Endocrinol Metab 2000;13:951-4. 7. Leidig-Bruckner G, Pfeilschifter J, Penning N et al. Severe osteoporosis in familial Hajdu-Cheney syndrome: progression of acro-osteolysis and osteoporosis during longterm follow-up. J Bone Miner Res 1999;14:2036-41. 8. Costa MM, Santos H, Santos MJ et al. Idiopathic multicentric osteolysis: a rare disease mimicking juvenile chronic arthritis. Clin Rheumatol 1996;15:97-8. 9. Faber MR, Verlaak R, Fiselier TJ et al. Inherited multicentric osteolysis with carpaltarsal localisation mimicking juvenile idiopathic arthritis. Eur J Pediatr 2004;163:612-8. 10. Singh JA, Williams CB, McAlister WH. Talo-patello-scaphoid osteolysis, synovitis, and short fourth metacarpals in sisters: a new syndrome? Am J Med Genet A 2003;12:118-25. La Lettre du Rhumatologue - n° 321 - avril 2006