Le Courrier des addictions (11) – n ° 2 – avril-mai-juin 2009
11
La métha, à petits pas
Dans les pays anglo-saxons, quatre types de
prise en charge ont alors cours : la désintoxica-
tion, la communauté thérapeutique, la main-
tenance par la méthadone, les traitements
ambulatoires sans substitution. Le souci de
réhabilitation sociale a conduit à développer,
pour les patients sevrés, une prise en charge
visant à prévenir les rechutes dans des cen-
tres fermés, où l’on réapprend des compor-
tements centrés sur l’adhésion de l’individu à
l’idéal d’un groupe composé d’ex-toxicomanes
(communautés thérapeutiques). Le constat de
perturbations biologiques et des rechutes a
ouvert la voie aux traitements de substitution
(maintenance à la méthadone), associés à une
prise en charge psychosociale. Les modalités
de soins y ont été moins parasitées par les dé-
bats idéologiques et construites de façon plus
pragmatique qu’en France où la primauté des
théories psychologiques de la dépendance a
contribué à laisser de côté l’utilisation de pro-
duits de substitution réputés toxicomanogè-
nes. L’objectif étant officiellement de favoriser
le cheminement de l’individu vers l’abstinence,
même si l’auto-substitution par la codéine
reste la règle avec 12 millions de boîtes de co-
déinées vendues en 1994.
Pourtant, l’existence de toxicomanies graves
aux opiacés avait conduit, dès 1973, à prescrire
le chlorhydrate de méthadone (sirop), dans le
cadre de maintenances thérapeutiques. Deux
centres sur quatre sollicités l’ont l’utilisé, Sain-
te-Anne et Fernand-Widal. En 1987, le proto-
* Clinique Liberté, Bagneux. Département des addictions,
hôpital Paul-Guiraud, Villejuif.
Traitements de substitution aux opiacés
Dix ans… et plus !
Didier Touzeau*
À la fin des années 1980, on veut soigner le toxicomane malade en même temps que
l’on souhaite régler un problème social qui inquiète l’opinion chauffée à blanc régu-
lièrement par des campagnes anti-drogues et leurs cortèges de discours incantatoires,
d’imprécations, voire de prétentions d’exorcismes, qui relèvent plus de la croisade que
d’une véritable politique sanitaire cohérente. Il existe tout à la fois un consensus et un
malentendu sur la fonction des institutions spécialisées offrant la possibilité aux toxi-
comanes de “souffler” pour faire d’autres choix de vie en même temps qu’elles sont cen-
sées contribuer à l’éradication de la drogue. Selon un modèle de traitement inspiré de
celui mis en place pour éradiquer la tuberculose (dépistage, cure et postcure). Les traite-
ments de substitution sont alors absents du paysage.
Depuis, heureusement, la politique et les traitements ont bien évolué.
cole est revu et assoupli. Seule notre équipe
(le programme proposé par Jean Tignol et
J.P. Daulouède n’est pas retenu) développe
un nouveau programme complémentaire des
précédents : l’Action méthadone insertion dans
le cadre du centre Pierre-Nicole (A. Charles-
Nicolas, A. Coppel, D. Touzeau). Ce disposi-
tif montre l’utilité de petits programmes s’ap-
puyant sur des centres de soins spécialisés.
Du Temgésic® au Subutex®
En 1984, la buprénorphine (faiblement dosée,
Temgésic
®
) obtient une autorisation de mise
sur le marché comme antalgique. Elle suscite
un grand intérêt car, agoniste partiel, son effet
plafond limite les risques de surdose. Dans le
même temps, commercialisée sous forme in-
jectable, elle est alors détournée par certains
toxicomanes, ce qui a motivé son interdiction,
mais aussi la poursuite de sa prescription, sous
sa forme orale, par un réseau de médecins
pionniers (REPSUD) conduits par le Dr Jean
Carpentier. Enfin, en 1995, consécration de
nombreuses bagarres, elle obtient une auto-
risation de prescription sous sa forme haut
dosage, correctement dosée pour une indica-
tion de traitement de substitution aux opiacés
(Subutex
®
), assortie de conditions strictes.
C’est donc grâce à l’action conjointe de clini-
ciens convaincus de l’intérêt des traitements
de substitution, qu’un nouveau médicament
efficace a pu voir le jour, dans un délai très ra-
pide, illustrant le propos de Vincent Dole, le
découvreur des traitements méthadone : “It is
not necessary to await an ultimate reduction
of addictive behaviors to molecular terms be-
fore effective treatment can be provided. On
the contrary, effective treatment, empirically
found, can lead to a better understanding of
molecular processes."
En passant par Chatenay
C’est la Conférence interuniversitaire de
Châtenay-Malabry sur “Intérêts et limites
des traitements de substitution dans la prise
en charge des toxicomanes” (23-25 juin 1994),
dont les promoteurs ont été aussi ceux du
Courrier des addictions, qui a permis le dé-
veloppement des traitements de substitution.
Ils répondent à un double objectif : celui de la
réduction des risques dont le but est de limiter,
voire d’éviter les effets néfastes liés à l’usage de
drogues sur l’état de santé (la réduction des
risques infectieux, tels le sida et les hépatites).
Le second objectif est l’amélioration de la prise
en charge sanitaire et sociale des toxicomanes
et l’augmentation de l’offre de soins (multipli-
cation des places méthadone dans les centres
spécialisés et possibilité de prescription en
médecine de ville). Les conclusions du jury
ont été guidées par un souci de sortir de l’im-
passe qui a consisté à assimiler une modalité
thérapeutique à une hypothèse étiologique de
la toxicomanie.
Les participants, objet d’attaques frontales
(“dealers en blouse blanche”) ont fait le choix de
promouvoir des propositions de soins diversi-
fiées, découlant d’une évaluation clinique de
chaque toxicomane, étayées par des théories
diversifiées et clairement explicitées. Hélas,
depuis, peu de travaux de recherche clinique
ont été financés.
Restait un acquis notable, bien que discutable:
la circulaire du 31 mars 1995, dont l’objec-
tif ultime était de “permettre à chaque patient
d’élaborer une vie sans dépendance”. Y compris
à l’égard des médicaments de substitution. Elle
définissait donc les objectifs du traitement de
substitution comme l’insertion dans un pro-
cessus thérapeutique facilitant le suivi médical
d’éventuelles pathologies associées à la toxi-
comanie d’ordre somatique ou psychiatrique ;
une réduction de la consommation de drogues
issues du marché illicite et un moindre recours
à la voie injectable ; la notion de réduction de
la consommation invoquée pour la méthado-
ne, mais d’arrêt de traitement pour la bupré-
norphine (d’où la persistance d’objectifs peu
clairs : réduction, sevrage et abstinence sou-
vent confondus dans les objectifs thérapeuti-
ques) ; une amélioration de l’insertion sociale
des patients.
La France a fait, à ce moment-là, le choix d’une
large mise à disposition des traitements (bu-
prénorphine haut dosage [BHD]) avec un dou-
ble principe d’encadrement : par le contrôle du
statut du médicament (classement particulier)
et par l’appel à l’organisation volontaire des
professionnels de santé (réseaux de soins).
Addict juin0910 ans.indd 11 24/06/09 9:33:29