DOSSIER THÉMATIQUE Les micro-ARN au centre de la biologie du cancer colorectal MicroRNAs at the center of colorectal cancer molecular biology E. Ogier-Denis* E n 1993, Victor Ambros et al. rapportaient que lin-4, un gène de Caenorhabditis elegans, ne codait pas pour une protéine mais pour un ARN d’environ 20 nucléotides dont l’invalidation affectait le développement du ver. D’abord perçu comme une “bizarrerie” propre à C. elegans, les micro-ARN (miARN) sont maintenant décrits dans tout le phylum et, de façon remarquable, certains d’entre eux sont très bien conservés au cours de l’évolution. On estime actuellement que les gènes codant pour les miARN représentent 3 % du génome humain et qu’ils sont susceptibles de réguler l’expression génique d’environ 30 % du génome. Les miARN sont synthétisés sous forme d’ARN précurseurs, dont la maturation fait intervenir successivement deux RNases, Drosha et Dicer. Drosha convertit, dans le noyau, un transcrit primaire (pri-miARN) en une structure en épingle à cheveux irrégulière d’environ 70 nucléotides (pré-miARN). Une fois transféré dans le cytoplasme, le pré-miARN est pris en charge par Dicer, qui façonne un intermédiaire de maturation dont un seul des deux brins formera le miARN mature. Au cours de ce processus de maturation, les miARN interagissent avec des protéines spécifiques pour former un complexe ribonucléoprotéique stable dénommé RISC-miRNP. Au sein de ce complexe, le miARN interagit avec des séquences complémentaires de la partie 3’UTR de ces ARNm cibles. En fonction de la complémentarité d’interaction, RISCmiRNP induit soit un clivage endonucléolytique de l’ARNm, entraînant la dégradation rapide de celui-ci, soit l’inhibition de la traduction de l’ARNm cible. Bien que leur nombre ne cesse de croître et que leurs fonctions régulatrices se diversifient, le rôle des miARN dans les pathologies humaines est encore mal compris. Un lien direct entre la fonction des miARN et la cancérogenèse est maintenant bien établi. En effet, plus de la moitié des miARN identifiés à ce jour sont localisés dans des régions génomiques qui sont fréquemment amplifiées, délétées ou réarrangées dans les cancers humains, ce qui suggère que les anomalies d’expression des miARN pourraient jouer un rôle causal dans la pathogenèse des cancers. En général, la dérégulation de l’expression des miARN influence la carcinogenèse si leurs ARNm cibles codent pour des gènes suppresseurs de tumeur ou des oncogènes. La surexpression des miARN peut résulter d’une activation transcriptionnelle ou d’une amplification du gène codant pour le miARN, alors que l’expression réduite des miARN peut résulter de la délétion d’une région chromosomique contenant le gène, d’une régulation épigénétique ou d’un défaut de biosynthèse. Un grand nombre d’études se fondant sur la comparaison du profil d’expression des miARN dans les tumeurs colorectales et dans l’épithélium colique sain a permis d’identifier des groupes de miARN qui facilitent la stratification pronostique des patients atteints de cancer colorectal et la prédiction de leur réponse à la radiothérapie et aux molécules chimiothérapeutiques sélectionnées, conférant ainsi aux miARN un rôle de biomarqueurs efficaces. Par ailleurs, des analyses de séquences globalisées révèlent que plus de 46 % des promoteurs putatifs contrôlant l’expression de 326 miARN humains sont des cibles de la protéine p53. L’invalidation de p53 par l’interférence à ARN dans des cellules d’adénocarcinome colique module l’expression de près de 200 ARNm qui, régulés après transcription, sont tous des cibles potentielles des miARN. Ces résultats suggèrent que p53 et certains miARN influencent, de façon coordonnée, l’expression de multiples gènes via un mécanisme de régulation intégrée. Une approche d’analyse miRAGE (miRNA serial analysis of * Inserm U773, centre de recherche biomédicale Bichat-Beaujon, CRB3, Paris. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 49 Résumé Mots-clés Micro-ARN Cancer colorectal Régulation génique Abstract MicroRNAs (miRNAs) represent an abundant class of endo­g enously expressed small RNAs, which is believed to control the expression of proteins through specific interaction with their mRNAs. MiRNAs are non-coding RNAs of 18 to 24 nucleotides that negatively regulate target mRNAs by binding to their 3’-untranslated regions. Most eukaryotic cells utilize miRNA to regulate vital functions such as cell differentiation, proliferation or apoptosis. The diversity of miRNAs and of their mRNA targets strongly indicate that they play a key role in the regulation of protein expression. The correlation between the expression of miRNAs and their effects on tumorigenesis and on the proliferation of cancer cells is beginning to gain experimental evidences. Recent studies showed that abnormal expression of miRNAs represents a common feature of cancer cells and that they can function as tumor suppressor genes or as oncogenes. Keywords MicroRNA Colorectal cancer Gene expression Les micro-ARN (miARN) constituent une classe de petits ARN non codants d’environ 20 nucléotides qui contrôlent négativement l’expression d’ARNm cibles. Les eucaryotes multicellulaires utilisent les miARN pour contrôler leurs fonctions vitales telles que la différenciation, la prolifération ou l’apoptose. Leur diversité et le nombre considérable de leurs ARNm cibles font des miARN des acteurs importants de la régulation de l’expression génique. Des études récentes ont révélé que l’expression anormale des miARN représente une caractéristique commune des cellules cancéreuses et que ces miARN peuvent fonctionner comme des gènes suppresseurs de tumeur ou comme des oncogènes. gene expression), combinant les aspects de clonage des miARN et d’analyse d’expression génique dans des cellules de cancer colorectal, a permis d’identifier 200 miARN connus et 133 nouveaux miARN candidats, démontrant que le catalogue des miARN est en pleine évolution. Dans ce contexte, la connais- Actualités recherche La rectocolite hémorragique : une maladie du mucus ? La colonisation de la muqueuse colique par notre propre flore digestive participe à la formation d’une couche de mucus. Une des particularités de cette barrière est d’isoler nos cellules épithéliales de l’intrusion par certains microorganismes. Au cours de la rectocolite hémorragique, ont été observées des détériorations de la couche du mucus au niveau du côlon terminal, alors que la concentration en bactéries commensales y est la plus importante. Néanmoins, un déficit en mucus peut-il être responsable d’une colite plutôt qu’une conséquence de la réaction inflammatoire persistante caractéristique de ces patients ? Dans la revue Journal of Clinical Investigation, il vient d’être démontré, par un groupe américain de l’Université de l’Oklahoma, que des altérations de la O-glycosylation sont responsables du développement d’une colite chez l’homme et chez la souris. En effet, l’absence d’expression par les cellules épithéliales intestinales de la T-synthase (ou C1galt1), une enzyme clé du processus d’O-glycosylation du mucus, mime les circonstances de la rectocolite hémorragique chez la souris. Dans ce modèle, l’absence de lymphocytes n’influence pas le déclenchement de ces lésions, alors qu’une antibiothérapie à spectre large ou un traitement avec un anticorps neutralisant l’anti-TNFα a montré une efficacité thérapeutique. Bien qu’une translocation bactérienne exacerbée ait pu être observée chez ces souris déficientes pour la T-synthase par rapport aux animaux contrôles, la réponse inflammatoire induite par les micro-organismes 50 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 sance des modifications d’expression des miARN qui ciblent spécifiquement différents gènes impliqués dans la pathogenèse des cancers colorectaux devrait permettre de mieux comprendre les mécanismes moléculaires intimes qui gouvernent la cancérogenèse colorectale. ■ rédigée par le Dr M. Chamaillard, inserm U801, CHRU Lille de la flore digestive capables de franchir la barrière intestinale est indépendante de MyD88, un adaptateur clé de la réponse immunitaire innée induite par la plupart des toll-like receptors. Dans la rectocolite hémorragique, une analyse génétique a également permis aux auteurs de révéler que certains des patients étaient porteurs de mutations fauxsens qui altèrent la fonction de C1galt1C1, une molécule chaperone dont l’expression est essentielle au processus d’O-glycosylation contrôlé par C1galt1. De plus, une analyse histologique a permis d’identifier des altérations de l’expression de la structure primaire des O-glycans dans les biopsies coliques de près d’un tiers des patients analysés rétrospectivement, confortant le rôle pathophysiologique des aberrations du processus d’O-glycosylation chez ces patients. Commentaire Les études génétiques récentes ont permis d’identifier 47 allèles de prédisposition à la rectocolite hémorragique. Cependant, leur influence au niveau de la formation du mucus reste spéculative. À la lumière de ces résultats, des progrès thérapeutiques sont également attendus afin de restaurer la couche de mucus, et ainsi de limiter l’intrusion de certains micro-organismes inflammatoires chez ces patients génétiquement prédisposés. Référence Fu J, Wei B, Wen T et al. Loss of intestinal core 1-derived O-glycans causes spontaneous colitis in mice. J Clin Invest 2011 Mar 7. [Epub ahead of print].