E Les micro-ARN au centre de la biologie du cancer colorectal DOSSIER THÉMATIQUE

La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 49
DOSSIER THÉMATIQUE
Les micro-ARN au centre de la
biologie du cancer colorectal
MicroRNAs at the center of colorectal cancer molecular
biology
E. Ogier-Denis*
* Inserm U773, centre de recherche
biomédicale Bichat-Beaujon, CRB3,
Paris.
En 1993, Victor Ambros et al. rapportaient que
lin-4, un gène de Caenorhabditis elegans, ne
codait pas pour une protéine mais pour un
ARN d’environ 20 nucléotides dont l’invalidation
affectait le développement du ver. D’abord perçu
comme une “bizarrerie” propre à C. elegans, les
micro-ARN (miARN) sont maintenant décrits dans
tout le phylum et, de façon remarquable, certains
d’entre eux sont très bien conservés au cours de
l’évolution. On estime actuellement que les gènes
codant pour les miARN représentent 3 % du génome
humain et qu’ils sont susceptibles de réguler l’expres-
sion génique d’environ 30 % du génome. Les miARN
sont synthétisés sous forme d’ARN précurseurs, dont
la maturation fait intervenir successivement deux
RNases, Drosha et Dicer. Drosha convertit, dans le
noyau, un transcrit primaire (pri-miARN) en une
structure en épingle à cheveux irrégulière d’environ
70 nucléotides (pré-miARN). Une fois transféré dans
le cytoplasme, le pré-miARN est pris en charge par
Dicer, qui façonne un intermédiaire de maturation
dont un seul des deux brins formera le miARN
mature. Au cours de ce processus de maturation, les
miARN interagissent avec des protéines spécifiques
pour former un complexe ribonucléoprotéique stable
dénommé RISC-miRNP. Au sein de ce complexe, le
miARN interagit avec des séquences complémen-
taires de la partie 3’UTR de ces ARNm cibles. En
fonction de la complémentarité d’interaction, RISC-
miRNP induit soit un clivage endonucléolytique de
l’ARNm, entraînant la dégradation rapide de celui-ci,
soit l’inhibition de la traduction de l’ARNm cible.
Bien que leur nombre ne cesse de croître et que
leurs fonctions régulatrices se diversifient, le rôle des
miARN dans les pathologies humaines est encore
mal compris. Un lien direct entre la fonction des
miARN et la cancérogenèse est maintenant bien
établi. En effet, plus de la moitié des miARN iden-
tifiés à ce jour sont localisés dans des régions géno-
miques qui sont fréquemment amplifiées, délétées
ou réarrangées dans les cancers humains, ce qui
suggère que les anomalies d’expression des miARN
pourraient jouer un rôle causal dans la pathogenèse
des cancers. En général, la dérégulation de l’expres-
sion des miARN influence la carcinogenèse si leurs
ARNm cibles codent pour des gènes suppresseurs
de tumeur ou des oncogènes. La surexpression des
miARN peut résulter d’une activation transcrip-
tionnelle ou d’une amplification du gène codant
pour le miARN, alors que l’expression réduite des
miARN peut résulter de la délétion d’une région
chromosomique contenant le gène, d’une régulation
épigénétique ou d’un défaut de biosynthèse. Un
grand nombre d’études se fondant sur la compa-
raison du profil d’expression des miARN dans les
tumeurs colorectales et dans l’épithélium colique
sain a permis d’identifier des groupes de miARN qui
facilitent la stratification pronostique des patients
atteints de cancer colorectal et la prédiction de
leur réponse à la radiothérapie et aux molécules
chimiothérapeutiques sélectionnées, conférant
ainsi aux miARN un rôle de biomarqueurs efficaces.
Par ailleurs, des analyses de séquences globalisées
révèlent que plus de 46 % des promoteurs putatifs
contrôlant l’expression de 326 miARN humains sont
des cibles de la protéine p53. L’invalidation de p53
par l’interférence à ARN dans des cellules d’adéno-
carcinome colique module l’expression de près de
200 ARNm qui, régulés après transcription, sont
tous des cibles potentielles des miARN. Ces résultats
suggèrent que p53 et certains miARN influencent,
de façon coordonnée, l’expression de multiples
gènes via un mécanisme de régulation intégrée. Une
approche d’analyse miRAGE (miRNA serial analysis of
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Résumé
Les micro-ARN (miARN) constituent une classe de petits ARN non codants d’environ 20 nucléotides qui
contrôlent négativement l’expression d’ARNm cibles. Les eucaryotes multicellulaires utilisent les miARN
pour contrôler leurs fonctions vitales telles que la différenciation, la prolifération ou l’apoptose. Leur
diversité et le nombre considérable de leurs ARNm cibles font des miARN des acteurs importants de la
régulation de l’expression génique. Des études récentes ont révélé que l’expression anormale des miARN
représente une caractéristique commune des cellules cancéreuses et que ces miARN peuvent fonctionner
comme des gènes suppresseurs de tumeur ou comme des oncogènes.
Mots-clés
Micro-ARN
Cancer colorectal
Régulation nique
Abstract
MicroRNAs (miRNAs) repre-
sent an abundant class of
endo genously expressed
small RNAs, which is believed
to control the expression
of proteins through specific
interaction with their mRNAs.
MiRNAs are non-coding RNAs
of 18 to 24 nucleotides that
negatively regulate target
mRNAs by binding to their
3’-untranslated regions. Most
eukaryotic cells utilize miRNA
to regulate vital functions such
as cell differentiation, prolifera-
tion or apoptosis. The diversity
of miRNAs and of their mRNA
targets strongly indicate that
they play a key role in the
regulation of protein expres-
sion. The correlation between
the expression of miRNAs and
their effects on tumorigenesis
and on the proliferation of
cancer cells is beginning to gain
experimental evidences. Recent
studies showed that abnormal
expression of miRNAs repre-
sents a common feature of
cancer cells and that they can
function as tumor suppressor
genes or as oncogenes.
Keywords
MicroRNA
Colorectal cancer
Gene expression
gene expression), combinant les aspects de clonage
des miARN et d’analyse d’expression génique dans
des cellules de cancer colorectal, a permis d’iden-
tifier 200 miARN connus et 133 nouveaux miARN
candidats, démontrant que le catalogue des miARN
est en pleine évolution. Dans ce contexte, la connais-
sance des modifications d’expression des miARN qui
ciblent spécifiquement différents gènes impliqués
dans la pathogenèse des cancers colorectaux devrait
permettre de mieux comprendre les mécanismes
moléculaires intimes qui gouvernent la cancéro-
genèse colorectale.
La rectocolite hémorragique :
une maladie du mucus ?
La colonisation de la muqueuse colique par notre propre
flore digestive participe à la formation d’une couche de
mucus. Une des particularités de cette barrière est d’isoler
nos cellules épithéliales de l’intrusion par certains micro-
organismes. Au cours de la rectocolite hémorragique, ont
été observées des détériorations de la couche du mucus
au niveau du côlon terminal, alors que la concentration en
bacries commensales y est la plus importante. Néanmoins,
un déficit en mucus peut-il être responsable d’une colite
plutôt qu’une conséquence de la réaction inflammatoire
persistante caractéristique de ces patients ? Dans la revue
Journal of Clinical Investigation, il vient d’être démontré,
par un groupe américain de l’Université de l’Oklahoma,
que des altérations de la O-glycosylation sont responsables
du développement d’une colite chez l’homme et chez
la souris. En effet, l’absence d’expression par les cellules
épithéliales intestinales de la T-synthase (ou C1galt1), une
enzyme clé du processus d’O-glycosylation du mucus, mime
les circonstances de la rectocolite hémorragique chez la
souris. Dans ce modèle, l’absence de lymphocytes n’in-
fluence pas le déclenchement de ces lésions, alors qu’une
antibiothérapie à spectre large ou un traitement avec un
anticorps neutralisant l’anti-TNFα a montré une efficacité
thérapeutique. Bien qu’une translocation bactérienne
exacerbée ait pu être observée chez ces souris déficientes
pour la T-synthase par rapport aux animaux contrôles, la
réponse inflammatoire induite par les micro-organismes
Commentaire
Les études génétiques récentes ont permis d’iden-
tifier 47allèles de prédisposition à la rectocolite
hémorragique. Cependant, leur influence au
niveau de la formation du mucus reste spécu-
lative. À la lumière de ces résultats, des progrès
thérapeutiques sont également attendus afin
de restaurer la couche de mucus, et ainsi de
limiter l’intrusion de certains micro-organismes
inflammatoires chez ces patients génétiquement
prédisposés.
Référence
Fu J, Wei B, Wen T et al. Loss of intestinal core 1-derived
O-glycans causes spontaneous colitis in mice. J Clin In-
vest 2011 Mar 7. [Epub ahead of print].
de la flore digestive capables de franchir la barrière intesti-
nale est indépendante de MyD88, un adaptateur clé de la
réponse immunitaire innée induite par la plupart des toll-like
receptors. Dans la rectocolite hémorragique, une analyse
génétique a également permis aux auteurs de révéler que
certains des patients étaient porteurs de mutations faux-
sens qui altèrent la fonction de C1galt1C1, une molécule
chaperone dont l’expression est essentielle au processus
d’O-glycosylation contrôlé par C1galt1. De plus, une analyse
histologique a permis d’identifier des altérations de l’ex-
pression de la structure primaire des O-glycans dans les
biopsies coliques de près d’un tiers des patients analysés
rétrospectivement, confortant le rôle pathophysiologique
des aberrations du processus d’O-glycosylation chez ces
patients.
Actualités recherche rédigée par le Dr M. Chamaillard, inserm
U801, CHRU Lille
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