Éditorial Développement des biomarqueurs en transplantation Development of biomarkers in transplantation Yvon Calmus* L e terme de “biomarqueur” est ambigu. Selon Wikipédia, un biomarqueur est une caractéristique mesurable, indicatrice de processus biologiques normaux ou pathologiques, ou de réponses pharmacologiques à une intervention thérapeutique. En fait, les médecins tirent parti des biomarqueurs depuis toujours, comme M. Jourdain faisait de la prose. La glycémie, identifiée en 1848, est un biomarqueur utilisé pour caractériser le diabète et pour évaluer l’efficacité des médicaments antidiabétiques. Mais ce n’est probablement pas de ce genre de biomarqueurs que les lecteurs du Courrier de la Transplantation espèrent nous voir traiter ici, mais plutôt des “nouveaux” biomarqueurs, et ils ne seront pas déçus… Dans le domaine médical, un biomarqueur peut être employé pour le dépistage d’une maladie dans une population ou pour le diagnostic chez un individu (biomarqueur prédictif), la réponse au traitement, la rechute après traitement ou la toxicité d’une molécule (biomarqueur pronostique). Il est alors le plus souvent une molécule biologique présente dans le sang, les liquides ou les tissus organiques, voire directement dans une tumeur. Le développement des biomarqueurs est lié à l’apparition de nouvelles connaissances (en génomique et en protéomique, en particulier). Enfin, le développement des biomarqueurs permet, avec l’arrivée des premiers traitements de thérapie ciblée et de nouveaux tests de dépistage ou de diagnostic plus sensibles et plus rapides, d’envisager une médecine dite “personnalisée”. * Centre de transplantation hépatique, hôpital Saint-Antoine, Paris. 6 Les biomarqueurs représentent de manière évidente un enjeu majeur de développement, comme en témoignent les investissements massifs consentis par les États et les nombreux projets institutionnels en cours. Par exemple, le National Health Institute américain investit de manière substantielle dans la cartographie complète de l’expression des gènes au niveau du foie, dans le but de rechercher des associa- tions Single Nucleotide Polymorphisms (SNP) – expression génique notamment prédictive des réponses aux traitements (1). Le Biomarker World Congress 2012 (www.biomarkerworldcongress.com) est une réunion annuelle organisée par l’université de Cambridge, qui rassemble des institutionnels, des biotechs et des industriels dans le but de créer des consortiums visant à promouvoir de nouvelles applications dans le domaine médical : outils prédictifs et pronostiques, dépistage de cellules tumorales circulantes, mais aussi biomarqueurs utiles dans le développement de nouvelles molécules. Dans ce numéro thématique, nous avons choisi des exemples variés de biomarqueurs allant de la protéomique à la génétique, en passant par des tests fonctionnels et des tests non biochimiques (élastométrie), certains étant utilisables dès maintenant ou introduisant une réflexion dans le domaine de la greffe d’organe. Brad L. Stewart, de Cylex, présente les résultats obtenus avec le test ImmuKnow® dans le domaine de la transplantation d’organe. Ce test fonctionnel mesure l’activité globale des cellules T CD4+, en mesurant la production de glutathion par ces cellules, isolées du sang périphérique, après une activation non spécifique. Bien que non spécifique, ce test permet de disposer d’une mesure globale du “statut immunitaire” des receveurs, indépendante de la mesure des concentrations d’anticalcineurines, et permettant de détecter des sujets à risque de rejet, ou, à l’inverse, à risque d’infection. Ce test commercial, très largement pratiqué aux États-Unis, n’est pas utilisé en France actuellement, et Cylex tente de mieux l’implanter en Europe. Le groupe de Dany Anglicheau présente des travaux majeurs dans le domaine des micro-ARN (miARN). Les miARN sont des ARN naturels non codants de petite taille, au nombre de plusieurs centaines, qui jouent un Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 1 - janvier-février-mars 2012 Éditorial rôle dans la régulation de l’expression des gènes, notamment dans la prolifération cellulaire, la différenciation, l’apoptose, l’oncogenèse, l’immunité et l’inflammation. L’étude du profil d’expression de 365 miARN provenant de biopsies a permis de séparer correctement en 2 groupes des greffons rénaux atteints de rejet aigu cellulaire et des greffons rénaux non atteints. Une analyse supervisée a mis en évidence une signature au cours du rejet aigu cellulaire : ainsi, miR-142-5p et miR-155 peuvent constituer de bons biomarqueurs diagnostiques de rejet. Certains miARN sont corrélés à l’expression de CD3, ce qui suggère que ces miARN provenaient essentiellement des cellules immunes infiltrant le greffon. À l’inverse, d’autres miARN, moins exprimés au cours du rejet, sont corrélés à des marqueurs épithéliaux, suggérant que ces miARN reflètent l’agression allo-immune du greffon. L’équipe de Sophie Brouard travaille depuis plusieurs années dans le domaine de la tolérance après transplantation rénale et a collaboré avec le groupe de Barcelone dans celui de la tolérance après transplantation hépatique. La méthodologie utilisée dans les 2 cas est une vaste étude transcriptomique effectuée sur le sang périphérique, qui vise à mettre en évidence une “signature” moléculaire de la tolérance. Cette équipe a fait une découverte fascinante, qui pourrait ouvrir de nombreuses pistes : la signature semble différente dans les 2 organes ; elle est davantage liée à l’expression de cellules B après transplantation rénale, alors qu’une expression de gènes liés aux cellules NK et aux lymphocytes Tγδ est associée à la tolérance après transplantation hépatique. Éric Thervet aborde la pharmacogénomique et la médecine personnalisée. La pharmacogénomique peut permettre de prédire la réponse d’un individu à un traitement en termes d’efficacité ou de tolérance, ou de sélectionner les individus pouvant bénéficier d’un traitement, en particulier au sein d’une population de patients atteints d’une maladie. Filoména Conti a réalisé une étude visant à évaluer la valeur prédictive de tests non invasifs de fibrose chez les transplantés hépatiques. Ces tests sont de 2 types : certains utilisent la protéomique (association de dosages sanguins de protéines au sein d’algorithmes parfois brevetés), d’autres sont biophysiques (élastométrie du parenchyme hépatique). L’objectif est de remplacer, complètement ou partiellement, la biopsie hépatique, invasive, coûteuse, et non totalement fiable (erreurs liées notamment à des échantillons trop petits). Les données de ce travail sont encourageantes, mais méritent une évaluation prospective. Nadira Delhem utilise une technologie mixte, mêlant l’analyse transcriptomique et des tests fonctionnels classiques, pour évaluer le rôle des cellules T régulatrices (Treg) chez les transplantés hépatiques. Cette étude, réalisée dans le sang périphérique, pourrait avoir une application en routine, d’autant que les travaux effectués avec notre équipe indiquent qu’il existe une bonne corrélation entre l’expression des gènes dans le foie et dans le sang périphérique, en ce qui concerne les Treg. L’une des particularités innovantes de ces travaux est de montrer la face “obscure” des Treg, qui, outre leur intérêt dans le développement d’une tolérance, pourraient favoriser l’évolution de la récidive de la maladie initiale, telle que l’hépatite C ou le carcinome hépatocellulaire. De très nombreuses pistes sont donc ouvertes, après transplantation d’organe, visant notamment l’évaluation du statut immunitaire (meilleure prédiction des risques de rejet ou de la surimmunosuppression), mais également la prédiction des sujets en état de tolérance opérationnelle, le risque d’évolution des maladies initiales et de lésions du greffon, les risques infectieux, la tolérance aux médicaments… Ces travaux sont complexes, nécessitent des investissements financiers et humains importants. Un soutien institutionnel ciblé, permettant, comme dans d’autres pays, de créer des consortiums dédiés, est souhaitable. ■ Référence bibliographique 1. Schadt EE, Molony C, Chudin E et al. Rosetta Inpharmatics, Seattle, Washington. Mapping Gene Expression in the Human Liver. PLoS Biol. 2008 May 6;6(5):e107. cf. http://www.niehs.nih.gov/ research/supported/sep/2008/ gene_exp/ Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 19 Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 1 - janvier-février-mars 2012 7