Micro-ARN et inflammation : ce que l`étude du rejet aigu

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Biomarqueurs
Dossier thématique
Micro-ARN et inflammation :
ce que l’étude du rejet aigu
du greffon rénal peut nous apprendre
MicroRNAs and inflammation: what we learnt from the study
of acute rejection of the renal allograft
Lucile Amrouche*, Clémentine Rabaté*, Dany Anglicheau*
innée et adaptative a récemment été identifiée. Nos travaux, qui
ont été parmi les premiers à faire entrer les miARN dans le champ
de la biologie de la transplantation, suggèrent leur implication
potentielle comme biomarqueurs de rejet, et pourraient également
améliorer notre compréhension de la régulation des gènes au cours
du processus physiopathologique d’agression allo-immune et, plus
largement, de réponse rénale à l’inflammation
Summary
Résumé
» L’implication des microARN dans la régulation de l’immunité
Mots-clés : MicroARN – Régulation – Inflammation – Rejet.
Keywords: MicroRNA – Regulation – Inflammation – Rejection.
Micro-ARN et régulation
de l’expression des gènes
Les micro-ARN (miARN) représentent une classe abondante d’ARN naturels non codants de petite taille qui
jouent un rôle fondamental dans la régulation de
l’expression des gènes. Même si le premier miARN a
été décrit en 1993, ce n’est qu’au cours des dernières
années que la reconnaissance de leur rôle important
dans la régulation des gènes a conduit à un intérêt
croissant pour leur caractérisation (1).
* Inserm U845 ; université
Paris-Descartes, Sorbonne
Paris Cité ; service de
transplantation rénale et
de soins intensifs, hôpital
Necker, AP-HP, Paris.
22
The implication of microRNAs as master regulators of innate
and adaptive immune responses has been recently identified.
We were among the first to introduce microRNAs in the field
of transplantation immunobiology. Our work suggested
that microRNAs might be considered as biomarkers of acute
rejection of the renal allograft, but may also improve our
understanding of the regulation of gene expression during
immune injury
Synthèse des micro-ARN
Les gènes des miARN peuvent être codés par des
unités transcriptionnelles indépendantes, dans des
clusters polycistroniques ou dans les introns de
gènes codant pour des protéines (2). Les miARN
sont d’abord transcrits par une ARN polymérase II
dans le noyau, sous la forme de longs précurseurs
(primary miRNA [pri-miARN]) qui sont alors clivés en
un produit intermédiaire, appelé pré-miARN (precursor
miRNA), par l’enzyme nucléaire Drosha, une ribonucléase spécifique des ARN doubles-brins (figure) [3, 4].
Indépendamment de Drosha, une fraction des prémiARN d’origine intronique peut aussi être générée
par l’action combinée du splicéosome et d’une enzyme
appelée lariat-debranching enzyme (LDBR) [6]. Le prémiARN est un ARN d’environ 70 nucléotides, replié
en tige-boucle imparfaite par complémentarité de
bases entre la première moitié et la deuxième moitié
de sa séquence. Le pré-miARN est ensuite transporté
dans le cytoplasme via un mécanisme dépendant
de l’exportine-5, où il est clivé par une enzyme de la
famille Dicer qui le sépare de la boucle, pour libérer
un petit ARN double-brin de 19 à 25 nucléotides : dans
ce petit duplex, le futur miARN est imparfaitement
apparié à une molécule similaire (petit ARN, long
lui aussi d’une vingtaine de nucléotides). Au cours
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Micro-ARN et inflammation :
ce que l’étude du rejet aigu du greffon rénal peut nous apprendre
de la dernière étape de la maturation du miARN, ce
duplex est ouvert ; un des brins de cette molécule
s’associe avec une protéine de la famille Argonaute,
formant ainsi le complexe RISC (RNA-Induced Silencing
Complex), alors que le fragment complémentaire est
dégradé.
ARN polymérase II
ADN génomique
Transcription
Pri-miARN
Noyau
Drosha/DGCR8
Mécanisme d’action des micro-ARN
Quand le complexe RISC identifie l’ARNm cible complémentaire ou partiellement complémentaire de la
séquence du miARN, il inhibe l’expression du gène
par répression de la traduction ou par dégradation de
l’ARNm. Les miARN ne sont souvent que partiellement
complémentaires de leurs ARN cibles. Si la complémentarité est parfaite entre le miARN et l’ARNm, l’ARNm cible
est clivé et dégradé. Si la complémentarité est imparfaite, le mécanisme conduisant à l’inhibition de l’expression du gène est encore discuté, et pourrait impliquer
l’inhibition de la traduction au niveau de l’initiation
ou de l’étape d’élongation, la dégradation rapide de la
protéine nouvellement synthétisée, la séquestration de
l’ARNm dans des structures cytoplasmiques de stockage
et de dégradation des ARNm appelées corps P (processing bodies), et/ou la dégradation de l’ARNm (7). Les
sites de fixation des miARN sont généralement situés
vers l’extrémité 3’ non traduite (UnTranslated Region
[UTR]) des ARNm cibles.
Fonctions des micro-ARN
L’impact de la régulation de l’expression des gènes
par les miARN semble particulièrement vaste : des
centaines de miARN ont été clonés et des milliers ont
été prédits par analyse bio-informatique (8). Il a été
montré qu’un seul miARN est directement responsable
de la répression de centaines de protéines et régule
le niveau de milliers d’autres (9). Les miARN seraient
capables de réguler au moins un tiers de l’ensemble du
génome humain. On prédit également par analyse bioinformatique que la plupart des miARN sont capables
de réguler des dizaines de gènes cibles. Enfin, de nombreux gènes peuvent avoir de multiples sites de fixation de miARN, qui représentent des cibles pour un
ou plusieurs miARN.
Les miARN semblent jouer un rôle clé dans des processus biologiques divers comme le développement (10), la prolifération cellulaire, la différenciation,
l’apoptose, l’oncogenèse (11)… En particulier, les miARN
sont apparus très impliqués dans le développement
et l’homéostasie des cellules de l’immunité (lire cidessous). La dérégulation de l’expression de miARN
a aussi été associée à plusieurs cancers et à d’autres
types de maladie (12).
Pré-miARN
Exportine-5
Cytoplasme
Inhibition
de la traduction
ARNm cible
Dicer/Ago1-4/
TRBP ou PACT
AAAn
Homologie
de séquence
partielle
Ribosome
Déstabilisation
de l’ARNm
ARNm cible
Complexe
RISC
AAAn
Homologie
de séquence
parfaite
Ribosome
Figure. Biogenèse des miARN (4). Les miARN sont transcrits par une ARN polymérase II dans
le noyau sous la forme de primary miRNA (pri-miARN), puis clivés en precursor miRNA (prémiARN) par un complexe protéique, le Microprocessor complex, comportant la ribonucléase
de type III Drosha et son cofacteur, la protéine DiGeorge syndrome Critical Region gene 8
(DGCR8). Le pré-miARN, replié en tige-boucle imparfaite par complémentarité de bases, est
transporté dans le cytoplasme par l’exportine-5. Il est ensuite clivé par un complexe protéique
comportant la ribonucléase de type III Dicer, la protéine TAR RNA-Binding Protein (TRBP) ou
la Protein kinase R ACTivator (PACT) et une des protéines Argonaute 1 à 4, libérant 1 ARN
double-brin d’environ 22 nucléotides. Ce duplex est alors ouvert, un des brins s’associant à la
protéine Argonaute pour former le complexe RISC (RNA-Induced Silencing Complex), alors que
le fragment complémentaire appelé miARN* est le plus souvent dégradé. Le miARN comporte
en son extrémité 5’ la seed sequence, séquence clé qui va servir de guide au complexe RISC
afin d’identifier la séquence complémentaire présente à l’extrémité 3’ UTR de l’ARN messager
(ARNm) cible du miARN. RISC inhibe alors l’expression du gène par répression de la traduction
ou par dégradation de l’ARNm (5).
Implication des micro-ARN
dans le système immunitaire
Des données récentes suggèrent le rôle des miARN
dans la régulation du développement des cellules de
l’immunité et dans la modulation des immunités innée
et adaptative (tableau, p. 24) [14, 15].
Micro-ARN et développement et maturation
des cellules de l’immunité
Des études récentes montrent le rôle des miARN dans le
développement et la maturation lymphocytaire (16, 17)
et dans la différenciation des lignées hématopoïétiques (18). Par exemple, la caractérisation du répertoire de miARN de cellules lymphocytaires T à différents
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Tableau. MicroARN, gènes cibles et régulation de l’immunité (13).
Micro-ARN
Gène(s) cible(s)
Fonction et processus régulés
let-7e
TLR4
Régulation de l’immunité innée
miR-9
NF-κB1
Régulation de la réponse à l’inflammation
miR-16
TNFα
Fixation à des motifs ARE des régions 3’ non traduites ; induit la dégradation du TNFα
miR-17-5p
RUNX1
Inhibition de la prolifération, de la différenciation et de la maturation des monocytes
miR-17~92 (cluster)
BIM, PTEN
Régulation de la transition de prolymphocytes à prélymphocytes des lignées B et T ;
promotion de la survie des cellules B et T
miR-20a
AML-1
Inhibition de la prolifération, de la différenciation et de la maturation des monocytes
miR-21
PTEN, PDCD4, IL12A
Expression augmentée dans les macrophages en réponse à l’inflammation ; induit par les TLR ;
régule négativement l’activation macrophagique
miR-32
PFV1, ORF2
Inhibition de la réplication de PFV1 en ciblant le génome viral
miR-34
JAG1, WNT1, FOXP1
Régule la différenciation des cellules dendritiques d’origine myéloïde
miR-106a
AML-1
Inhibition de la prolifération, de la différenciation et de la maturation des monocytes
miR-122
–
Requis pour la réplication du VHC
miR-121/miR-122
KIT
Régule la prolifération des cellules souches et des cellules progénitrices
miR-125b
TNFα
Diminue au cours de la réponse à l’inflammation, induisant ainsi la production de TNFα
miR-126
HOXA9, PLK2
Induit l’expansion des cellules progénitrices
miR-132
–
Régule la réponse immune aux infections bactériennes ; impliqué dans la voie de signalisation de CREB
miR-142
AC9
Réprimé par FOXP3, conduisant à une augmentation de la production d’AMPc et aux fonctions
suppressives des cellules T régulatrices
miR-146a
TRAF6, IRAK1, IRAK2
Augmenté dans les macrophages et les cellules épithéliales en réponse à l’activation de TLR2, 4 et 5
ou à l’exposition au TNFα ou à l’IL-10 ; régule la réponse immune aux infections bactériennes
miR-150
Myb
Régule la production de lymphocytes B matures ; régule la transition de pro- à pré-B ;
régule l’activation des lymphocytes T
miR-155
PU.1, MAF, SHIP1, AID,
SOCS1, BACH1, CEBPB,
CSFR, TAB2, JARID2
Régule la réponse immune aux infections bactériennes et virales ; induit par la signalisation des TLR ;
régule TNFα ; requis pour les fonctions lymphocytaires normales, la réponse des centres germinatifs,
la commutation de classe, la génération de plasmocytes, la polarisation Th1/Th2, le développement
thymique des cellules T régulatrices, la prolifération des granulocytes et des monocytes
miR-181a
DUSP5, DUSP6, SHP2,
PTPN22, BCL-2, CD69
Régule le développement des lymphocytes B et T ; module la sensibilité des lymphocytes T aux antigènes
en régulant les niveaux d’expression de plusieurs phosphatases impliquées dans la signalisation du TCR
miR-181b
AID
Impliqué dans la commutation de classe des lymphocytes B
miR-196b
Famille HOX
Rôle fonctionnel en modulant l’homéostasie des cellules souches et l’engagement dans les voies
de différenciation cellulaire
miR-223
MEF2C
Régulation de la granulopoïèse
miR-326
ETS1
Promotion du développement des cellules TH17
miR-424
NFIA, SPI1
Impliqué dans la différenciation et la maturation des monocytes
ARE : AU-rich elements ; TLR : Toll-Like Receptor.
stades de maturation a révélé des modifications dynamiques définissant une signature de miARN spécifique
de chaque stade (19). En particulier, le miARN miR-181
est élevé au stade de cellules double-positives, quand
les thymocytes exprimant à la fois le CD4 et le CD8
subissent la sélection positive et la sélection négative,
ce qui suggère le rôle de miR-181 dans ce processus.
L’étude du profil d’expression des miARN dans les cellules T naïves, effectrices et mémoires a montré que
24
l’expression de miARN est modifiée au cours de la différenciation des cellules T (20). Il a aussi été observé
que les cellules T régulatrices sont caractérisées par
un profil d’expression des miARN distinct de celui des
lymphocytes T CD4+ conventionnels (21).
Micro-ARN et immunité innée
Une étude récente utilisant la technologie des microarrays sur des macrophages activés de souris a caractérisé
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Micro-ARN et inflammation :
ce que l’étude du rejet aigu du greffon rénal peut nous apprendre
le miARN miR-155 comme la voie commune de plusieurs
types de médiateur de l’inflammation (22), et 3 miARN,
miR-146a, miR-132 et miR-155, sont régulés en réponse
à la stimulation par des endotoxines (23). La fonction
des miARN dans les macrophages a été revue (24).
Micro-ARN et immunité adaptative
Des miARN ont été impliqués dans la sensibilité des
lymphocytes T aux pathogènes. Les cellules T qui surexpriment miR-181 présentent une activation plus forte
de la cascade de signalisation du TCR en réponse à des
complexes MHC-peptide de faible affinité (25).
Le phénotype de souris invalidées pour le gène miR-155
met en évidence le rôle complexe joué par miR-155
sur différents aspects de la réponse immune adaptative. L’absence de miR-155 conduit à une altération
complexe de la réponse immune, évaluée par des
tests fonctionnels sur les lymphocytes B et T et les
cellules dendritiques, et à l’échec d’acquisition d’une
immunité protectrice contre des bactéries pathogènes (26). D’autres études montrent le rôle de miARN
au cours de la réponse à des infections bactériennes
ou virales (23, 26-28).
Micro-ARN et rejet du greffon rénal
L’implication des miARN dans l’homéostasie des cellules de l’immunité a conduit à envisager leur implication au cours de la réaction allo-immune. Le rejet
aigu cellulaire du greffon rénal est caractérisé par
une infiltration du greffon par des cellules mononucléées alloréactives, dont le caractère agressif aboutit
à la dysfonction du greffon. L’implication des miARN
n’étant pas connue dans ce contexte, nous avons émis
l’hypothèse que le profil d’expression des miARN
pouvait être altéré au cours du rejet aigu d’allogreffe
rénale (29). Nous avons donc entrepris l’étude du profil
d’expression des miARN dans des biopsies de greffons
rénaux atteints ou non de rejet aigu cellulaire (29). Le
profil d’expression global de 365 miARN a été analysé
dans 3 biopsies de greffons rénaux atteints de rejet
aigu et dans 4 biopsies normales de greffons rénaux
de patients à fonction rénale stable, utilisés comme
contrôles. Une étude par clustering hiérarchique non
supervisé de ces profils d’expression permettait de
séparer correctement les 2 groupes, suggérant une
modification particulière du profil de miARN au cours
du rejet aigu. Une analyse supervisée cherchant à
isoler les miARN dont l’expression était significativement différente dans les 2 groupes a permis de mettre
en évidence une signature d’expression de miARN
au cours du rejet aigu cellulaire du greffon rénal. Les
niveaux d’expression de 53 miARN étaient significativement différents dans les 2 groupes de biopsies,
incluant 43 miARN moins exprimés (let-7c, miR-10a,
miR-10b, miR-125a, miR-200a, miR-30a-3p, miR-30b,
miR-30c, miR-30e-3p, miR-32, etc.) et 10 miARN plus
exprimés (miR-142-5p, miR-142-3p, miR-155, miR223, miR-146b, miR-146a, miR-342, miR-21, miR-650,
miR-525-5p) au cours du rejet. Cette signature a pu
être confirmée sur des échantillons biopsiques indépendants. Des analyses par courbes ROC (Receiver
Operating Characteristic) ont montré que le niveau
d’expression de miARN comme miR-142-5p ou miR-155
peut constituer un bon biomarqueur diagnostique de
rejet aigu cellulaire du greffon rénal, caractérisé par
une sensibilité et une spécificité de, respectivement,
100 % et 95 %.
Des analyses complémentaires ont montré que l’expression de plusieurs des miARN significativement plus
exprimés (miR-142, miR-155 et miR-223) était corrélée
à l’expression du marqueur lymphocytaire T CD3, ce
qui suggère que ces miARN provenaient essentiellement des cellules immunes infiltrant le greffon. Des
expériences menées in vitro ont également montré
que l’expression de ces miARN était régulée par l’état
d’activation des cellules mononuclées, ce qui laisse
penser que les variations d’expression observées
n’étaient pas liées uniquement au degré d’infiltration du greffon mais aussi au degré d’activation des
cellules. De façon similaire, l’expression de plusieurs
des miARN significativement moins exprimés dans
les biopsies au cours du rejet aigu était corrélée à
l’expression du marqueur épithélial tubulaire NKCC2,
ce qui suppose que ces miARN provenaient essentiellement des cellules parenchymateuses rénales.
De plus, des cellules épithéliales tubulaires rénales
en culture exposées à des cytokines pro-inflammatoires, mimant in vitro l’environnement inflammatoire
du rejet, présentaient une altération de leur profil
d’expression des miARN, suggérant l’implication de
ces derniers dans les altérations tubulaires induites
par l’inflammation (29).
Régulation des micro-ARN
par l’inflammation
Ces premiers résultats, suggérant une régulation de
l’expression des miARN tubulaires rénaux au cours
du rejet, ont conduit à suspecter une régulation
des miARN par l’inflammation dans les cellules
tubulaires.
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Plusieurs stimuli inflammatoires sont en effet capables
de réguler l’expression de miARN (30). Des facteurs
transcriptionnels peuvent réguler des gènes porteurs
de séquences de miARN, modulant ainsi l’expression
de ces miARN. Dans le contexte de l’inflammation, des
ligands de TLR, des antigènes ou des cytokines peuvent
faire varier l’expression de miARN par la régulation de
facteurs transcriptionnels spécifiques. Dans les cellules
de l’immunité, plusieurs stimuli pro-inflammatoires
peuvent induire des miARN. Par exemple, le ligand de
TLR4, le lipopolysaccharide (LPS), induit, dans la lignée
monocytaire humaine THP1, différents miARN dont
miR-155, miR-146 et miR-132, et l’interleukine 1β (IL-1β)
induit miR-146a (23). La phytohémagglutinine induit
miR-155 dans les cellules mononucléées circulantes
humaines (29).
Même si les données de la littérature sont beaucoup
plus limitées, le même type de régulation semble également exister dans des cellules épithéliales. Par exemple,
la stimulation par l’IL-1β de cellules épithéliales alvéolaires humaines conduit à une augmentation du niveau
d’expression de miR-146a (31).
Implication des micro-ARN
dans les modifications épithéliales
phénotypiques induites par l’inflammation
Au cours du rejet aigu, l’inflammation induit des
modifications phénotypiques des cellules résidentes
parenchymateuses du greffon. Les cellules tubulaires
activées produisent des cytokines, des chimiokines
et des molécules de costimulation en réponse à
l’infiltration lymphocytaire (32). Par conséquent, les
cellules épithéliales activées régulent positivement
ou négativement l’activité destructrice des cellules
immunitaires alloréactives. D’autre part, l’inflammation peut également conduire à des modifications
phénotypiques suggestives de transition épithéliomésenchymateuse (33). Les mécanismes de régulation
mobilisés au niveau unicellulaire sont mal connus,
mais des données récentes suggèrent que les miARN
pourraient être impliqués, en ciblant des transcrits clés
de la signalisation intracellulaire et/ou en modifiant
les molécules de surface exprimées par les cellules
épithéliales en réponse à l’inflammation (34).
Dans les cellules épithéliales alvéolaires humaines qui
présentent une augmentation de miR-146a après stimulation par l’IL-1β, la transfection de miR-146a avant
l’exposition aux cytokines réduit la synthèse d’IL-8 et
de RANTES par ces cellules, ce qui indique que miR146a est associé à la régulation de la synthèse de
26
médiateurs de l’inflammation au cours de la réponse
immune précoce dans ce modèle (31). Les miARN ont
aussi été impliqués dans la régulation de l’expression
de protéines membranaires immunorégulatrices. Le
miARN miR-513 régule l’expression de la molécule de
costimulation B7-H1 induite par l’IFN-γ dans des cellules
épithéliales biliaires (35).
Ces données émergentes suggèrent l’implication de
miARN dans la réponse des cellules épithéliales à des
stimuli pro-inflammatoires.
Implication des micro-ARN
dans la réponse épithéliale tubulaire
rénale à l’inflammation
Nos résultats, obtenus sur des biopsies de greffons
rénaux, associés aux données émergentes de la littérature (cf. chapitre ci-dessus), suggéraient la possibilité
d’une régulation des miARN par l’inflammation dans
les cellules épithéliales rénales (29). Nous avons donc
entrepris de tester l’hypothèse selon laquelle, dans le
contexte du rejet aigu d’allogreffe, l’inflammation de
l’organe greffé pourrait affecter l’expression de miARN
non seulement dans les cellules infiltrantes activées
mais aussi dans les cellules résidentes parenchymateuses exposées à un milieu pro-inflammatoire.
Une étude in vitro a donc été entreprise pour appréhender les conséquences de l’inflammation sur l’expression des miARN tubulaires et pour déterminer si
celles-ci ont des conséquences physiopathologiques sur
les lésions des cellules cibles. Nos résultats préliminaires
réalisés in vitro ont montré que l’exposition de cellules
épithéliales tubulaires rénales de la lignée HK-2 à du
surnageant de cultures de cellules mononucléées préalablement activées par la phytohémagglutinine induit
une modification du profil d’expression de miARN, avec
notamment une augmentation de l’expression de miR146a. L’IL-1β et les ligands des TLR2 et 4 reproduisent
cette induction de miR-146a dans les cellules tubulaires
rénales et cette stimulation est en partie inhibée par
la répression de la voie NF-κB, suggérant son implication dans la régulation de miR-146a. Une analyse
transcriptomique montre que l’expression de l’IL-8 et
de plusieurs chimiokines est réduite par la surexpression de miR-146a : il y aurait un rôle de rétrocontrôle
négatif de miR-146a sur la voie d’activation de NF-κB,
l’expression de miR-146a limitant les conséquences
des stimuli inflammatoires sur l’activation de ce facteur
transcriptionnel. Des études fonctionnelles sont en
cours pour identifier les mécanismes de cet effet régulateur de la voie NF-κB.
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Micro-ARN et inflammation :
ce que l’étude du rejet aigu du greffon rénal peut nous apprendre
Conclusion
La découverte des miARN et de leurs fonctions de régulation de l’expression des gènes est une des découvertes
biomédicales les plus importantes de ces 15 dernières
années, si bien qu’ils deviennent progressivement des
acteurs incontournables de la biologie.
Nos travaux, qui ont été parmi les premiers à faire entrer
les miARN dans le champ de la biologie de la transplantation, mettent en avant leur implication potentielle
comme biomarqueurs de rejet, et pourraient également améliorer notre compréhension de la régulation
des gènes au cours du processus physiopathologique
d’agression allo-immune et, plus largement, de réponse
rénale à l’inflammation.
■
Remerciements
Les auteurs sont membres de la fondation de coopération scientifique
Centaure, un réseau thématique de recherche et de soins (RTRS)
dédié aux sciences de la transplantation.
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