MÉDECINE-SCIENCES FLAMMARION/LAVOISIER – ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2010
(www.medecine.lavoisier.fr)
PLACE DES MICRO-ARN EN NÉPHROLOGIE
ET TRANSPLANTATION
par
D. ANGLICHEAU*
Les études d’expression des gènes se sont jusqu’alors essentiellement focalisées
sur les ARN messagers (ARNm). Les micro-ARN (miARN) représentent une classe
abondante d’ARN naturels non codants, hautement conservés au cours de l’évolu-
tion, de petite taille (~19-25 nucléotides), qui jouent un rôle clé dans la régulation
de l’expression des gènes. Même si le premier miARN a été décrit en 1993 [1, 2], ce
n’est qu’au cours des dernières années que la reconnaissance de leur rôle important
dans la régulation des gènes a conduit à un intérêt croissant pour leur identifi cation
et leur caractérisation [3]. L’engouement créé par la découverte de ces petits ARN
régulateurs conduit maintenant à leur étude dans tous les champs de la biologie et
de la recherche biomédicale et des données émergeantes suggèrent aussi leur rôle
dans des processus physiologiques ou pathologiques d’intérêt pour le néphrologue,
comme la régulation du système immunitaire, la fi brogenèse, la kystogenèse…
Notre objectif est ici de fournir les bases de compréhension de la biologie des
miARN et de proposer une revue de la littérature sur l’implication des miARN en
néphrologie et transplantation.
* Service de Transplantation rénale et de Soins intensifs, Hôpital Necker, Université René Descartes,
Paris.
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BIOLOGIE DES MICRO-ARN
Découverte des micro-ARN
On doit à l’équipe de Victor Ambros la première observation expérimentale qui
conduira à la découverte des miARN. Cette équipe publie en 1993 un résultat original :
un ARN de 22 nucléotides semble jouer un rôle capital lors du développement de
Caenorhabidis elegans [1]. Fait notable, cet ARN ne code pas une protéine, mais réduit
l’expression d’un autre gène en se fi xant sur sa région 3’ non traduite. Il faut attendre
7 ans pour qu’un autre gène agissant de façon similaire soit rapporté [4] et c’est en
2001, avec trois articles originaux publiés dans la même édition du journal Science,
que le terme miARN apparaît et que ce mécanisme de régulation de gènes apparaît
fondamental après avoir été identifi é également dans des organismes supérieurs [5-7].
Parallèlement à l’identifi cation des miARN, on découvre la notion d’ARN inter-
férence au cours de laquelle l’introduction d’un petit ARN double brin d’une ving-
taine de nucléotides conduit à l’extinction de l’ARN messager porteur de séquences
complémentaires et à la perte de fonction du produit du gène [8]. Ces deux décou-
vertes parfaitement convergentes sont à l’origine de la démonstration d’un nouveau
mode de régulation de l’expression des gènes.
Synthèse des micro-ARN
Les gènes des miARN peuvent être codés dans des unités transcriptionnelles
indépendantes, dans des clusters polycistroniques ou dans les introns de gènes codant
des protéines [9]. Les miARN sont d’abord transcrits par une ARN polymérase II
dans le noyau, sous la forme de longs précurseurs (primary miRNA, pri-miRNA)
[10]. Ces précurseurs sont alors clivés en un produit intermédiaire appelé « pre-
miRNA » (precursor miRNA) par l’enzyme nucléaire Drosha, une ribonucléase
spécifi que des ARN double brin. Indépendamment de Drosha, une fraction des
pré-micro-ARN d’origine intronique peut aussi être générée par l’action combinée
du spliceosome et d’une enzyme appelée lariat-debranching enzyme (LDBR) [11].
Le pré-micro-ARN est un ARN long d’environ 70 nucléotides, replié en tige-boucle
par complémentarité de bases imparfaite entre la première moitié et la deuxième
moitié de sa séquence. Le pré-micro-ARN est ensuite transporté dans le cytoplasme
via un mécanisme dépendant de l’exportine-5, où il est clivé par une enzyme de la
famille Dicer qui le sépare de la boucle, pour libérer un petit ARN double brin de 19
à 25 nucléotides : dans ce petit duplex, le futur miARN est imparfaitement apparié
à une molécule similaire (petit ARN long lui aussi d’une vingtaine de nucléotides).
Au cours de la dernière étape de la maturation du miARN, ce duplex est ouvert ;
un des brins de cette molécule s’associe avec une protéine de la famille Argonaute
formant ainsi le complexe « RISC » (RNA-induced silencing complex), alors que le
fragment complémentaire est dégradé.
Mécanisme d’action des micro-ARN
Quand le complexe RISC identifi e l’ARNm cible complémentaire ou partiel-
lement complémentaire de la séquence du miARN, il inhibe l’expression du
PLACE DES MICRO-ARN EN NÉPHROLOGIE ET TRANSPLANTATION 169
gène par répression de la traduction ou par dégradation de l’ARNm. Les
miARN ne sont souvent que partiellement complémentaires de leurs ARN
cibles. Si la complémentarité est (quasi) parfaite entre le miARN et l’ARNm,
l’ARNm cible est clivé et dégradé par une protéine Argonaute. Plus fréquem-
ment, la complémentarité est imparfaite, et le mécanisme conduisant à l’inhibi-
tion de l’expression du gène est dans cette situation encore discuté, et pourrait
impliquer l’inhibition de la traduction au niveau de l’initiation ou de l’étape
d’élongation, la dégradation rapide de la protéine nouvellement synthétisée, la
séquestration de l’ARNm dans des structures cytoplasmiques de stockage et de
dégradation des ARNm appelées corps P (processing bodies, P-bodies), et/ou
la dégradation de l’ARNm (revue dans [12]). Les sites de fi xation des miARN
sont généralement situés vers l’extrémité 3’ non traduite (untranslated region,
UTR) des ARNm cibles.
Fonctions des micro-ARN
L’impact de la régulation de l’expression des gènes par les miARN semble
particulièrement vaste : des centaines de miARN ont été clonés et des milliers
ont été prédits par analyse bio-informatique [13]. Un seul miARN est direc-
tement responsable de la répression de centaines de gènes et régule le
niveau d’expression de milliers d’autres [14], conduisant à l’hypothèse que
de nombreux gènes sont régulés par des miARN [15]. Les miARN seraient
capables de réguler au moins un tiers de l’ensemble du génome humain. On
prédit également par analyse bio-informatique que la plupart des miARN sont
capables de réguler des dizaines de gènes cibles. Enfi n, de nombreux gènes
peuvent avoir de multiples sites de fi xation de miARN qui représentent des
cibles pour un ou plusieurs miARN.
Les miARN semblent jouer un rôle clé dans des processus biologiques divers
comme le développement (revue dans [16]), la prolifération cellulaire, la différen-
ciation, l’apoptose, l’oncogenèse [17]… La dérégulation de l’expression de miARN
a aussi été associée à plusieurs cancers et d’autres types de maladies [18].
IMPLICATION DES MICRO-ARN EN NÉPHROLOGIE
Développement du système urinaire
L’implication des miARN dans des processus biologiques se fonde essentielle-
ment in vivo sur l’invalidation du gène Dicer, qui code la ribonucléase responsable
de la maturation des pré-micro-ARN en micro-ARN double brin. L’invalidation
complète de Dicer conduit à une létalité embryonnaire [19]. Plus récemment, de
nombreux travaux ont utilisé la technique de l’invalidation conditionnelle de gène
pour aboutir à une extinction de Dicer spécifi que d’un type cellulaire donné (voir
ci-dessous).
Pastorelli et coll. ont invalidé Dicer dans le bourgeon urétéral et donc, au cours du
développement, dans l’épithélium du tube collecteur et l’urothélium [20] conduisant
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à des microkystes tubulaires originaires des tubes collecteurs et à une hydronéphrose
apparaissant dès 3 semaines.
Un transgène Pepck-Cre a été utilisé pour cibler l’invalidation de Dicer dans les
cellules tubulaires proximales. Ces mutants, qui présentaient bien une diminution
de l’expression de divers miARN dans le tissu cortical, avaient une histologie et une
fonction rénales normales dans des conditions contrôles. En revanche ces mutants
s’avéraient plus résistants à l’ischémie/reperfusion. Après 32 minutes d’ischémie
rénale bilatérale suivies de 48 heures de reperfusion, l’urée était respectivement de
217 et 67 mg/dl et la créatininémie de 2,2 et 0,8 mg/dl chez les souris sauvages et
les souris mutantes [21].
Développement des podocytes
Trois groupes ont généré une invalidation spécifi que de Dicer dans les podocytes
en utilisant la même stratégie faisant appel à un transgène NPHS2-Cre [22-26]. Ces
travaux ont démontré le rôle clé des miARN dans le développement, la structure et
la fonction podocytaires. Dans ce modèle, les mutants deviennent protéinuriques
en 2 à 4 semaines et évoluent vers l’insuffi sance rénale terminale. Les anomalies
podocytaires sont caractérisées par une hypertrophie, des vacuolisations, des effa-
cements des pédicelles, une dédifférenciation marquée par une désorganisation
du cytosquelette et une réduction précoce de l’expression de la synaptopodine.
Le tableau évolue vers une atteinte glomérulaire caractérisée par une expansion
mésangiale, des dépôts extracellulaires, des dilatations des capillaires gloméru-
laires et fi nalement une glomérulosclérose et une atteinte tubulo-interstitielle avec
dilatations tubulaires et fi brose tubulo-interstitielle. Shi et coll. ont réalisé une
analyse transcriptomique complémentaire qui a révélé que de nombreux ARN
messagers dont l’expression était augmentée dans les glomérules mutants étaient
potentiellement ciblés par miR-30 [25]. La famille de miARN miR-30 comporte
six gènes sous forme de trois clusters de deux gènes sur trois chromosomes diffé-
rents. Tous ses membres comportent la même séquence de reconnaissance des
ARN messagers. Shi et coll. ont pu montrer que miR-30d avait une expression
réduite dans les glomérules mutants alors que les précurseurs de miR-30 étaient
augmentés. De plus, ils ont récemment montré que le transforming growth factor-
β1 (TGF-β1) réduisait l’expression de miR-30 dans des podocytes en culture
avec un impact sur l’expression de gènes cibles [27]. De façon concordante, nous
avons montré que des cytokines pro-infl ammatoires réduisaient l’exposition de
miR-30a dans des cultures primaires de cellules épithéliales rénales [28]. Enfi n,
il a été montré que l’hyperexpression in vitro de miR-30a dans des cellules HeLa
conduisait à une répression de centaines de protéines [29]. Tous ces résultats
suggèrent l’implication signifi cative des miARN de la famille miR-30 dans les
cellules rénales.
Transition épithélio-mésenchymateuse
La transition épithélio-mésenchymateuse (TEM), un processus dynamique au
cours duquel des cellules perdent leurs caractéristiques épithéliales et développent
des propriétés mésenchymateuses, est actuellement reconnue, bien que contro-
PLACE DES MICRO-ARN EN NÉPHROLOGIE ET TRANSPLANTATION 171
versée, comme un contributeur important de la fi brose rénale. Plusieurs miARN,
incluant miR-205 et les miARN de la famille miR-200 (miR-200a, miR-200b,
miR-200c, miR-141, miR-429) semblent jouer un rôle majeur dans l’induction de
l’EMT induite par le TGF-β1 dans les cellules tubulaires rénales [30]. Ces miARN
répressent les facteurs transcriptionnels ZEB1 et S1P1 qui eux-mêmes répressent
l’expression de E-cadhérine. Par conséquent, la répression de ces miARN libère
ZEB1 et S1P1 qui viennent réduire l’expression de E-cadhérine et induire ainsi le
phénomène d’EMT.
Diabète
Plusieurs travaux récents suggèrent l’implication des miARN au cours du déve-
loppement de la néphropathie diabétique. Kato et coll. ont montré qu’un miARN,
miR-192, avait une expression augmentée sous l’effet du TGF-β1 in vitro dans les
cellules mésangiales et in vivo dans les glomérules dans un modèle murin de diabète
induit par la streptozotocine [31]. Ils ont pu montrer que miR-192 ciblait et diminuait
l’expression de la protéine régulatrice S1P1 (E-box repressor Smad-1 interacting
protein). Cette protéine se fi xe sur les régions promotrices du gène Col1a2. Par
conséquent, la répression de S1P1 induite par miR-192 est susceptible d’augmenter
les dépôts de collagène induits par le TGF-β1.
Le même groupe a récemment rapporté des informations clés sur l’implication
de miARN dans la régulation de Akt par le TGF-β1 [32]. Il a en effet été montré
que le TGF-β active Akt dans les cellules mésangiales en induisant miR-216a et
miR-217, ces deux miARN ciblant PTEN (phosphatase and tensin homologue), un
inhibiteur de l’activation de Akt. Ces deux miARN sont localisés dans le second
intron d’un ARN non codant dont le promoteur est activé par le TGF-β et miR-192,
selon un mécanisme qu’ils avaient démontré antérieurement [31]. L’activation de
Akt par ces miARN conduit à une survie des cellules glomérulaires mésangiales
et à leur hypertrophie, deux caractéristiques similaires aux effets du TGF-β. Pour
résumer, ces travaux mettent en évidence un mécanisme d’activation de Akt liée
à une répression de PTEN par deux miARN qui sont régulés en amont par le
TGF-β et miR-192.
Wang et coll. ont montré que l’expression de miR-377 est augmentée dans
plusieurs modèles de néphropathie diabétique et dans des cellules mésangiales
exposées à de fortes concentrations de glucose ou au TGF-β1 [33]. L’hyperexpres-
sion stable de miR-377 dans des cellules mésangiales augmente l’expression de
bronectine dans ces cellules, de même que celle d’autres gènes potentiellement
importants dans la physiopathologie de la néphropathie diabétique.
Polykystose hépatorénale
Un micro-ARN pourrait jouer un rôle important dans la kystogenèse. Lee et
coll. ont étudié le profi l d’expression des miARN dans des cholangiocytes dans
un modèle de rat de polykystose rénale autosomique récessive, mais aussi dans
le foie de ces animaux et de patients porteurs de polykystose hépatique et ont
démontré une réduction d’expression de miR-15a dans toutes ces circonstances
[34]. Ce micro-ARN répresse le régulateur du cycle cellulaire Cdc25a. Au total,
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