Henry T. Lynch, un autre regard sur le cancer
L’auteur n’a pas précisé ses
éventuels liens d’intérêts.
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2013
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L’organisation coopérative impliquant les médecins
généralistes et les familles est fondamentale pour
H. Lynch, non seulement parce que les patients sont
souvent capables de décrire des symptômes précoces
rares ou inhabituels – H. Lynch est d’ailleurs surpris par
l’acuité avec laquelle ils regardent “leur” maladie –, mais
aussi parce que cette proximité et cette implication
doivent permettre, soutient H. Lynch, de mieux prendre
en charge cette pathologie (4).
H. Lynch et A. Krush établissent des centaines d’arbres
généalogiques en collaboration avec les familles,
s’informant sur les mariages, les noms, les surnoms,
les noms de jeune fi lle, la paternité, la consanguinité,
les enfants conçus hors mariage, le déroulement des
grossesses, les expositions virales et les infections bac-
tériennes, les médications, les dates de naissance, les
manifestations de la maladie, l’âge de survenue, les
symptômes associés chez les individus et dans leurs
familles, les lieux de résidence, les conditions environ-
nementales, les maladies intercurrentes, etc. H. Lynch
implique fortement les patients, insistant sur l’intérêt
de son travail, leur demandant de l’aider à la rédaction
et à la distribution de questionnaires, obtenant de
leur part des consentements éclairés, etc. A. Krush est,
en outre, chargée de surveiller l’impact psychologique
de la maladie et d’aider les familles à obtenir des aides
auprès de structures sociales ou de groupements de
réhabilitation.
Mais le travail de H. Lynch ne rencontre pas la consi-
dération qu’il est en droit d’espérer. L’heure n’est pas à
la théorie héréditaire du cancer. En 1966, Peyton Rous
et Charles B. Huggins voient leurs travaux sur le rôle
des virus et de l’environnement (hormonal) dans la
genèse du cancer récompensés par le prix Nobel. Qui
plus est, H. Lynch n’est pas issu d’un grand centre uni-
versitaire (Ann Arbor ou MD Anderson), et ses travaux
sont considérés avec suspicion ou, au mieux, avec
condescendance.
Alors, H. Lynch et A. Krush observent, interrogent,
notent, trient, classent, croisent, archivent, collec-
tionnent, traitent inlassablement… Ils constituent
ainsi une banque de données considérable allant,
par exemple, jusqu’en Allemagne pour retrouver les
origines de la famille G et établir sa généalogie, qui
compte aujourd’hui 929 membres connus.
En 1984, H. Lynch est enfi n récompensé, et son travail
reconnu. Le syndrome qu’il a décrit prend le patronyme
de son découvreur : le HNPCC est désigné sous le nom
de “syndrome de Lynch”. En 1991, les critères d’Ams-
terdam défi nissent les limites de ce syndrome ; ils ont
été modifi és en 1999 (Amsterdam II) [encadré]. En 1993,
les gènes putatifs sont repérés par analyse de lésions,
puis, en 1994 et en 1996, les gènes responsables (gènes
de réparation de l’ADN [DNA mismatch repair genes] et
d’instabilité microsatellitaire [MSI] MLH1, MSH2, MSH6)
sont identifi és. Et l’histoire continue avec la description
d’autres pathologies associées au syndrome de Lynch,
et de mutations ou de délétions multiples intéressant
les gènes de MSI.
À 87 ans, H. Lynch publie toujours et continue de tra-
vailler sur la banque de données de l’université médi-
cale de Creighton, dont les données considérables
ont permis, avec l’essor de la biologie moléculaire,
des avancées majeures dans la prise en charge, entre
autres, des cancers familiaux du sein et de l’ovaire
(BRAC1 et 2) tout autant que dans le HNPCC. H. Lynch
a toujours œuvré pour une médecine de proximité et
de conseil. Sa formation atypique l’a sans doute aidé
à considérer l’humain comme l’élément central de sa
réfl exion. Curieux, éclectique, il a su faire de la génétique
médicale un outil nouveau. À l’heure de la biologie
moléculaire et de la médecine personnalisée, il nous
invite à ne pas oublier que le patient reste l’élément
central de la maladie que nous avons à traiter.
■
1. Lynch HT, Shaw MW, Magnuson CW et
al. Hereditary factors in cancer. Study of two
large midwestern kindreds. Arch Intern Med
1966;117(2):206-12.
2. Douglas JA, Gruber SB, Meister KA et al.
History and molecular genetics of Lynch
syndrome in family G: a century later. JAMA
2005;294(17):2195-202.
3. Cantor D. The frustrations of fami-
lies: Henry Lynch, heredity, and cancer
control, 1962-1975. Med Hist 2006;50(3):
279-302.
4. Lynch HT, Tips RL, Krush A et al. Familly
centered genetic counseling: role of the phy-
sician and the medical genetics clinic. Nebr
State Med J 1965;50:155-9.
Références
Encadré. Critères d’Amsterdam II.
Trois parents au moins sont atteints d’un cancer colorectal ou d’un cancer del’intestin
grêle, de l’endomètre, du rein ou des voies urinaires, des voies biliaires, del’estomac
oudel’ovaire.
Un des parents est uni aux 2autres par un lien de parenté au premierdegré (père,
mère, frère, sœur, enfant).
Deux générations successives sont atteintes.
Au moins 1desparents a eu un cancer avant l’âge de 50ans.
Les personnes atteintes ont un risque de 60 à 80 % d’avoir un cancer colorectal (CCR)
au cours de leur vie. Dans ce cas, le CCR est le plus souvent localisé au côlon droit et
survient précocement vers l’âge de 40 ou 50ans. Les femmes atteintes ont un risque
d’avoir un cancer de l’endomètre (utérus) de 40 à 80 % au cours de leur vie.
La transmission de cette maladie héréditaire est autosomique dominante.