histoire
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Correspondances en Onco-Urologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2013
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Henry T. Lynch,
un autre regard sur le cancer
P. Camparo*
*Centre de pathologie,
Amiens.
H
enry T. Lynch est né à Lawrence, dans le
Massachusetts, le 4 janvier 1928. Usant ses
fonds de culottes dans un quartier pauvre
de New York, il abandonne l’école à l’âge de 14 ans.
À 16 ans, il sengage dans la marine (US Navy), en utili-
sant l’identité d’un cousin (il ment sur son âge), sert en
France, aux Philippines, puis dans le Pacifi que comme
artilleur dans la marine marchande. Libéré de ses obli-
gations en 1946, il commence une carrière peu convain-
cante de boxeur professionnel, parcourant les rings de
l’État de New York et des environs de San Francisco.
Las de ces errements, il s’inscrit en 1950 à l’université
de Denver (Colorado), où il obtient une maîtrise de
psychologie en 1952, puis à celle d’Austin (Texas) afi n
d’y préparer une thèse de génétique. Il abandonne fi na-
lement ce projet pour s’inscrire à l’université de méde-
cine de Galveston (Texas), d’où il sort diplômé en 1960.
Après un passage comme interne au St. Marys Hospital
d’Evansville (Indiana) en 1961, il obtient un poste de
résident en médecine interne à Omaha (université du
Nebraska) de 1961 à 1964, puis un poste d’assistant en
oncologie clinique à l’institut Eppley de recherche sur
le cancer (Omaha) de 1964 à 1966. En 1967, il rejoint
nalement l’université médicale de Creighton à Omaha,
où il vit encore aujourd’hui.
En 1962, alors que James Watson, né la même année
que H. Lynch, obtient avec Maurice Wilkins et Francis
Crick le prix Nobel de physiologie et de médecine
pour la description de la structure en double hélice
de l’ADN, H. Lynch n’a publié que 2 articles. Mais son
travail soriente déjà vers ce qu’il appelle la génétique
médicale”. Charles Magnuson, gastroentérologue à
l’hôpital des vétérans d’Omaha, lui demande alors
de recevoir en consultation de génétique un jeune
patient dépressif et alcoolique, eff rayé à l’idée de déve-
lopper un cancer du côlon comme un grand nombre
des membres de sa famille. C. Magnuson pense quil
doit y avoir un problème de polypose colique fami-
liale au sein de cette famille, cette pathologie étant
la seule cause héréditaire connue prédisposant au
cancer colorectal. Lorsque H. Lynch établit la généa-
logie familiale, il confirme la forte prévalence du
cancer colorectal dans celle-ci, mais pas celle de la
polypose colique. H. Lynch présente cette observation
lors d’une réunion de l’American Society of Human
Genetics en 1964. La description interpelle Marjorie
Shaw, généticienne médicale à l’université du Michigan
(Ann Arbor), qui se souvient avoir observé un cas iden-
tique. En 1966, H. Lynch, M. Shaw, Ann Krush (assistante
sociale avec H. Lynch), C. Magnuson et Arthur L. Larsen,
patho logiste à l’université du Nebraska, publient les
cas des 2 familles : la famille N (pour Nebraska) et la
famille M (pour Michigan) [1]. Ainsi commence une
longue histoire entre H. Lynch et le cancer colique
héréditaire non lié à une polypose colique (Hereditary
Non-Polyposis Colorectal Cancer [HNPCC]), plus tard
appelé syndrome de Lynch”.
La théorie héréditaire du cancer, cœur du travail de
H. Lynch, nest pas nouvelle, et la description des cas
de HNPCC non plus. Un premier cas de patiente, elle
aussi dépressive, appartenant à une famille du Michigan
(famille G), avait été rapporté par le pathologiste Aldred
S. Warthin en 1913 (2). À l’issue de sa publication
en 1966, H. Lynch reçoit une invitation du successeur
d’A. Warthin afi n de prendre connaissance des données
(histoires cliniques, prélèvements histologiques, etc.)
méticuleusement accumulées par A. Warthin sur la
famille G, mais depuis abandonnées dans un placard
poussiéreux”.
Alors que de plus en plus de familles présentant des
syndromes de cancers familiaux sont identifiées,
H. Lynch développe une structure simple, le Family
Information Service, en s’appuyant sur une équipe
réduite, qu’il a constituée dès 1961, composée de
lui-même, de son assistante sociale et d’un réseau
référent de médecins généralistes parfois aidés de
quelques étudiants en médecine. Ce réseau a pour
objectif de collecter des données cliniques et pra-
tiques utiles à la prise en charge de malades atteints
de pathologies héréditaires. H. Lynch bénéfi cie de
circonstances particulières dans la région rurale
qu’est le Nebraska où la population, attachée à sa
terre et aux valeurs familiales, présente un intérêt
unique par sa concentration géographique de cas
pathologiques (3). H. Lynch se déplace auprès des
familles et des médecins généralistes en utilisant un
véhicule customisé, comportant un bureau, une salle
d’examen et un laboratoire.
Henry T. Lynch, un autre regard sur le cancer
L’auteur n’a pas précisé ses
éventuels liens d’intérêts.
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Lorganisation coopérative impliquant les médecins
généralistes et les familles est fondamentale pour
H. Lynch, non seulement parce que les patients sont
souvent capables de décrire des symptômes précoces
rares ou inhabituels – H. Lynch est dailleurs surpris par
l’acuité avec laquelle ils regardent “leur maladie –, mais
aussi parce que cette proximité et cette implication
doivent permettre, soutient H. Lynch, de mieux prendre
en charge cette pathologie (4).
H. Lynch et A. Krush établissent des centaines d’arbres
généalogiques en collaboration avec les familles,
s’informant sur les mariages, les noms, les surnoms,
les noms de jeune fi lle, la paternité, la consanguinité,
les enfants conçus hors mariage, le déroulement des
grossesses, les expositions virales et les infections bac-
tériennes, les médications, les dates de naissance, les
manifestations de la maladie, l’âge de survenue, les
symptômes associés chez les individus et dans leurs
familles, les lieux de résidence, les conditions environ-
nementales, les maladies intercurrentes, etc. H. Lynch
implique fortement les patients, insistant sur l’intérêt
de son travail, leur demandant de l’aider à la rédaction
et à la distribution de questionnaires, obtenant de
leur part des consentements éclairés, etc. A. Krush est,
en outre, chargée de surveiller l’impact psychologique
de la maladie et d’aider les familles à obtenir des aides
auprès de structures sociales ou de groupements de
réhabilitation.
Mais le travail de H. Lynch ne rencontre pas la consi-
dération qu’il est en droit d’espérer. L’heure nest pas à
la théorie héréditaire du cancer. En 1966, Peyton Rous
et Charles B. Huggins voient leurs travaux sur le rôle
des virus et de l’environnement (hormonal) dans la
genèse du cancer récompensés par le prix Nobel. Qui
plus est, H. Lynch nest pas issu d’un grand centre uni-
versitaire (Ann Arbor ou MD Anderson), et ses travaux
sont considérés avec suspicion ou, au mieux, avec
condescendance.
Alors, H. Lynch et A. Krush observent, interrogent,
notent, trient, classent, croisent, archivent, collec-
tionnent, traitent inlassablement… Ils constituent
ainsi une banque de données considérable allant,
par exemple, jusqu’en Allemagne pour retrouver les
origines de la famille G et établir sa généalogie, qui
compte aujourd’hui 929 membres connus.
En 1984, H. Lynch est enfi n récompensé, et son travail
reconnu. Le syndrome qu’il a décrit prend le patronyme
de son découvreur : le HNPCC est désigné sous le nom
de syndrome de Lynch”. En 1991, les critères d’Ams-
terdam défi nissent les limites de ce syndrome ; ils ont
été modifi és en 1999 (Amsterdam II) [encadré]. En 1993,
les gènes putatifs sont repérés par analyse de lésions,
puis, en 1994 et en 1996, les gènes responsables (gènes
de réparation de l’ADN [DNA mismatch repair genes] et
d’instabilité microsatellitaire [MSI] MLH1, MSH2, MSH6)
sont identifi és. Et l’histoire continue avec la description
d’autres pathologies associées au syndrome de Lynch,
et de mutations ou de délétions multiples intéressant
les gènes de MSI.
À 87 ans, H. Lynch publie toujours et continue de tra-
vailler sur la banque de données de l’université médi-
cale de Creighton, dont les données considérables
ont permis, avec l’essor de la biologie moléculaire,
des avancées majeures dans la prise en charge, entre
autres, des cancers familiaux du sein et de l’ovaire
(BRAC1 et 2) tout autant que dans le HNPCC. H. Lynch
a toujours œuvré pour une médecine de proximité et
de conseil. Sa formation atypique l’a sans doute aidé
à considérer l’humain comme l’élément central de sa
réfl exion. Curieux, éclectique, il a su faire de la génétique
médicale un outil nouveau. À l’heure de la biologie
moléculaire et de la médecine personnalisée, il nous
invite à ne pas oublier que le patient reste l’élément
central de la maladie que nous avons à traiter.
1. Lynch HT, Shaw MW, Magnuson CW et
al. Hereditary factors in cancer. Study of two
large midwestern kindreds. Arch Intern Med
1966;117(2):206-12.
2. Douglas JA, Gruber SB, Meister KA et al.
History and molecular genetics of Lynch
syndrome in family G: a century later. JAMA
2005;294(17):2195-202.
3. Cantor D. The frustrations of fami-
lies: Henry Lynch, heredity, and cancer
control, 1962-1975. Med Hist 2006;50(3):
279-302.
4. Lynch HT, Tips RL, Krush A et al. Familly
centered genetic counseling: role of the phy-
sician and the medical genetics clinic. Nebr
State Med J 1965;50:155-9.
Références
Encadré. Critères d’Amsterdam II.
Trois parents au moins sont atteints d’un cancer colorectal ou d’un cancer del’intestin
grêle, de l’endomètre, du rein ou des voies urinaires, des voies biliaires, del’estomac
oudel’ovaire.
Un des parents est uni aux 2autres par un lien de parenté au premierdegré (père,
mère, frère, sœur, enfant).
Deux générations successives sont atteintes.
Au moins 1desparents a eu un cancer avant l’âge de 50ans.
Les personnes atteintes ont un risque de 60 à 80 % d’avoir un cancer colorectal (CCR)
au cours de leur vie. Dans ce cas, le CCR est le plus souvent localisé au côlon droit et
survient précocement vers l’âge de 40 ou 50ans. Les femmes atteintes ont un risque
d’avoir un cancer de l’endomètre (utérus) de 40 à 80 % au cours de leur vie.
La transmission de cette maladie héréditaire est autosomique dominante.
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