dossier thématique Journée FFCD-PRODIGE Quoi de neuf dans les formes héréditaires des cancers colorectaux ? What’s new in hereditary colorectal cancer? B. Buecher* Mots-clés Syndrome de Lynch Corrélations phénotype/génotype Chimioprévention Dépistage Keywords Lynch syndrome Phenotype/genotype correlation Follow-up Chemoprevention L es données relatives aux formes héréditaires des cancers colorectaux publiées au cours de l’année 2008 concernent principalement différents aspects du syndrome de Lynch, comme l’expression clinique, les corrélations phénotype/ génotype, les facteurs génétiques modificateurs des risques tumoraux, les stratégies de prise en charge et de dépistage ou encore la chimioprévention et la pharmacologie nutritionnelle. L’identification de nouveaux facteurs génétiques de prédisposition impliqués dans la carcinogenèse colorectale sporadique (facteurs génétiques de susceptibilité dits “mineurs”, intervenant dans le cadre d’un déterminisme multigénique) ou rendant compte de certaines agrégations familiales non syndromiques (facteurs génétiques de prédisposition “majeurs” ou “intermédiaires”, intervenant dans le cadre d’un déterminisme oligogénique) constitue un enjeu important des années à venir et fait actuellement l’objet de recherches qui n’ont pas encore abouti. Phénotype, corrélations phénotype/génotype et facteurs génétiques modificateurs * Unité d’oncogénétique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Le cancer de l’endomètre fait partie du spectre du syndrome de Lynch. Son incidence cumulée est évaluée aux alentours de 30 à 40 % chez les femmes atteintes de ce syndrome. On estime que 1 à 2 % de l’ensemble des cancers de l’endomètre surviennent dans le contexte d’un syndrome de 202 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 Lynch, et que ce chiffre atteint 8 à 9 % pour les seuls cancers diagnostiqués à un âge inférieur à 50 ans. S.N. Westin et al. (1) se sont intéressés spécifiquement aux adénocarcinomes développés aux dépens de la muqueuse de l’isthme utérin (c’est-à-dire la portion comprise entre le corps à proprement parler et l’endocol) à travers l’étude de 35 cas consécutifs identifiés au MD Anderson Cancer Center entre janvier 1996 et octobre 2007, qui ne correspondaient qu’à 3,5 % de l’ensemble des cancers de l’endomètre diagnostiqués au sein de cet établissement au cours de cette période. L’étude somatique (recherche d’une instabilité des microsatellites et étude de l’expression des protéines de réparation des mésappariements de l’ADN), associée, en cas de phénotype compatible, à la recherche d’une mutation constitutionnelle des gènes du système MMR et, le cas échéant, à la recherche d’une hyperméthylation du promoteur du gène MLH1, a permis de retenir le diagnostic de syndrome de Lynch dans 10 cas, soit 29 % de l’effectif (IC95 : 16-45). Ces données suggèrent que les adénocarcinomes de l’isthme utérin pourraient être “surreprésentés” au cours du syndrome de Lynch, et que ce syndrome devrait être systématiquement évoqué dans ce contexte. L’hétérogénéité de l’expression clinique du syndrome de Lynch est une observation ancienne. Différentes études ont permis d’établir une relation entre le gène en cause dans une famille donnée et le phénotype clinique. Ainsi, il est désormais établi que les mutations constitutionnelles du gène MSH6 sont associées à un moindre risque de cancers colorectaux, à un risque majoré de cancer de l’endomètre et dossier thématique à une fréquence accrue des présentations cliniques atypiques. Il est également probable que le risque de cancers “extra-colorectaux”, et notamment de cancers des voies excrétrices urinaires, soit plus élevé en cas de mutation constitutionnelle du gène MLH2 qu’en cas de mutation du gène MLH1. Nos connaissances en matière de corrélations génotype/phénotype se sont récemment enrichies grâce à la publication de L. Senter et al., qui a porté sur 39 familles avec syndrome de Lynch en rapport avec une mutation germinale du gène PMS2 (2). Dans ce travail, le risque relatif (RR) de cancer colorectal par rapport à la population générale était évalué à 5,2, soit un risque cumulé, à 70 ans, évalué à 20 % (IC95 : 11-34) chez les hommes et à 15 % (IC95 : 8-26) chez les femmes. L’augmentation du risque de cancer de l’endomètre était évaluée à 7,5, soit un risque cumulé à 70 ans évalué à 15 % (IC95 : 6-35). Ces données suggèrent donc que la prévalence des cancers colorectaux et des cancers de l’endomètre serait plus faible en cas d’implication du gène PMS2 et que la surveillance pourrait être “allégée” dans ce contexte. L’existence de facteurs génétiques modificateurs (polymorphismes ou combinatoires de polymorphismes de différents gènes) pourrait également rendre compte en partie de l’hétérogénéité phénotypique inter- et intra-familiale. S.G. Reeves et al. ont ainsi observé une relation entre l’âge au diagnostic de cancer colorectal et le nombre de répétitions du motif di-nucléotidique cytosine/adénine (CA), localisées en amont du promoteur du gène de l’insulin-like growth factor 1 (IGF1), dans le contexte des mutations des gènes MLH1 et MSH2 (3). Ainsi, chez les individus ayant un nombre de répétitions CA ≤ 17, l’âge médian pour le diagnostic des cancers colorectaux était inférieur de 12 ans à celui des individus ayant un nombre de répétitions ≥ 18. D’autre part, le RR de cancer colorectal diagnostiqué avant l’âge de 60 ans était de 1,70 (IC95 : 1,25-2,31) dans le premier groupe. D’autres facteurs génétiques pourraient conditionner, isolément ou en association, et conjointement aux facteurs d’environnement, l’expression clinique du syndrome de Lynch. La caractérisation de ces facteurs génétiques modificateurs correspond à un objectif important, qui permettra à l’avenir une meilleure évaluation individuelle des risques tumoraux, et une modulation des recommandations de dépistage. Les facteurs génétiques “mineurs” de susceptibilité récemment associés aux cancers colorectaux sporadiques (tels que l’expression du gène du récepteur de type I du TGFβ) ou impliqués dans des agrégations familiales non syndromiques (tels que le variant 1100delC du gène CHEK2) correspondent à des candidats potentiels. Évaluation de l’endoscopie à bandes spectrales étroites pour la surveillance des patients La surveillance coloscopique des sujets atteints d’un syndrome de Lynch permet de diminuer l’incidence des cancers colorectaux ainsi que la mortalité globale et spécifique. Ses modalités sont actuellement relativement bien codifiées et font l’objet de recommandations de la part de différentes sociétés savantes. L’intérêt de la chromo-endoscopie à l’indigo carmin, qui permet d’augmenter la sensibilité de la procédure pour le dépistage des lésions sessiles et planes, est généralement admis. L’endoscopie à bandes spectrales étroites (narrow band imaging [NBI]), qui réalise une véritable “chromoscopie virtuelle” et est de mise en œuvre plus aisée que la chromo­ scopie à l’indigo carmin, pourrait correspondre à une alternative intéressante. J.E. East et al. ont évalué l’intérêt de l’exploration endoscopique en mode NBI, en complément de l’exploration “conventionnelle”, pour le dépistage des adénomes chez 62 sujets avec syndrome de Lynch documenté (mutation identifiée : 8 cas) ou suspecté (sujets issus de familles satisfaisant les critères cliniques d’Amsterdam : 54 cas ; mutation causale identifiée : 11 cas) [4]. L’exploration en mode NBI était réalisée après l’exploration en lumière blanche, depuis le caecum jusqu’à la charnière côlon gauche/côlon sigmoïde. Dans ce travail, l’exploration en mode NBI permettait d’augmenter à la fois le nombre total de polypes adénomateux identifiés (46 versus 25 ; p < 0,001) et la proportion de sujets chez lesquels au moins 1 adénome était identifié sur ce segment digestif (26/62 = 42 % versus 17/62 = 27 %, soit une différence absolue de 15 % [IC95 : 4-25] ; p = 0,004). Neuf des 21 adénomes identifiés en mode NBI, soit 45 %, étaient de type plan. L’exploration en mode NBI était également associée à une augmentation du nombre de polypes hyperplasiques et d’autres histologies (polypes “inflammatoires” et “hyperplasie lymphoïde”) identifiés. Ces données suggèrent donc que cette procédure pourrait être intéressante dans le contexte du syndrome de Lynch. Son évaluation clinique doit La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 | 203 DOssIER ThémATIQuE Journée FFCD-PRODIGE Quoi de neuf dans les formes héréditaires des cancers colorectaux ? être poursuivie, et la réalisation d’études comparatives avec la chromo-endoscopie à l’indigo carmin est souhaitable. Références bibliographiques 1. Westin SN, Lacour RA, Urbauer DL et al. Carcinoma of the lower uterine segment: a newly described association with Lynch syndrome. J Clin Oncol 2008;26:5965-71. 2. Senter L, Clendenning M, Sotamaa K et al. The clinical phenotype of Lynch syndrome due to germ-line PMS2 mutations. Gastroenterology 2008;135: 419-28. 3. Reeves SG, Rich D, Meldrum CJ et al. IGF1 is a modifier of disease risk in hereditary non-polyposis colorectal cancer. Int J Cancer 2008;123:1339-43. 4. East JE, Suzuki N, Stavrinidis M et al. Narrow band imaging for colonoscopic surveillance in hereditary non-polyposis colorectal cancer. Gut 2008;57: 65-70. 5. Burn J, Bishop DT, Mecklin JP et al. Effect of aspirin or resistant starch on colorectal neoplasia in the Lynch syndrome. N Engl J Med 2008;359:2567-78. Chimioprévention et pharmacologie nutritionnelle Les résultats de l’étude CAPP2 (Colorectal Adenoma/ carcinoma Prevention Programme 2) ont été publiés en fin d’année 2008 dans la revue New England Journal of Medicine (5). L’objectif de cette étude d’intervention était d’évaluer l’intérêt d’une approche pharmacologique (chimioprévention par aspirine à la dose de 600 mg/j) ou d’une “intervention nutritionnelle” (supplémentation de l’alimentation en amidon résistant sous la forme de Novelose® à la dose de 30 g/j en 2 prises, correspondant à un apport évalué à 13,2 g d’amidon résistant) pour la prévention des lésions néoplasiques colorectales (polypes adénomateux et cancers) dans le contexte d’un syndrome de Lynch. Au total, 746 individus ont été inclus. La mutation constitutionnelle causale était identifiée pour la majorité d’entre eux. Le “traitement” était alloué par randomisation selon un plan factoriel 2:2 et administré en double aveugle. La tolérance des deux interventions était globalement bonne, et la compliance jugée satisfaisante dans 81 % des cas pour l’aspirine 204 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 4 - avril 2009 et dans 77 % des cas pour l’amidon résistant. Après un suivi médian de 29 mois (extrêmes : 7-74), il n’existait pas de différence significative en termes de fréquence des lésions néoplasiques incidentes (18,9 % versus 19,0 % ; RR = 1 [IC95 : 0,7-1,5] ; p = 0,79) et des lésions néoplasiques “avancées” (polypes adénomateux “avancés” et cancers) incidentes entre les individus traités par aspirine et ceux recevant le placebo (7,4 % versus 9,9 % ; RR = 0,9 [IC95 : 0,5-1,5] ; p = 0,67). Il n’existait pas non plus de différence significative entre les individus recevant l’amidon résistant et ceux recevant les fibres fermentescibles pour ce qui est de la fréquence des lésions néoplasiques incidentes (18,7 % versus 18,4 % ; RR = 1 [IC95 : 0,7-1,4] ; p = 0,98) et des lésions néoplasiques “avancées” incidentes (8,7 % versus 9,5 % ; RR = 0,8 [IC 95 : 0,5-1,4] ; p = 0,50). Différents facteurs pourraient expliquer la négativité des résultats de cette étude, qui contrastent avec les données positives obtenues en situation sporadique, en particulier pour l’aspirine : dose d’aspirine et type d’amidon résistant retenus ; spécificité liée à la voie de la carcinogenèse colorectale associée au syndrome de Lynch… Ces résultats ne permettent par ailleurs pas d’exclure une efficacité modérée (le calcul de l’effectif était basé sur l’hypothèse d’une réduction de 40 % des lésions incidentes) ou différée de ces interventions. ■