Le cancer recto-colique : comment le prévenir, comment le dépister ? Aspects génétiques K. Dahan 1.1 Notions d’épidémiologie Environ 6% des individus vont développer un cancer colorectal (CCR) au cours de leur vie. Dans la majorité des cas (65 à 85%), ces tumeurs sont considérées comme sporadiques, soit sans lien direct avec un syndrome héréditaire de prédisposition au cancer ni aucun contexte familial de CCR. Si 10 à 30 % des CCR sont définis comme familiaux suite à l’existence d’apparentés atteints au premier ou second degré, seul 6% des patients vont hériter une mutation germinale prédisposant au cancer. Le propos de cet exposé est de présenter l’intérêt clinique majeur d’une classification du risque héréditaire dans le diagnostic et la prise en charge du CCR (Burt, 2000 ; de la Chapelle, 2004, Lynch HT, 2007). 1.2 Quels sont, à ce jour, les tests génétiques disponibles dans la prédisposition héréditaire au cancer du côlon ? - Polypose adénomateuse familiale (PAF) La polypose adénomateuse familiale ou polyadénomatose familiale, souvent appelée simplement polypose familiale, se manifeste par la présence de multiples polypes adénomateux sur l’ensemble du côlon et du rectum, ainsi que par des manifestations extracoliques (polypes gastro-intestinaux…) et/ou extradigestives (ostéomes, tumeurs desmoïdes, lésions rétiniennes…). La PAF est responsable d’environ 1% des cancers rectocoliques avec une incidence estimée à 1/10.000 naissances. L’âge moyen du premier adénome est de 16 ans dans sa forme classique pour un âge moyen de 39 ans de CCR chez les patients non traités (revue par Galiatsatos et al, 2006). Il existe une forme clinique dite atténuée, définie comme un syndrome héréditaire de polypose adénomateuse et se caractérisant par un nombre nettement inférieur d’adénomes (entre 10 et 100) et un âge moyen plus tardif au diagnostic de CCR (5055 ans). L’hérédité de l’affection est principalement autosomique dominante liée à l’implication du gène APC mais une transmission autosomique récessive a été récemment démontrée suite à la description d’un second gène, le gène MYH (Sieber et al, 2003). Il est important de noter qu’environ 20% des mutations du gène APC surviennent de novo (sans histoire familiale connue), résultant d’une mutation acquise lors de la gamétogenèse chez l’un des parents. 2004). Cette caractéristique moléculaire et l’existence de deux modes de transmission rendent impossible toute évaluation du risque de PAF chez les apparentés directs en absence de tests génétiques. L’accessibilité des gènes APC et MYH à l’analyse moléculaire a en effet modifié la prise en charge des patients FAP en améliorant leur diagnostic, en influençant le geste chirurgical (Friedl et al, 2001) et en augmentant de façon significative la survie chez les sujets jeunes et porteurs asymptomatiques d’une altération génétique (Petersen et al, 1991). 1 - Cancer colorectal héréditaire (syndrome de Lynch) Près de 5 % des cas des CCR sont attribuables au syndrome de Lynch, ou syndrome HNPPC (Hereditary non Polyposis Colorectal cancer) (Lynch et al. 2003). Le syndrome de Lynch est une prédisposition au cancer du côlon, du rectum et de l’utérus se transmettant selon le mode autosomique dominant (Lynch HT et al , 2003 ). Son diagnostic repose sur la réunion de trois critères, définis en 1991 à Amsterdam, et revus en 1999: • au moins 3 sujets atteints de cancer du colon, • unis 2 à 2 par un lien de parenté au premier degré sur au moins 2 générations, • un des cancers au moins s’étant révélé avant l’âge de 50 ans. L’âge moyen au diagnostic de CCR chez les patients atteints de cette affection avoisine 44 ans pour un âge moyen de CCR dans la population générale de 65 ans. Étant donné les risques de néoplasies extracoliques (endomètre ~43 %, estomac-voies biliaires ~19 % et ovaire ~9%), le terme de syndrome de Lynch est préférable à son éponyme d’HNPCC. Malgré ces critères cliniques et la disponibilité de marqueurs anatomopathologiques définis à Bethesda (adénome avant 40 ans, carcinome peu différencié et/ou mucoïde, présence de cellules en bague à chaton,..) le diagnostic est souvent un défi pour les familles. Cette affection est secondaire à une altération d’un des gènes du système de réparation des mésappariemments de l’ADN (SRM) qui se caractérise au niveau tumoral par une instabilité nucléotidique affectant essentiellement les séquences répétées microsatellites du génome. Les cancers sont dits MSI-H (microsatellite instability-high) et peuvent adopter de multiples localisations en association avec le syndrome (côlon, estomac, endomètre, pancréas, voies biliaires, rein, uretères) (Lynch HT, de la Chapelle A, 2003 ). Le SRM est constitué actuellement de 6 gènes: hMLH1 (3q21.3), hMSH2 (2p22-21), hPMS1 (2p31-33), hPMS2 (7p22), hMSH6 (2p16) et hMSH3 (5q11-q12). Le diagnostic de syndrome de Lynch repose sur l’association de critères cliniques et moléculaires, avec la description de l’altération constitutionnelle d’un des gènes du SRM responsable de l’affection. Cependant, étant donné l’hétérogénéité génétique et la complexité d’une recherche de mutations germinales, un dépistage du syndrome de Lynch par analyse immunohistochimique dirigée contre les 2 principales protéines MLH1 et MSH2 est proposé de façon systématique chez tous les patients ayant développé un CCR avant 60 ans. L’immunohistochimie est couplée à une détermination du phénotype instable (statut MSI) si le patient rencontre un des critères de Bethesda. Une meilleure caractérisation tumorale par dissection de certains événements moléculaires a modifié l’acte chirurgical avec l’indication de colectomie élargie (totale) chez les patients atteints de cette affection et influencé la chimiothérapie adjuvante. Une récente méta-analyse a confirmé une notion ancienne de meilleur pronostic chez les 2 patients avec CCR et syndrome de Lynch en démontrant le rôle positif du statut MSI dans la survie globale de ce cancer et l’absence d’effet bénéfique du fluorouracil en adjuvant (Popat et al, 2005). - Polypose juvénile Cette affection dont l’incidence est extrêmement variable (1/16000 à 1-100000) se caractérise par l’aspect hamartomateux des polypes et un risque significatif de dégénérescence néoplasique, soit 20% de CCR à 35 ans s’élevant à 68 % à 60 ans. Le risque élevé s’explique par l’évolution de polypes vers des lésions de type adénomateuse à l’age adulte. Le diagnostic de polypose juvénile repose sur les éléments suivants, présents isolément ou en association: • plus de 5 polypes juvéniles dans le côlon, et/ou • la découverte de polypes juvéniles sur toute la hauteur du tractus gastro-intestinal, et/ou • un nombre quelconque de polypes dans un contexte familial de polypose juvénile. La polypose juvénile, qui se comporte comme un caractère autosomique dominant dans deux tiers des cas est liée à l’implication de 3 gènes MADH4, BMPR1A et PTEN (Schreibman IR et al, 2005 ; Lynch HT, 2007). - Syndrome de Peutz-Jeghers Le syndrome de Peutz-Jeghers est une affection autosomique dominante dont la prévalence est estimée à 1/200.000. Elle se caractérise par • la présence d’au moins 2 hamartomes (intestin grêle 78%, côlon 42 %, estomac 38 % et rectum 28 %) et • de lésions hyperpigmentées peribuccales dans la petite enfance (avant 15 ans). • Histoire familiale positive Le risque de complications néoplasiques (colorectales et mammaires) est élevé avoisinant 47 % chez les patients porteurs d’une mutation du gène responsable, le gène STK11 (Giardiello FM et al, 2000; Lim et al, 2003). Ces deux dernières entités sont plus rares et font l’objet d’une prise en charge particulière (Schreibman IR et al, 2005, Lynch HT, 2007). 1.3 Conclusion Identifier les individus à risque élevé de CCR est un nouvel aspect de la pratique médical visant à personnaliser la prise en charge et le suivi des familles touchées par un syndrome de prédisposition héréditaire au cancer. Ces tests sont à différencier des analyses moléculaires faites conjointement à l’analyse histopathologique et caractérisant le processus de transformation maligne. Ces analyses ont un intérêt prometteur en Oncologie dans (i) le diagnostic précoce en recherchant des marqueurs impliqués dans la transformation 3 de lésions pré-cancéreuses en cancers par exemple la détection de mutations du proto-oncogène Ki-ras à partir de matériel cellulaire présent dans le liquide pancréatique ou duodénal et l'adénocarcinome pancréatique, (ii) le pronostic tumoral en dépistant des altérations tardives et donc spécifiques de tumeur potentiellement métastatique, et (iii) thérapeutique en définissant le profil type des tumeurs sensibles ou résistantes à la chimiothérapie. 1.4 Références 1. Burt RW. Colon cancer screening. Gastroenterology. 2000;119(3):837-53. Review 2. de la Chapelle A Genetic predisposition to colorectal cancer. Nat Rev Cancer. 2004 ;4(10):769-80 3. Friedl W, Caspari R, Sengteller M, Uhlhaas S, Lamberti C, Jungck M, Kadmon M, Wolf M, Fahnenstich J, Gebert J, Moslein G, Mangold E, Propping P Can APC mutation analysis contribute to therapeutic decisions in familial adenomatous polyposis? Experience from 680 FAP families. Gut. 2001;48:515-21 4. Galiatsatos P, Foulkes WD. Familial adenomatous polyposis. Am J Gastroenterol. 2006;101:385-98. Review 5. Giardiello FM, Brensinger JD, Tersmette AC, Goodman SN, Petersen GM, Booker SV, CruzCorrea M, Offerhaus JA Very high risk of cancer in familial Peutz-Jeghers syndrome. Gastroenterology. 2000: 119:1447-53 6. Lim W, Hearle N, Shah B, Murday V, Hodgson SV, Lucassen A, Eccles D, Talbot I, Neale K, Lim AG, O'Donohue J, Donaldson A, Macdonald RC, Young ID, Robinson MH, Lee PW, Stoodley BJ, Tomlinson I, Alderson D, Holbrook AG, Vyas S, Swarbrick ET, Lewis AA, Phillips RK, Houlston RS Further observations on LKB1/STK11 status and cancer risk in Peutz-Jeghers syndrome. Br J Cancer. 2003; 89:308-13 7. Lynch HT, de la Chapelle A. Hereditary colorectal cancer. N Engl J Med. 2003;348:919-32. Review 8. Lynch HT, Boland CR, Rodriguez-Bigas MA, Amos C, Lynch JF, Lynch PM. Who should be sent for genetic testing in hereditary colorectal cancer syndromes? J Clin Oncol. 2007 Aug 10;25(23):3534-42 9. Petersen GM, Slack J, Nakamura Y Screening guidelines and premorbid diagnosis of familial adenomatous polyposis using linkage. Gastroenterology. 1991; 100:1658-64 10. Popat S, Hubner R, Houlston RS Systematic review of microsatellite instability and colorectal cancer prognosis. J Clin Oncol. 2005 Jan 20;23(3):609-18. 11. Schreibman IR, Baker M, Amos C, McGarrity TJ. The hamartomatous polyposis syndromes: a clinical and molecular review. Am J Gastroenterol. 2005;100(2):476-90. Review. 12. Sieber OM, Lipton L, Crabtree M, Heinimann K, Fidalgo P, Phillips RK, Bisgaard ML, Orntoft TF, Aaltonen LA, Hodgson SV, Thomas HJ, Tomlinson IP Multiple colorectal adenomas, classic adenomatous polyposis, and germ- line mutations in MYH. N Engl J Med. 2003;348:791-9 4 5 6