Traitements antiangiogéniques au cours des cancers bronchiques Antiangiogenic treatments in lung cancer ● ● P. Saintigny, R. Etessami, J.F. Morère* ▶ Abréviations CBNPC : cancer bronchique non à petites cellules. VEGF : Vascular Endothelial Growth Factor. VEGFR : Vascular Endothelial Growth Factor Receptor. FGF : Fibroblast Growth Factor. FGFR : Fibroblast Growth Factor Receptor. PDGFR : Platelet Derived Growth Factor Receptor. EGFR : Epithelial Growth Factor Receptor. DMV : densité microvasculaire. HR : hazard-ratio. A u cours de l’évolution des tumeurs solides, la dissémination tumorale se fait par voie vasculaire sanguine, vasculaire lymphatique, et parfois au travers d’une cavité ou le long d’une surface (par exemple, dans la cavité pleurale ou péritonéale). Les mécanismes de dissémination vasculaire sanguine sont bien connus depuis la description de l’angiogenèse tumorale, du concept de switch angiogénique et la mise en évidence des premiers facteurs diffusibles synthétisés par les cellules tumorales ou les cellules du stroma tumoral et ayant une activité proangiogénique (1). J. Folkmann fut le premier, dès 1971, à envisager l’utilisation d’agents antiangiogéniques dans le traitement des cancers (2). La meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans la diffusion vasculaire sanguine a permis de développer plusieurs stratégies, dont les cibles sont soit des facteurs diffusibles sécrétés par les cellules tumorales stimulant la prolifération des cellules endothéliales (développement d’anticorps comme le bévacizumab, anticorps anti-vascular endothelial growth factor A ou VEGF-A), soit des récepteurs membranaires portant le plus souvent une activité tyrosine kinase et situés à la surface des membranes cellulaires (développement d’inhibiteurs de tyrosine kinase). Ces molécules sont développées soit * Service d’oncologie médicale, hôpital Avicenne, université Paris-XIII, Bobigny. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 en association à la chimiothérapie ou à d’autres thérapie ciblées, soit en monothérapie. L’anticorps anti-VEGF-A (bévacizumab, utilisé en routine dans les cancers colorectaux métastatiques et qui devrait l’être rapidement dans les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC), en est probablement la forme la plus aboutie (3). Dossier thématique D ossier thématique Généralités sur l’angiogenèse tumorale (1) En l’absence de nouveaux vaisseaux, une tumeur ne dépasse pas 1 à 1,5 mm de diamètre. En réponse à l’hypoxie, une activation des cellules endothéliales (switch angiogénique) se produit et est à l’origine de l’apparition d’une néovascularisation tumorale. On différencie habituellement l’angiogenèse tumorale (ou néoangiogenèse), qui correspond à la mise en place de nouveaux vaisseaux tumoraux à partir des vaisseaux préexistants (par ramification, formation de ponts ou intussusception), de la vasculogenèse tumorale, qui est la fabrication de nouveaux vaisseaux tumoraux à partir de précurseurs endothéliaux mobilisés dans la moelle osseuse. De nombreux facteurs proangiogéniques et antiangiogéniques ont été identifiés. Le switch angiogénique apparaît lorsque la balance est en faveur des facteurs proangiogéniques. Ces derniers sont soit des facteurs diffusibles, soit des récepteurs membranaires, et sont exprimés par les cellules tumorales, les cellules inflammatoires ou les cellules endothéliales Que ce soit dans le cadre de la néoangiogenèse ou de la vasculogenèse tumorale, une déstabilisation des vaisseaux préexistants est nécessaire. La sécrétion par les cellules tumorales et les cellules endothéliales de protéases entraîne la destruction de la membrane basale et de la matrice extracellulaire. L’altération des jonctions entre les cellules endothéliales et le relargage de facteurs proangiogéniques à partir de la matrice extracellulaire permettent la migration et la prolifération des cellules endothéliales, formant des ramifications puis des canaux dirigés vers la source des stimuli. La lumière vasculaire apparaît ensuite grâce à des interactions entre des protéines de surface cellulaire et la matrice extracellulaire. C’est donc un dialogue étroit entre les cellules tumorales et les cellules du stroma (cellules endothéliales, cellules inflammatoires) qui permet le développement des vaisseaux tumoraux. La vascularisation tumorale est hétérogène au sein des tumeurs, avec des zones plus richement vascularisées (hotspot) situées en périphérie. Les capillaires néoformés ont une architec71 Dossier thématique D ossier thématique ture anormale et chaotique : larges pores et fenestrations liés à une mauvaise cohésion entre les cellules endothéliales, absence de membrane basale et modification des péricytes. Les vaisseaux présentent des modifications anarchiques de leur diamètre, avec un aspect tortueux et ectasique, et parfois une structure en mosaïque, qui correspond à l’intégration de cellules tumorales au sein de la paroi vasculaire au même titre que les cellules endothéliales. Ils fonctionnent également de façon anormale, avec une augmentation de la perméabilité capillaire, la présence de flux intermittents, voire inversés, la présence de zones d’hémor­ragies focales et de communications artérioveineuses. Ces capillaires se développent au sein d’un interstitium, lui-même anormal, œdémateux, et dont la pression est anormalement élevée. Ces caractéristiques très générales ne doivent pas cacher une grande hétérogénéité de la vascularisation suivant le type tumoral. Objectifs et cibles cellulaires des traitements antiangionéniques Les thérapeutiques antiangiogéniques ont pour but de réduire la croissance tumorale et la diffusion métastatique en diminuant la perfusion tumorale (3-6). Les cibles cellulaires permettant d’inhiber la vascularisation tumorale sont multiples. Ce sont principalement les cellules endothéliales, avec pour objectifs : ▶ de prévenir la formation de néovaisseaux sanguins ou lymphatiques (véritables traitements antiangiogéniques, par exemple le bévacizumab) ; ▶ de déstabiliser les néovaisseaux formés (ANET pour AntiNEovascular Therapy) par l’utilisation de vasculotoxiques (VDA pour Vascular-Disrupting Agents) ou de la chimiothérapie métronomique ; ▶ ou, au contraire, de permettre leur “normalisation” afin d’améliorer la pénétration intratumorale des cytotoxiques selon le concept de R.K. Jain (7). Les autres cibles cellulaires sont les cellules musculaires lisses et les péricytes, avec pour objectif de déstabiliser les vaisseaux, ainsi que les cellules stromales afin de diminuer la pression interstitielle intratumorale, améliorant ainsi la pénétration intratumorale d’autres thérapeutiques. L’inhibition du recrutement des cellules endothéliales progénitrices d’origine médullaire (autre effet de la chimiothérapie métronomique) ou des cellules inflammatoires proangiogéniques, représente une autre voie possible, de même que la stimulation de la sécrétion de facteurs antiangiogéniques par les cellules dendritiques. Rationnel du développement des traitements antiangiogéniques dans le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) Le cancer du poumon est l’une des principales causes de décès par cancer dans les pays développés. En France, le cancer du poumon a été la cause de 25 799 décès sur 27 500 nouveaux cas 72 diagnostiqués en 2002 (8). Malgré quelques progrès récents, le pronostic reste sombre ; les CBNPC, qui représentent 75 à 80 % de l’ensemble des cancers du poumon, ont une survie globale à 5 ans de l’ordre de 12 à 15 % (9). Depuis 25 ans, les progrès dans la prise en charge des CBNPC inopérables n’ont pas permis d’en améliorer le pronostic. Dans ce contexte, les thérapies ciblées, en particulier antiangiogéniques, représentent un espoir pour les patients. De nombreuses études ont évalué l’impact de la densité microvasculaire (DMV) dans les CBNPC. Les marqueurs utilisés, dont la spécificité pour les cellules endothéliales sanguines a été discutée, ont été, suivant les études, le facteur VIII, le CD31 ou le CD34. Une méta-analyse des données de la littérature (32 études ayant inclus 4 399 patients) a montré l’impact péjoratif d’une DMV élevée, qu’elle ait été évaluée par l’expression du facteur VIII (HR : 1,81 ; IC95 : 1,16-2,84), du CD34 (HR : 1,99 ; IC95 : 1,53-2,58) ou du CD31 (HR : 1,80 ; IC95 : 1,10-2,96) [10]. Ces résultats ont été critiqués en raison de l’absence de standardisation des techniques de comptage de vaisseaux, en particulier dans la sélection des hotspots qui permettent de déterminer la DMV (11). Les principaux acteurs de l’angiogenèse tumorale évalués dans les CBNPC sont le VEGF-A et ses récepteurs, VEGF Receptor-1 (VEGFR-1 ou Flt-1) et VEGFR-2 (Flk-1 ou KDR), et le basic FGF (bFGF) et son récepteur FGFR-1 (11). Le VEGF-A appartient à la famille du VEGF ; son isoforme la plus puissamment angiogénique est le VEGF165. Il agit en se liant à la portion extracellulaire de l’un de ses récepteurs tyrosine kinase exprimé à la surface des cellules endothéliales, entraînant leur dimérisation et l’activation de leur activité tyrosine kinase. Le VEGF-A est sécrété par les cellules du stroma, les macrophages et les cellules tumorales. La production de VEGF-A est principalement stimulée en réponse à l’hypoxie intratumorale. Dans la majorité des études, l’expression en immunohistochimie du VEGF-A est associée à un mauvais pronostic et à une DMV élevée. Dans une méta-analyse publiée en 2002 (15 études ayant inclus 1 549 patients traités pour un CBNPC), l’expression du VEGF-A était un facteur pronostique péjoratif, avec un HR à 1,48 (IC95 : 1,27-1,72) [12]. Des polymorphismes du gène codant pour le VEGF-A ont été associés à un niveau d’expression variable de VEGF-A par les cellules tumorales de CBNPC (13). Leur rôle dans la progression tumorale n’est pas bien connu. Enfin, et comme cela a été décrit dans d’autre tumeurs, les CBNPC expriment fréquemment le VEGFR-1 et le VEGFR-2, favorisant ainsi la prolifération tumorale par des boucles de régulation autocrine/paracrine (11). Le bFGF appartient à la famille du FGF ; il s’agit également d’un facteur proangiogénique puissant. Son expression a été étudiée dans les CBNPC ; elle est retrouvée dans 50 à 75 % des cas, et a été associée à un mauvais pronostic dans certaines études (14, 15). Un impact pronostique péjoratif du taux sérique ou plasmatique des VEGF-A et bFGF a été retrouvé dans certaines séries de CBNPC (16, 17). Cependant, les résultats sont contradictoires dans leur ensemble (18, 19), en raison de l’absence de standardiLa Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 sation des tests disponibles, des controverses sur la réalisation du dosage dans le plasma, le sérum ou le sang total, de la difficulté de définir un seuil qui est très variable d’une étude à l’autre, et du relargage de VEGF par les plaquettes et les leucocytes pendant le prélèvement et lors de la manipulation des échantillons (11). Ce sont probablement certaines de ces raisons qui expliquent pourquoi les marqueurs biologiques sériques ne permettent pas actuellement, dans la majorité des cas, de prédire la réponse aux thérapeutiques antiangiogéniques. Inhibiteurs de l’angiogenèse dans les CBNPC Seules les molécules les plus avancées dans leur développement clinique seront abordées. Bévacizumab Anticorps recombinant humanisé anti-VEGF-A, il représente actuellement le traitement antiangiogénique le plus abouti dans la prise en charge des CBNPC. Dans les essais de phase I, aucune toxicité dose-limitante n’a été observée en monothérapie. En association à la chimiothérapie, il ne semblait pas exister à ce stade de majoration des toxicités, en particulier de la toxicité hématologique, liées à la chimiothérapie (20). Un essai de phase II randomisé incluant 99 patients de stade IIIB (avec pleurésie métastatique)/IV a évalué l’association de bévacizumab (7,5 mg/kg ou 15 mg/kg) à une chimiothérapie de type carboplatine (ASC6) + paclitaxel (200 mg/m²) administrée toutes les 3 semaines (21). Le bras contrôle était la chimiothérapie seule. Six cycles étaient administrés, et le bévacizumab était poursuivi jusqu’à progression dans les deux bras expérimentaux. Les résultats figurent dans le tableau I et montrent la supériorité du bras bévacizumab à la dose de 15 mg/kg. Curieusement, les résultats du bras bévacizumab à la dose de 7,5 mg/kg semblent sensiblement inférieurs à ceux du bras contrôle, sans qu’aucune explication claire ait pu être retrouvée. Des hémorragies graves (hémoptysie ou hématémèse) ont été décrites chez six patients (9 %) et ont entraîné Tableau I. Résultats de l’étude de phase II randomisée évaluant l’association de bévacizumab (B) [7,5 mg/kg ou 15 mg/kg] à une chimiothérapie par carboplatine (ASC6) + paclitaxel (200 mg/­m²) [CP] chez des patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade IIIB/IV en première ligne. CP n = 32 CP + B 7,5 mg/kg n = 32 CP + B 15 mg/kg n = 34 Réponse objective 31,3 % 21,9 % 40 % Temps jusqu’à progression 5,9 mois 4,1 mois 7 mois Survie médiane 14,9 mois 11,6 mois 17,7 mois 59 % 41 % 65 % Taux de survie à 1 an La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 le décès chez quatre d’entre eux. Ces accidents ont été observés pour des lésions centrales de plus de 3 cm, dans le groupe bévacizumab faible dose dans cinq cas, tardivement dans trois cas (au-delà de 200 jours de traitement), et plus fréquemment en cas de carcinome épidermoïde (4/13 carcinomes épidermoïdes versus 2/53 carcinomes non épidermoïdes). Sur la base de cet essai, l’Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG) a démarré un essai de phase III comparant l’association de bévacizumab à la dose de 15 mg/kg à la chimiothérapie (carboplatine ASC6 + paclitaxel 200 mg/m²) administrée toutes les 3 semaines versus la chimiothérapie seule, chez des patients ECOG PS 0-1 atteints d’un CBNPC non épidermoïde de stade IIIB (avec pleurésie métastatique)/IV, excluant les patients avec des localisations secondaires cérébrales (22). Dans le bras expérimental, le bévacizumab était poursuivi au-delà de 6 cycles en monothérapie jusqu’à progression. L’objectif principal était la survie globale. Les deux groupes étaient équilibrés, en dehors du sexe, avec davantage d’hommes dans le groupe chimiothérapie seule (58 % versus 50 % dans le groupe expérimental, p = 0,03). Le nombre médian de cycles administrés était de 5 dans le groupe contrôle et de 7 dans le groupe expérimental. Les résultats ont été rapportés avec un recul médian de 19 mois. La survie médiane était de 12,3 mois dans le groupe chimiothérapie + bévacizumab versus 10,3 mois dans le groupe chimiothérapie seule (HR : 0,79 ; IC95 : 0,67-0,92 ; p = 0,003). L’évaluation du critère principal montre donc une supériorité du bras chimiothérapie en association au bévacizumab. L’ensemble des résultats figurent dans le tableau II et la figure. Cependant, l’administration du bévacizumab était associée à une majoration de la toxicité : hypertension artérielle, protéinurie, accident hémorragique grave (4,4 % versus 0,7 %, dont Dossier thématique D ossier thématique Tableau II. Essai de phase III comparant, chez plus de 800 patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade IIIB/­IV, en première ligne, l’association de bévacizumab (15 mg/kg) à une chimiothérapie de type carboplatine (ASC6) + paclitaxel (200 mg/m²) et la chimiothérapie seule (ECOG). Carboplatine + paclitaxel n = 433 Carboplatine + paclitaxel + bévacizumab (15 mg/kg) n = 417 10,3 mois* 12,3 mois* Taux de survie à 1 an 44 % 51 % Taux de survie à 2 ans 15 % 23 % Survie sans progression (médiane) 4,5** 6,2** 15 %*** 35 %*** Survie globale (médiane) Réponse objective * HR : 0,79 ; IC95 : 0,67-0,92 ; p = 0,003. ** HR : 0,66 ; IC95 : 0,57-0,77 ; p < 0,001. *** p < 0,001. 73 A 100 80 Survie globale (%) Dossier thématique D ossier thématique Groupe BPC Survie sans progression (%) Carboplatine + paclitaxel + bévacizumab (15 mg/kg) n = 427 344 305 309 260 Toxicités 2 15 Comorbidités 16 16 60 40 0 Décès Groupe PC 0 6 12 Causes 18 24 Mois 100 80 30 36 42 Hazard-ratio : 0,66 p < 0,001 Groupe BPC 60 40 Groupe PC 20 0 0 6 12 Mois 18 24 30 Figure. Courbes de survie globale et de survie sans progression de l’essai de phase III comparant, chez plus de 800 patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade IIIB/IV, en première ligne, l’association de bévacizumab à une chimiothérapie de type carboplatine (ASC6) + paclitaxel (200 mg/m²) [BPC] et la chimiothérapie seule (ECOG) [PC]. 1,9 % versus 0,2 % d’hémoptysies), neutropénie (25,5 % versus 16,8 %), neutropénie fébrile (5,2 % versus 2 %), hyponatrémie, rashs cutanés et céphalées étaient plus fréquents dans ce bras (p < 0,05). Il faut noter que l’exclusion des carcinomes épidermoïdes a permis une nette diminution des hémoptysies graves par rapport aux données de la phase II randomisée (1,9 % versus 9 %). Le tableau III montre malgré tout un excès de décès toxiques dans le bras avec bévacizumab, pour des comorbidités comparables dans les deux groupes (p = 0,001) ; si la majorité des effets indésirables sont apparus après 3 cycles, la plupart des décès toxiques (5 hémoptysies, 5 neutropénies fébriles, 2 accidents vasculaires, 2 hémorragies digestives et 1 embolie pulmonaire) sont, eux, survenus au cours des 2 premiers cycles. Une analyse exploratoire a montré un bénéfice de l’adjonction du bévacizumab à la chimiothérapie dans tous les sous-groupes considérés en dehors du sexe. Ainsi, seuls les hommes semblent bénéficier de façon statistiquement significative, pour la survie 74 Carboplatine + paclitaxel n = 440 Variable 20 B Hazard-ratio : 0,66 p < 0,001 Tableau III. Causes des décès dans l’essai de phase III comparant, chez plus de 800 patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade IIIB/IV, en première ligne, l’association de bévacizumab à une chimiothérapie de type carboplatine (ASC6) + paclitaxel (200 mg/m²) et à la chimiothérapie seule. Cancer bronchique globale, de l’adjonction du bévacizumab. Il est possible que cette observation soit liée à la prescription plus fréquente d’une chimiothérapie de deuxième ligne chez les femmes. Aucune différence n’a en tout cas été notée pour ce qui est de l’utilisation d’inhibiteurs tyrosine kinase du récepteur à l’EGF suivant le sexe. Enfin, le taux de VEGF circulant à l’initiation du traitement était comparable dans les 2 groupes, et ce quel que soit le sexe. Il n’était pas corrélé à la survie globale. Sunitinib Le sunitinib est un inhibiteur de l’activité tyrosine kinase de plusieurs récepteurs transmembranaires : VEGFR-1, VEGFR-2, mais également Platelet Derived Growth Factor Receptor (PDGFR)-α, PDGFR-β, Flt-3 et c-KIT. L’intérêt de développer des inhibiteurs pantyrosine kinase est de pouvoir cibler plusieurs types cellulaires, en particulier les cellules endothéliales (pour les VEGFR) mais également les péricytes qui expriment les PDGFR et rendent les cellules endothéliales plus résistantes aux cytotoxiques et aux thérapeutiques antiangiogéniques. Un essai de phase II multicentrique sur 10 sites (États-Unis et Europe) a inclus 63 patients traités pour un CBNPC de stade IIIB/IV en échappement après 1 à 2 lignes de chimiothérapie avec ou sans administration d’un inhibiteur de tyrosine kinase de l’Epithelial Growth Factor Receptor (EGFR), PS 0-1 (23). La dose administrée était de 50 mg/j pendant 4 semaines consécutives, suivies de 2 semaines de repos. Le traitement était poursuivi tant qu’il existait un bénéfice clinique. La majorité des patients ont eu une diminution de la taille des lésions cibles. Le taux de réponse objective était de 9,5 %, le temps médian de réponse de 12,2 semaines (4,3 à 30,3 semaines) et, chez 42,9 % des patients, on observait une maladie stable plus de 8 semaines. Les toxicités étaient les suivantes : asthénie (68 % de grade 1-2, 21 % de grade 3-4), anorexie (40 % de grade 1-2), dyspnée (37 % de grade 1-2), toux (35 % de grade 1-2), nausées (33 % de grade 1-2, 7 % de grade 3-4), mucite (32 %), dysgueusie (25 % de grade 1-2), La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 diarrhée (21 % de grade 1-2), vomissements (19 % de grade 1-2, 7 % de grade 3-4), constipation (19 %), hypertension (5 % de grade 3-4). Il faut noter 3 toxicités de grade 5 : 2 hémoptysies et une hémorragie cérébrale. Au total, le sunitinib en monothérapie a une activité prometteuse chez les patients ayant un CBNPC prétraités, puisque environ 50 % des patients ont eu un bénéfice clinique. Il a été généralement bien toléré, et les principaux effets indésirables ont été de grade 1-2 chez des patients en bon état général. Sorafenib Le sorafenib (24) est également un inhibiteur de l’activité tyrosine kinase de plusieurs récepteurs, la plupart transmembranaires : VEGFR-2 et VEGFR-3, PDGFR-β, Flt-3, RAF et c-KIT. Dans une étude de phase II également présentée à l’ASCO 2006, les auteurs rapportent les résultats chez 52 patients traités par une ou 2 lignes (incluant ou non du gefitinib) pour un CBNPC métastatique, ne présentant aucun signe de saignement, sans exclure des patients avec métastases cérébrales asymptomatiques. La dose était de 400 mg x 2/j en continu. Une maladie stable était observée chez 59 % des patients. Si aucune réponse objective n’a été notée, une diminution de la taille des lésions cibles était présente chez 29 % des patients. La survie sans progression médiane était de 11,9 semaines dans l’ensemble de la population, et de 23,7 semaines chez les patients stabilisés par le traitement. Les toxicités les plus fréquentes étaient modérées : diarrhée (40 % de grade 1-2), syndrome mains-pieds (37 % de grade 1-2, 10 % de grade ≥ 3), asthénie (27 %), nausées (25 %) et hypertension artérielle (4 % de grade ≥ 3). Un accident hémorragique mortel a été observé chez un patient traité pour un carcinome épidermoïde proximal après radiothérapie et 30 jours après l’arrêt du traitement. La qualité de vie des patients n’a pas été altérée tout au long du traitement. Enfin, les auteurs montrent qu’une concentration de VEGF plasmatique élevée lors de la mise en route du traitement est associée à un pronostic péjoratif, au même titre qu’une absence de diminution franche de sa concentration au cours du traitement. Vandetinib Le vandetinib est un inhibiteur de l’activité tyrosine kinase des récepteurs transmembranaires VEGFR-2, VEGFR-3, RET et EGFR. Les études de phase I ont montré qu’il s’agissait d’un traitement bien toléré à des doses inférieures ou égales à 300 mg/­j. Les effets indésirables les plus courants sont un rash, une diarrhée et un allongement du QTc asymptomatique. Les données de deux phases II sont disponibles (25, 26). La première a comparé, chez 168 patients ayant reçu 1 ou 2 lignes de chimiothérapie, le gefitinib 250 mg/j au vandetinib 300 mg/j (partie A). En cas de progression ou de toxicité limitante, un cross-over était prévu (partie B). Les patients avec métastases cérébrales n’étaient pas exclus, de même que les carcinomes épidermoïdes, les patients présentant une hémoptysie ou une thrombose profonde. L’objectif principal était la survie sans progression. La proportion de femmes, de nonLa Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 fumeurs et d’adénocarcinomes était comparable dans les deux groupes. L’objectif principal était atteint, puisque la survie sans progression était de 11 semaines pour le vandetinib et de 8,1 semaines pour le gefitinib (HR : 0,69 ; IC95 : 0,5-0,96 ; p = 0,025). Une réponse objective et un contrôle de la maladie supérieur à 8 semaines étaient observés respectivement chez 8 % et 45 % des patients sous vandetinib versus 1% et 34% des patients sous gefitinib. Les données disponibles pour la partie B de cet essai montrent un contrôle de la maladie supérieur à 8 semaines chez 24 % des patients (7/29) passant du vandetinib au gefitinib, et chez 43 % des patients (16/37) passant du gefitinib au vandetinib ; aucune différence en survie globale n’a cependant été observée. Ces données sont difficiles à interpréter en raison des nombreux biais possibles. Les toxicités étaient principalement de grade 1-2, les diarrhées, les céphalées, l’hypertension, l’allongement du QTc et les vertiges étant un peu plus fréquents avec le vandetinib, et inversement pour l’éruption cutanée et les nausées/vomissements. Une deuxième étude de phase II randomisée a été présentée récemment. Elle comparait, chez 127 patients en échec après une première ligne à base de sel de platine pour un CBNPC de stade IIIB/IV, trois bras de traitement : le bras contrôle associait le docétaxel 75 mg/m² toutes les 3 semaines à un placebo, et les 2 bras expérimentaux associaient au docétaxel du vandetinib à 100 ou 300 mg/j. Les 3 groupes étaient bien équilibrés, en particulier pour le sexe féminin, le type histologique et le tabagisme. Les taux de réponse et de contrôle de la maladie supérieurs à 8 semaines étaient de 12 % et 56 % dans le bras contrôle, de 26 % et 64 % dans le bras docétaxel + vandetinib 100 mg/j et de 18 % et 83 % dans le bras docétaxel + vandetinib 300 mg/j. La médiane de survie sans progression était de 12 semaines dans le bras contrôle, de 18,7 semaines dans le bras docétaxel + vandetinib 100 mg/j et de 17 semaines dans le bras docétaxel + vandetinib 300 mg/j. Avec le plan statistique défini dans l’étude, seul le bras docétaxel + vandetinib 100 mg/j avait une survie sans progression significativement supérieure à celle du bras contrôle (HR : 0,64 ; IC95 : 0,38-1,05 ; p = 0,074). Il n’existait pas de différence en survie globale. Les résultats d’une étude de phase II randomisée comparant en première ligne le vandetinib en monothérapie versus vandetinib + carboplatine + paclitaxel versus carboplatine + paclitaxel devraient être présentés dans les mois qui viennent. La mise en perspective de l’ensemble de ces essais de phase II évaluant des agents antiangiogéniques montre des résultats comparables à ceux des drogues actuellement disponibles en deuxième ligne des CBNPC métastatiques, que ce soit en termes de taux de réponse objective ou en survie sans progression (tableau IV) [27]. Ces comparaisons n’ont, bien sûr, qu’une valeur indicative. Dossier thématique D ossier thématique Association de biothérapies L’existence de cross-talks entre l’EGFR et les VEGFR est à la base de plusieurs essais testant l’association d’inhibiteurs d’EGFR et d’inhibiteurs de l’angiogenèse. Une phase I/II préliminaire 75 Dossier thématique D ossier thématique Tableau IV. Efficacité des nouvelles thérapeutiques antiangiogéniques (sunitinib, sorafenib, vandetinib) en monothérapie de deuxième ligne par rapport aux drogues déjà disponibles dans cette situation (docétaxel, erlotinib, pemetrexed). RP : taux de réponse partielle, SD : taux de stabilité, Contrôle : taux de contrôle de la maladie supérieur à 8 semaines, SSP : médiane de survie sans progression (semaines), SG : médiane de survie globale (semaines). Étude vandetinib BR21 Chimiothérapie n RP SD Contrôle SSP SG vandetinib 83 8 - 45 11 – gefitinib 85 1 - 34 8,1 – sunitinib 63 9,5 43 - 11,3 23,9 sorafenib 52 0 59 - 11,7 29,5 erlotinib 488 8,9 - 45 9,7 29 placebo 283 <1 - - 7,7 20,3 pemetrexed 288 8,8 46,4 - 12,6 34 docétaxel 283 9,1 45,8 - 12,6 35,9 très prometteuse évaluant l’association erlotinib + bévacizumab en deuxième ou troisième ligne de traitement avait montré chez 28 patients une tolérance acceptable, un taux de réponse objective de 14,3 % et une survie sans progression de 24,8 semaines (28). Une phase II randomisée multicentrique a comparé un bras contrôle associant une chimiothérapie (docétaxel ou pemetrexed) à un placebo, un bras associant une chimiothérapie (docétaxel ou pemetrexed) au bévacizumab et un bras associant du bévacizumab à l’erlotinib (29). Un total de 120 patients stratifiés selon l’ECOG PS et le tabagisme ont été inclus, et les résultats ont été présentés avec un recul médian de 10 mois. Seuls les CBNPC non épidermoïdes n’ayant jamais présenté d’hémoptysie pouvaient être inclus avec un ECOG PS de 0 à 2. Les patients présentant des métastases cérébrales et/ou une tumeur à proximité d’un gros vaisseau étaient exclus. Le taux de réponse objective était de 39 % dans le groupe contrôle, de 52,5 % dans le groupe chimiothérapie + bévacizumab et de 52,3 % dans le groupe bévacizumab + erlotinib. La médiane de survie sans progression montrait également des résultats en faveur des biothérapies, même si la significativité statistique n’était pas atteinte : 3 mois dans le bras contrôle, 4,8 mois dans le bras chimiothérapie + bévacizumab (HR : 0,66 ; IC95 : 0,38-1,16) et 4,4 mois dans le bras bévacizumab + erlotinib (HR : 0,72 ; IC95 : 0,42-1,23). En plus de cette efficacité intéressante, le profil de tolérance était meilleur dans les 2 bras avec biothérapie, en particulier dans le bras bévacizumab + erlotinib. Les effets indésirables graves étaient rapportés dans 54 % des cas pour le bras contrôle, dans 40 % des cas pour le bras chimiothérapie + bévacizumab et dans 33 % des cas pour le bras bévacizumab + erlotinib. Les thromboses étaient, par exemple, plus fréquentes dans le bras contrôle, et les neutropénies plus fréquentes dans les 2 bras avec chimiothérapie par rapport au bras bévacizumab + erlotinib ; enfin, 3 accidents hémorragiques graves étaient rapportés dans le bras bévacizumab + chimiothérapie, et un seul dans le bras bévacizumab + erlotinib. 76 Deux essais de phase III sont actuellement en cours, évaluant l’association bévacizumab + erlotinib chez des patients de stade IIIB/IV en deuxième ligne (essai BeTa) et en première ligne (essai ATLAS). Utilisation de la thalidomide dans les cancers bronchiques à petites cellules Les modes d’action de la thalidomide sont pléïotropes : il s’agit d’un immunomodulateur, d’un anti-inflammatoire, mais il possède également des propriétés antiangiogéniques en diminuant le taux de VEGF-A et de bFGF. Les résultats d’une étude de phase III évaluant l’association de la thalidomide à la chimiothérapie dans les cancers bronchiques à petites cellules diffus ont été rapportés à l’ASCO 2006 (30). L’essai comparait, chez des patients répondeurs après 2 cycles associant cisplatine + étoposide + cyclophosphamide + épirubicine, l’administration de 4 cycles supplémentaires + placebo versus l’administration de 4 cycles supplémentaires + thalidomide 400 mg/j. En raison d’un taux d’inclusion insuffisant, l’essai a été stoppé après l’inclusion de 86 patients. Les médianes de survie étaient de 11,7 mois dans le bras thalidomide (taux de survie à un an de 30,2 %) versus 8,7 mois dans le bras contrôle (taux de survie à un an de 49 %). La fermeture prématurée de cet essai clinique ne permet pas de conclure sur l’efficacité ou non de la thalidomide dans les cancers bronchiques à petites cellules, mais encourage le développement d’études de phase II évaluant les nouvelles thérapeutiques antiangiogéniques. Conclusion L’amélioration de la médiane de survie globale de 2 mois observée avec l’adjonction de bévacizumab à la chimiothérapie dans l’essai de l’ECOG représente une avancée modeste, mais La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 depuis l’apparition des doublets à base de sel de platine il y a 15 à 20 ans, aucune association n’avait permis d’améliorer la survie des CBNPC inopérables. Si l’exclusion des carcinomes épidermoïdes a permis de diminuer nettement l’incidence des accidents hémorragiques graves, il ne faut cependant pas méconnaître l’excès de morbi-mortalité associé à l’utilisation du bévacizumab avec la chimiothérapie dans une population pourtant très sélectionnée. Les résultats des phases II évaluant d’autres agents antiangiogéniques sont à cet égard prometteurs, car moins fréquemment pourvoyeurs d’accidents hémorragiques et n’excluant pas systématiquement les patients avec métastases cérébrales ou les carcinomes épidermoïdes. Beaucoup d’autres agents sont en cours de développement et n’ont pu être abordés dans cette revue : BIBF1120, AEE788, AZD2171, etc. De nombreuses questions restent en suspens. L’évaluation de la réponse aux thérapeutiques antiangiogéniques par les critères de RECIST n’est pas satisfaisante. D’autres critères doivent être évalués. Ils pourraient également servir de facteurs prédictifs de réponse : cliniques, biologiques tissulaires ou biologiques sanguins avec des résultats préliminaires peu encourageants et des limites méthodologiques au dosage des facteurs proangiogéniques circulants déjà évoquées. L’imagerie fonctionnelle devrait ici pouvoir apporter une avancée substantielle, que ce soit par la tomographie par émission de positons couplée au scanner, par l’IRM fonctionnelle ou par l’échographie en contraste dans certaines localisations. Il faut enfin espérer que l’utilisation de ces thérapeutiques antiangiogéniques permettra, en situation adjuvante et en association à la chimiothérapie, de diminuer les risques de rechute des stades précoces opérés, validant ainsi, dans les CBNPC, l’hypothèse faite par J. Folkmann il y a plus de 30 ans. ■ Références bibliographiques 1. Bergers G, Benjamin LE. Tumorigenesis and the angiogenic switch. Nat Rev Cancer 2003;3:401-10. 2. Carmeliet P. 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