Effets secondaires cutanés du sorafenib et du sunitinib

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008) 135, 148—153
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
CLINIQUE
Effets secondaires cutanés du sorafenib
et du sunitinib
Cutaneous side effects of sorafenib and sunitinib
J. Autier, C. Mateus, J. Wechsler, A. Spatz, C. Robert
Service de dermatologie, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins,
94805 Villejuif cedex, France
Rec¸u le 18 juillet 2007 ; accepté le 14 d´
ecembre 2007
Disponible sur Internet le 13 f´
evrier 2008
Ces dernières années ont été marquées par l’émergence de
thérapies antitumorales dites ciblées, car dirigées contre
certaines molécules bien identifiées au sein de la cel-
lule tumorale. Plusieurs de ces traitements ciblés ont déjà
trouvé leur place dans la prise en charge de certains can-
cers, comme les inhibiteurs de l’epidermal growth factor
receptor (EGFR) dans les cancers du poumon et du colon,
l’imatinib (Glivec®) dans les tumeurs stromales et les leu-
cémies myéloïdes chroniques ou les inhibiteurs du vascular
endothelial growth factor receptor (VEGFR) dans les can-
cers du rein. Même si ces nouveaux agents agissent avec
plus de discernement et de spécificité sur les cellules tumo-
rales que les chimiothérapies antimétabolites classiques, ils
ne sont pas pour autant dénués d’effets secondaires. Parmi
ces effets secondaires, les effets cutanés sont très fréquents
et conduisent parfois à diminuer les doses, voire à inter-
rompre des traitements pourtant efficaces sur les tumeurs.
Les effets secondaires cutanés associés aux inhibiteurs de
l’EGFR sont à présent bien décrits [1].
Nous nous intéresserons ici à deux nouveaux médica-
ments, récemment approuvés dans le cancer du rein : le
sorafenib (Nexavar®) et le sunitinib (Sutent®). Le suni-
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : crobert@igr.fr (C. Robert).
tinib est également indiqué dans les tumeurs stromales
résistantes à l’imatinib. D’autres indications pour ces deux
molécules font actuellement l’objet de protocoles de
recherche, notamment dans le mélanome et le carcinome
hépatocellulaire [2—4].
Le sorafenib est un inhibiteur multikinase qui inhibe
les protéines RAF et plusieurs récepteurs tyrosine kinase
impliqués dans l’angiogenèse et la progression tumo-
rale : VEGFR-2, VEGFR-3, platelet-derived growth factor
receptor-(PDGFR-), Flt-3 (FMS-like tyrosine kinase 3)et
c-KIT (stem cell factor receptor). Le sunitinib est un inhibi-
teur de VEGFR-1, 2 et 3, PDGFR et ,rearranged during
tranfection (RET), Flt-3 et c-KIT.
Le sorafenib et le sunitinib induisent de nombreux effets
secondaires cutanés, certains communs aux deux thérapies,
d’autres n’étant observés qu’avec l’un ou l’autre des deux
agents [5].
Effets secondaires dermatologiques
communs au sorafenib et au sunitinib
Syndrome main-pied (SMP)
Une atteinte des mains et des pieds survient chez 30 à 60 %
des patients traités par sorafenib et 15 à 20 % des patients
sous sunitinib [2,6—8].
0151-9638/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.annder.2007.12.006
Effets secondaires cutanés du sorafenib et du sunitinib 149
Le SMP se développe le plus souvent précocement, après
deux à trois semaines de traitement, et débute par des
signes fonctionnels à type de dysesthésies, précédant les
signes cliniques objectifs.
Il se traduit par des lésions érythémateuses, sou-
vent hyperkératosiques, parfois entourées d’un halo plus
inflammatoire et siégeant, dans la grande majorité des
cas, sur les zones de pression ou de frottement :
talons, têtes des métatarsiens, zones de frottement des
chaussures. Certaines formes sont plutôt «sèches », hyper-
kératosiques, desquamatives et fissuraires, d’autres, plus
«succulentes »œdémateuses et inflammatoires, parfois bul-
leuses (Fig. 1—3). En comparaison au syndrome main-pied,
encore appelé érythème acral ou érythrodysesthésies pal-
moplantaires, associé aux chimiothérapies plus classiques,
comme la capécitabine (Xeloda®), le SMP du sorafenib et
sunitinib est plus volontiers hyperkératosique. Les formes
cliniques à type de kératodermies palmoplantaires pures, se
présentant sous la forme de plaques kératosiques jaunâtres,
épaisses, bien limitées et très douloureuses sur les zones de
pression, sont observées assez fréquemment.
Figure 1. Érythème plantaire associé à une hyperkératose jau-
nâtre prédominant aux points d’appui.
Figure 2. Hyperkératose fissuraire prédominant sur le talon.
Figure 3. Érythème palmaire associé sur les zones de pression à
des plaques d’hyperkératose jaunâtre.
L’existence d’une hyperkératose plantaire avant
l’introduction du traitement semble favoriser la survenue
de ce SMP. Le SMP est dose dépendant, régresse très
rapidement après l’arrêt du traitement et la réintroduction
d’un même traitement n’entraîne pas systématiquement
une récidive des lésions.
Au cours du développement du sorafenib et du suniti-
nib, l’évaluation de la sévérité du SMP à l’aide de l’échelle
du National Cancer Institute (NCI), utilisée dans la plupart
des essais cliniques (Tableau 1), montre qu’on observe peu
de SMP sévères (grade 3 dans 5 % des cas). Cependant, dans
notre expérience, ce SMP peut parfois entraîner une gêne
fonctionnelle importante, notamment à la marche ou à la
préhension des objets, et nécessite dans certains cas une
réduction de posologie, voire un arrêt temporaire ou plus
rarement définitif du traitement.
L’examen anatomopathologique retrouve des aspects peu
spécifiques. Les modifications épidermiques suggèrent des
modifications de différentiation kératinocytaire. La couche
granuleuse est épaissie, voire absente sur certains prélè-
vements ; des zones de parakératose sont parfois notées.
De nombreuses figures mitotiques sont observées dans les
couches basales ou suprabasales où elles sont usuellement
absentes en peau non lésée. Des kératinocytes dyskéra-
tosiques évocateurs de cellules apoptotiques sont parfois
observés.
En ce qui concerne la prise en charge thérapeutique, nous
conseillons aux personnes présentant une hyperkératose
plantaire préalable, de la traiter par des soins de pédicurie
adaptée : décapage doux par un pédicure expérimenté suivi
de l’application de crèmes émollientes et kératolytiques
avant de commencer le traitement.
Des traitements symptomatiques peuvent améliorer le
confort du patient, prévenir l’aggravation du SMP et parfois
150 J. Autier et al.
Tableau 1 Grades de toxicité cutanée selon le National Cancer Institute Common Toxicity Criteria (NCI-CTC) version 3.0
d’après [9].
Alopécie ou diminution de la pilosité Grade 1 Légère ou en plaques
Grade 2 Complète
Syndrome main-pied
Grade 1 Modifications cutanées mineures ou
dermatite (ex. : érythème) sans
douleur
Grade 2 Modifications cutanées (ex. :
desquamation, bulles, lésions
hémorragiques, œdème) ou douleurs
sans gêne fonctionnelle associée
Grade 3 Lésions ulcérées ou modifications
cutanées associées à des douleurs et
une gêne fonctionnelle
Autres effets secondaires dermatologiques
Grade 1 Atteinte mineure
Grade 2 Atteinte modérée
Grade 3 Atteinte sévère
Grade 4 Atteinte mettant en jeu le pronostic
vital
éviter l’arrêt d’une thérapie potentiellement efficace sur le
plan antitumoral. Aucun traitement symptomatique n’ayant
jusqu’à présent été évalué de fac¸on contrôlée, nous fai-
sons part ici de notre expérience à l’institut Gustave-Roussy.
Nous conseillons aux patients de ne pas porter de chaus-
sures trop serrées ou de talons trop hauts. En cas de lésions
kératosiques sur les zones de pression, nous conseillons des
semelles absorbantes pour répartir les appuis de fac¸on plus
homogène et nous prescrivons des topiques kératolytiques à
base d’urée ou d’acide salicylique. Lorsque les lésions sont
inflammatoires, les corticoïdes locaux semblent efficaces.
En cas de SMP de grade 3, il nous semble raisonnable de
réduire la dose de sorafenib ou de sunitinib de 50 %, voire
d’arrêter temporairement le traitement jusqu’à une amé-
lioration au grade 1.
Hémorragies sous-unguéales en flammèches
Des hémorragies sous-unguéales (HSU) surviennent chez
40 à 70 % des patients traités par sorafenib ou sunitinib.
D’apparition spontanée et indolores, elles se présentent
sous la forme de lignes noires ou rouge foncé sous la par-
tie distale des ongles, atteignant un ou plusieurs doigts
et, plus rarement, les orteils (Fig. 4). Elles apparaissent
le plus souvent durant le premier mois de traitement et
disparaissent spontanément chez la plupart des patients,
l’hématome étant évacué avec la pousse de l’ongle et ne se
reformant pas dans la majorité des cas, malgré la poursuite
du traitement.
Les hémorragies sous-unguéales en flammèches sont bien
connues des dermatologues, car elles peuvent témoigner de
maladies systémiques parfois sévères, comme le syndrome
des antiphospholipides, certains lupus, des polyarthrites
rhumatoïdes sévères, des rétrécissements mitraux et des
endocardites. Elles peuvent aussi s’observer chez des sujets
sains, se localisant alors le plus souvent à un seul doigt et
étant considérées comme post-traumatiques [10].
En revanche, l’origine médicamenteuse des hémorragies
sous-unguéales est tout à fait inhabituelle et le fait qu’elles
soient associées à des traitements antiangiogéniques permet
de formuler diverses hypothèses physiopathologiques. Nous
avons suggéré que ces hémorragies sous-unguéales pour-
raient témoigner d’un abaissement du seuil d’apparition des
HSU traumatiques dans le contexte du blocage des récep-
teurs de VEGF. Effectivement, les capillaires spiralés du lit
de l’ongle sont fragiles et sont soumis, lors de diverses
activités manuelles, à des traumatismes répétés. On peut
supposer que l’intégrité de ces capillaires dépend en partie
de récepteurs VEGF fonctionnels pour réparer en perma-
nence les dégâts liés à ces fréquents microtraumatismes
[11]. Il serait intéressant d’évaluer de fac¸on prospective
si ces hémorragies sous-unguéales sont corrélées avec la
réponse au traitement ou avec d’autres effets secondaires
vasculaires, comme l’hypertension artérielle, qui est aussi
un effet secondaire classique des médicaments antiangiogé-
niques.
Figure 4. Hémorragies sous-unguéales en flammèches du pouce
associées à un érythème desquamatif des doigts.
Effets secondaires cutanés du sorafenib et du sunitinib 151
Aucun traitement n’est nécessaire pour ces hémorragies
sous-unguéales qui sont asymptomatiques.
Xérose cutanée
La xérose cutanée est fréquente au cours des traite-
ments par sorafenib ou sunitinib, signalée dans 20 à 30 %
des cas. Elle peut être traitée facilement par l’utilisation
d’émollients.
Toxicité dermatologique associée au
sorafenib
Érythème du visage et du cuir chevelu
Un érythème du visage, parfois associé à un érythème du cuir
chevelu, survient chez plus de 50 % des patients traités par
sorafenib. Il se développe très précocement dès la première
ou deuxième semaine de traitement et s’atténue souvent
spontanément après plusieurs semaines. Il s’agit d’un éry-
thème parfois accompagné d’une desquamation atteignant
tout le visage, mais respectant le plus souvent les régions
périobitaires (Fig. 5). Les lésions s’apparentent souvent à
une dermatite séborrhéique. Le plus souvent, cette toxi-
cité cutanée ne nécessite aucun traitement. En cas de gêne
exprimée par le patient, un traitement symptomatique par
émollient, kétoconazole topique ou dermocorticoïdes de
classe 2 ou 3 peut être proposé et adapté aux signes observés
et à leur sévérité.
Dysesthésies du cuir chevelu
Des symptômes à type de prurit, brûlures, sensations dou-
loureuses ou compressives du cuir chevelu surviennent
chez près d’un patient sur deux durant les trois premières
semaines de traitement et disparaissent spontanément en
quelques jours ou semaines. Ces dysesthésies, d’étiologie
Figure 5. Érythème du visage respectant les régions périorbi-
taires sous sorafenib.
inconnue, ne semblent pas particulièrement associées à
l’éruption du cuir chevelu décrite plus haut.
Modifications des cheveux
Sous sorafenib, est observée de fac¸on presque constante une
modification de la texture des cheveux qui deviennent plus
frisés, plus secs et moins doux au toucher.
Une alopécie survient dans 27 à 44 % des cas avec une
atteinte diffuse mais le plus souvent incomplète. On observe
de fac¸on non exceptionnelle une repousse des cheveux mal-
gré la poursuite du traitement, même après un épisode
initial d’alopécie sévère. Les patients signalent alors sou-
vent que les cheveux qui repoussent sont beaucoup plus
frisés qu’avant le traitement.
Kystes, papules hyperkératosiques et
kératoacanthomes
La prévalence exacte de survenue de ces manifestations der-
matologiques n’est pas encore connue mais il a été rapporté
chez plusieurs patients des lésions kystiques (microkystes
du visage à type de kystes milium et/ou des lésions kys-
tiques plus volumineuses, parfois inflammatoires) (Fig. 6),
des papules kératosiques folliculaires et des kératoacan-
thomes qui posent parfois des problèmes de diagnostic
différentiel avec des carcinomes spinocellulaires [12].Un
cas de carcinome spinocellulaire sous sorafenib a d’ailleurs
été récemment rapporté [13].
Nous conseillons de traiter les lésions rétentionnelles par
nettoyage de peau dermatologique et de pratiquer l’exérèse
chirurgicale des lésions à type de kératoacanthomes.
Toxicité dermatologique associée au
sunitinib
Coloration jaunâtre de la peau
Une coloration jaunâtre du tégument est notée chez environ
30 % des patients traités par sunitinib et est probablement
secondaire à un effet direct du médicament qui contient un
pigment jaune vif (Fig. 7).
Figure 6. Microkystes et kystes du visage sous sorafenib.
152 J. Autier et al.
Figure 7. Coloration jaunâtre du tégument sous sunitinib.
Modifications des cheveux
L’anomalie pilaire la plus évidente chez de nombreux
patients recevant du sunitinib est une dépigmentation des
cheveux qui est visible après environ quatre à six semaines
de traitement. Cette dépigmentation est spontanément
réversible deux à trois semaines après l’arrêt du suniti-
nib. Une succession de bandes pigmentées et dépigmentées
sur un même cheveu peut être observée. Ces bandes cor-
respondent respectivement aux périodes de traitement et
d’arrêt du médicament lorsque le sunitinib est prescrit
quatre semaines sur six (Fig. 8). Cette dépigmentation
induite par le sunitinib est probablement secondaire au
blocage de la signalisation par KIT qui, via le facteur
de transcription microphthalmia-associated transcription
Figure 8. Succession de bandes pigmentées et dépigmentées
sur les cheveux d’un patient traité de fac¸on discontinue par
sunitinib.
factor (MITF), module l’expression des enzymes de la méla-
nogénèse [14].
Une alopécie diffuse de grade 1 se développe chez 5 à
10 % des patients traités par sunitinib.
Œdème périoculaire
Un œdème périorbitaire modéré survient chez5à10%des
patients traités par sunitinib.
La localisation préférentielle de l’œdème dans cette
localisation peut être expliquée par une distension plus
importante du tégument dans ces zones.
L’imatinib qui, comme le sunitinib, inhibe les récepteurs
PDGF et KIT induit également des œdèmes qui sont cepen-
dant plus fréquents et plus sévères [15].
Tableau 2 Les toxicités dermatologiques en fonction des cibles moléculaires.
Thérapie Sorafenib Sunitinib Imatinib
Cibles moléculaires VEGFR 1, 2, 3 KIT
VEGFR-1, 2, 3 PDGFR-,-PDGFR-
PDGFR-KIT
Flt3 Flt3
RAF RET
Syndrome main-pied ++ + 0
Hémorragies sous-unguéales
en flammèches
++ +/++ 0
Xérose + + 0/+
Modification de couleur de
la peau
++ (érythème visage) + (coloration jaunâtre du
tégument)
Hyper- ou
hypopigmentations
rarement rapportées
Modification des cheveux + (modification de texture) ++ (dépigmentation) Parfois repigmentés
Alopécie +/++ + 0/+
Œdème périorbitaire 0 + ++
Kystes, papules
hyperkératosiques,
kératoacanthomes
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