L Colite ischémique chez le sujet âgé DOSSIER THÉMATIQUE

220 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008
DOSSIER THÉMATIQUE
Maladies digestives
du sujet très âgé
Colite ischémique
chez le sujet âgé
Ischemic colitis in the elderly
Vered Abitbol*
* Hôpital Cochin, Hôtel-Dieu, Paris.
L
a colite ischémique transitoire a été pour la
première fois rapportée en 1963 par S.J. Boley
et al. comme la conséquence d’une occlusion
vasculaire et réversible du côlon. C’est en 1966 que
A. Martson et al. lui ont attribué le nom de colite
ischémique en clarifiant la présentation clinique et
le diagnostic histo-pathologique.
La colite ischémique (CI) est secondaire à une anoxie
de la paroi colique ou rectale d’origine circulatoire
artérielle ou veineuse. Le côlon est la partie du tube
digestif dont le débit sanguin est le plus bas, quelle
que soit son activité, ce qui le prédispose proba-
blement à cette pathologie. La CI est l’accident
vasculaire digestif le plus fréquent. Elle touche préfé-
rentiellement le sujet âgé et représente 3 à 10 % des
hémorragies digestives basses. Cette affection est
caractérisée par un grand polymorphisme clinique,
mais son tableau classique comporte en moins de
48 heures la triade “douleurs abdominales-diarrhée-
rectorragies”. L’atteinte colique peut prendre trois
formes : la colite ischémique aiguë transitoire (la plus
fréquente), la colite ischémique aiguë gangreneuse,
la colite ischémique d’évolution sténosante. La colite
ischémique touche préférentiellement le sujet âgé
athéromateux. Les étiologies sont souvent multiples
et intriquées chez un même malade.
Diagnostic
Présentation clinique
Les symptômes digestifs apparaissent brutale-
ment chez un malade souvent âgé. Deux formes
cliniques peuvent s’observer, la colite ischémique
non gangreneuse (CING) étant la plus fréquente,
transitoire, et le plus souvent bénigne, et la colite
ischémique gangreneuse (CIG) étant grave et de
mauvais pronostic. Les CING peuvent s’installer lors
d’une affection sévère avec un état de choc hypo-
volémique ou cardiogénique, au décours d’un geste
chirurgical, notamment sur l’aorte abdominale, ou
de manière spontanée chez des malades ambula-
toires. La CING peut se révéler par des douleurs
abdominales d’apparition brutale, à type de crampes
situées dans les flancs et dans la fosse iliaque gauche
(70 %), par une diarrhée aiguë (60 %) et des rector-
ragies (80 % des cas). Les pertes sanguines sont
modérées. La triade classique “douleur-diarrhée-
rectorragie” n’est présente que dans 40 % des cas.
D’autres éléments comme une fièvre modérée et
un syndrome subocclusif peuvent être présents.
Lexamen clinique objective un météorisme abdo-
minal et parfois une défense en regard de la zone
colique lésée. La CIG est plus rare et beaucoup plus
grave. Elle peut survenir d’emblée ou compliquer
l’évolution d’une CING. Elle se présente comme
un syndrome douloureux abdominal aigu à type de
péritonite et relevant de la chirurgie. Un choc peut
être au premier plan, mais parfois, survenant chez
un malade avec des tares viscérales, les symptômes
sont masqués et il n’y a pas de syndrome douloureux
abdominal. C’est dans ce contexte que des signes
cliniques tels qu’une distension abdominale impor-
tante ou un iléus persistant avec de la fièvre pren-
nent leur valeur. Enfin, la découverte d’une sténose
colique cicatricielle est un autre mode de révéla-
tion d’une colite ischémique, à distance de l’épisode
ischémique initial, qui a pu être méconnu.
La coloscopie
La première étape du bilan d’une colite ischémique est
d’avoir une certitude diagnostique avant d’engager
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 221
Points forts
La colite ischémique (CI) est secondaire à une anoxie de la paroi colique ou rectale. »
Elle touche préférentiellement le sujet âgé et représente 3 à 10 % des hémorragies digestives basses. La triade
»
classique “douleur-diarrhée-rectorragie” n’est présente que dans 40 % des cas.
La coloscopie affirme le diagnostic. »
Les CI sont le plus souvent multifactorielles. Le profil type d’une CI est un patient âgé ayant une pathologie »
cardiaque et/ou vasculaire et prenant un traitement à visée vasculaire.
Dans près de 80 % des cas, l’évolution de la CI non gangreneuse est spontanément favorable. Une sténose
»
cicatricielle est observée dans 5 à 20 % des cas. La mortalité est d’environ 8 %, essentiellement liée au terrain
et à la comorbidité.
Mots-clés
Colite ischémique
Gériatrie
Keywords
Ischemic colitis
Elderly
des explorations longues, coûteuses et/ou inutiles.
La coloscopie affirme le diagnostic en permettant
la vision muqueuse directe et la pratique de biopsies
multiples. Elle doit être réalisée suffisamment tôt
dans l’évolution de l’ischémie colique, en raison du
caractère rapidement réversible de certaines lésions,
et par un endoscopiste expérimenté et prudent afin
de minimiser les risques de perforation colique.
Elle est contre-indiquée dans des formes graves de
colite ischémique (CI). Une atteinte segmentaire des
lésions, le plus souvent suspendues et pourvues de
limites nettes, est très évocatrice de CI (figure 1). La
fréquence des localisations décroît du rectum vers
le cæcum, et l’atteinte du côlon gauche et recto-
sigmoïde est la plus fréquente (environ 75 % des cas).
Différents stades ont été décrits : stade I (pétéchies
non confluentes avec des intervalles de muqueuse
saine) ; stade II (ulcérations non nécrotiques, repo-
sant sur une muqueuse présentant des œdèmes) ;
stade III (ulcérations nécrotiques précédant la
gangrène) [tableau I, figures 2 à 4]. Enfin, la décou-
verte d’une sténose colique cicatricielle isolée peut
révéler une colite ischémique passée inaperçue lors
de l’épisode ischémique initial (figure 5).
Histologiquement, lors des CING, l’atteinte concerne
essentiellement la muqueuse, accessible aux prélè-
vements endoscopiques. Les aspects sont varia-
bles selon la sévérité de l’ischémie. Lœdème de la
muqueuse et de la sous-muqueuse est la lésion la
plus précoce. La nécrose de la muqueuse consiste
en un effacement des tubes glandulaires. Les lésions
d’atrophie sont représentées par des tubes glan-
dulaires petits, étroits et déplétés en mucus. La
coexistence de ces lésions, observées seulement
sur certains fragments, avec des zones de muqueuse
saine, réalise l’aspect d’atrophie en aire, qui repré-
sente le meilleur marqueur histologique des CING
transitoires.
Diagnostic différentiel
La CI se présente comme une colite aiguë dont le
diagnostic est relativement facile et obtenu par la
réalisation systématique d’une coloscopie avec
biopsies. Cet examen permet d’éliminer une colite
inflammatoire (rectocolite hémorragique, maladie
de Crohn) ou une colite infectieuse dues aux Esche-
richia coli entéro-hémorragiques, et plus particuliè-
rement au sérotype 0157:H7, mais aussi à Klebsiella
oxytoca. Certaines formes de colites ischémiques
peuvent mimer en tous points une colite virale à
Herpes simplex virus et surtout à cytomégalovirus, et
même à Clostridium difficile. Il faut aussi éliminer une
colite iatrogène post-radique ou médicamenteuse. Le
contexte clinique, l’aspect endoscopique, les résul-
Figure 1. Lésions d’ischémie muqueuse
suspendues, à limites nettes. Figure 2. Colite ischémique au stade I.
Tableau I. Coloscopie : trois
stades de lésions.
Muqueuse congestive, pété-
chiale, avec zones rougeâtres
purpuriques en nappe, sans
ulcérations (1er et 2e jours)
Ulcérations plutôt longitudi-
nales ou confluentes “à l’em-
porte-pièce” (3e au 7e jour)
Puis extension des ulcéra-
tions, muqueuse abrasée avec
hématomes prenant une teinte
noirâtre : CIG, grave, du ressort
de la chirurgie
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DOSSIER THÉMATIQUE
Maladies digestives
du sujet très âgé Colite ischémique chez le sujet âgé
tats des examens microbiologiques orientés pour le
sérotype 0157:H7 de Escherichia coli et Klebsiella
oxytoca et ceux de l’examen histologique des biop-
sies étagées systématiques (en zones coliques saine
et pathologique et au niveau du rectum) permettent
habituellement d’avoir une certitude diagnostique.
Les formes graves de colites ischémiques peuvent
être confondues avec d’autres urgences abdominales
et n’être découvertes que lors d’une laparotomie
exploratrice.
Enquête étiologique
Une CI doit être systématiquement recherchée
devant toute rectocolite non spécifique survenant
chez un sujet âgé. Les étiologies rapportées dans
la littérature sont très nombreuses. Les lésions
vasculaires du territoire mésentérique inférieur
peuvent être occlusives (thrombose, sténose) ou
non occlusives, ce qui est plus fréquent. Les prin-
cipales étiologies non occlusives et occlusives sont
rapportées dans le tableau II. Les causes sont le plus
souvent multifactorielles. Le profil type du malade
atteint d’une CI est celui d’un patient âgé, ayant une
pathologie cardiaque et/ou vasculaire et prenant un
traitement à visée vasculaire. Le traitement et/ou la
maladie cardiovasculaire peuvent être responsables
de cet accident vasculaire digestif.
Dans les cas les plus simples, l’interrogatoire et le
recueil des antécédents dominent toutes les autres
explorations. Le contexte est évocateur, comme
un surdosage médicamenteux, un bas débit ou
une défaillance circulatoire transitoire. L’existence
d’une cardiopathie emboligène ou d’un trouble
du rythme paroxystique chez un sujet présentant
une colite ischémique constitue une présomption
étiologique forte. Lexistence d’un choc, qui peut
être secondaire à une insuffisance circulatoire aiguë
par choc hémorragique, cardiogénique, septique,
anaphylactique, à une insuffisance cardiaque ou
un trouble du rythme, à une déshydratation aiguë,
constitue un argument étiologique décisif qui permet
le plus souvent de limiter les explorations complé-
mentaires. De même, la relation entre un geste de
clampage vasculaire chirurgical et une colite isché-
Figure 3. Colite ischémique stade II. Figure 4. Colite ischémique grave nécrosée.
Figure 5. Colite ischémique compliquée
de sténose colique.
Tableau II. Étiologies des colites ischémiques.
Principales étiologies vasculaires non obstructives
Les plus fréquentes : 95 %
Souvent associées à des causes obstructives
Bas débit relatif local ou général
• collapsus cardiovasculaire
• choc hypovolémique, cardiogénique, septique ou anaphylactique
• insufsance cardiaque, troubles du rythme
• effort physique de longue durée
• certains médicaments (antihypertenseurs, diurétiques, vasoconstricteurs, pénicillines)
Principales étiologies obstructives
Thromboses et embolies des vaisseaux mésentériques
Traumatismes abdominaux
Vascularites
Maladies hématologiques
Obstruction colique
Estroprogestatifs (thromboses artérielles)
Neuroleptiques (atonie, hyperpression intracolique avec thromboses des petits vaisseaux)
Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
Chirurgie de l’aorte abdominale (troubles de la vascularisation des artères à destination colique)
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DOSSIER THÉMATIQUE
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Pour en savoir plus…
mique est une donnée étiologique évidente issue
de l’anamnèse. La prise de médicaments à visée
vasculaire ou psychotrope est souvent retrouvée
chez les malades âgés, de même que la prise de
digitaliques, de diurétiques et d’antihypertenseurs.
Il faut aussi rechercher la prise d’AINS. L’hypothèse
d’une origine médicamenteuse ne doit pas dispenser
d’une enquête étiologique plus approfondie ; un sujet
âgé sous antihypertenseurs peut avoir été victime
d’un trouble du rythme paroxystique qu’il faudra
rechercher. Dans certains cas plus complexes où
l’étape clinique n’a pas permis d’affirmer la cause
de la CI, la réalisation d’examens complémentaires
s’impose. Un bilan d’hémostase complet est alors
réalisé dans un laboratoire spécialisé. Les principales
anomalies potentiellement associées aux colites
ischémiques sont un déficit en protéine C, protéine S
ou antithrombine III, un syndrome des anticorps
antiphospholipides, une mutation du facteur V de
Leiden, ou du gène de la prothrombine (facteur II).
Des explorations cardiologiques doivent être
pratiquées chez le sujet âgé, même en l’absence
de cardiopathie connue, la CI pouvant révéler une
cardiopathie emboligène (arythmie paroxystique ou
caillot intracavitaire). Les explorations cardiologi-
ques minimales associent un ECG, une échographie
cardiaque et un holter rythmique. La poursuite des
explorations par une échographie transœsopha-
gienne ou par la recherche d’une atteinte des gros
troncs vasculaires mésentériques par artériographie
(ou doppler) est fonction du contexte clinique, et de
l’existence, par exemple, d’une notion de récidive
de colite ischémique. Si la cardiopathie emboligène
est déjà connue, la colite ischémique doit amener à
en reconsidérer le traitement.
Traitement
La CING relève d’un traitement médical sympto-
matique. La reprise de l’alimentation (sans résidus)
peut se faire précocement dans les formes modérées
sans iléus réflexe. Si un syndrome subocclusif est
présent ou si les douleurs abdominales sont impor-
tantes, une mise au repos du tube digestif, avec
éventuellement aspiration digestive, est associée à
une alimentation parentérale de courte durée. Une
antibiothérapie (métronidazole, le plus souvent)
se justifie en cas de fièvre ou de signes locaux à
l’examen. Aucun traitement n’a fait la preuve de
son efficacité dans l’amélioration du flux sanguin
mésentérique. Le traitement de la CIG est unique-
ment chirurgical, en urgence, après une brève
réanimation.
Évolution
Dans près de 80 % des cas, l’évolution de la CING
est spontanément favorable, les lésions coliques
étant réversibles en une à deux semaines. Les CI
localisées dans le côlon droit auraient une évolution
moins favorable que dans les autres régions coliques,
avec un recours à la chirurgie plus fréquent et une
mortalité augmentée. En cas de lésions sévères, une
colite segmentaire chronique peut se constituer,
avec des ulcérations et un œdème muqueux respon-
sables de diarrhées et de rectorragies. Cette forme
prolongée nécessite une résection chirurgicale. Les
deux autres possibilités évolutives de la CING sont
l’aggravation secondaire, rarement, et la sténose
cicatricielle (figure 5), observée dans 5 à 20 % des
cas. Les récidives de CING sont rares. La mortalité
est d’environ 8 % et n’est pas directement due à la
CI. Elle est essentiellement imputable à des causes
médicales liées au terrain et à la comorbidité des
patients. Les CIG ont un mauvais pronostic en raison
de la gravité de l’atteinte colique. La mortalité est
proche de 80 % malgré une prise en charge chirur-
gicale.
Conclusion
La colite ischémique est fréquente chez le sujet âgé.
Il faut savoir en faire le diagnostic par un interro-
gatoire bien mené à la recherche d’un épisode de
bas débit cardiaque ou de choc, et la pratique d’une
coloscopie avec biopsies. La CING transitoire est
la plus fréquente. Elle bénéficie d’un traitement
symptomatique éventuellement associé à des anti-
biotiques. Son évolution est le plus souvent spon-
tanément favorable, mais elle risque d’évoluer vers
une sténose cicatricielle, qui révèle parfois une CI
passée inaperçue. La CIG est plus rare, mais grave
et de mauvais pronostic.
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