DOSSIER THÉMATIQUE Maladies digestives du sujet très âgé Colite ischémique chez le sujet âgé Ischemic colitis in the elderly Vered Abitbol* L a colite ischémique transitoire a été pour la première fois rapportée en 1963 par S.J. Boley et al. comme la conséquence d’une occlusion vasculaire et réversible du côlon. C’est en 1966 que A. Martson et al. lui ont attribué le nom de colite ischémique en clarifiant la présentation clinique et le diagnostic histo-pathologique. La colite ischémique (CI) est secondaire à une anoxie de la paroi colique ou rectale d’origine circulatoire artérielle ou veineuse. Le côlon est la partie du tube digestif dont le débit sanguin est le plus bas, quelle que soit son activité, ce qui le prédispose probablement à cette pathologie. La CI est l’accident vasculaire digestif le plus fréquent. Elle touche préférentiellement le sujet âgé et représente 3 à 10 % des hémorragies digestives basses. Cette affection est caractérisée par un grand polymorphisme clinique, mais son tableau classique comporte en moins de 48 heures la triade “douleurs abdominales-diarrhéerectorragies”. L’atteinte colique peut prendre trois formes : la colite ischémique aiguë transitoire (la plus fréquente), la colite ischémique aiguë gangreneuse, la colite ischémique d’évolution sténosante. La colite ischémique touche préférentiellement le sujet âgé athéromateux. Les étiologies sont souvent multiples et intriquées chez un même malade. Diagnostic Présentation clinique * Hôpital Cochin, Hôtel-Dieu, Paris. Les symptômes digestifs apparaissent brutalement chez un malade souvent âgé. Deux formes cliniques peuvent s’observer, la colite ischémique non gangreneuse (CING) étant la plus fréquente, transitoire, et le plus souvent bénigne, et la colite 220 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 ischémique gangreneuse (CIG) étant grave et de mauvais pronostic. Les CING peuvent s’installer lors d’une affection sévère avec un état de choc hypovolémique ou cardiogénique, au décours d’un geste chirurgical, notamment sur l’aorte abdominale, ou de manière spontanée chez des malades ambulatoires. La CING peut se révéler par des douleurs abdominales d’apparition brutale, à type de crampes situées dans les flancs et dans la fosse iliaque gauche (70 %), par une diarrhée aiguë (60 %) et des rectorragies (80 % des cas). Les pertes sanguines sont modérées. La triade classique “douleur-diarrhéerectorragie” n’est présente que dans 40 % des cas. D’autres éléments comme une fièvre modérée et un syndrome subocclusif peuvent être présents. L’examen clinique objective un météorisme abdominal et parfois une défense en regard de la zone colique lésée. La CIG est plus rare et beaucoup plus grave. Elle peut survenir d’emblée ou compliquer l’évolution d’une CING. Elle se présente comme un syndrome douloureux abdominal aigu à type de péritonite et relevant de la chirurgie. Un choc peut être au premier plan, mais parfois, survenant chez un malade avec des tares viscérales, les symptômes sont masqués et il n’y a pas de syndrome douloureux abdominal. C’est dans ce contexte que des signes cliniques tels qu’une distension abdominale importante ou un iléus persistant avec de la fièvre prennent leur valeur. Enfin, la découverte d’une sténose colique cicatricielle est un autre mode de révélation d’une colite ischémique, à distance de l’épisode ischémique initial, qui a pu être méconnu. La coloscopie La première étape du bilan d’une colite ischémique est d’avoir une certitude diagnostique avant d’engager Points forts »» La colite ischémique (CI) est secondaire à une anoxie de la paroi colique ou rectale. »» Elle touche préférentiellement le sujet âgé et représente 3 à 10 % des hémorragies digestives basses. La triade classique “douleur-diarrhée-rectorragie” n’est présente que dans 40 % des cas. »» La coloscopie affirme le diagnostic. »» Les CI sont le plus souvent multifactorielles. Le profil type d’une CI est un patient âgé ayant une pathologie cardiaque et/ou vasculaire et prenant un traitement à visée vasculaire. »» Dans près de 80 % des cas, l’évolution de la CI non gangreneuse est spontanément favorable. Une sténose cicatricielle est observée dans 5 à 20 % des cas. La mortalité est d’environ 8 %, essentiellement liée au terrain et à la comorbidité. des explorations longues, coûteuses et/ou inutiles. La coloscopie affirme le diagnostic en permettant la vision muqueuse directe et la pratique de biopsies multiples. Elle doit être réalisée suffisamment tôt dans l’évolution de l’ischémie colique, en raison du caractère rapidement réversible de certaines lésions, et par un endoscopiste expérimenté et prudent afin de minimiser les risques de perforation colique. Elle est contre-indiquée dans des formes graves de colite ischémique (CI). Une atteinte segmentaire des lésions, le plus souvent suspendues et pourvues de limites nettes, est très évocatrice de CI (figure 1). La fréquence des localisations décroît du rectum vers le cæcum, et l’atteinte du côlon gauche et rectosigmoïde est la plus fréquente (environ 75 % des cas). Différents stades ont été décrits : stade I (pétéchies non confluentes avec des intervalles de muqueuse saine) ; stade II (ulcérations non nécrotiques, reposant sur une muqueuse présentant des œdèmes) ; stade III (ulcérations nécrotiques précédant la gangrène) [tableau I, figures 2 à 4]. Enfin, la découverte d’une sténose colique cicatricielle isolée peut révéler une colite ischémique passée inaperçue lors de l’épisode ischémique initial (figure 5). Histologiquement, lors des CING, l’atteinte concerne essentiellement la muqueuse, accessible aux prélèvements endoscopiques. Les aspects sont variables selon la sévérité de l’ischémie. L’œdème de la muqueuse et de la sous-muqueuse est la lésion la plus précoce. La nécrose de la muqueuse consiste en un effacement des tubes glandulaires. Les lésions d’atrophie sont représentées par des tubes glandulaires petits, étroits et déplétés en mucus. La coexistence de ces lésions, observées seulement sur certains fragments, avec des zones de muqueuse saine, réalise l’aspect d’atrophie en aire, qui représente le meilleur marqueur histologique des CING transitoires. Mots-clés Colite ischémique Gériatrie Keywords Ischemic colitis Elderly Diagnostic différentiel La CI se présente comme une colite aiguë dont le diagnostic est relativement facile et obtenu par la réalisation systématique d’une coloscopie avec biopsies. Cet examen permet d’éliminer une colite inflammatoire (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn) ou une colite infectieuse dues aux Escherichia coli entéro-hémorragiques, et plus particulièrement au sérotype 0157:H7, mais aussi à Klebsiella oxytoca. Certaines formes de colites ischémiques peuvent mimer en tous points une colite virale à Herpes simplex virus et surtout à cytomégalovirus, et même à Clostridium difficile. Il faut aussi éliminer une colite iatrogène post-radique ou médicamenteuse. Le contexte clinique, l’aspect endoscopique, les résul- Tableau I. Coloscopie : trois stades de lésions. Muqueuse congestive, pétéchiale, avec zones rougeâtres purpuriques en nappe, sans ulcérations (1er et 2e jours) Ulcérations plutôt longitudinales ou confluentes “à l’em­ porte-pièce” (3e au 7e jour) Figure 1. Lésions d’ischémie muqueuse suspendues, à limites nettes. Figure 2. Colite ischémique au stade I. Puis extension des ulcérations, muqueuse abrasée avec hématomes prenant une teinte noirâtre : CIG, grave, du ressort de la chirurgie La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 221 DOSSIER THÉMATIQUE Maladies digestives du sujet très âgé Figure 3. Colite ischémique stade II. Colite ischémique chez le sujet âgé Figure 4. Colite ischémique grave nécrosée. Tableau II. Étiologies des colites ischémiques. Figure 5. Colite ischémique compliquée de sténose colique. Enquête étiologique Principales étiologies vasculaires non obstructives Les plus fréquentes : 95 % Souvent associées à des causes obstructives Bas débit relatif local ou général • collapsus cardiovasculaire • choc hypovolémique, cardiogénique, septique ou anaphylactique • insuffisance cardiaque, troubles du rythme • effort physique de longue durée • certains médicaments (antihypertenseurs, diurétiques, vasoconstricteurs, pénicillines) Principales étiologies obstructives Thromboses et embolies des vaisseaux mésentériques Traumatismes abdominaux Vascularites Maladies hématologiques Obstruction colique Estroprogestatifs (thromboses artérielles) Neuroleptiques (atonie, hyperpression intracolique avec thromboses des petits vaisseaux) Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) Chirurgie de l’aorte abdominale (troubles de la vascularisation des artères à destination colique) tats des examens microbiologiques orientés pour le sérotype 0157:H7 de Escherichia coli et Klebsiella oxytoca et ceux de l’examen histologique des biopsies étagées systématiques (en zones coliques saine et pathologique et au niveau du rectum) permettent habituellement d’avoir une certitude diagnostique. Les formes graves de colites ischémiques peuvent être confondues avec d’autres urgences abdominales et n’être découvertes que lors d’une laparotomie exploratrice. 222 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 Une CI doit être systématiquement recherchée devant toute rectocolite non spécifique survenant chez un sujet âgé. Les étiologies rapportées dans la littérature sont très nombreuses. Les lésions vasculaires du territoire mésentérique inférieur peuvent être occlusives (thrombose, sténose) ou non occlusives, ce qui est plus fréquent. Les principales étiologies non occlusives et occlusives sont rapportées dans le tableau II. Les causes sont le plus souvent multifactorielles. Le profil type du malade atteint d’une CI est celui d’un patient âgé, ayant une pathologie cardiaque et/ou vasculaire et prenant un traitement à visée vasculaire. Le traitement et/ou la maladie cardiovasculaire peuvent être responsables de cet accident vasculaire digestif. Dans les cas les plus simples, l’interrogatoire et le recueil des antécédents dominent toutes les autres explorations. Le contexte est évocateur, comme un surdosage médicamenteux, un bas débit ou une défaillance circulatoire transitoire. L’existence d’une cardiopathie emboligène ou d’un trouble du rythme paroxystique chez un sujet présentant une colite ischémique constitue une présomption étiologique forte. L’existence d’un choc, qui peut être secondaire à une insuffisance circulatoire aiguë par choc hémorragique, cardiogénique, septique, anaphylactique, à une insuffisance cardiaque ou un trouble du rythme, à une déshydratation aiguë, constitue un argument étiologique décisif qui permet le plus souvent de limiter les explorations complémentaires. De même, la relation entre un geste de clampage vasculaire chirurgical et une colite isché- DOSSIER THÉMATIQUE mique est une donnée étiologique évidente issue de l’anamnèse. La prise de médicaments à visée vasculaire ou psychotrope est souvent retrouvée chez les malades âgés, de même que la prise de digitaliques, de diurétiques et d’antihypertenseurs. Il faut aussi rechercher la prise d’AINS. L’hypothèse d’une origine médicamenteuse ne doit pas dispenser d’une enquête étiologique plus approfondie ; un sujet âgé sous antihypertenseurs peut avoir été victime d’un trouble du rythme paroxystique qu’il faudra rechercher. Dans certains cas plus complexes où l’étape clinique n’a pas permis d’affirmer la cause de la CI, la réalisation d’examens complémentaires s’impose. Un bilan d’hémostase complet est alors réalisé dans un laboratoire spécialisé. Les principales anomalies potentiellement associées aux colites ischémiques sont un déficit en protéine C, protéine S ou antithrombine III, un syndrome des anticorps antiphospholipides, une mutation du facteur V de Leiden, ou du gène de la prothrombine (facteur II). Des explorations cardiologiques doivent être pratiquées chez le sujet âgé, même en l’absence de cardiopathie connue, la CI pouvant révéler une cardiopathie emboligène (arythmie paroxystique ou caillot intracavitaire). Les explorations cardiologiques minimales associent un ECG, une échographie cardiaque et un holter rythmique. La poursuite des explorations par une échographie transœsophagienne ou par la recherche d’une atteinte des gros troncs vasculaires mésentériques par artériographie (ou doppler) est fonction du contexte clinique, et de l’existence, par exemple, d’une notion de récidive de colite ischémique. Si la cardiopathie emboligène est déjà connue, la colite ischémique doit amener à en reconsidérer le traitement. Traitement La CING relève d’un traitement médical symptomatique. La reprise de l’alimentation (sans résidus) peut se faire précocement dans les formes modérées sans iléus réflexe. Si un syndrome subocclusif est présent ou si les douleurs abdominales sont importantes, une mise au repos du tube digestif, avec éventuellement aspiration digestive, est associée à une alimentation parentérale de courte durée. Une antibiothérapie (métronidazole, le plus souvent) se justifie en cas de fièvre ou de signes locaux à l’examen. Aucun traitement n’a fait la preuve de son efficacité dans l’amélioration du flux sanguin mésentérique. Le traitement de la CIG est uniquement chirurgical, en urgence, après une brève réanimation. Évolution Dans près de 80 % des cas, l’évolution de la CING est spontanément favorable, les lésions coliques étant réversibles en une à deux semaines. Les CI localisées dans le côlon droit auraient une évolution moins favorable que dans les autres régions coliques, avec un recours à la chirurgie plus fréquent et une mortalité augmentée. En cas de lésions sévères, une colite segmentaire chronique peut se constituer, avec des ulcérations et un œdème muqueux responsables de diarrhées et de rectorragies. Cette forme prolongée nécessite une résection chirurgicale. Les deux autres possibilités évolutives de la CING sont l’aggravation secondaire, rarement, et la sténose cicatricielle (figure 5), observée dans 5 à 20 % des cas. Les récidives de CING sont rares. La mortalité est d’environ 8 % et n’est pas directement due à la CI. Elle est essentiellement imputable à des causes médicales liées au terrain et à la comorbidité des patients. Les CIG ont un mauvais pronostic en raison de la gravité de l’atteinte colique. La mortalité est proche de 80 % malgré une prise en charge chirurgicale. Conclusion La colite ischémique est fréquente chez le sujet âgé. Il faut savoir en faire le diagnostic par un interrogatoire bien mené à la recherche d’un épisode de bas débit cardiaque ou de choc, et la pratique d’une coloscopie avec biopsies. La CING transitoire est la plus fréquente. Elle bénéficie d’un traitement symptomatique éventuellement associé à des antibiotiques. Son évolution est le plus souvent spontanément favorable, mais elle risque d’évoluer vers une sténose cicatricielle, qui révèle parfois une CI passée inaperçue. La CIG est plus rare, mais grave et de mauvais pronostic. ■ Pour en savoir plus… • Boley SJ, Schwartz S, Lash J, Stern­hill V. Reversible vascular occlusion of the colon. Surg Gynecol Obstet 1963;116: 53-60. • Marston A, Pheils MT, Thomas ML, Morson BC. Ischaemic colitis. Gut 1966;7:1-15. • Higgins PD, Davis KJ, Laine L. Systematic review: the epidemiology of ischaemic colitis. Aliment Pharmacol Ther 2004;19:729-38. • Matsumoto S, Tsuji K, Shirahama S. 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