Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011
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Mise au point
de la mTOR a soulevé l’espoir d’une épargne possible
des ICN. Les stratégies d’utilisation des inhibiteurs de
mTOR ont évolué au cours du temps. L’utilisation du
sirolimus de novo sans ICN s’est heurtée à une incidence
accrue de rejet aigu et à des complications chirurgi-
cales (12). La conversion tardive des ICN pour le siro-
limus a montré dans l’étude CONVERT (11) un bénéfice
limité aux patients ayant une bonne fonction rénale
(clairance de la créatinine > 40 ml/mn). Plus récemment,
une stratégie de conversion précoce, reposant sur un
triptyque logique, a été développée :
✓
utiliser les ICN durant la période postchirurgicale et
tant que le risque de rejet aigu reste élevé ;
✓arrêter prématurément les ICN car leur toxicité est
précoce et peu réversible ;
✓
réserver cette stratégie au profil de patients ayant
bénéficié de la conversion tardive au sirolimus dans
l’étude CONVERT.
Deux études ont comparé une stratégie de conver-
sion programmée précoce au maintien d’un traitement
fondé sur l’emploi d’un ICN.
✓
Dans l’étude Concept (13), les patients, sélection-
nés le jour de la transplantation (tableau I), recevaient
initialement un traitement séquentiel associant basi-
liximab, ciclosporine, mycophénolate mofétil (MMF)
et corticoïdes. Trois mois après la transplantation, les
patients étaient randomisés en 2 bras : conversion de la
ciclosporine pour le sirolimus ou maintien du même trai-
tement (tableau I). Le critère principal était la fonction
rénale à 1 an estimée par la clairance de la créatinine
(Cockcroft et Gault) ; 192 patients ont été randomisés.
À la fin de l’étude, la clairance de la créatinine était
significativement plus élevée chez les patients ayant eu
une conversion (13). Ces résultats ont été confirmés dans
une étude d’extension à 4 ans (14). Le pourcentage de
patients ayant eu un rejet après la randomisation était
numériquement supérieur dans le groupe conversion,
sans toutefois atteindre le seuil de significativité (13).
✓
L’étude Spare The Nephron (STN) a été plus récem-
ment publiée (15). Dans cette étude, les patients, rece-
vant du MMF et un ICN (ciclosporine ou tacrolimus),
étaient randomisés entre le premier et le sixième mois
suivant la transplantation pour continuer ce traitement
ou remplacer l’ICN par le sirolimus. À 1 an, le débit de
filtration glomérulaire (DFG) mesuré par la clairance de
l’iothalamate n’était pas différent entre les 2 groupes,
mais la fonction rénale s’était davantage améliorée
dans le groupe sirolimus que dans le groupe ayant
poursuivi l’ICN (+ 24,4 ml/mn dans le bras sirolimus
versus + 5,2 ml/mn dans le bras contrôle ; p = 0,012).
Les résultats concordants de ces deux études sug-
gèrent que la conversion précoce d’un ICN pour le
sirolimus est associée à une amélioration de la fonc-
tion rénale.
Le mécanisme expliquant l’amélioration de la fonction
rénale après conversion de la ciclosporine au sirolimus
n’est pas univoque. Dans une étude ancillaire de l’étude
Concept, A. Servais et al. (16) n’ont pas retrouvé de dif-
férence dans le score de fibrose 1 an après la transplan-
tation chez les patients ayant eu ou non une conversion
au sirolimus. Il est possible que la conversion à 3 mois
soit déjà trop tardive ou le moment de la biopsie, trop
précoce.
Place de la conversion précoce dans
les stratégies immunosuppressives actuelles
Les données de Concept à 48 mois permettent de
dégager un premier indice en faveur de l’effet favorable,
au moins à moyen terme, de la conversion. Plusieurs
points restent cependant à discuter : compte tenu
des différents biais dans l’étude STN et du fait que la
ciclosporine était le comparateur dans l’étude Concept,
aucune donnée solide ne permet de juger de l’effet de
la conversion lorsque les patients reçoivent du tacro-
limus. De plus, le seul critère biologique retenu dans
les études Concept et STN ne peut résumer l’ensemble
des exigences en termes d’immunosuppression. Des
données supplémentaires concernant le coût, la qualité
de vie, l’efficacité et la tolérance à long terme sont indis-
pensables. Néanmoins, même s’il persiste un doute
raisonnable sur les effets à long terme de la conversion
sur la fonction rénale, le bénéfice de cette stratégie sur
le risque de cancer repose sur des données solides et
concordantes.
Tableau I. Critères d’inclusion, d’exclusion et de non-randomisation dans l’étude Concept.
Critères d’inclusion
Receveur adulte (18-75ans) d’une première transplantation rénale
Critères d’exclusion
Receveur d’un rein de donneur vivant ou de donneur à cœur arrêté
Antécédent de transplantation rénale
Transplantations multiples
Ischémie froide > 36 h
Âge du donneur > 65ans
Panel Reactive Antibody (PRA) > 30 %
Infection active
Antécédent de cancer
Globules blancs < 2 500/mm3
Hémoglobine < 9 g/100ml
Critères de non-randomisation à la 12e semaine post-transplantation
Épisode de rejet aigu d’un grade ≥ 1 (classification de BANFF)
Clairance calculée de la créatinine < 40ml/mn
Variation de la créatinine sérique > 30 % dans les 15 derniers jours
Protéinurie > 1 g/j
Dose de mycophénolate mofétil < 1,5 g/j