É D I T O R I A L AHA 2001 ● A. Vacheron* élèbre par le royaume enchanté de son Disneyland, Anaheim vient d’accueillir une nouvelle fois les sessions de l’American Heart Association. En dépit des événements tragiques qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre et d’une inquiétude latente souvent perceptible, plus de 24 000 congressistes (ils étaient 33 000 l’an dernier à La Nouvelle-Orléans) sont venus des États-Unis et du reste du monde écouter et analyser les 3 920 communications orales ou posters sélectionnés parmi près de 14 000 abstracts soumis au comité scientifique et répartis en trois pôles : Basic Science, Clinical Science et Population Science. Après un émouvant hommage aux victimes du 11 septembre, le président, Daniel P. Faxon, a appelé les cardiologues à une formation scientifique plus rigoureuse et plus soutenue et a rappelé que les maladies cardiovasculaires constitueront dans les années à venir le problème majeur de santé publique dans le monde entier en raison du vieillissement des populations. Comme les précédents, ce congrès de l’AHA complète nos connaissances et affine nos stratégies diagnostiques et thérapeutiques. Ne pouvant, dans cet éditorial, évoquer tous les travaux analysés par mes collègues, j’ai sélectionné trois thèmes importants pour notre pratique : la maladie coronaire, l’insuffisance cardiaque et la prévention. C La prise en charge de la maladie coronaire bénéficie des progrès les plus récents de la recherche physiopathologique et génétique. La prévention de la resténose, ce talon d’Achille de l’angioplastie, en est une parfaite illustration. L’espoir qu’avaient fait naître les stents, introduits en 1986 par Jacques Puel en cardiologie interventionnelle, a été partiellement déçu : si elles s’opposent au remodelage constrictif de l’artère, les endoprothèses favorisent la prolifération intimale et ne réduisent que de moitié environ le risque de resténose. Comme l’a souligné Éric Topol, les résultats obtenus avec les stents recouverts de substances antiprolifératives comme le sirolimus et le paclitaxel sont impressionnants. La maladie coronaire * Membre de l’Académie de médecine. La Lettre du Cardiologue - Supplément au n° 351 - janvier 2002 Marie-Claude Morice avait déjà rapporté, à Stockholm, lors du dernier Congrès européen de cardiologie, l’étude randomisée RAVEL portant sur 238 patients et comparant un groupe recevant un stent standard et un groupe recevant un stent recouvert de sirolimus (rapamycine) : il n’y avait, au contrôle angiographique à six mois, aucune resténose dans le groupe sirolimus, mais il y en avait 26 % dans le groupe avec stent conventionnel. Les résultats cliniques et angiographiques de RAVEL ont été confirmés par l’échographie endocoronaire, et sont observés même chez les diabétiques. Deux autres études, TAXUS 1 en Allemagne et ASPECT au Japon, ont donné des résultats aussi remarquables avec des stents libérant un autre agent antiprolifératif : le paclitaxel (Taxol®). En revanche, l’étude PRESTO, réalisée chez 11 500 patients avec le tranilast administré par voie orale, s’est révélée négative. D’autres études sont en cours, et d’autres agents comme l’actinomycine D sont à l’essai. Les résultats préliminaires remarquables obtenus dans la resténose intrastent avec des endoprothèses recouvertes de rapamycine annoncent peut-être la fin de la brachythérapie. La thérapie génique apparaît-elle aussi prometteuse ? Peter Vale (Boston) et Richard Schatz (San Diego) ont rapporté les résultats positifs obtenus par injection intramyocardique de VEGF 1 et de VEGF 2 (vascular endothelial growth factor) chez des patients non revascularisables souffrant d’angor invalidant. Enfin, l’étude du Japonais Hamano montre l’amélioration de la symptomatologie et de la perfusion régionale chez des coronariens sévères non revascularisables après injection intramyocardique de cellules souches médullaires. Dans les syndromes coronariens aigus, l’angioscopie a permis de constater que l’élévation de la troponine était habituellement associée à la présence d’un thrombus au site de la lésion coupable. L’étude PENTUA a démontré l’intérêt dans cette indication du pentasaccharide, inhibiteur du facteur X, et qui s’avère au moins aussi efficace et peut-être plus maniable que les héparines de bas poids moléculaire. Lors de la Paul Dudley White International Lecture, Patrick Serruys (Rotterdam), après avoir rendu un hommage à Andreas Grüntzig, le réalisateur de la première angioplastie coronaire en 1977, mort à 46 ans dans un accident d’avion, a souligné l’intérêt des centres spécialisés dans le traitement de l’infarctus myocardique aigu, traitement poursuivi ensuite en cardiologie générale. Il apparaît en effet capital d’utiliser sans retard et systématiquement les techniques de reperfusion en même temps 3 É D I T O R I A L que les autres traitements qui ont fait leurs preuves (bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion), comme le démontre l’enquête réalisée en Allemagne par Anselm Gitt, avec une réduction significative de la mortalité hospitalière, qui est passée de 16,2 % en 1994-1995 à 9,8 % en 2000-2001. Cause majeure de morbidité et de mortalité dans tous les pays industrialisés, l’insuffisance cardiaque devrait continuer à progresser dans les années à venir. R. Sanders Williams, lors de la Conner Memorial Lecture, a rappelé qu’elle atteignait près de 5 millions d’Américains, avec un taux de mortalité à un an de 50 % dans les formes les plus évoluées. Il a indiqué que les recherches génétiques devraient préciser les variations alléliques intervenant dans la progression de la maladie et permettre sa prise en charge plus précoce, avant qu’elle ne devienne irréversible. Prescrits isolément, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine ne semblent pas diminuer la mortalité des insuffisants cardiaques, mais leur association aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion réduit la fréquence des hospitalisations. Les bêtabloquants, dont l’efficacité est maintenant démontrée, sont utiles dans la dysfonction ventriculaire gauche encore asymptomatique. L’étude MIRACLE confirme l’intérêt de la resynchronisation ventriculaire chez les insuffisants cardiaques à QRS larges avec une importante série de plus de 500 patients suivis pendant plus de six mois. Néanmoins, la resynchronisation ne met pas à l’abri de la mort subite et ne saurait dispenser du défibrillateur implantable. L’étude REMATCH démontre le bénéfice de l’assistance ventriculaire permanente (système Thoratec Heart Mate) par rapport au traitement médical optimal chez 129 insuffisants cardiaques qui n’avaient pu être transplantés, avec une survie de 53 % à un an et de 23 % à deux ans sous assistance, contre 23 % et 8 % dans le groupe traité médicalement, au prix cependant d’effets secondaires non négligeables (hémorragies, embolies, troubles neurologiques et infections). Les résultats de la transplantation cardiaque s’améliorent au fil des années avec, aujourd’hui, un taux de survie de plus de 70 % à cinq ans et une réduction de l’athérosclérose des greffons depuis l’utilisation des statines. La thérapie cellulaire ouvre une nouvelle voie dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Philippe Menasche a rapporté ses résultats de greffe autologue de myoblastes squelettiques chez dix patients pontés avec dysfonction ventriculaire gauche dont la fraction d’éjection et la cinétique segmentaire se sont améliorées. Patrick Serruys obtient la régression de l’insuffisance cardiaque après injection au moyen d’un cathéter de cellules musculaires squelettiques chez une femme âgée (78 ans) qui avait présenté un infarctus myocardique sévère. L’insuffisance cardiaque 4 La présentation par Rory Collins (Oxford) des résultats de la Heart Prévention Protection Study (HPS) constitue l’événement majeur de l’AHA en matière de prévention. Cette étude randomisée contre placebo et vitamines antioxydantes, réalisée avec la simvastatine (40 mg/jour) sur une cohorte de 20 536 patients à haut risque cardiovasculaire suivis pendant cinq ans, montre une réduction de 12 % de la mortalité totale, de 17 % de la mortalité cardiovasculaire, de 27 % du risque d’AVC et de 24 % des événements cardiovasculaires majeurs (événements coronariens, AVC, revascularisation). Le seul critère lipidique d’inclusion était un taux de cholestérol total supérieur à 1,35 g/l. Vingt-cinq pour cent des patients inclus étaient des femmes, 28 % avaient 70 ans ou plus. Le bénéfice apparaît significatif chez tous les coronariens avec ou sans antécédent d’infarctus, chez les patients sans antécédent coronarien, notamment chez les diabétiques avec une réduction de 24 % du risque d’événements cardiovasculaires majeurs, chez les artéritiques et chez les patients ayant un antécédent d’AVC. Le bénéfice est indépendant de l’âge (même après 75 ans), du sexe, du cholestérol total de base, apparaissant même pour un cholestérol inférieur à 1,93 g/l, et du LDL-cholestérol de base, apparaissant même pour un LDL inférieur à 1 g/l. Le nombre d’événements cardiaques, cérébrovasculaires ou vasculaires majeurs est réduit de 100 pour 1 000 patients ayant des antécédents d’infarctus. Le bénéfice absolu a commencé à se manifester à partir du 4e mois et a augmenté avec la durée du traitement au cours de cette étude. La tolérance s’est avérée excellente tant sur le plan musculaire qu’hépatique. L’une des branches de la randomisation testait l’efficacité des vitamines antioxydantes E, C et bêta-carotène : l’étude HPS démontre leur inefficacité complète à prévenir un événement cardiovasculaire majeur. Ainsi le traitement par statines doit-il être décidé non plus seulement sur les valeurs basales du cholestérol total et du LDLcholestérol, mais aussi en fonction du risque cardiovasculaire absolu, en raison de la baisse du LDL-cholestérol et peut-être aussi des effets pléiotropes bénéfiques des statines, encore incomplètement élucidés. Je remercie Pierre Amarenco, Christophe Bauters, François Berthezene, Jacques Bonnet, Jean Dallongeville, Jean-Marc Davy, Geneviève Derumeaux, Michel Farnier, Michel Komajda, Alain Krivitzky, Philippe Lechat, Gérard Nguyen, Pierre-Jean Touboul et Eric Villard d’apporter dans ce numéro spécial, parfaitement coordonné, comme à l’habitude, par Nicole Baubion, une moisson d’informations dans tous les domaines de la cardiologie. Merci à Pfizer d’avoir permis sa réalisation. ■ La Lettre du Cardiologue - Supplément au n° 351 - janvier 2002