CANCER DU POUMON
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001
a progression rapide de l’incidence des cancers bron-
chiques surpasse largement les quelques avancées de
la médecine dans la prise en charge des cancers bron-
chopulmonaires. Si la survie de la majorité des cancers a été
améliorée, celle des cancers bronchiques reste inchangée. Cela
est explicable, d’une part, par un diagnostic souvent trop tardif
à une phase avancée de la maladie et, d’autre part, par
l’absence de prise en charge thérapeutique à l’efficacité maîtri-
sée des stades tardifs. Cela explique sans doute une partie du
nihilisme thérapeutique, observé au quotidien, entourant la
prise en charge de ces cancers.
L’année qui vient de s’écouler ne sera sans doute pas de nature
à changer les esprits, la conclusion d’une des sessions orales
de l’ASCO venant à l’appui du pessimisme ambiant en affir-
mant que nos résultats plafonnent.
En revanche, si le quotidien n’est pas bouleversé, la recherche
de solutions emprunte des voies qui seront sources de progrès
à moyen ou à long terme.
Ainsi en est-il des avancées en biologie moléculaire et de
l’obtention à moyen terme d’une carte d’identité génétique des
tumeurs, de la recherche de facteurs prédictifs de réponse à un
traitement, qu’ils soient chimiothérapiques ou ciblés sur une
anomalie moléculaire.
ÉPIDÉMIOLOGIE, DÉPISTAGE ET PRÉVENTION
La mortalité par cancer bronchique diminue aux États-Unis
(1). Cela est potentiellement explicable, d’une part, du fait
d’une réduction du taux de goudrons dans les cigarettes,
d’autre part par un plus grand nombre de fumeurs qui aban-
donnent le tabagisme (figure 1). Ceci est en accord avec les
données publiées par R. Peto (2) (figure 2) l’an dernier, qui
avaient démontré, de façon spectaculaire, la réduction du
risque d’apparition d’un cancer bronchique en fonction de
l’âge auquel on arrête le tabagisme.
Cette étude avait conclu que l’arrêt du tabagisme était efficace
à tout âge, mais qu’il l’était d’autant plus qu’il était réalisé pré-
cocement.
Le fait d’arrêter de fumer avant 40 ans permet d’éviter 90 %
du risque d’apparition d’un cancer pulmonaire. L’importance
de la durée du tabagisme dans le risque d’apparition d’un can-
cer bronchique est bien mise en évidence chez les fumeurs qui
arrêtent de fumer tardivement. L’inquiétude vient maintenant d’une augmentation importante
de la consommation de tabac et de marijuana chez les adoles-
cents (1) (figure 3), qui entraînera sûrement une majoration à
terme de l’incidence des cancers bronchiques.
Cancer du poumon
! D. Moro*
* Département d’oncologie médicale, Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75231 Paris
Cedex 5.
L
Afro-Américains
Blancs
1950 1960 1970 1980 1990 1965 1975 1985 1995
1955 1965 1975
Année Année
1985 1995 1970 1980 1990
55
50
45
40
35
30
25
20
15
10
3,0
2,8
2,6
2,4
2,2
2,0
1,8
1,6
1,4
1,2
1,0
0,8
0,6
0,4
Prévalence d’arrêt du tabac
Goudrons
Nicotine
36
34
32
30
28
26
24
22
20
18
16
14
12
10
Goudrons (mg)
Nicotine (mg)
Figure 1. Taux d’évolution des goudrons et de la nicotine dans les ciga-
rettes et évolution de l’arrêt du tabac.
16
14
12
10
8
6
4
2
045 55 65 75
Risque cumulé (%)
Âge
Toujours fumeurs
Arrêt à 60 ans
Arrêt à 50 ans
Arrêt à 40 ans
Arrêt à 30 ans
Jamais fumeurs
Figure 2. Risque cumulé d’apparition d’un cancer bronchique en fonc-
tion de l’âge et de l’âge à l’arrêt du tabagisme.
La lutte contre le tabagisme reste donc d’actualité et doit être
un objectif principal de santé publique.
Cependant, un cancer bronchique sur deux survient chez un
ancien fumeur. Cela fait qu’on ne peut résumer la lutte contre
le cancer bronchique à une lutte contre le tabagisme. Il
convient d’essayer d’optimiser les stratégies de dépistage et,
éventuellement, de chimioprévention.
Un programme de dépistage comportant une radiographie tho-
racique annuelle pour toutes les personnes de plus de 39 ans et
une analyse de l’expectoration pour ceux fumant 30 paquets-
années ou plus a été mis en place à Miyagi, au Japon, depuis
1982. Grâce à ce programme, plus de 1 500 cancers du pou-
mon ont été détectés entre 1982 et 1999, conduisant à une
réduction du risque de décès de 46 % (3).
On peut rapprocher de cette étude les études américaines des
années 1970, soutenues par le National Cancer Institute et revisi-
tées récemment (4). Il s’agissait du Memorial Sloan-Kettering
Lung Project, du John Hopkins Lung Project et du Mayo Lung
Project. Les objectifs de ces études n’étaient pas les mêmes : les
deux premières cherchaient à définir la place de la cytologie en
comparant une radiographie annuelle à une radiographie annuelle
associée à un examen cytologique des expectorations tous les
quatre mois. Le Mayo Lung Project s’intéressait à la place du
radiodépistage, éventuellement couplé à l’examen cytologique.
Les études du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center et du
John Hopkins Hospital ont toutes deux réuni plus de 10
000 sujets volontaires. Ni l’une ni l’autre n’a apporté la preuve
de l’intérêt de l’examen cytologique. En revanche, la survie de
l’ensemble des patients dépistés était nettement plus élevée que
celle des patients atteints de cancer bronchique en général. Il y
avait par ailleurs un nombre important de cancers de stade I et
donc de cancers résécables. Le Mayo Lung Project est le plus
important des essais prospectifs publiés sur ce thème. Après un
examen radiologique et cytologique initial, les patients étaient
randomisés entre radiographie et cytologie tous les quatre mois et
recevaient une recommandation pour une radiographie et un exa-
men cytologique chaque année. L’incidence des cancers a été
supérieure dans le groupe des sujets dépistés. Ceux-ci ont été
significativement plus souvent opérables, et leur survie était éga-
lement supérieure. Néanmoins, compte tenu de l’excès de can-
cers bronchiques dans ce groupe, la mortalité spécifique par can-
cer bronchique ne différait pas de façon significative.
L’analyse de ces études a fait admettre que le dépistage du can-
cer bronchique était sans utilité, puisque la mortalité spécifique
par cancer du poumon n’a été influencée ni par le dépistage
cytologique, ni par le dépistage radiologique. L’amélioration de
la survie des patients dépistés ne constitue pas à elle seule une
preuve suffisante de l’efficacité d’une campagne de dépistage.
L’excès de mortalité par cancer bronchique dans le groupe
dépisté observé dans l’étude de la Mayo Clinic fait l’objet de
controverses, mais est expliqué comme un phénomène de “sur-
diagnostic” lié à l’existence de lésions latentes. Cette hypo-
thèse est retenue par le NCI depuis le travail de P. Marcus et
al. (5). Leur analyse a étendu le suivi des deux groupes de
sujets jusqu’en 1996, avec un suivi médian de 20,5 années. La
mortalité spécifique par cancer bronchique restait équivalente
dans les deux groupes : 4,4/1 000 dans le groupe dépisté et
3,9/1 000 dans le groupe contrôle (p = 0,09). En revanche, les
sujets dépistés dont le cancer avait été diagnostiqué avant 1983
avaient une meilleure survie que les sujets cancéreux du
groupe contrôle (médiane de survie des stades précoces de
16,0 ans dans le groupe dépisté contre 5,0 ans dans le groupe
contrôle, p = 0,0039). La controverse reste d’actualité puisque,
en dépit de cette position officielle du NCI, une révision statis-
tique de cette étude conclut à une réduction de la mortalité spé-
cifique, et ce en dépit d’une faible sensibilité de la radiogra-
phie thoracique comme outil de dépistage (6). Cette conclusion
ouvre la voie aux techniques de tomodensitométrie à faible
dose actuellement en évaluation.
Cette approche radiologique est sûrement pertinente pour les
tumeurs périphériques ; elle paraît en revanche insuffisante
pour les tumeurs bronchiques proximales. Une stratégie fondée
sur l’analyse de l’expectoration peut représenter une solution
pour ces tumeurs.
Une étude (7) a comparé la fréquence de trois anomalies géné-
tiques (mutations de p53 [codons 248, 249 et 273] et de K-ras
[codon 12], hyperméthylation de p16INK4a) dans l’expectora-
tion, le produit d’aspiration bronchique ou les brossages bron-
chiques de 25 sujets fumeurs (> 20 paquets-années) présentant
des symptômes respiratoires ou de 51 patients atteints de can-
cers bronchiques.
Cette étude a démontré l’existence d’un plus grand nombre
d’anomalies chez les patients porteurs de cancers bronchiques
que chez les fumeurs (une anomalie de un ou plus des trois
gènes étudiés est observée dans 69 % des cas contre 32 %).
L’hyperméthylation de p16INK4a et les mutations de p53 sem-
blent apparaître dans l’expectoration des fumeurs bien avant la
preuve clinique de l’existence d’un cancer bronchique et pour-
raient représenter un signe avant-coureur de l’apparition d’un
cancer bronchique. En revanche, les mutations de K-ras appa-
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0
Smoking initiation rate/1 000 person-years
Cigarettes
Marijuana
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000
Figure 3. Évolution de la consommation de cigarettes et de marijuana
chez les jeunes.
raissent dans l’expectoration exclusivement lorsqu’il existe un
cancer bronchique détectable. Cette approche représente une
voie d’avenir pour le dépistage des tumeurs bronchiques proxi-
males.
LES PROGRÈS EN BIOLOGIE
L’adénomatose du mouton est un cancer endémique, conta-
gieux, causé par un virus, le JSRV (jaagsiekte sheep retrovi-
rus). Cette maladie ressemble morphologiquement et clinique-
ment au carcinome bronchiolo-alvéolaire humain, notamment
par l’existence d’une grande bronchorrhée. Les mécanismes
expliquant le rôle oncogénique du rétrovirus JSRV commen-
cent à être mieux connus (8, 9), et son éventuelle responsabi-
lité dans l’apparition de cancers pulmonaires a été évaluée.
Deux cent quarante-neuf tumeurs pulmonaires humaines,
21 lésions non tumorales, 4 spécimens de poumon normal,
23 adénocarcinomes d’autres organes ont été étudiés par
immunohistochimie (IHC) avec un anticorps dirigé contre les
protéines de la capside de JSRV (10). L’immunomarquage
s’est avéré positif pour 39 des 129 (30 %) carcinomes bron-
chiolo-alvéolaires, 17 des 65 (26 %) adénocarcinomes pulmo-
naires et 2 des 7 carcinomes à grandes cellules. En revanche,
les autres prélèvements étaient négatifs en IHC.
Cette étude sur des tumeurs humaines évoque la possibilité
d’une association entre le JSRV et certaines tumeurs pulmo-
naires, notamment certains carcinomes bronchiolo-alvéolaires.
Cette hypothèse virale pourrait rendre compte du caractère
multifocal de cette maladie et de l’absence d’exposition au
tabac parfois retrouvée.
Il a été montré in vitro, sur des lignées cellulaires de carci-
nomes à petites cellules, que plus de 70 % des carcinomes à
petites cellules expriment le récepteur de c-Kit et son ligand, le
stem cell factor (SCF). Cette coexpression constitue probable-
ment une boucle autocrine fonctionnelle dans au moins 70 %
des CPC. Cela fait envisager un rôle thérapeutique potentiel
pour les inhibiteurs de l’activité tyrosine kinase de c-Kit. In
vitro, sur ces lignées cellulaires, le STI571, déjà bien connu
pour le traitement des leucémies myéloïdes chroniques et des
tumeurs stromales gastro-intestinales, exerce un effet inhibiteur
de la croissance. Plusieurs études concernant le STI571 (11)
mais aussi d’autres inhibiteurs de la kinase de c-Kit (12)
démontrent un effet intéressant de blocage de la croissance des
lignées cellulaires in vitro. Des essais cliniques sont actuelle-
ment en cours pour vérifier si ces constatations in vitro peuvent
se traduire par un bénéfice thérapeutique en clinique humaine.
L’avenir nous dira si cette stratégie est prometteuse et si les
inhibiteurs de c-Kit ont une place dans le traitement des cancers
bronchiques. Au-delà des aspects concernant c-Kit, d’autres
cibles moléculaires sont en évaluation avec d’autres inhibiteurs
de kinase, tels que le ZD1839 (Iressa®), qui cible le récepteur à
l’EGF (HER1). Ce médicament est administré par voie orale et
sa tolérance est excellente. Une étude japonaise présentée à
l’ASCO (13) a évalué Iressa®chez des patients porteurs de
tumeurs d’histologies variées, dont 23 CBNPC. Cinq adénocar-
cinomes parmi les 23 CBNPC ont obtenu une réponse partielle
sous traitement, avec une durée de réponse de 1 à 11 mois. Ce
taux de réponse, sur une petite série de patients et dans ce
contexte clinique péjoratif, est bon et mérite confirmation dans
des cohortes de patients plus larges. Les essais de phase III tes-
tant cette molécule seront bientôt à notre disposition en atten-
dant une AMM prochaine.
Le développement de ces molécules pose le problème, d’une
part, de leur coût futur, d’autre part de la définition de critères
moléculaires prédictifs d’une réponse au traitement. À court ou
moyen terme, ces critères moléculaires prédictifs vont appa-
raître dans notre pratique courante pour guider notre prescrip-
tion, à l’instar de ce qui est l’usage dans les carcinomes mam-
maires, où la recherche des récepteurs hormonaux est
routinière.
La recherche de marqueurs moléculaires permettra aussi de
mieux classer les tumeurs, et l’utilisation de biopuces permet-
tra l’analyse simultanée de multiples marqueurs.
Les premiers travaux concernant la classification des adéno-
carcinomes bronchiques viennent d’être publiés (14, 15).
Ainsi, les prélèvements provenant de 203 patients (139 adéno-
carcinomes, dont 12 métastases suspectées de tumeurs extra-
pulmonaires, 21 carcinomes épidermoïdes, 20 carcinoïdes pul-
monaires, 6 carcinomes à petites cellules ainsi que
17 prélèvements de poumon normal) ont été analysés à l’aide
d’un système de biopuce à ARN (puce Affymetrix®contenant
12 600 gènes). L’analyse statistique et le regroupement en
sous-groupes des tumeurs ont été réalisés par étapes, concer-
nant d’abord 3 312 gènes puis 675 gènes pour les adénocarci-
nomes. Cette étude apporte des informations importantes et a
concerné tout d’abord le diagnostic différentiel entre adénocar-
cinome primitif et secondaire. En effet, l’analyse de l’expres-
sion génique a permis de retrouver, dans les 12 cas décrits, une
“signature” correspondant à une tumeur extra-thoracique. La
filiation théorique entre carcinoïdes et cancers à petites cel-
lules semble remise en question par cette analyse. En effet, si
les deux groupes comportent une forte expression de gènes de
la lignée neuroendocrine, en revanche, il n’existe que peu
d’homologie sur les autres gènes étudiés, ce qui suggère une
profonde divergence entre ces deux types de tumeurs. Dans
cette étude, les adénocarcinomes se sont révélés beaucoup plus
hétérogènes que les autres types histologiques de tumeurs
bronchopulmonaires. Ces adénocarcinomes peuvent être clas-
sés en quatre sous-groupes distincts sur le plan génique. Le
type C1 présente un haut niveau d’expression des gènes asso-
ciés à la division cellulaire et à la prolifération, gènes qui sont
par ailleurs fréquemment observés dans les carcinomes épider-
moïdes et les carcinomes à petites cellules. Sur le plan histolo-
gique, ces tumeurs sont peu différenciées. Le type C2 contient
des marqueurs de prolifération comme le type C1, mais est
surtout caractérisé par ses marqueurs géniques neuroendo-
crines. Sur le plan histologique, les C2 sont des adénocarci-
nomes moyennement différenciés. Enfin, les types C3 et C4
sont bien différenciés. Le type C4 exprime des marqueurs des
pneumocytes de type II du poumon normal tels que le TTF1 et
les gènes codant pour les protéines du surfactant B, C et D. Le
type C3 exprime ces mêmes gènes à un niveau inférieur, ainsi
que les gènes de la glutathion S transférase pi et de l’ornithine
décarboxylase 1. Il est intéressant et logique de noter que, sur
le plan histologique, le type C4 correspond en majorité à des
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001
carcinomes bronchiolo-alvéolaires. De façon tout aussi intéres-
sante et logique, le type C4 et les adénocarcinomes extrapul-
monaires métastatiques au poumon étaient très peu associés au
tabagisme.
Sur le plan clinique, le type C4 était associé à la meilleure sur-
vie alors que le type C2 présentait l’évolution la plus défavo-
rable, ce qui conforte l’expérience clinique ancienne déjà
observée avec les tumeurs neuroendocrines malignes pulmo-
naires (figure 4).
Dans une étude comparable (15) réalisée sur un effectif plus
réduit de patients, on note des constatations similaires en ce
qui concerne les adénocarcinomes et, de plus, une signature
génique toute particulière dans le groupe des carcinomes à
grandes cellules. Ce groupe pourrait se caractériser par un
aspect génétique de transition d’un tissu épithélial vers un tissu
mésenchymateux.
Ces données complexes représentent un formidable espoir de
pouvoir mieux classer les tumeurs et de mieux définir les para-
mètres prédictifs de réponse thérapeutique et les paramètres
pronostiques.
CHIMIOTHÉRAPIE DES CARCINOMES
NON À PETITES CELLULES
L’année 2001 restera une année charnière en matière de chi-
miothérapie. En effet, nous avons maintenant à notre disposi-
tion presque la totalité des résultats des essais comparant les
principales associations de chimiothérapie, qu’elles soient avec
ou sans cisplatine.
Les deux dernières années, l’étude du SWOG (16) et celle de
l’ECOG 1594 (17) avaient conclu qu’aucune des associations
vinorelbine-cisplatine, gemcitabine-cisplatine, paclitaxel-cis-
platine, paclitaxel-carboplatine et docétaxel-cisplatine ne sur-
passait clairement les autres, ni en termes de réponse ni en
termes de survie globale. L’étude de l’ECOG avait montré par
ailleurs de meilleurs résultats de survie sans progression pour
l’association cisplatine-gemcitabine. Ces derniers résultats ont
fait l’objet de controverses et ont été commentés par certains
comme étant liés à des différences de timing entre les chimio-
thérapies utilisées et leurs bilans respectifs.
L’étude présentée par G. Scagliotti (18) à comparé trois traite-
ments différents chez 612 patients de stades IIIB/IV. Il s’agis-
sait des associations cisplatine-gemcitabine, carboplatine-
paclitaxel et enfin cisplatine-vinorelbine. Cet essai a confirmé
l’absence de différence de ces schémas en matière de réponse
et de survie ; en revanche, cette étude n’a pas confirmé l’amé-
lioration de la survie sans progression observée avec l’associa-
tion cisplatine-gemcitabine dans l’étude ECOG 1594.
Enfin, l’étude TAX 326 présentée par C. Belani (19), réalisée
dans 139 institutions et 28 pays, a comparé un bras de référence
comportant cisplatine et vinorelbine aux associations cisplatine-
docétaxel et carboplatine-docétaxel. Mille deux cent vingt
patients ont été inclus dans cet essai en 18 mois. Cet essai
étonne, car il montre une différence significative de survie en
faveur de l’association docétaxel-cisplatine lorsqu’on la com-
pare à vinorelbine-cisplatine (p = 0,0459). En revanche, il n’y a
pas de différence significative de survie entre vinorelbine-cis-
platine et docétaxel-carboplatine (p = 0,71).
Ces résultats tendraient à montrer une supériorité du bras cis-
platine-docétaxel sur le bras de référence cisplatine-vinorel-
bine. Ils vont à l’encontre des conclusions que l’on peut
admettre à la suite des études SWOG (16) et ECOG 1594 (17).
La comparaison de cette étude aux études antérieures ne met
pas en évidence de différence majeure, ni dans leur méthodo-
logie, ni dans leur posologie. La seule différence notable est le
plus grand nombre de patients de stade IIIB dans l’étude
TAX 326. Ce plus grand nombre de stades IIIB rend probable-
ment compte d’une partie des différences de taux de survie
entre des schémas très similaires. Le nombre important de sites
investigateurs peut expliquer une hétérogénéité dans les traite-
ments de seconde ligne, ce qui peut représenter un facteur de
confusion dans l’analyse de la survie globale et de ses diffé-
rences. Une juste interprétation de cette étude est probable-
ment de placer l’association docétaxel-cisplatine dans les dou-
blets de chimiothérapie utilisables en première ligne.
Enfin, on peut regretter que la méthodologie statistique de
cette étude ne permette pas de comparer les deux bras docé-
taxel-cisplatine et docétaxel-carboplatine, ce qui est fort dom-
mage, car ce serait la première comparaison de grande taille
d’un schéma avec carboplatine et d’un schéma avec cisplatine.
Cette question est non résolue ; elle ne fait plus partie de
l’actualité “brûlante” et elle restera probablement sans
réponse.
Le standard thérapeutique est donc l’un des quatre doublets
décrits ci-dessus, qui diffèrent principalement par leurs moda-
lités d’administration, leur toxicité et leur coût. Si ces stan-
dards sont incontestablement mieux supportés que les associa-
tions de chimiothérapie de la génération précédente, on reste
déçu par la modestie du progrès en termes de taux de réponse
et de survie, et un grand chemin reste encore à accomplir.
La durée de la chimiothérapie des carcinomes non à petites
cellules reste établie de façon très empirique, et la pratique
courante ressemble beaucoup aux recommandations de
l’ASCO datant de 1997, qui préconisent un maximum de
huit cycles de chimiothérapie. Ces recommandations ne sont
pas le résultat d’études randomisées, mais plutôt le fruit d’un
consensus entre experts. Les données de plusieurs études nous
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0
1,0
0,8
0,6
0,4
0,2
0
20 40
Temps (mois)
Stades IA et IB
non C2
C2
60 80 100
% de survie
Figure 4. Survie des adénocarcinomes en fonction des sous-groupes
définis par la signature moléculaire.
apportent de précieux renseignements sur le nombre de cycles
de chimiothérapie. Trois et six cures de mitomycine C, vin-
blastine et cisplatine ont été comparées dans un essai clinique
randomisé (20). Il s’agissait de 308 patients de stade IIIB/IV.
Cette étude ne montre pas de différence d’efficacité entre trois
et six cures (tableau I), et montre la difficulté d’administrer
six cures, puisque seuls 31 % des patients ont pu recevoir
jusqu’à six cures. Le contrôle des symptômes a, en revanche,
toujours été obtenu dans les trois premières cures. La qualité
de vie a été meilleure chez les patients ne recevant que trois
cures et, de façon similaire, la toxicité a été plus importante
chez les patients ayant reçu plus de trois cures.
Un essai présenté à l’ASCO 2001 (21) s’est intéressé lui aussi
à la durée optimale de la chimiothérapie des CBNPC, et
confirme ce qui avait été précédemment noté. Cet essai a com-
paré, chez 230 patients, quatre cycles de paclitaxel et carbopla-
tine toutes les trois semaines (bras A) au même schéma théra-
peutique administré jusqu’à progression (bras B).
Il s’est révélé aussi difficile d’administrer plus de quatre cycles
de paclitaxel et carboplatine : seuls 42 % des patients ont eu
plus de quatre cures, les principales raisons d’arrêt de la chi-
miothérapie étant, là encore, la toxicité de la chimiothérapie et
le souhait du patient ou de son médecin.
Les résultats en termes de réponse et de survie sont compa-
rables (figure 5).
L’étude française présentée cette année (22) a choisi les
patients de bon pronostic qui ont répondu à la chimiothérapie.
Cette étude a évalué, dans une population de patients dont la
tumeur est chimiosensible, l’intérêt de continuer une chimio-
thérapie après un traitement d’induction par mitomycine, ifos-
famide, cisplatine ± radiothérapie. Deux cent dix-sept patients
ont répondu au traitement d’induction, 179 patients ont été
randomisés entre un traitement par vinorelbine 25 mg/m2/sem.
pendant six mois et une simple surveillance mensuelle, et
43 répondeurs n’ont pas été randomisés (refus : 28, décès
toxique : 3, PS3 : 2, autres raisons : 10).
Là encore, on observe une difficulté à continuer la chimiothé-
rapie, puisque le refus des patients représente la première
cause de non-randomisation. De plus, seuls 22,6 % des
patients ont reçu l’intégralité de la maintenance par vinorel-
bine. Les résultats de cette étude, présentés dans le tableau II,
ne montrent pas d’avantage à proposer une chimiothérapie de
maintenance.
Devant la difficulté et l’absence de bénéfice à continuer long-
temps la chimiothérapie, N. Murray, qui commentait ces
études lors d’une session orale de l’ASCO, a proposé une
durée maximale de trois cycles lorsqu’on utilise une associa-
tion de trois médicaments (triplet) et une chimiothérapie de
quatre cycles lorsqu’on utilise un doublet. Il n’a donc pas
recommandé de chimiothérapie d’entretien.
La toxicité du cisplatine et sa complexité d’utilisation font
qu’il est tentant de concevoir des doublets de chimiothérapie
sans cisplatine associant les médicaments nouveaux à notre
disposition.
L’étude présentée, l’année dernière à Tokyo, au congrès de
l’IASLC, vient d’être publiée (23). Cet essai randomisé com-
parait docétaxel-cisplatine à gemcitabine-docétaxel. Tous les
patients ont été traités par G-CSF. Aucune différence en
termes de survie sans progression, de survie médiane et de sur-
vie à un an n’a été observée (tableau III).
CANCER DU POUMON
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001
3 cures (155 patients) 6 cures (153 patients)
Réponse objective 31 % 32 %
Durée de réponse 7 mois 8 mois
Contrôle des symptômes 67 % 68 %
Durée médiane du contrôle 4,5 mois 4,5 mois
des symptômes
Asymptomatiques à 1 an 8 % 18 %
Médiane de survie 6 mois 7 mois
Survie à 1 an 22 % 25 %
Tableau I. Comparaison de trois et six cures de MIP.
Bras A
Bras B
0
25
50
75
100%
Temps (mois)
061218 24 3630
Bras A
6,6 (5,4-9,0)
28 (19-36)
15 (7-22)
Médiane de survie
Survie à 1 ans (%)
Survie à 2 an (%)
Bras B
8,5 (6,3-10,3)
34 (25-43)
11 (4-18)
p = 0,63
Figure 5. Survie en fonction de la durée de la chimiothérapie par pacli-
taxel et carboplatine (4 cycles [bras A] contre chimiothérapie jusqu’à
progression [bras B]).
Vinorelbine Surveillance
Stades IIIB/IV 43/47 47/42
Médiane de survie des stades IIIB 10,8 mois 12,3 mois
Médiane de survie des stades IV 9,9 mois 12,6 mois
Survie à 1 an 40,4 % 52,3 %
Leucopénie de grades 3-4 43,3 %
Infection de grades 3-4 12,2 %
Tableau II. Comparaison d’un traitement de maintenance à une
simple surveillance.
Docétaxel-cisplatine Gemcitabine-docétaxel
Nombre de patients 219 222
Réponse objective (%) 35 (1,5 % RC, 33 % RP) 33 (1 % RC, 32 % RP)
Survie à 1 an (%) 42 39
Survie à 2 ans (%) 8 8
Médiane de survie
sans progression (mois) 8 9
Neutropénie gr. 3-4 (%) 34 22*
Nausées/vomissements
gr. 3-4 (%) 10 2*
Diarrhées Gr. 3-4 (%) 10 3*
Rétention hydrique (%) 7 14*
Tableau III. Comparaison d’un doublet avec et sans cisplatine.
* Différence significative.
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