C A N C E R D U P O U M O N Cancer du poumon ! D. Moro* La mortalité par cancer bronchique diminue aux États-Unis (1). Cela est potentiellement explicable, d’une part, du fait d’une réduction du taux de goudrons dans les cigarettes, d’autre part par un plus grand nombre de fumeurs qui abandonnent le tabagisme (figure 1). Ceci est en accord avec les données publiées par R. Peto (2) (figure 2) l’an dernier, qui avaient démontré, de façon spectaculaire, la réduction du risque d’apparition d’un cancer bronchique en fonction de l’âge auquel on arrête le tabagisme. Cette étude avait conclu que l’arrêt du tabagisme était efficace à tout âge, mais qu’il l’était d’autant plus qu’il était réalisé précocement. Le fait d’arrêter de fumer avant 40 ans permet d’éviter 90 % du risque d’apparition d’un cancer pulmonaire. L’importance de la durée du tabagisme dans le risque d’apparition d’un cancer bronchique est bien mise en évidence chez les fumeurs qui arrêtent de fumer tardivement. * Département d’oncologie médicale, Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75231 Paris Cedex 5. 256 55 Prévalence d’arrêt du tabac 50 Nicotine (mg) 3,0 36 34 2,8 32 2,6 30 2,4 28 2,2 26 2,0 24 1,8 22 1,6 20 1,4 18 Nicotine 1,2 16 1,0 14 Goudrons 0,8 12 0,6 10 0,4 1950 1960 1970 1980 1990 1955 1965 1975 1985 1995 Année 45 Blancs 40 35 30 25 Afro-Américains 20 15 10 1965 1975 1985 1995 1970 1980 1990 Année Figure 1. Taux d’évolution des goudrons et de la nicotine dans les cigarettes et évolution de l’arrêt du tabac. 16 Toujours fumeurs Arrêt à 60 ans Arrêt à 50 ans Arrêt à 40 ans Arrêt à 30 ans Jamais fumeurs 14 12 Risque cumulé (%) ÉPIDÉMIOLOGIE, DÉPISTAGE ET PRÉVENTION Goudrons (mg) L a progression rapide de l’incidence des cancers bronchiques surpasse largement les quelques avancées de la médecine dans la prise en charge des cancers bronchopulmonaires. Si la survie de la majorité des cancers a été améliorée, celle des cancers bronchiques reste inchangée. Cela est explicable, d’une part, par un diagnostic souvent trop tardif à une phase avancée de la maladie et, d’autre part, par l’absence de prise en charge thérapeutique à l’efficacité maîtrisée des stades tardifs. Cela explique sans doute une partie du nihilisme thérapeutique, observé au quotidien, entourant la prise en charge de ces cancers. L’année qui vient de s’écouler ne sera sans doute pas de nature à changer les esprits, la conclusion d’une des sessions orales de l’ASCO venant à l’appui du pessimisme ambiant en affirmant que nos résultats plafonnent. En revanche, si le quotidien n’est pas bouleversé, la recherche de solutions emprunte des voies qui seront sources de progrès à moyen ou à long terme. Ainsi en est-il des avancées en biologie moléculaire et de l’obtention à moyen terme d’une carte d’identité génétique des tumeurs, de la recherche de facteurs prédictifs de réponse à un traitement, qu’ils soient chimiothérapiques ou ciblés sur une anomalie moléculaire. 10 8 6 4 2 0 45 55 Âge 65 75 Figure 2. Risque cumulé d’apparition d’un cancer bronchique en fonction de l’âge et de l’âge à l’arrêt du tabagisme. L’inquiétude vient maintenant d’une augmentation importante de la consommation de tabac et de marijuana chez les adolescents (1) (figure 3), qui entraînera sûrement une majoration à terme de l’incidence des cancers bronchiques. La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 160 150 Smoking initiation rate/1 000 person-years 140 130 120 Cigarettes 110 100 90 80 70 60 50 40 30 Marijuana 20 10 0 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Figure 3. Évolution de la consommation de cigarettes et de marijuana chez les jeunes. La lutte contre le tabagisme reste donc d’actualité et doit être un objectif principal de santé publique. Cependant, un cancer bronchique sur deux survient chez un ancien fumeur. Cela fait qu’on ne peut résumer la lutte contre le cancer bronchique à une lutte contre le tabagisme. Il convient d’essayer d’optimiser les stratégies de dépistage et, éventuellement, de chimioprévention. Un programme de dépistage comportant une radiographie thoracique annuelle pour toutes les personnes de plus de 39 ans et une analyse de l’expectoration pour ceux fumant 30 paquetsannées ou plus a été mis en place à Miyagi, au Japon, depuis 1982. Grâce à ce programme, plus de 1 500 cancers du poumon ont été détectés entre 1982 et 1999, conduisant à une réduction du risque de décès de 46 % (3). On peut rapprocher de cette étude les études américaines des années 1970, soutenues par le National Cancer Institute et revisitées récemment (4). Il s’agissait du Memorial Sloan-Kettering Lung Project, du John Hopkins Lung Project et du Mayo Lung Project. Les objectifs de ces études n’étaient pas les mêmes : les deux premières cherchaient à définir la place de la cytologie en comparant une radiographie annuelle à une radiographie annuelle associée à un examen cytologique des expectorations tous les quatre mois. Le Mayo Lung Project s’intéressait à la place du radiodépistage, éventuellement couplé à l’examen cytologique. Les études du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center et du John Hopkins Hospital ont toutes deux réuni plus de 10 000 sujets volontaires. Ni l’une ni l’autre n’a apporté la preuve de l’intérêt de l’examen cytologique. En revanche, la survie de l’ensemble des patients dépistés était nettement plus élevée que celle des patients atteints de cancer bronchique en général. Il y avait par ailleurs un nombre important de cancers de stade I et donc de cancers résécables. Le Mayo Lung Project est le plus important des essais prospectifs publiés sur ce thème. Après un La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 examen radiologique et cytologique initial, les patients étaient randomisés entre radiographie et cytologie tous les quatre mois et recevaient une recommandation pour une radiographie et un examen cytologique chaque année. L’incidence des cancers a été supérieure dans le groupe des sujets dépistés. Ceux-ci ont été significativement plus souvent opérables, et leur survie était également supérieure. Néanmoins, compte tenu de l’excès de cancers bronchiques dans ce groupe, la mortalité spécifique par cancer bronchique ne différait pas de façon significative. L’analyse de ces études a fait admettre que le dépistage du cancer bronchique était sans utilité, puisque la mortalité spécifique par cancer du poumon n’a été influencée ni par le dépistage cytologique, ni par le dépistage radiologique. L’amélioration de la survie des patients dépistés ne constitue pas à elle seule une preuve suffisante de l’efficacité d’une campagne de dépistage. L’excès de mortalité par cancer bronchique dans le groupe dépisté observé dans l’étude de la Mayo Clinic fait l’objet de controverses, mais est expliqué comme un phénomène de “surdiagnostic” lié à l’existence de lésions latentes. Cette hypothèse est retenue par le NCI depuis le travail de P. Marcus et al. (5). Leur analyse a étendu le suivi des deux groupes de sujets jusqu’en 1996, avec un suivi médian de 20,5 années. La mortalité spécifique par cancer bronchique restait équivalente dans les deux groupes : 4,4/1 000 dans le groupe dépisté et 3,9/1 000 dans le groupe contrôle (p = 0,09). En revanche, les sujets dépistés dont le cancer avait été diagnostiqué avant 1983 avaient une meilleure survie que les sujets cancéreux du groupe contrôle (médiane de survie des stades précoces de 16,0 ans dans le groupe dépisté contre 5,0 ans dans le groupe contrôle, p = 0,0039). La controverse reste d’actualité puisque, en dépit de cette position officielle du NCI, une révision statistique de cette étude conclut à une réduction de la mortalité spécifique, et ce en dépit d’une faible sensibilité de la radiographie thoracique comme outil de dépistage (6). Cette conclusion ouvre la voie aux techniques de tomodensitométrie à faible dose actuellement en évaluation. Cette approche radiologique est sûrement pertinente pour les tumeurs périphériques ; elle paraît en revanche insuffisante pour les tumeurs bronchiques proximales. Une stratégie fondée sur l’analyse de l’expectoration peut représenter une solution pour ces tumeurs. Une étude (7) a comparé la fréquence de trois anomalies génétiques (mutations de p53 [codons 248, 249 et 273] et de K-ras [codon 12], hyperméthylation de p16INK4a) dans l’expectoration, le produit d’aspiration bronchique ou les brossages bronchiques de 25 sujets fumeurs (> 20 paquets-années) présentant des symptômes respiratoires ou de 51 patients atteints de cancers bronchiques. Cette étude a démontré l’existence d’un plus grand nombre d’anomalies chez les patients porteurs de cancers bronchiques que chez les fumeurs (une anomalie de un ou plus des trois gènes étudiés est observée dans 69 % des cas contre 32 %). L’hyperméthylation de p16INK4a et les mutations de p53 semblent apparaître dans l’expectoration des fumeurs bien avant la preuve clinique de l’existence d’un cancer bronchique et pourraient représenter un signe avant-coureur de l’apparition d’un cancer bronchique. En revanche, les mutations de K-ras appa257 C A N C E R D raissent dans l’expectoration exclusivement lorsqu’il existe un cancer bronchique détectable. Cette approche représente une voie d’avenir pour le dépistage des tumeurs bronchiques proximales. LES PROGRÈS EN BIOLOGIE L’adénomatose du mouton est un cancer endémique, contagieux, causé par un virus, le JSRV (jaagsiekte sheep retrovirus). Cette maladie ressemble morphologiquement et cliniquement au carcinome bronchiolo-alvéolaire humain, notamment par l’existence d’une grande bronchorrhée. Les mécanismes expliquant le rôle oncogénique du rétrovirus JSRV commencent à être mieux connus (8, 9), et son éventuelle responsabilité dans l’apparition de cancers pulmonaires a été évaluée. Deux cent quarante-neuf tumeurs pulmonaires humaines, 21 lésions non tumorales, 4 spécimens de poumon normal, 23 adénocarcinomes d’autres organes ont été étudiés par immunohistochimie (IHC) avec un anticorps dirigé contre les protéines de la capside de JSRV (10). L’immunomarquage s’est avéré positif pour 39 des 129 (30 %) carcinomes bronchiolo-alvéolaires, 17 des 65 (26 %) adénocarcinomes pulmonaires et 2 des 7 carcinomes à grandes cellules. En revanche, les autres prélèvements étaient négatifs en IHC. Cette étude sur des tumeurs humaines évoque la possibilité d’une association entre le JSRV et certaines tumeurs pulmonaires, notamment certains carcinomes bronchiolo-alvéolaires. Cette hypothèse virale pourrait rendre compte du caractère multifocal de cette maladie et de l’absence d’exposition au tabac parfois retrouvée. Il a été montré in vitro, sur des lignées cellulaires de carcinomes à petites cellules, que plus de 70 % des carcinomes à petites cellules expriment le récepteur de c-Kit et son ligand, le stem cell factor (SCF). Cette coexpression constitue probablement une boucle autocrine fonctionnelle dans au moins 70 % des CPC. Cela fait envisager un rôle thérapeutique potentiel pour les inhibiteurs de l’activité tyrosine kinase de c-Kit. In vitro, sur ces lignées cellulaires, le STI571, déjà bien connu pour le traitement des leucémies myéloïdes chroniques et des tumeurs stromales gastro-intestinales, exerce un effet inhibiteur de la croissance. Plusieurs études concernant le STI571 (11) mais aussi d’autres inhibiteurs de la kinase de c-Kit (12) démontrent un effet intéressant de blocage de la croissance des lignées cellulaires in vitro. Des essais cliniques sont actuellement en cours pour vérifier si ces constatations in vitro peuvent se traduire par un bénéfice thérapeutique en clinique humaine. L’avenir nous dira si cette stratégie est prometteuse et si les inhibiteurs de c-Kit ont une place dans le traitement des cancers bronchiques. Au-delà des aspects concernant c-Kit, d’autres cibles moléculaires sont en évaluation avec d’autres inhibiteurs de kinase, tels que le ZD1839 (Iressa®), qui cible le récepteur à l’EGF (HER1). Ce médicament est administré par voie orale et sa tolérance est excellente. Une étude japonaise présentée à l’ASCO (13) a évalué Iressa® chez des patients porteurs de tumeurs d’histologies variées, dont 23 CBNPC. Cinq adénocarcinomes parmi les 23 CBNPC ont obtenu une réponse partielle sous traitement, avec une durée de réponse de 1 à 11 mois. Ce taux de réponse, sur une petite série de patients et dans ce 258 U P O U M O N contexte clinique péjoratif, est bon et mérite confirmation dans des cohortes de patients plus larges. Les essais de phase III testant cette molécule seront bientôt à notre disposition en attendant une AMM prochaine. Le développement de ces molécules pose le problème, d’une part, de leur coût futur, d’autre part de la définition de critères moléculaires prédictifs d’une réponse au traitement. À court ou moyen terme, ces critères moléculaires prédictifs vont apparaître dans notre pratique courante pour guider notre prescription, à l’instar de ce qui est l’usage dans les carcinomes mammaires, où la recherche des récepteurs hormonaux est routinière. La recherche de marqueurs moléculaires permettra aussi de mieux classer les tumeurs, et l’utilisation de biopuces permettra l’analyse simultanée de multiples marqueurs. Les premiers travaux concernant la classification des adénocarcinomes bronchiques viennent d’être publiés (14, 15). Ainsi, les prélèvements provenant de 203 patients (139 adénocarcinomes, dont 12 métastases suspectées de tumeurs extrapulmonaires, 21 carcinomes épidermoïdes, 20 carcinoïdes pulmonaires, 6 carcinomes à petites cellules ainsi que 17 prélèvements de poumon normal) ont été analysés à l’aide d’un système de biopuce à ARN (puce Affymetrix® contenant 12 600 gènes). L’analyse statistique et le regroupement en sous-groupes des tumeurs ont été réalisés par étapes, concernant d’abord 3 312 gènes puis 675 gènes pour les adénocarcinomes. Cette étude apporte des informations importantes et a concerné tout d’abord le diagnostic différentiel entre adénocarcinome primitif et secondaire. En effet, l’analyse de l’expression génique a permis de retrouver, dans les 12 cas décrits, une “signature” correspondant à une tumeur extra-thoracique. La filiation théorique entre carcinoïdes et cancers à petites cellules semble remise en question par cette analyse. En effet, si les deux groupes comportent une forte expression de gènes de la lignée neuroendocrine, en revanche, il n’existe que peu d’homologie sur les autres gènes étudiés, ce qui suggère une profonde divergence entre ces deux types de tumeurs. Dans cette étude, les adénocarcinomes se sont révélés beaucoup plus hétérogènes que les autres types histologiques de tumeurs bronchopulmonaires. Ces adénocarcinomes peuvent être classés en quatre sous-groupes distincts sur le plan génique. Le type C1 présente un haut niveau d’expression des gènes associés à la division cellulaire et à la prolifération, gènes qui sont par ailleurs fréquemment observés dans les carcinomes épidermoïdes et les carcinomes à petites cellules. Sur le plan histologique, ces tumeurs sont peu différenciées. Le type C2 contient des marqueurs de prolifération comme le type C1, mais est surtout caractérisé par ses marqueurs géniques neuroendocrines. Sur le plan histologique, les C2 sont des adénocarcinomes moyennement différenciés. Enfin, les types C3 et C4 sont bien différenciés. Le type C4 exprime des marqueurs des pneumocytes de type II du poumon normal tels que le TTF1 et les gènes codant pour les protéines du surfactant B, C et D. Le type C3 exprime ces mêmes gènes à un niveau inférieur, ainsi que les gènes de la glutathion S transférase pi et de l’ornithine décarboxylase 1. Il est intéressant et logique de noter que, sur le plan histologique, le type C4 correspond en majorité à des La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 carcinomes bronchiolo-alvéolaires. De façon tout aussi intéressante et logique, le type C4 et les adénocarcinomes extrapulmonaires métastatiques au poumon étaient très peu associés au tabagisme. Sur le plan clinique, le type C4 était associé à la meilleure survie alors que le type C2 présentait l’évolution la plus défavorable, ce qui conforte l’expérience clinique ancienne déjà observée avec les tumeurs neuroendocrines malignes pulmonaires (figure 4). Stades IA et IB 1,0 % de survie 0,8 0,6 non C2 0,4 0,2 C2 0 0 20 40 60 Temps (mois) 80 100 Figure 4. Survie des adénocarcinomes en fonction des sous-groupes définis par la signature moléculaire. Dans une étude comparable (15) réalisée sur un effectif plus réduit de patients, on note des constatations similaires en ce qui concerne les adénocarcinomes et, de plus, une signature génique toute particulière dans le groupe des carcinomes à grandes cellules. Ce groupe pourrait se caractériser par un aspect génétique de transition d’un tissu épithélial vers un tissu mésenchymateux. Ces données complexes représentent un formidable espoir de pouvoir mieux classer les tumeurs et de mieux définir les paramètres prédictifs de réponse thérapeutique et les paramètres pronostiques. CHIMIOTHÉRAPIE DES CARCINOMES NON À PETITES CELLULES L’année 2001 restera une année charnière en matière de chimiothérapie. En effet, nous avons maintenant à notre disposition presque la totalité des résultats des essais comparant les principales associations de chimiothérapie, qu’elles soient avec ou sans cisplatine. Les deux dernières années, l’étude du SWOG (16) et celle de l’ECOG 1594 (17) avaient conclu qu’aucune des associations vinorelbine-cisplatine, gemcitabine-cisplatine, paclitaxel-cisplatine, paclitaxel-carboplatine et docétaxel-cisplatine ne surpassait clairement les autres, ni en termes de réponse ni en termes de survie globale. L’étude de l’ECOG avait montré par ailleurs de meilleurs résultats de survie sans progression pour l’association cisplatine-gemcitabine. Ces derniers résultats ont fait l’objet de controverses et ont été commentés par certains comme étant liés à des différences de timing entre les chimiothérapies utilisées et leurs bilans respectifs. La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 L’étude présentée par G. Scagliotti (18) à comparé trois traitements différents chez 612 patients de stades IIIB/IV. Il s’agissait des associations cisplatine-gemcitabine, carboplatinepaclitaxel et enfin cisplatine-vinorelbine. Cet essai a confirmé l’absence de différence de ces schémas en matière de réponse et de survie ; en revanche, cette étude n’a pas confirmé l’amélioration de la survie sans progression observée avec l’association cisplatine-gemcitabine dans l’étude ECOG 1594. Enfin, l’étude TAX 326 présentée par C. Belani (19), réalisée dans 139 institutions et 28 pays, a comparé un bras de référence comportant cisplatine et vinorelbine aux associations cisplatinedocétaxel et carboplatine-docétaxel. Mille deux cent vingt patients ont été inclus dans cet essai en 18 mois. Cet essai étonne, car il montre une différence significative de survie en faveur de l’association docétaxel-cisplatine lorsqu’on la compare à vinorelbine-cisplatine (p = 0,0459). En revanche, il n’y a pas de différence significative de survie entre vinorelbine-cisplatine et docétaxel-carboplatine (p = 0,71). Ces résultats tendraient à montrer une supériorité du bras cisplatine-docétaxel sur le bras de référence cisplatine-vinorelbine. Ils vont à l’encontre des conclusions que l’on peut admettre à la suite des études SWOG (16) et ECOG 1594 (17). La comparaison de cette étude aux études antérieures ne met pas en évidence de différence majeure, ni dans leur méthodologie, ni dans leur posologie. La seule différence notable est le plus grand nombre de patients de stade IIIB dans l’étude TAX 326. Ce plus grand nombre de stades IIIB rend probablement compte d’une partie des différences de taux de survie entre des schémas très similaires. Le nombre important de sites investigateurs peut expliquer une hétérogénéité dans les traitements de seconde ligne, ce qui peut représenter un facteur de confusion dans l’analyse de la survie globale et de ses différences. Une juste interprétation de cette étude est probablement de placer l’association docétaxel-cisplatine dans les doublets de chimiothérapie utilisables en première ligne. Enfin, on peut regretter que la méthodologie statistique de cette étude ne permette pas de comparer les deux bras docétaxel-cisplatine et docétaxel-carboplatine, ce qui est fort dommage, car ce serait la première comparaison de grande taille d’un schéma avec carboplatine et d’un schéma avec cisplatine. Cette question est non résolue ; elle ne fait plus partie de l’actualité “brûlante” et elle restera probablement sans réponse. Le standard thérapeutique est donc l’un des quatre doublets décrits ci-dessus, qui diffèrent principalement par leurs modalités d’administration, leur toxicité et leur coût. Si ces standards sont incontestablement mieux supportés que les associations de chimiothérapie de la génération précédente, on reste déçu par la modestie du progrès en termes de taux de réponse et de survie, et un grand chemin reste encore à accomplir. La durée de la chimiothérapie des carcinomes non à petites cellules reste établie de façon très empirique, et la pratique courante ressemble beaucoup aux recommandations de l’ASCO datant de 1997, qui préconisent un maximum de huit cycles de chimiothérapie. Ces recommandations ne sont pas le résultat d’études randomisées, mais plutôt le fruit d’un consensus entre experts. Les données de plusieurs études nous 259 C A N C E R D apportent de précieux renseignements sur le nombre de cycles de chimiothérapie. Trois et six cures de mitomycine C, vinblastine et cisplatine ont été comparées dans un essai clinique randomisé (20). Il s’agissait de 308 patients de stade IIIB/IV. Cette étude ne montre pas de différence d’efficacité entre trois et six cures (tableau I), et montre la difficulté d’administrer six cures, puisque seuls 31 % des patients ont pu recevoir jusqu’à six cures. Le contrôle des symptômes a, en revanche, toujours été obtenu dans les trois premières cures. La qualité de vie a été meilleure chez les patients ne recevant que trois cures et, de façon similaire, la toxicité a été plus importante chez les patients ayant reçu plus de trois cures. Un essai présenté à l’ASCO 2001 (21) s’est intéressé lui aussi à la durée optimale de la chimiothérapie des CBNPC, et confirme ce qui avait été précédemment noté. Cet essai a comparé, chez 230 patients, quatre cycles de paclitaxel et carboplatine toutes les trois semaines (bras A) au même schéma thérapeutique administré jusqu’à progression (bras B). Il s’est révélé aussi difficile d’administrer plus de quatre cycles de paclitaxel et carboplatine : seuls 42 % des patients ont eu plus de quatre cures, les principales raisons d’arrêt de la chimiothérapie étant, là encore, la toxicité de la chimiothérapie et le souhait du patient ou de son médecin. Les résultats en termes de réponse et de survie sont comparables (figure 5). L’étude française présentée cette année (22) a choisi les patients de bon pronostic qui ont répondu à la chimiothérapie. Cette étude a évalué, dans une population de patients dont la tumeur est chimiosensible, l’intérêt de continuer une chimiothérapie après un traitement d’induction par mitomycine, ifosfamide, cisplatine ± radiothérapie. Deux cent dix-sept patients ont répondu au traitement d’induction, 179 patients ont été randomisés entre un traitement par vinorelbine 25 mg/m2/sem. pendant six mois et une simple surveillance mensuelle, et 43 répondeurs n’ont pas été randomisés (refus : 28, décès toxique : 3, PS3 : 2, autres raisons : 10). Là encore, on observe une difficulté à continuer la chimiothérapie, puisque le refus des patients représente la première cause de non-randomisation. De plus, seuls 22,6 % des patients ont reçu l’intégralité de la maintenance par vinorelbine. Les résultats de cette étude, présentés dans le tableau II, ne montrent pas d’avantage à proposer une chimiothérapie de maintenance. Devant la difficulté et l’absence de bénéfice à continuer longtemps la chimiothérapie, N. Murray, qui commentait ces études lors d’une session orale de l’ASCO, a proposé une durée maximale de trois cycles lorsqu’on utilise une association de trois médicaments (triplet) et une chimiothérapie de quatre cycles lorsqu’on utilise un doublet. Il n’a donc pas recommandé de chimiothérapie d’entretien. La toxicité du cisplatine et sa complexité d’utilisation font qu’il est tentant de concevoir des doublets de chimiothérapie sans cisplatine associant les médicaments nouveaux à notre disposition. L’étude présentée, l’année dernière à Tokyo, au congrès de l’IASLC, vient d’être publiée (23). Cet essai randomisé comparait docétaxel-cisplatine à gemcitabine-docétaxel. Tous les 260 U P O U M O N patients ont été traités par G-CSF. Aucune différence en termes de survie sans progression, de survie médiane et de survie à un an n’a été observée (tableau III). % 100 Médiane de survie Survie à 1 ans (%) Survie à 2 an (%) p = 0,63 75 Bras A 6,6 (5,4-9,0) 28 (19-36) 15 (7-22) Bras B 8,5 (6,3-10,3) 34 (25-43) 11 (4-18) 50 25 Bras A Bras B 0 0 6 12 18 Temps (mois) 24 30 36 Figure 5. Survie en fonction de la durée de la chimiothérapie par paclitaxel et carboplatine (4 cycles [bras A] contre chimiothérapie jusqu’à progression [bras B]). Tableau I. Comparaison de trois et six cures de MIP. Réponse objective Durée de réponse Contrôle des symptômes Durée médiane du contrôle des symptômes Asymptomatiques à 1 an Médiane de survie Survie à 1 an 3 cures (155 patients) 6 cures (153 patients) 31 % 32 % 7 mois 8 mois 67 % 68 % 4,5 mois 4,5 mois 8% 6 mois 22 % 18 % 7 mois 25 % Tableau II. Comparaison d’un traitement de maintenance à une simple surveillance. Vinorelbine 43/47 10,8 mois 9,9 mois 40,4 % 43,3 % 12,2 % Stades IIIB/IV Médiane de survie des stades IIIB Médiane de survie des stades IV Survie à 1 an Leucopénie de grades 3-4 Infection de grades 3-4 Surveillance 47/42 12,3 mois 12,6 mois 52,3 % – – Tableau III. Comparaison d’un doublet avec et sans cisplatine. Nombre de patients Réponse objective (%) Survie à 1 an (%) Survie à 2 ans (%) Médiane de survie sans progression (mois) Neutropénie gr. 3-4 (%) Nausées/vomissements gr. 3-4 (%) Diarrhées Gr. 3-4 (%) Rétention hydrique (%) Docétaxel-cisplatine Gemcitabine-docétaxel 219 222 35 (1,5 % RC, 33 % RP) 33 (1 % RC, 32 % RP) 42 39 8 8 8 9 34 22* 10 10 7 2* 3* 14* * Différence significative. La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 Cette équivalence relative entre un schéma thérapeutique comportant du cisplatine et un schéma n’en comportant pas est remise en question par les études présentées à l’ASCO cette année. L’étude de l’EORTC (24) a comparé trois associations : cisplatine-paclitaxel (159 patients), cisplatine-gemcitabine (160 patients) paclitaxel-gemcitabine (161 patients). Cette étude n’a pas permis de confirmer l’équivalence d’une chimiothérapie sans cisplatine par rapport à un doublet fondé sur le cisplatine. Les associations cisplatine-paclitaxel et cisplatinegemcitabine se sont révélées supérieures en termes de réponse objective, de survie sans progression et de survie à un an. Une seconde étude randomisée (25) a comparé un bras de référence cisplatine-gemcitabine à un triplet cisplatine-gemcitabine-vinorelbine et à une polychimiothérapie sans sel de platine (trois cycles de gemcitabine-vinorelbine suivis d’ifosfamide vinorelbine). Cette dernière étude évalue différents concepts, l’adjonction d’une troisième molécule ou le développement d’une chimiothérapie sans cisplatine. Elle n’a montré aucune différence significative entre les trois bras, quel que soit le paramètre pris en compte. Ces résultats ne plaident pas en faveur d’un triplet, et contredisent l’étude réalisée par Comella (26), qui avait retrouvé un bénéfice en faveur d’un triplet associant gemcitabine, cisplatine et vinorelbine par rapport à un traitement de référence associant cisplatine et vinorelbine, mais pas d’avantage significatif par rapport à un bras gemcitabine et cisplatine. L’ensemble de ces résultats ne permet pas, pour l’instant, de détrôner les doublets basés sur le cisplatine de leur position de standard thérapeutique. LE CAS PARTICULIER DU PATIENT ÂGÉ La spécificité de la prise en charge du patient cancéreux âgé est établie. Avec l’âge, la réserve fonctionnelle de nombreux organes s’amenuise, ce qui diminue l’efficacité des traitements et en majore la toxicité. La principale difficulté rencontrée chez les personnes âgées n’est pas seulement liée au cancer que l’on cherche à traiter, mais aussi à un contexte multipathologique, source d’un excès de toxicité pendant la chimiothérapie. Une sélection rigoureuse des patients devant recevoir un traitement est donc nécessaire pour minimiser les complications potentielles et optimiser le gain en matière de survie, de qualité de vie et de contrôle des symptômes. Le pic d’incidence du cancer bronchique se situe entre 70 et 75 ans. La prise en charge des patients âgés mérite tout notre intérêt, car l’âge biologique est plus à prendre en considération que l’âge civil. La méta-analyse du NSCLCCG a démontré que le bénéfice en survie d’une chimiothérapie basée sur le cisplatine n’était pas influencé par l’âge. Un essai randomisé italien a montré, en 1999, le bénéfice en termes de survie et de qualité de vie d’une chimiothérapie basée sur la vinorelbine chez les sujets âgés comparativement au soin de soutien exclusif (27). Une étude présentée à l’ASCO (28), provenant de la même équipe, a comparé la gemcitabine (233 patients), la vinorelbine (233 patients) et une bithérapie gemcitabine-vinorelbine (232 patients) chez le sujet âgé. Les taux de réponse, la médiane de survie et la survie à un an ont été respectivement de 18,5 %, La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 37 semaines et 41 % pour la vinorelbine, 17,3 %, 28 semaines et 26 % pour la gemcitabine et 20 %, 32 semaines et 31 % pour la bithérapie gemcitabine-vinorelbine. La toxicité hématologique observée a été conforme à la littérature, avec plus de leuconeutropénies dans les bras comportant la vinorelbine et plus de thrombopénies dans les bras comportant la gemcitabine. Ces différences n’ont cependant pas eu de traduction clinique, puisque la fréquence des infections ou des hémorragies a été comparable dans les trois bras. Cette étude démontre la faisabilité de la chimiothérapie chez le sujet âgé en bon état général. Les résultats en termes de survie viennent contredire ceux d’une étude précédente de Frasci et al. (28). Cette étude avait montré une différence significative en faveur du bras gemcitabine-vinorelbine par rapport à la vinorelbine en monochimiothérapie (médiane de survie : 29 contre 18 semaines et survie à un an : 30 contre 13 %). Cette étude a randomisé un nombre limité de malades, car elle a été interrompue lors de l’analyse intermédiaire. La chimiothérapie dans le bras combiné variait avec une dose plus élevée de gemcitabine (1 200 contre 1 000 mg/m2) et de vinorelbine (30 contre 25 mg/m2). Enfin, l’analyse de qualité de vie ne mettait pas en évidence de différence entre les trois bras. CONCLUSION À la lueur des résultats de l’année qui vient de s’écouler, il ne semble pas que des progrès déterminants puissent être attendus des stratégies conventionnelles dans les stades métastatiques de carcinomes non à petites cellules, et on ne peut que regretter ce plafonnement de nos résultats. En revanche, les progrès considérables de la biologie permettent d’ores et déjà de répondre à des questions diagnostiques et pronostiques et seront sûrement à même de participer au choix thérapeutique ciblé dans l’avenir. La complexité de ces nouvelles méthodes justifie un apprentissage et notre intérêt attentif pour appréhender mieux ce que leur apport peut changer dans notre quotidien. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Jemal A, Chu KC, Tarone RE. Recent trends in lung cancer mortality in the United States. J Nat Cancer Inst 2001 ; 93 : 277-83. 2. Peto R, Darby S, Deo H et al. 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