10 ANS INTERVIEW Cancer du poumon Pr Élisabeth Quoix – Hôpital Lyautey, CHRU de Strasbourg Au cours des 10 dernières années, l’incidence des cancers du poumon a augmenté chez les femmes et, semble-t-il, chez les patients non fumeurs, modifiant par là même la répartition par type histologique (augmentation du pourcentage d’adénocarcinomes), le pronostic et, nous le verrons, les indications thérapeutiques. Les traitements utilisés ces dernières années – chimiothérapie composée d’un doublet associant un sel de platine à une drogue de troisième génération ou radiothérapie conformationnelle – ont permis d’obtenir de meilleurs taux de survie globale et de survie sans progression de la maladie dans les formes localement avancées et métastatiques. Toutefois, les résultats, notamment en ce qui concerne la chimiothérapie, ont atteint un plateau depuis le début du xxie siècle. Les deux nouveautés récentes sont l’avènement des thérapeutiques ciblées et le développement du traitement “à la carte” prenant en compte le type histologique et le profil d’expression génique de la tumeur. Ce qu’il faut retenir de ces 10 dernières années Une modification des données épidémiologiques du cancer bronchique ➤➤ Avec un retard de 15 à 20 ans par rapport à un pays comme les États-Unis, on note en France une augmentation de l’incidence du cancer du poumon chez les femmes, largement attribuée au tabagisme féminin, dont on sait qu’il s’est considérablement développé à partir de mai 1968. Cette progression chez les femmes est à rapprocher d’une incidence du cancer bronchique qui a tendance à se stabiliser chez les hommes, stabilisation peut-être déjà en lien avec les mesures anti-tabac et la promulgation de la loi Évin. ➤➤ Parallèlement, un intérêt accru pour le cancer bronchique du non-fumeur se manifeste sans que l’on puisse affirmer une augmentation de sa prévalence. Parmi les patients ayant un cancer bronchique, 25 à 30 % des femmes et 2 % des hommes seulement sont non fumeurs sous nos latitudes, mais ce pourcentage est plus élevé au Japon où les trois quarts des femmes ayant un cancer bronchique sont 220 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 non fumeuses contre 8 % environ des hommes (1). Cela est d’autant plus important que ces cancers sont caractérisés par un meilleur pronostic et une sensibilité accrue aux thérapeutiques ciblées. Enfin, depuis le scandale de l’amiante, les cancers professionnels paraissent désormais mieux pris en compte, avec nettement moins de sous-déclarations. Des chimiothérapies mieux codifiées et l’avènement des thérapies ciblées ➤➤ Les résultats des méta-analyses d’essais cliniques randomisés ont permis une meilleure codification des chimiothérapies dans le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), avec la démonstration de la supériorité des doublets à base de sels de platine et, singulièrement, de cisplatine (2, 3) ainsi qu’une durée de traitement qui est passée de 8 à 6 cycles, voire 4 cycles, pour les traitements de première ligne. On a récemment montré l’effet différentiel d’une chimiothérapie de première ligne selon le type histologique de cancer bronchique. Ainsi, le doublet cisplatine-pémétrexed serait plus efficace dans les adénocarcinomes que le doublet cisplatinegemcitabine, lequel serait plus efficace dans les formes épidermoïdes (4). ➤➤ Chez la personne âgée, une monothérapie par vinorelbine ou gemcitabine est désormais recommandée. Parmi les questions non résolues, on retient celle du meilleur traitement chez les patients ayant un performance status égal à 2 et l’opportunité d’un traitement de maintenance (monothérapie ou thérapie ciblée) après un traitement d’induction court (4 cycles). Les thérapies ciblées en première ligne ➤➤ Les inhibiteurs de la tyrosine kinase dirigés contre la partie intracellulaire du récepteur à l’EGF se sont tous révélés inefficaces en association avec un doublet comportant un sel de platine et une drogue de troisième génération. Le bévacizumab (anticorps monoclonal dirigé contre VEGF) associé au doublet carboplatine + paclitaxel a induit une augmentation de la survie, avec une médiane de survie dépassant 12 mois dans le bras avec bévacizumab (5). En revanche, dans l’essai ultérieur ayant évalué cisplatine + gemcitabine avec ou sans bévacizumab, on observe une augmentation significative de la survie sans progression (de 18 jours) sans gain de survie globale. L’étude FLEX, présentée à l’ASCO en 2008, a quant à elle démontré l’efficacité de l’association d’un anticorps monoclonal dirigé contre la partie extracellulaire du récepteur à l’EGF, le cétuximab, avec le doublet cisplatine-vinorelbine en première ligne de traitement de CBNPC à un stade avancé. Pour être inclus, les patients devaient présenter une expression tumorale du récepteur de l’EGF en immunohistochimie. Les résultats montrent une médiane de survie de 11,3 mois dans le bras cétuximab versus 10,1 mois dans le bras chimiothérapie seule (p < 0,05) et une survie à un an qui s’établit, respectivement, à 47 % et 42 % (6). ➤➤ Les traitements de deuxième et troisième lignes ont été radicalement transformés par l’avènement des thérapies ciblées, notamment des inhibiteurs de la tyrosine kinase, qui donnent, pour l’erlotinib par exemple, des résultats d’autant plus intéressants qu’il s’agit de femmes, de sujets non fumeurs, d’adénocarcinomes ou de patients d’origine asiatique (7). Si globalement les taux de réponse sont faibles (au mieux 10 %), l’activité de cette thérapeutique peut perdurer plusieurs mois. Les groupes cliniques dans lesquels l’activité des inhibiteurs de la tyrosine kinase est la plus importante correspondent à des mutations de sensibilité du gène du domaine intracellulaire du récepteur à l’EGF (exons 19 et 21 essentiellement). ➤➤ Pour les formes précoces, la chimiothérapie pré- ou postopératoire a démontré son efficacité (chimiothérapie adjuvante ou d’induction à partir des stades II). Dans les formes localement avancées, l’association de la chimiothérapie et de la radiothérapie s’envisage généralement de la façon suivante : chimiothérapie puis radiochimiothérapie concomitante avec ajustement des doses de chimiothérapie. En revanche, peu de progrès ont été constatés dans le traitement du cancer bronchique à petites cellules (CBPC), où le traitement associe toujours étoposide et cisplatine ou carboplatine. L’association de 3 ou 4 cytotoxiques ne procure que des gains limités, qui s’accompagnent d’une augmentation considérable de la toxicité. Les essais d’antiangiogéniques ont tous été négatifs même si, avec le thalidomide, on observe une tendance à un gain de survie au prix d’une importante toxicité neurologique (8). Ce que l’on peut attendre des 10 années à venir Prévention, dépistage et personnalisation des traitements ➤➤ Dix ans constituent sans doute une échéance trop courte pour mesurer l’impact réel des mesures anti-tabac sur l’incidence de survenue du cancer bronchique alors que l’expérience des États-Unis nous montre une diminution de cette incidence, en particulier chez les hommes. Le dépistage, un peu relégué au second plan ces dernières années au bénéfice de la prévention primaire, est de mise au Japon, avec des scanners “low dose” dans des camions itinérants, permettant de détecter un nombre important d’adénocarcinomes périphériques, même si cela n’est pas sans engendrer beaucoup de questions quant à l’attitude thérapeutique à adopter. Aux États-Unis, les résultats de l’étude ELCAP (9) sont également en faveur de ce dépistage, bien que des études randomisées, en particulier chez les fumeurs, soient nécessaires afin de déterminer si ce dépistage est susceptible d’influencer favorablement la mortalité spécifique liée au cancer du poumon. ➤➤ D’un point de vue thérapeutique, les traitements ciblés sont actuellement en plein développement et l’on attend les résultats des essais en cours, qui devraient permettre, dans un avenir proche, de mieux définir leur positionnement, en particulier dans un contexte de traitement de première ligne chez des patients “sélectionnés”, cette sélection reposant sur l’existence de mutations de sensibilité ou, plus simplement, sur leur appartenance à des groupes cliniques réputés sensibles. Le ciblage thérapeutique de ces nouvelles molécules représente un défi majeur en cancérologie et le traitement “à la carte” de ces patients ne sera possible que si l’on identifie les principales altérations moléculaires et qu’on les intègre dans la classification des tumeurs. La personnalisation des traitements devrait également se développer en fonction de certaines expressions géniques. Ainsi, des travaux récents ont, par exemple, montré l’intérêt de réaliser une chimiothérapie à base de cisplatine chez des patients n’hyperexprimant pas ERCC1 – une enzyme de réparation de l’ADN –, avec un pourcentage de réponses plus important dans les bras adaptés au profil génotypique ainsi déterminé (10). Dans le même ordre d’idées, l’expression de RRM1 permet de prédire une résistance à la gemcitabine, et l’hyperexpression de la bêta-tubuline de classe 3 est prédictive d’une résistance aux taxanes. ■ La Lettre du Pneumologue • Références bibliographiques 1. Blair A, Freeman LB. Lung cancer among nonsmokers. Epidemiology 2006;17:601-3. 2. D’Addario G, Pintilie M, Leighl NB, Feld R, Cerny T, Shepherd FA. Platinum-based versus nonplatinum-based chemotherapy in advanced non-small-cell lung cancer: a meta-analysis of the published literature. J Clin Oncol 2005;23(13):2926-36. 3. Hotta K, Matsuo K, Ueoka H, Kiura K, Tabata M, Tanimoto M. Meta-analysis of randomized clinical trials comparing cisplatin to carboplatin in patients with advanced non-smallcell lung cancer.J Clin Oncol 2004;22(19):3852-9. 4. Scagliotti GV, Parikh P, Von Pawel J et al. Phase III study comparing cisplatin plus gemcitabine with cisplatin plus pemetrexed in chemotherapy-naive patients with advanced-stage non-small-cell lung cancer. J Clin Oncol 2008;26(21):3543-51. 5. Sandler A, Gray R, Perry MC et al. Paclitaxel-carboplatin alone or with bevacizumab for non-smallcell lung cancer. N Engl J Med 2006;355(24):2542-50. 6. Pirker R, Szczesna A, von Pawel J et al. FLEX: an randomized, multicenter, phase III study of cetuximab in combination with cisplatin/vinorelbin (CV) versus CV alone in the first-line treatment of patients with advanced nonsmall-cell lung cancer (NSCLC). Proc ASCO 2008, Chicago 30 mai-3 juin 2008; abstr. 3. 7. Shepherd FA, Rodrigues Pereira J, Ciuleanu T et al. National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. Erlotinib in previously treated non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2005;353(2):123-32. 8. Pujol JL, Breton JL, Gervais R et al. Phase III double-blind, placebocontrolled study of thalidomide in extensive-disease small-cell lung cancer after response to chemotherapy: an intergroup study FNCLCC cleo04 IFCT 00-01. J Clin Oncol 2007;25(25):3945-51. 9. New York Early Lung Cancer Action Project Investigators. CT screening for lung cancer: diagnoses resulting from the New York Early Lung Cancer Action Project. Radiology 2007;243(1): 239-49. 10. Cobo M, Isla D, Massuti B et al. Customizing cisplatin based on quantitative excision repair cross-complementing 1 mRNA expression: a phase III trial in non-small-cell lung cancer. J Clin Oncol 2007;25(19):2747-54. Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 221