220 | La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008
10 ANS
INTERVIEW
Pr Élisabeth Quoix – Hôpital Lyautey, CHRU de Strasbourg
Cancer du poumon
Une modification des données
épidémiologiques
du cancer bronchique
Avec un retard de 15 à 20 ans par rapport à un
pays comme les États-Unis, on note en France une
augmentation de l’incidence du cancer du poumon
chez les femmes, largement attribuée au tabagisme
féminin, dont on sait qu’il s’est considérablement
développé à partir de mai 1968. Cette progression
chez les femmes est à rapprocher d’une incidence
du cancer bronchique qui a tendance à se stabiliser
chez les hommes, stabilisation peut-être déjà en
lien avec les mesures anti-tabac et la promulgation
de la loi Évin.
Parallèlement, un intérêt accru pour le cancer
bronchique du non-fumeur se manifeste sans que
l’on puisse affirmer une augmentation de sa préva-
lence. Parmi les patients ayant un cancer bronchique,
25 à 30 % des femmes et 2 % des hommes seule-
ment sont non fumeurs sous nos latitudes, mais
ce pourcentage est plus élevé au Japon où les trois
quarts des femmes ayant un cancer bronchique sont
Au cours des 10 dernières années, l’incidence des cancers du poumon a augmenté chez
les femmes et, semble-t-il, chez les patients non fumeurs, modifiant par là même la
répartition par type histologique (augmentation du pourcentage d’adénocarcinomes),
le pronostic et, nous le verrons, les indications thérapeutiques. Les traitements utilisés
ces dernières années – chimiothérapie composée d’un doublet associant un sel de
platine à une drogue de troisième génération ou radiothérapie conformationnelle –
ont permis d’obtenir de meilleurs taux de survie globale et de survie sans progression
de la maladie dans les formes localement avancées et métastatiques. Toutefois, les
résultats, notamment en ce qui concerne la chimiothérapie, ont atteint un plateau
depuis le début du e siècle. Les deux nouveautés récentes sont l’avènement des
thérapeutiques ciblées et le développement du traitement “à la carte” prenant en
compte le type histologique et le profil d’expression génique de la tumeur.
non fumeuses contre 8 % environ des hommes (1).
Cela est d’autant plus important que ces cancers
sont caractérisés par un meilleur pronostic et une
sensibilité accrue aux thérapeutiques ciblées. Enfin,
depuis le scandale de l’amiante, les cancers profes-
sionnels paraissent désormais mieux pris en compte,
avec nettement moins de sous-déclarations.
Des chimiothérapies
mieux codifiées et l’avènement
des thérapies ciblées
Les résultats des méta-analyses d’essais cliniques
randomisés ont permis une meilleure codification
des chimiothérapies dans le cancer bronchique non
à petites cellules (CBNPC), avec la démonstration de
la supériorité des doublets à base de sels de platine
et, singulièrement, de cisplatine (2, 3) ainsi qu’une
durée de traitement qui est passée de 8 à 6 cycles,
voire 4 cycles, pour les traitements de première
ligne. On a récemment montré l’effet différentiel
d’une chimiothérapie de première ligne selon le type
histologique de cancer bronchique. Ainsi, le doublet
cisplatine-pémétrexed serait plus efficace dans
les adénocarcinomes que le doublet cisplatine-
gemcitabine, lequel serait plus efficace dans les
formes épidermoïdes (4).
Chez la personne âgée, une monothérapie par
vinorelbine ou gemcitabine est désormais recom-
mandée. Parmi les questions non résolues, on retient
celle du meilleur traitement chez les patients ayant
un performance status égal à 2 et l’opportunité
d’un traitement de maintenance (monothérapie
ou thérapie ciblée) après un traitement d’induction
court (4 cycles).
Les thérapies ciblées
en première ligne
Les inhibiteurs de la tyrosine kinase dirigés
contre la partie intracellulaire du récepteur à l’EGF
se sont tous révélés inefficaces en association avec
un doublet comportant un sel de platine et une
drogue de troisième génération. Le bévacizumab
Ce qu’il faut retenir de ces 10 dernières années
La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 221
(anticorps monoclonal dirigé contre VEGF) associé
au doublet carboplatine + paclitaxel a induit une
augmentation de la survie, avec une médiane de
survie dépassant 12 mois dans le bras avec bévaci-
zumab (5). En revanche, dans l’essai ultérieur ayant
évalué cisplatine + gemcitabine avec ou sans béva-
cizumab, on observe une augmentation significa-
tive de la survie sans progression (de 18 jours) sans
gain de survie globale. L’étude FLEX, présentée à
l’ASCO en 2008, a quant à elle démontré l’efficacité
de l’association d’un anticorps monoclonal dirigé
contre la partie extracellulaire du récepteur à l’EGF,
le cétuximab, avec le doublet cisplatine-vinorelbine
en première ligne de traitement de CBNPC à un
stade avancé. Pour être inclus, les patients devaient
présenter une expression tumorale du récepteur de
l’EGF en immunohistochimie. Les résultats montrent
une médiane de survie de 11,3 mois dans le bras
cétuximab versus 10,1 mois dans le bras chimio-
thérapie seule (p < 0,05) et une survie à un an qui
s’établit, respectivement, à 47 % et 42 % (6).
Les traitements de deuxième et troisième lignes
ont été radicalement transformés par l’avènement
des thérapies ciblées, notamment des inhibiteurs
de la tyrosine kinase, qui donnent, pour l’erlotinib
par exemple, des résultats d’autant plus intéres-
sants qu’il s’agit de femmes, de sujets non fumeurs,
d’adénocarcinomes ou de patients d’origine asiatique
(7). Si globalement les taux de réponse sont faibles
(au mieux 10 %), l’activité de cette thérapeutique
peut perdurer plusieurs mois. Les groupes cliniques
dans lesquels l’activité des inhibiteurs de la tyro-
sine kinase est la plus importante correspondent à
des mutations de sensibilité du gène du domaine
intracellulaire du récepteur à l’EGF (exons 19 et 21
essentiellement).
Pour les formes précoces, la chimiothérapie
pré- ou postopératoire a démontré son efficacité
(chimiothérapie adjuvante ou d’induction à partir
des stades II). Dans les formes localement avancées,
l’association de la chimiothérapie et de la radiothé-
rapie s’envisage généralement de la façon suivante :
chimiothérapie puis radiochimiothérapie concomi-
tante avec ajustement des doses de chimiothérapie.
En revanche, peu de progrès ont été constatés dans
le traitement du cancer bronchique à petites cellules
(CBPC), où le traitement associe toujours étoposide
et cisplatine ou carboplatine. L’association de 3 ou
4 cytotoxiques ne procure que des gains limités, qui
s’accompagnent d’une augmentation considérable
de la toxicité. Les essais d’antiangiogéniques ont
tous été négatifs même si, avec le thalidomide, on
observe une tendance à un gain de survie au prix
d’une importante toxicité neurologique (8).
Prévention, dépistage
et personnalisation des traitements
Dix ans constituent sans doute une échéance
trop courte pour mesurer l’impact réel des mesures
anti-tabac sur l’incidence de survenue du cancer
bronchique alors que l’expérience des États-Unis
nous montre une diminution de cette incidence, en
particulier chez les hommes. Le dépistage, un peu
relégué au second plan ces dernières années au béné-
fice de la prévention primaire, est de mise au Japon,
avec des scanners “low dose” dans des camions itiné-
rants, permettant de détecter un nombre important
d’adénocarcinomes périphériques, même si cela
n’est pas sans engendrer beaucoup de questions
quant à l’attitude thérapeutique à adopter. Aux
États-Unis, les résultats de l’étude ELCAP (9) sont
également en faveur de ce dépistage, bien que des
études randomisées, en particulier chez les fumeurs,
soient nécessaires afin de déterminer si ce dépistage
est susceptible d’influencer favorablement la morta-
lité spécifique liée au cancer du poumon.
D’un point de vue thérapeutique, les traitements
ciblés sont actuellement en plein développement
et l’on attend les résultats des essais en cours, qui
devraient permettre, dans un avenir proche, de mieux
définir leur positionnement, en particulier dans un
contexte de traitement de première ligne chez des
patients “sélectionnés”, cette sélection reposant
sur l’existence de mutations de sensibilité ou, plus
simplement, sur leur appartenance à des groupes
cliniques réputés sensibles. Le ciblage thérapeutique
de ces nouvelles molécules représente un défi majeur
en cancérologie et le traitement “à la carte” de ces
patients ne sera possible que si l’on identifie les prin-
cipales altérations moléculaires et qu’on les intègre
dans la classification des tumeurs. La personnalisation
des traitements devrait également se développer en
fonction de certaines expressions géniques. Ainsi, des
travaux récents ont, par exemple, montré l’intérêt
de réaliser une chimiothérapie à base de cisplatine
chez des patients n’hyperexprimant pas ERCC1 – une
enzyme de réparation de l’ADN –, avec un pour-
centage de réponses plus important dans les bras
adaptés au profil génotypique ainsi déterminé (10).
Dans le même ordre d’idées, l’expression de RRM1
permet de prédire une résistance à la gemcitabine,
et l’hyperexpression de la bêta-tubuline de classe 3
est prédictive d’une résistance aux taxanes.
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Références
bibliographiques
Ce que l’on peut attendre
des 10 années à venir
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