L’
année 2005 a été marquée par la World Conference
on Lung Cancer (WCLC), avec un congrès d’un
dynamisme majeur, une fréquentation et un
nombre de présentations toujours à la hausse. La même consta-
tation peut être faite à la lecture des revues médicales interna-
tionales, avec 118 articles originaux concernant les cancers
broncho-pulmonaires dans le Journal of Clinical Oncology, 16
dans le Lancet et 11 dans le New England Journal of Medicine.
Les progrès les plus marquants de cette année concernent bien
sûr les thérapies ciblées, qui tiennent maintenant le haut du
pavé, mais aussi la biologie, avec notamment la définition des
caractéristiques biologiques déterminant la réponse aux inhibi-
teurs de kinase (TKI), et enfin l’apport de la chimiothérapie
dans les stades opérables, que ce soit en situation préopératoire
ou en situation adjuvante.
ÉPIDÉMIOLOGIE
L’Institut national de veille sanitaire (INVS) a publié sur son site
Internet www.invs.fr les résultats d’une étude intitulée “Mortalité
par cancer du poumon en France métropolitaine : analyse de ten-
dance et projection de 1975 à 2014” et portant sur le taux de mor-
talité et le nombre de décès à venir au cours des quinze prochaines
années. L’estimation et la projection de la mortalité par cancer du
poumon indiquent, pour la France entière, une stabilisation du
taux de mortalité chez les hommes (mortalité standardisée de
75 décès pour 100 000 environ en 2010-2014), et, en revanche,
une augmentation de ce taux chez la femme : environ 20 décès
pour 100 000 en 2010-2014. Ce dernier chiffre est comparable au
taux de mortalité que l’on observe aujourd’hui dans les carci-
nomes mammaires. Cette différence de tendance entre les deux
sexes est très certainement imputable au tabac, dont la consomma-
tion diminue chez les hommes et augmente chez les femmes.
LES MALADES OPÉRABLES
Plusieurs études randomisées publiées ces deux dernières
années ont démontré l’intérêt de la chimiothérapie adjuvante,
qui s’est maintenant inscrite dans la pratique quotidienne chez
les malades opérés.
L’étude ANITA 1, qui a été présentée cette année au congrès
de l’ASCO et à la WCLC (1), a comparé une abstention thé-
rapeutique après résection complète d’un cancer bronchique
non à petites cellules (CBNPC) de stade IB à III à une chi-
miothérapie adjuvante par vinorelbine et cisplatine. L’objectif
principal de cette étude était le taux de survie globale, et cet
objectif a été atteint avec une valeur statistiquement très
significative. L’étude ANITA 1 a donc confirmé une nouvelle
fois l’intérêt de la chimiothérapie adjuvante. La chimiothéra-
pie adjuvante n’a cependant pas semblé apporter de bénéfice
dans le stade précoce (IB), ce qui confirme les résultats de
l’étude JBR10 du NCI-Canada, publiée cette année (2), ainsi
que ceux de l’étude IALT (3). En revanche, le bénéfice est
très net dans les stades II et les stades IIIA. L’étude ANITA 1
a été conçue au début des années 1990, avant la publication de
la méta-analyse PORT (4). Cela explique que l’administration
de la radiothérapie postopératoire ait été laissée à la discré-
tion des investigateurs. Pour les patients porteurs d’un enva-
hissement ganglionnaire de type N1, l’addition de la radiothé-
rapie à la chimiothérapie ne semble pas apporter de bénéfice
en termes de survie. En revanche, pour les patients porteurs
d’un envahissement ganglionnaire médiastinal de type N2, le
taux de survie à 5 ans semble meilleur chez les patients rece-
vant une association chimiothérapie et radiothérapie (47,4 %)
que chez ceux ne recevant qu’une chimiothérapie (34 %).
Néanmoins, cette comparaison n’était pas l’objectif principal
de cette étude et, surtout, la comparaison concernant la radio-
thérapie n’était pas randomisée ; enfin, l’influence de la tech-
nique chirurgicale, notamment de la nature du curage gan-
glionnaire réalisé, sera analysée à l’occasion de la publication
définitive. Ce bénéfice de la radiothérapie dans les stades
IIIA (N2) va être étudié dans un essai clinique international,
LungArt IFCT 0503, qui va évaluer, chez des patients opérés
puis traités par chimiothérapie adjuvante, l’apport ou non
d’une radiothérapie.
La méta-analyse présentée par E. Bria à la WCLC (5), qui a
tenu compte des résultats de l’essai ANITA 1 et a pris en
considération 13 essais, fait état d’un bénéfice en rapport avec
la chimiothérapie adjuvante qui est de l’ordre de celui obtenu
dans les cancers du sein (soit à peu près 4 %).
Il n’y a pas, à ce jour, d’autre critère de prescription d’une
chimiothérapie adjuvante que ceux fournis par le stade
pTNM postopératoire. Il est tentant, cependant, de repérer
Cancer bronchique
Lung cancer
D. Moro-Sibilot*
* DMAS UF oncologie thoracique, CHU de Grenoble et INSERM U578,
BP 217X Grenoble.
RÉTROSPECTIVE 2005
282
La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 6 - novembre-décembre 2005
les sous-groupes qui pourraient bénéficier le plus de ces trai-
tements. Deux études présentées à la WCLC se sont intéres-
sées à certains marqueurs génétiques ou immunohistochi-
miques potentiellement prédictifs. L’essai de chimiothérapie
adjuvante JBR10 rapporté à l’ASCO 2004 et publié en juillet
2005 (2) a démontré un bénéfice significatif en termes de
survie pour les patients opérés d’un CBNPC et qui reçoivent
une chimiothérapie adjuvante à base de cisplatine et de vino-
relbine. Sensibilisés par la différence significative des taux
de mutations du gène K-ras rapportée par R. Rosell en 1994
(6) dans les deux bras de randomisation de l’essai de chimio-
thérapie néoadjuvante, les auteurs avaient considéré les
mutations de ras comme une strate de randomisation. L’ana-
lyse des mutations du gène ras a donc fait partie intégrante
de l’essai.
Quatre cent cinquante et un prélèvements tissulaires ont été
disponibles (482 patients inclus). L’analyse des mutations du
gène ras a été faite par hybridation d’oligonucléotides spéci-
fiques d’allèles, avec confirmation par séquençage (7). Les
mutations de ras sont présentes chez presque 26 % des
patients (117 patients, 93 % de mutations sur le codon 12 de
K-ras). La prévalence est élevée dans les adénocarcinomes
(88 versus 29 patients ; p < 0,0001). Les femmes sont égale-
ment plus fréquemment porteuses d’une mutation de ras. Six
patients étaient porteurs d’une mutation du codon 13 de K-ras.
Des mutations de H-ras et de N-ras ont été retrouvées cha-
cune dans un cas. La présence d’une mutation du gène ras ne
modifie pas la survie globale des patients. En revanche,
l’effet du traitement est très important chez les patients qui ne
présentent pas de mutation du gène ras. Cet effet se traduit
par une diminution significative du risque de décès, de 31 %.
Au contraire, les patients porteurs d’une mutation du gène ras
ne semblent pas tirer bénéfice de la chimiothérapie adjuvante.
Néanmoins, un test statistique à la recherche d’une interac-
tion entre les groupes montre un p = 0,29, soit un risque de
presque 30 % que ces résultats en faveur du rôle prédictif de
ras ne soient dus qu’au hasard.
Plusieurs travaux issus des recherches sur les prélèvements tis-
sulaires des patients inclus dans IALT (3) ont été rapportés à la
WCLC (8-10). Ces travaux reposent essentiellement sur des
techniques immunohistochimiques, et n’ont pas pour l’instant
mis en évidence de facteur pronostique ou prédictif parmi les
marqueurs étudiés (exploration des voies de l’apoptose : P53-
bax-bcl2, hTERT, et exploration des voies de signalisation pro-
lifératives : EGFR, phospho-akt).
La question de l’intérêt de la chimiothérapie néoadjuvante
des stades précoces reste, en revanche, non complètement
résolue à ce jour. L’étude française MIP 91, publiée en 2002
(11), avait comparé une chirurgie seule à une chirurgie enca-
drée par de la chimiothérapie. Le bénéfice de la chimiothéra-
pie dans cette étude était observé plutôt dans les stades I et II
que dans les stades III (N2). Cette étude a été à l’origine de
plusieurs travaux confirmatifs, dont l’étude S9900, présentée
au congrès de l’ASCO et à la WCLC (12). Cette étude com-
pare une chimiothérapie par trois cycles de paclitaxel
225 mg/m2et carboplatine ASC 6 puis chirurgie (168 patients
évaluables) à un groupe de patients traités par chirurgie seule
(167 patients évaluables). Les patients inclus dans l’étude
étaient de stade IB à IIIA (T3N1). Cette étude a été prématu-
rément stoppée à 354 patients du fait des résultats des études
de chimiothérapie adjuvante, qui rendaient non éthique le fait
de ne traiter les patients que par chirurgie seule dans un des
bras de l’étude. Cet arrêt prématuré, avec un effectif de
patients insuffisant, pose des problèmes en termes de puis-
sance statistique. Dans le groupe de patients traités par chi-
miothérapie, l’observance a été bonne, avec 77 % des patients
qui ont reçu les trois cycles de chimiothérapie prévus. Le taux
de réponse à la chimiothérapie d’induction est de 41 % ; un
chiffre étonnamment bas comparé au taux de réponse de
64 % observé dans l’étude MIP91 avec un schéma thérapeu-
tique plus ancien (mitomycine + ifosfamide + cisplatine)
[11]. Cent soixante-deux patients ont été opérés dans le
groupe chirurgie seule, et 149 dans le groupe chimiothérapie
puis chirurgie. Il y a eu sept décès postopératoires dans le
groupe chimiothérapie puis chirurgie, contre 4 dans le groupe
chirurgie seule. En dépit d’une amélioration à la fois de la
survie globale et de la survie sans progression, la différence
reste statistiquement non significative.
Cette absence de signification statistique s’explique par l’insuf-
fisance du nombre de patients, mais aussi par une survie du
groupe contrôle meilleure que celle envisagée dans le plan sta-
tistique et que celle observée dans l’étude MIP91.
Une méta-analyse, réalisée à partir des données publiées ou
présentées en congrès, des études “en adjuvant et néo-adju-
vant” a été publiée par T. Berghmans dans Lung Cancer (13).
Six études ont été sélectionnées (6, 11, 14-17) (tableau I,
figure 1). La méta-analyse des six études (en néo-adjuvant à
l’exception de l’étude S9900) retrouve un effet global en
faveur de la chimiothérapie néoadjuvante (hazard-ratio = 0,66
[IC95 : 0,48-0,93]).
283
La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 6 - novembre-décembre 2005
Patients
Auteur Stades Chimiothérapie Contrôle traités p
(%)
Dautzenberg I-III CPA, VDS, chirurgie 84,6 0,85
(14) CDDP
Pass (15) IIIA VP16, CDDP chirurgie-RT 100 0,095
Rosell (6) IIIA Mito, Ifo, chirurgie-RT 100 < 0,001
CDDP
Roth (16) IIIA VP16, CPA, chirurgie ND 0,056
CDDP
Depierre IB-IIIA Mito, Ifo, chirurgie 89,9 0,15
(11) CDDP
Nagai (17) IIIA VDS, CDDP chirurgie 71 0,53
Tableau I. Caractéristiques des études néoadjuvantes incluses dans
la méta-analyse de Berghmans et al. Le “pourcentage de patients trai-
tés” correspond à la proportion de patients traités par chimiothéra-
pie dans le groupe à l’étude.
CPA : cyclophosphamide ; CDDP : cisplatine ; VDS : vindésine ; Mito : mitomy-
cine C ; Ifo : ifosfamide ; VP16 : étoposide ; RT : radiothérapie.
Tous les patients porteurs d’un CBNPC de stade pIIIA N2 ne
semblent pas tirer bénéfice de la résection chirurgicale après
traitement d’induction. L’existence d’un downstaging gan-
glionnaire médiastinal (de N2 à N1 ou N0) apparaît comme un
facteur associé à une survie prolongée après un traitement
combinant traitement d’induction (chimiothérapie et/ou radio-
thérapie) et chirurgie (18-20).
L’évaluation du statut ganglionnaire médiastinal après traite-
ment d’induction et avant la chirurgie semble être de première
importance. Une étude prospective monocentrique a comparé
en aveugle chez 24 patients une vidéo-médiastinoscopie ini-
tiale (sites explorés : 2R, 2L, 4R, 4L, 7), suivie après traite-
ment d’induction par une nouvelle médiastinoscopie, et une
TEP (images de fusions avec TDM) [21]. L’équipe chirurgi-
cale à l’origine de cette étude a une expérience importante de
la re-médiastinoscopie. Pourtant, la réalisation de celle-ci, y
compris par une équipe entraînée, est souvent rendue difficile
par l’existence d’une fibrose médiastinale consécutive à la pre-
mière médiastinoscopie. Dans ce travail, plus de 30 % des
patients n’ont pas pu bénéficier du contrôle du statut ganglion-
naire de sites montrés comme étant envahis lors du bilan ini-
tial, diminuant de manière importante la sensibilité de l’exa-
men. La TEP démontre sa supériorité dans cette indication,
avec une sensibilité, une spécificité et une exactitude respecti-
vement de 85,7 %, 90 % et 87,5 %, contre 28,6 %, 100 % et
58,3 % pour la re-médiastinoscopie.
CHIMIOTHÉRAPIE DES CANCERS BRONCHIQUES
NON À PETITES CELLULES
Les doublets de chimiothérapie comportant un sel de platine
représentent l’attitude consensuelle en matière de chimiothéra-
pie. L’alternative représentée par les doublets sans cisplatine
est à l’étude depuis plusieurs années. En effet, la nécessité
d’une hydratation abondante et les effets indésirables du cis-
platine restreignent souvent son utilisation à l’hospitalisation
continue et rendent souvent difficile son administration chez
les patients fragilisés. Il est donc tentant d’essayer d’associer
les nouveaux médicaments de chimiothérapie et de se passer
du cisplatine. Ces dernières années, plusieurs essais ont com-
paré les doublets avec et sans sel de platine. Ces études, dans
leur ensemble, n’ont pas démontré d’avantage net en termes de
survie sans progression des doublets sans platine. En revanche,
leur bien meilleure tolérance à été soulignée. Deux méta-ana-
lyses présentées cette année ont regroupé les différentes études
(22, 23).
Trente-sept études randomisées de phases II et III incluant
7633 patients (à l’exception de l’étude de J.L. Pujol [24]) ont
été intégrées dans la méta-analyse de d’Addario et al. (22).
Celle-ci conforte le sentiment global résultant des études ran-
domisées (figure 2). Il semble en fait que les associations com-
portant un médicament de chimiothérapie de génération
récente et du cisplatine soient comparables aux associations
sans sel de platine en termes de réponse et de survie à un an
(odds-ratio : 1,11 ; [IC95 : 0,96-1,28] ; p = 0,17). En revanche,
lorsque l’on compare les associations avec sel de platine aux
chimiothérapies plus anciennes sans sel de platine, il y a incon-
testablement un avantage en faveur du traitement comportant
un sel de platine en termes de réponse (odds-ratio 1,62 ; [IC95 :
1,46-1,8] ; p < 0,0001) et de survie (survie à un an : 34 % ver-
sus 29 % ; odds-ratio : 1,21 ; [IC95 : 1,09-1,35] ; p = 0,0003).
Les chimiothérapies avec sel de platine s’accompagnaient de
davantage d’effets secondaires (hématotoxicité, néphrotoxicité,
nausées et vomissements) ; en revanche, il n’y avait pas plus
de neurotoxicité, de neutropénies fébriles ou de décès toxiques
lorsque le cisplatine était utilisé.
RÉTROSPECTIVE 2005
284
La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 6 - novembre-décembre 2005
Figure 1. Méta-analyse de Berghmans et al. : comparaison de la survie
des patients traités ou non par une chimiothérapie néoadjuvante.
0,0 0,8 1,0 1,5 2,25 3,0
Dautzenberg
Depierre
Nagai
Pass
Rosell
Roth
Figure 2. Méta-analyse publiée par d’Addario et al. Comparaison de la
survie à un an des associations avec et sans sel de platine (n = 6 504).
5 e-03 5 e-02 5 e-01
Chimiothérapie
sans sel de platine
EFFET GLOBAL
Fuks 1983
Eliott 1984
Shinkai 1985
Einhorn 1985
Harvey 1987
Rosso 1990
Depierre 1994
Le Chevalier 1994
Brocato 1995
Gridelli 1995
Splinter 1 1995
Splinter 2 1997
Jeremic 1997
Wiesenfeld 1997
Galvez 2000
Komiya 2000
Berardi 2001
Georgoulias 2001
Satouchi 2001
Sculier 1 2001
Sculier 2 2001
Van Meerbeeck 1 2001
Van Meerbeeck 2 2001
Barata 2002
Chen 2002
Greco 2002
Gridelli 2002
Kosmidis 2002
Laack 2002
Lilenbaum 2002
Mok 2002
Sederholm 2002
Stathopoulos 2002 Chimiothérapie
avec sel de platine
5 e+00 5 e+01
La méta-analyse présentée par J.L. Pujol (23) lors de la WCLC
prend en compte les essais randomisés publiés ou rapportés
sous forme d’abstract, comparant un doublet sans sel de platine
contenant au moins une drogue de troisième génération à une
association de chimiothérapie comportant un sel de platine et
une drogue de troisième génération. Quatorze essais ont été
identifiés, totalisant 5 943 patients, et 11 ont été pris en compte
dans l’étude, dont l’essai récemment publié par J.L. Pujol (24).
Cette méta-analyse se distingue de celle de d’Addario pour
deux raisons principales :
– exclusion des études de phase II dont l’objectif principal
n’est pas d’évaluer la survie ;
– prise en compte de cinq autres essais (la revue de la littéra-
ture de d’Addario et al. s’arrête en 2001), représentant
2419 patients supplémentaires. L’objectif était de répondre
aux attentes des cliniciens de manière pragmatique : les asso-
ciations sans sel de platine peuvent-elles remplacer les associa-
tions avec sel de platine ?
Les résultats de cette méta-analyse démontrent une meilleure
survie à un an pour les doublets à base de sel de platine, qui
doivent demeurer le standard de prise en charge des patients
porteurs d’un CBNPC de stade IIIB ou IV éligibles pour ce
type de traitement.
Les associations sans cisplatine de troisième génération consti-
tuent une option envisageable face aux doublets conventionnels
comportant du cisplatine ; cependant, du fait de leur coût, elles
risquent d’être réservées aux patients les plus fragilisés. Les
doublets sans cisplatine permettent d’élargir le choix de la pres-
cription en s’adaptant au contexte et aux préférences du patient.
La majorité des questions concernant la chimiothérapie ont
donc été résolues soit par des études randomisées, soit par des
méta-analyses, et le traitement optimal de référence reste un
doublet comportant un sel de platine, avec probablement un
petit avantage pour le cisplatine par rapport au carboplatine
(25) dans les associations modernes de chimiothérapie.
THÉRAPIES CIBLÉES
Le facteur de croissance VEGF est un élément clé pour la
formation des néo-vaisseaux, et son hyperexpression a été
observée dans de nombreux types de tumeurs et associée à la
progression de la maladie. L’inhibition du VEGF est donc
une cible thérapeutique potentielle. Les résultats d’une étude
randomisée de phase II comparant une chimiothérapie par
paclitaxel + carboplatine (32 patients) à la même chimiothé-
rapie associée à un anticorps monoclonal anti-VEGF (bevaci-
zumab 7,5 mg/kg : 32 patients ; 15 mg/kg : 34 patients) ont
été publiés l’année dernière (26). L’addition des anticorps
monoclonaux à la chimiothérapie améliorait le taux de
réponse, puisque celui-ci était de 31,5 % pour le dosage fort
(15 mg/kg). En revanche, l’amélioration était moindre
(28,1 %) pour le dosage faible (7,5 mg/kg) [21,9 % de
réponses]. L’un des problèmes importants observés dans cette
étude initiale était la survenue d’hémorragies, que ce soit des
épistaxis ou des hémorragies graves comme les hémoptysies
de grade 3-4. Ces hémoptysies étaient plus fréquentes dans
les tumeurs épidermoïdes, qui sont des tumeurs proximales.
Cette étude a été suivie d’une étude de phase III (ECOG
4599) [27] incluant 878 patients atteints d’un carcinome non
épidermoïde de stade IIIB ou IV sans métastases cérébrales,
ECOG 0,1, sans antécédents d’hémoptysie, avec un INR et un
taux de prothrombine normaux.
La randomisation a comparé paclitaxel + carboplatine
(444 patients) à la même chimiothérapie associée au bevaci-
zumab (15 mg/kg : 434 patients). L’addition de bevacizumab
à la chimiothérapie augmente les phénomènes hémorragiques
et l’hypertension artérielle, mais, dans cette population de
tumeurs non épidermoïdes, ces phénomènes restent accep-
tables et bien inférieurs à ce qui avait été observé dans le trai-
tement des tumeurs proximales épidermoïdes. L’effet sur la
survie est majeur, avec une augmentation très significative de
la survie globale et de la survie sans progression. Le bevaci-
zumab est la première thérapeutique ciblée qui démontre son
intérêt en première ligne thérapeutique associé à la chimio-
thérapie dans les phases avancées de CBNPC ; c’est aussi la
première fois que la médiane de survie des patients porteurs
de stades IIIB et IV dépasse 12 mois. Fait étonnant, il existe
une différence entre les hommes et les femmes quant au
bénéfice en matière de survie dans cette étude, avec, pour ces
dernières, un bénéfice en termes de survie sans progression
mais pas en termes de survie globale. Cela est peut-être lié à
un effet différent des traitements de seconde ligne, et notam-
ment des TKI, qui ont été probablement plus efficaces dans la
population féminine.
L’utilisation future du bevacizumab dans les cancers bron-
chiques non épidermoïdes est donc à prévoir. Il nous faudra
sûrement définir les modalités de prescription de ce médica-
ment dans des situations particulières mais néanmoins fré-
quentes dans les cancers bronchiques telles que, par exemple,
les états d’hypercoagulabilité et de thrombose associés au can-
cer, qui risquent d’être modifiés ou dont le traitement sera
compliqué par la prescription de bevacizumab. Nous devrons
sans doute anticiper les modalités de diagnostic de ces cancers
profonds, et ne pas faire courir un risque hémorragique après
médiastinoscopie ou thoracotomie diagnostique. Il nous faudra
probablement faire un choix permettant de respecter la néces-
sité de prélèvements adéquats pouvant être cryopréservés pour
des analyses phénotypiques ou génomiques et, d’autre part, de
s’assurer que le risque hémorragique post-thérapeutique est
maîtrisable.
Les publications et communications en congrès concernant le
ciblage de l’EGFR ont été très nombreuses. Plusieurs questions
posées l’an dernier ont trouvé leur réponse cette année. La
situation s’est nettement complexifiée, et le schéma un peu
trop simple de l’an dernier associant réponse aux TKI et muta-
tions de l’EGFR s’est modifié. On peut résumer simplement
cette thématique en étudiant les acquis et les questions encore
en suspens en pratique clinique et dans la biologie de l’EGFR.
Les TKI, que ce soit le gefitinib ou l’erlotinib, ont une action
démontrée en termes de réponse dans les CBNPC (28-31). Les
réponses sont plus fréquemment observées chez les femmes,
les patients d’origine asiatique, les patients atteints d’un
285
La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 6 - novembre-décembre 2005
adénocarcinome et les non-fumeurs (32). L’étude BR21, présen-
tée à l’ASCO 2004 et publiée cette année (30), confirme sans
ambiguïté ces résultats, obtenus sur des données résultant essen-
tiellement de phases II. Cette étude, réalisée en double aveugle
contre placebo, a randomisé 731 patients de stade IIIB ou IV
ayant reçu auparavant un ou plusieurs protocoles de chimiothé-
rapie. Le taux de réponse a été de 8,9 % avec l’erlotinib et de
moins de 1 % avec le placebo. La durée médiane de la réponse a
été respectivement de 7,9 mois et de 3,7 mois. La survie sans
progression a été respectivement de 2,2 mois et 1,8 mois. La sur-
vie globale a été prolongée de deux mois (6,7 mois versus
4,7 mois), soit une amélioration de 42,5 %. À un an, 31 % des
patients du groupe erlotinib étaient en vie, contre 22 % des
patients sous placebo. Le bénéfice de l’erlotinib en matière de
survie était retrouvé dans tous les sous-groupes de patients (défi-
nis selon le sexe, l’âge, état de performance (PS), le tabagisme,
les différents types histologiques, le nombre et le type de chi-
miothérapies antérieures, le type de réponse à la chimiothérapie).
Dans l’étude ISEL (33), qui évaluait le gefitinib et dont le
design est assez similaire à celui de l’étude BR21, la médiane
de survie et la probabilité de survie à un an associées au gefiti-
nib (5,6 mois et 27 %) et au placebo (5,1 mois et 22 %) ne dif-
féraient pas significativement.
Il n’y a aucune raison évidente expliquant la différence d’effi-
cacité sur la survie observée entre les études ISEL et BR21.
Deux pistes sont néanmoins possibles : moins bonne optimisa-
tion de la dose du gefitinib ; sélection accidentelle d’une popu-
lation plus sensible dans l’étude BR21. Ces résultats ont per-
mis à l’erlotinib d’obtenir l’accord de la FDA et, en Europe,
l’enregistrement auprès de l’EMEA, prélude à une autorisation
de mise sur le marché (AMM) “pour les malades atteints de
CBNPC localement avancés ou métastatiques continuant à pro-
gresser malgré d’autres traitements incluant au moins une pre-
mière ligne de chimiothérapie”.
Une étude en cours (INTEREST) compare le bénéfice du gefi-
tinib par rapport au docétaxel en seconde ou troisième ligne
thérapeutique ; ses résultats seront disponibles dans un délai de
18 mois. D’ores et déjà, une présentation de la WCLC fait état,
dans une étude de phase II comparant docétaxel et gefitinib,
d’un taux de réponse comparable : 13,7 % pour le docétaxel et
13,2 % pour le gefitinib (34).
En première ligne thérapeutique, aucune étude n’a montré l’inté-
rêt qu’il y a à associer le gefitinib ou l’erlotinib à une chimiothé-
rapie (35-38). En revanche, de nombreuses études sont en cours
ou en projet dans d’autres situations (première ligne et périopéra-
toire dans certaines populations, maintenance chez les répondeurs
à la chimiothérapie), laissant à penser que les TKI de l’EGFR
vont prendre une place de plus en plus importante dans le traite-
ment des CBNPC. Une étude française de l’Intergroupe franco-
phone de cancérologie thoracique (IFCT) (protocole IFCT 0401)
a évalué, en première ligne thérapeutique, le gefitinib dans les
adénocarcinomes à forme pneumonique. Les résultats prélimi-
naires de cette étude présentée à Barcelone (39) montrent un taux
de réponse de 12 % et un taux de contrôle de la maladie de 30 %.
D’autres molécules que le gefitinib et l’erlotinib sont en
cours de développement. Ainsi, le ZD 6474 est un inhibiteur
des tyrosines kinases à activité mixte, anti-EGFR et anti-
VEGFR. Sa prise est orale et sa tolérance est globalement
identique à celle du gefitinib, en dehors d’un allongement du
QT qui ne semble pas poser de problème particulier et d’une
hypertension artérielle. Il ne semble pas entraîner d’hémopty-
sie ni de nécrose tumorale. Dans deux études (40, 41), le
ZD 6474 (300 mg/j) est comparé au gefitinib en deuxième
ligne thérapeutique avec crossover lors de la progression.
Cent soixante-huit patients porteurs de CBNPC ont été inclus,
avec 7 % de réponse objective dans le bras ZD 6474 versus
0% dans le bras gefitinib et 43 % de stabilisation versus
34 %. La survie globale était identique dans les deux groupes
de patients. Le ZD 6474 augmente significativement la durée
de survie sans progression, avec un meilleur taux de réponse.
Lors du switch, le ZD 6474 semble “récupérer” plus de
patients que le gefitinib, mais cela ne se traduit pas sur la
courbe de survie. Une phase II randomisée à trois bras a com-
paré ZD 6474 (100 et 300 mg/j) et docétaxel (75 mg/m2) ver-
sus docétaxel (75 mg/m2). Cent vingt-sept patients porteurs
de CBNPC en deuxième ligne thérapeutique ont été inclus.
Les taux de réponse objective étaient respectivement de
26 %, 18 % et 12 %.
Là encore, la survie sans progression est augmentée, sans que
cela se traduise sur la survie globale.
Au-delà des critères cliniques et histopathologiques, il est fon-
damental de déterminer des critères prédictifs de réponse aux
TKI. L’EGFR et ses voies d’activation ont ainsi été très étu-
diés. Les mutations de l’EGFR ont été décrites par séquençage
direct des exons 18 à 21 à partir de l’ADN tumoral provenant
de 33 malades ayant présenté une réponse majeure à un TKI
(gefitinib ou erlotinib) [42-44]. Une étude rétrospective portant
sur 90 malades (45) a confirmé que la présence de telles muta-
tions était associée à une probabilité plus importante de
réponse aux TKI de l’EGFR. Néanmoins, les tumeurs de cer-
tains malades ayant répondu ne présentaient pas de mutation de
l’EGFR. Dans cette étude, la présence d’une mutation de
l’EGFR était le seul facteur prédictif indépendant de réponse
aux TKI dans un modèle incluant les autres facteurs prédictifs :
sexe féminin, absence de tabagisme et type histologique “adé-
nocarcinome”.
Une synthèse récente indique la description de 192 mutations
(46). Néanmoins, 165 d’entre elles (85,9 %) concernaient
deux hot spots. Parmi ces 192 mutations, 55,8 % consistent en
une délétion de plusieurs nucléotides éliminant 4 acides ami-
nés hautement conservés (LREA) présents sur l’exon 19, et
44,2 % consistent en une mutation ponctuelle dans l’exon 21,
résultant d’une substitution d’un acide aminé en position 858
(L858R). Les autres mutations peuvent toucher également les
exons 18 et 20. Cependant, un très petit nombre de ces muta-
tions est associé cliniquement à une réponse majeure ; il s’agit
de la substitution G719C sur l’exon 18, de certaines des délé-
tions LREA dans l’exon 19, et des substitutions L858R et
L861Q dans l’exon 21. Ces mutations ne sont pas mises en
évidence dans le tissu sain péritumoral, ne sont pas induites
par le traitement par TKI, ne sont pas retrouvées chez tous les
malades répondeurs et n’ont pas été retrouvées chez des
RÉTROSPECTIVE 2005
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 6 - novembre-décembre 2005
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