L Cancers broncho-pulmonaires non à petites cellules ÉDITORIAL

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ÉDITORIAL
Cancers broncho-pulmonaires non à petites cellules
avancés : une décennie de progrès (2000-2010)
Stage IV non-small-cell lung cancer: a decade of therapeutic advances
L
e visage et la perception du cancer broncho-pulmonaire changent progressivement, à la fois pour le “grand
public”, les patients et les médecins prenant en charge
cette redoutable pathologie. L’évolution épidémiologique du
cancer broncho-pulmonaire demeure en effet extrêmement
préoccupante en France, avec une explosion du nombre de
femmes touchées (1), fidèle reflet du tabagisme féminin des
années 1980, contribuant à maintenir cette pathologie au
rang de problème de santé publique. Plus de 80 % des patients
atteints de cancer broncho-pulmonaire ont un cancer non à
petites cellules (CBNPC) ; parmi eux, près de la moitié aura
déjà des métastases cliniquement décelables au moment du
diagnostic. Ce numéro de La Lettre du Cancérologue fait le point
sur l’évolution des connaissances et les progrès thérapeutiques
enregistrés dans ces formes avancées, métastatiques, des
CBNPC durant la dernière décennie. Les années 2000-2010 ont
en effet été marquées par une accélération sans précédent de
la compréhension de cette pathologie au niveau de la biologie
moléculaire, amenant à des modifications considérables de
la prise en charge de certains patients avec l’avènement de
traitements ciblant des anomalies moléculaires responsables
de l’oncogenèse. La lecture de ce numéro consacré à ces formes
avancées des CBNPC représente en quelque sorte un rapport
d’étape effectué par des experts nationaux dans le combat
contre cette maladie en grande partie évitable.
Parmi les changements intervenus depuis l’année 2000, l’avènement des adénocarcinomes en tant que forme histologique
prédominante est également la conséquence de la modification des habitudes tabagiques, avec l’abandon progressif
du tabac brun et des cigarettes sans filtre. La connaissance
du type histologique est devenue un élément essentiel des
choix thérapeutiques dans les formes avancées des CBNPC,
constituant un préliminaire à l’individualisation thérapeutique
qu’autorisent les progrès de la biologie moléculaire (2). Cette
nécessité d’un typage anatomopathologique précis, morphologique ou immunohistochimique, constitue un premier argument pour disposer autant que possible de prélèvements
tissulaires adéquats et ne pas se contenter d’un diagnostic
cytologique. Par ailleurs, la récente évolution de la classification des adénocarcinomes (3) intègre mieux l’histoire
naturelle de la maladie : individualisation des formes in situ et
362 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011
des formes avec invasion minime, avec pour corollaire l’évolution prévisible vers un démembrement moléculaire de la
maladie. Celui-ci pourrait à terme remplacer ou compléter
la classi­fication anatomopathologique traditionnelle par une
véritable signature moléculaire de la tumeur (4), mettant en
évidence une anomalie génomique qui soit la clé de l’oncogenèse ou, plus fréquemment, l’activation préférentielle de
voies de signalisation pouvant être ciblées par des thérapeutiques spécifiques. La découverte d’anomalies oncogéniques
− telles que les mutations activatrices du récepteur du facteur
de croissance épithélial (Epidermal Growth Factor Receptor
[EGFR]) [5] ou la translocation impliquant le gène Anaplastic
Lymphoma Kinase (ALK) [6] créant un phénomène d’addiction oncogénique − a constitué le premier grand pas dans la
compréhension de l’oncogenèse de certaines formes d’adénocarcinome et a entraîné les premiers véritables succès des
biothérapies ciblées. Il faut cependant bien se rendre compte
que cette situation ne concerne qu’une minorité de patients,
majoritairement non exposés au tabagisme (7), pour lesquels
la recherche d’altérations moléculaires oncogéniques a le
plus de chances d’être couronnée de succès. La situation est
différente dans le cas des CBNPC de patients fumeurs, pour
lesquels les anomalies moléculaires apparaissent multiples,
sans que l’on puisse individualiser de phénomène d’addiction oncogénique ; les techniques modernes de génomique
à haut débit permettront peut-être à l’avenir d’obtenir un
profil moléculaire de ces tumeurs susceptible de diriger les
traitements vers les voies de signalisation qui contribuent
le plus à la croissance et à la survie tumorales (8). Cette
évolution souligne encore la problématique de l’obtention
d’échantillons tumoraux, probablement à plusieurs reprises
au cours de l’évolution de la maladie, ou de la nécessité de
leur remplacement par de nouvelles technologies utilisant,
par exemple, les cellules tumorales circulantes. L’hétérogénéité tumorale au stade métastatique des CBNPC constitue
un défi supplémentaire à cette approche.
Les progrès thérapeutiques enregistrés durant ces dix dernières
années sont en fait de deux types : les plus spectaculaires sont
ainsi le fruit du ciblage thérapeutique d’anomalies moléculaires
telles que les mutations activatrices de l’EGFR avec les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR (9) ou les translocations
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impliquant le gène ALK avec le crizotinib (10) ; la survie médiane
des patients atteints de mutation de l’EGFR est ainsi passée
de 13 mois à plus de 27 mois, ce qui constitue un progrès à
peine imaginable à l’orée des années 2000 (11, 12). Ces progrès
concernent malheureusement une minorité de patients, le
plus souvent atteints d’un adénocarcinome indépendamment
de toute exposition tabagique. Pour la majorité des patients
atteints de CBNPC induit par l’exposition tabagique, parfois
potentialisée par d’autres facteurs, notamment professionnels,
les progrès constatés durant cette décennie sont d’ordre “stratégique”, consistant en une meilleure combinaison des armes
thérapeutiques à notre disposition, et utilisant également
certaines innovations thérapeutiques telles que les traitements
ciblant l’angiogenèse tumorale (13) ou l’EGFR sauvage (14).
Ces progrès stratégiques, tels que la maintenance thérapeutique (15) ou l’exposition des patients à plusieurs lignes de traitement (16), ont été induits par la disponibilité de traitements
mieux tolérés, pouvant être administrés parfois sur de longues
périodes, contribuant ainsi à un bénéfice thérapeutique non
négligeable en termes d’efficacité et de tolérance. Les algorithmes de traitement reflètent cette évolution, distinguant les
formes de CBNPC dépendant d’une voie oncogénique identifiée,
pour lesquels le traitement est axé sur cette voie de signalisation, des autres CBNPC, où la stratégie thérapeutique intègre
plusieurs lignes de traitement. Les progrès technologiques de
l’analyse génomique ou protéomique permettront peut-être
de franchir un nouveau pas dans la prise en charge des CBNPC.
Néanmoins, de nombreuses barrières – techniques, scientifiques, méthodologiques, logistiques et commerciales – subsistent avant que l’utilisation en routine clinique de ces nouveaux
marqueurs biologiques ne puisse se traduire concrètement par
une amélioration des résultats thérapeutiques grâce à une
meilleure adaptation individuelle des traitements. C’est le défi
de cette nouvelle décennie.
M. Pérol
(Département de médecine, Centre Léon-Bérard, Lyon)
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