La Lettre du Psychiatre - vol. I - n°2 - mai-juin 2005
Mise au point
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pacité à reconnaître certaines actions ou états mentaux comme
les siens propres aux symptômes positifs. Parmi ces derniers, les
symptômes de premier rang (SPR), décrits par K. Schneider, se
caractérisent en effet par le sentiment de ne pas être l’auteur de
certaines de ses propres productions mentales ou de ses propres
actions. Les SPR se manifestent sous la forme d’hallucinations
en deuxième ou en troisième personne (la patient entend des voix
qui lui parlent ou parlent de lui, alors même que personne ne
s’adresse à lui) (7),d’un syndrome d’influence, de pensées impo-
sées ou d’une diffusion de la pensée (le patient a le sentiment que
des pensées quittent son esprit). Un phénomène inverse à ce qui
est observé lors de ces SPR (où les autres font agir le sujet ou
agissent sur lui) est parfois rapporté par les patients : certains
sujets schizophrènes ont en effet l’impression de pouvoir faire
agir les autres. On peut également rapprocher des SPR le délire
de référence, dans lequel l’environnement agit en fonction du
sujet. Au total, ces symptômes se caractérisent par le fait que le
patient ne sait pas qui, de lui ou d’autrui, est à l’origine de telle
ou telle action. C’est pourquoi on peut rassembler ces symptômes
dans un cadre plus général : celui des troubles de l’attribution des
actions. Comprendre leur production nécessite de comprendre les
mécanismes permettant au sujet de séparer ce qui vient de lui de
ce qui est produit par autrui.
Ces mécanismes peuvent être considérés en termes de “repré-
sentations partagées”. M. Jeannerod a désigné par cette expres-
sion le réseau cérébral commun aux actions effectuées par le sujet
et à celles qui le sont par autrui. En effet, le fait d’agir ou d’ob-
server l’action d’un autre, ou encore d’imaginer une action, active
un même réseau cérébral. Cela a tout d’abord été montré en électro-
physiologie animale par l’équipe de G. Rizzolatti (8),à Parme.
Ultérieurement, des travaux en neuro-imagerie fonctionnelle ont
apporté des arguments en faveur de l’existence de mécanismes
similaires chez l’homme. Les aires communes à l’observation, à
l’exécution et à la limitation des actions (c’est-à-dire les aires qui
sont activées de la même manière quand le sujet agit, observe une
action ou se représente mentalement une action) impliquent le
cortex pariétal, le gyrus cingulaire, le gyrus supramarginal, une
partie de l’aire prémotrice, l’aire motrice supplémentaire, ainsi
que l’insula et le cervelet (9). Or, ce réseau s’active anormale-
ment chez les patients schizophrènes devant réaliser une tâche
d’attribution d’actions, comme l’ont montré des résultats récents (10).
Quels sont les facteurs responsables des anomalies d’attribution
des actions présentées par les patients schizophrènes ? Une pre-
mière manière de les interpréter consiste à les considérer comme
une des conséquences d’un trouble du contrôle cognitif de l’action.
Selon cette hypothèse, la mise en œuvre d’une action nécessite
de prendre en compte à la fois les stimuli sensoriels, le contexte
et les données en mémoire, dans le cadre d’une cascade cognitive
(11). Une altération de ces processus pourrait conduire à la fois
à une désorganisation du comportement du patient lui-même,
mais également à une mauvaise compréhension du comporte-
ment des autres et en, particulier, à des interprétations erronées
de leurs intentions ou de leurs actions.
Dans une expérience récente (12),trois niveaux de contrôle exé-
cutif ont été évalués chez 17 patients schizophrènes et 17 témoins
sains. Les sujets étaient assis face à un écran d’ordinateur sur
lequel apparaissaient des rectangles de couleur (un rectangle par
essai), leur main droite étant placée sur un boîtier de réponse
comprenant trois touches. Ils devaient réaliser des actions dans
trois types d’essai différents : dans le premier type d’essai “sti-
mulo-induit”, ils devaient appuyer sur une touche en réponse à
un stimulus quelle que soit sa couleur ; dans le deuxième type
d’essai, ils devaient appuyer sur une touche de couleur identique
à celle du stimulus présenté (une complexité supplémentaire était
donc introduite) ; enfin, dans le troisième type d’essai, une règle
imposait une permutation (si la couleur bleue apparaissait, le
sujet devait par exemple répondre “vert” ; si c’était le jaune, il
devait répondre “bleu” ; etc.). Lors de l’ajout de chaque opéra-
tion supplémentaire, le temps de réaction des sujets sains aug-
mentait de manière modérée. Dans la troisième condition, leur
temps de réaction diminuait au fil des essais jusqu’à tendre pro-
gressivement vers le temps de réaction de la deuxième condition.
Ce résultat signifie que ces sujets ont été capables d’automatiser
la règle qui leur a été fournie : ils exécutaient la tâche automati-
quement au bout de 5 ou 6 blocs de 15 essais. En revanche, les
sujets schizophrènes n’ont pas été aptes à automatiser cette règle.
Le passage de la première étape à la deuxième étape ne leur a pas
coûté beaucoup en termes de temps : l’augmentation de leur temps
de réponse était proportionnel à ce qui a été observé chez les sujets
sains. En revanche, lors du passage de la deuxième à la troisième
étape, les patients ont montré une diminution considérable de leurs
performances, se traduisant par une augmentation très importante
de leur temps de réaction, non proportionnelle à l’augmentation
mise en évidence chez les témoins sains. Par ailleurs, leur temps
de réaction ne diminuait pas au fil des blocs, ce qui met en évi-
dence leur incapacité à automatiser la règle proposée. D’une part,
ces résultats montrent la difficulté des patients schizophrènes dans
la gestion d’une tâche complexe nécessitant le traitement simul-
tané d’informations de plusieurs types. D’autre part, ils mettent en
évidence l’existence d’une anomalie dans le traitement des situa-
tions répétitives. En effet, le fait de ne pouvoir automatiser des
séquences sensorimotrices simples place les patients dans la néces-
sité d’avoir à reconstruire des procédures à chaque situation, ce qui
s’avère extrêmement coûteux pour eux et participe aux difficultés
sévères qu’ils présentent dans la vie quotidienne. Ces anomalies
exécutives pourraient jouer un rôle dans les troubles de la planifi-
cation de l’action (3) et dans la désorganisation schizophrénique.
Cela reste néanmoins à démontrer par des études sur de plus grands
échantillons permettant d’analyser les performances des patients
en fonction de la présence des symptômes concernés.
ANOMALIES DE LA PERCEPTION DU TEMPS
DANS LA SCHIZOPHRÉNIE
Les anomalies dans le domaine de l’action peuvent être considé-
rées sous un autre angle : celui de la perception du temps lié à
l’exécution des actions et à leurs conséquences. Les premières
descriptions rapportant une perturbation de la sensation du temps
dans la schizophrénie sont anciennes. Dès les années 1930, Min-
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