L’Encéphale (2009) Supplément 1, S2–S5 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p L’enfance du schizophrène D. Da Fonseca Service de Pédopsychiatrie ; Hôpital Sainte Marguerite, 370, boulevard Sainte Marguerite, 13009 Marseille MOTS CLÉS Enfance du schizophrène ; Facteurs de risque périnataux ; Facteurs de risque développementaux ; Facteurs de risque psychosociaux ; Phase prémorbide Résumé L’étude de l’enfance du schizophrène nous permet d’identifier les différents facteurs de risque qui participent au développement de la maladie. Nous définirons plus spécifiquement les facteurs de risques périnataux : la saison et le lieu de naissance, l’exposition virale pendant la grossesse et les complications obstétricales. Les facteurs développementaux seront également évoqués. Les troubles de la socialisation, du langage, du développement psychomoteur et cognitif sont autant de difficultés développementales retrouvées pendant l’enfance du schizophrène. Enfin, nous terminerons en mentionnant quelques facteurs de risques psychosociaux. KEYWORDS Childhood of a schizophrenic patient ; Perinatal risk factors ; Developmental risk factors ; Psychosocial risk factors ; Premorbid phase. Abstract We are able to identify the different risk factors involved in the development of the disorder from a study of the childhood of a schizophrenic patient. More specifically, we will define the perinatal risk factors : season and place of birth, viral exposure during pregnancy and obstetric complications. Developmental factors will also be discussed. Socialisation, language, psychomotor and cognitive development disorders are all developmental difficulties seen during the childhood of the schizophrenic patient. Finally we will finish by discussing a few psychosocial risk factors. Pourquoi s’intéresser à l’enfance du schizophrène ? Il s’agit de mieux comprendre la phase prémorbide de la schizophrénie. En d’autres termes, l’étude de l’enfance du schizophrène nous permet d’identiÀer les différents facteurs de risque qui participent au développement de la maladie * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] ConÁits d’intérêts : none. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. schizophrénique. Nous déÀnirons dans un premier temps les facteurs de risques périnataux, dans un deuxième temps les facteurs de risque développementaux et enÀn les facteurs de risque psychosociaux. L’enfance du schizophrène Les facteurs de risque périnataux Il existe de nombreuses études qui ont tenté d’identiÀer chez des patients schizophrènes des facteurs de risque périnataux [e.g. 19, 20]. Nous retrouvons en effet, plus de naissances en hiver chez les sujets schizophrènes par rapport aux sujets contrôles [13]. Plusieurs hypothèses ont été proposées. Certains auteurs expliquent cette différence par l’exposition à des agents infectieux saisonniers à des agents toxiques ou à encore des facteurs hormonaux [e.g. 13]. Le lieu de naissance a fait également l’objet de nombreuses études [e.g. 18, 19]. Il semble que les sujets schizophrènes naissent plus fréquemment que les sujets contrôles dans les zones à haute densité urbaine. Certaines études montrent d’ailleurs que ces deux variables – saison de naissance en hiver et lieu de naissance en ville – sont très corrélées. Cette forte corrélation présuppose une probable origine infectieuse [18]. Le virus de la grippe est également proposé dans de nombreuses études [e.g. 19]. Mais les résultats sont assez contradictoires, du fait des méthodologies utilisées. En effet, la plupart des études utilisent des méthodes probabilistes sans mesure directe de l’exposition au virus [19]. En revanche, les données pour la rubéole semblent un peu plus signiÀcatives. Il semble que les sujets exposés pendant le premier trimestre aient un risque accru par rapport aux sujets contrôles. Contrairement aux études concernant la grippe, ces dernières études ont mesuré réellement l’exposition au virus [1]. Les complications obstétricales ont été également étudiées. Il semble que tous les événements qui engendrent une hypoxie soient des facteurs de risque potentiels : la rupture prématurée des membranes, la prématurité, la réanimation néonatale, une pré-éclampsie et un faible poids de naissance. Ces différentes complications sont donc plus fréquemment retrouvées dans les antécédents des sujets schizophrènes que chez les sujets témoins [e.g. 4, 7]. L’exposition au stress in utero serait également un facteur de risque signiÀcatif ainsi que la dépression maternelle [e.g. 19]. Les carences nutritionnelles ont été étudiées, mais sans données vraiment probantes dans la littérature, ainsi que les carences en acide folique et en vitamine D, ce dernier facteur pouvant être aussi lié aux naissances plus fréquentes en hiver chez les sujets schizophrènes. EnÀn, les facteurs de risque toxiques et médicamenteux ont également été proposés, mais avec des résultats contradictoires [e.g. 12, 19, 20]. Au total, les différentes études démontrent la présence de nombreux facteurs de risque périnataux pendant l’enfance des schizophrènes. En revanche, la nature du lien de causalité entre d’une part les facteurs de risques périnataux et la schizophrénie reste inconnue. La première hypothèse serait que ces facteurs de risque engendrent des anomalies cérébrales précoces, qui elles-mêmes seraient responsables des troubles schizophréniques. Mais nous pouvons tout autant imaginer qu’un trouble psychopathologique maternel (par exemple une mère schizophrène) engendre un suivi de grossesse catastrophique et des risques périna- S3 taux plus nombreux. Alors, les seuls facteurs génétiques ne sont pas à l’origine des troubles de l’enfant. Dans ce cas, on n’aurait plus un lien de causalité direct, mais un lien indirect par une variable intermédiaire comme la psychopathologie parentale. Autre hypothèse possible : les facteurs de risque périnataux pourraient engendrer des anomalies cérébrales précoces qui pourraient elles-mêmes être responsables d’un trouble de la relation précoce, qui à son tour pourrait être un facteur de risque supplémentaire pour développer une schizophrénie. Ainsi, bien que les facteurs de risque périnataux soient bien identiÀés, la nature des relations entre les différentes variables reste à explorer. Nous ne savons pas encore comment ces différentes variables s’organisent entre elles ni à quel moment pour développer ou pas un trouble psychopathologique tel que la schizophrénie [e.g. 19, 20]. Les facteurs de risque développementaux En dehors des facteurs de risque périnataux, nous retrouvons également dans l’enfance des schizophrènes de nombreux troubles du développement que nous déÀnirons comme des facteurs de risque développementaux. Il est important de noter ici, que l’on peut considérer ces facteurs de risque développementaux, comme des signes prémorbides ou des signes avant-coureurs de la maladie. Les difÀcultés de socialisation sont les problèmes les mieux documentés dans la littérature. Certaines études rétrospectives réalisées chez les sujets schizophrènes, retrouvent des enfants plus souvent isolés et repliés sur eux-mêmes, des enfants plutôt passifs, trop sages voire « impopulaires » [e.g. 8]. Jones et al. [10] retrouvent également dans l’enfance des schizophrènes une préférence pour les jeux solitaires. EnÀn, dans une étude prospective, Cannon, et al. [5] ont comparé dans une population clinique, les enfants qui allaient devenir schizophrènes avec ceux qui allaient développer d’autres troubles psychiatriques. Il semble que ce soit la méÀance et la susceptibilité qui différencient le mieux les deux populations. En d’autres termes, on retrouve plus de méÀance et de susceptibilité pendant l’enfance du schizophrène. Cette étude retrouve également chez les schizophrènes des antécédents plus fréquents de difÀcultés relationnelles avec les pairs et les enseignants. Les difÀcultés sociales sont donc probablement les signes précurseurs les plus fréquents chez l’enfant à risque de développer une schizophrénie. Les troubles du comportement sont aussi des signes fréquemment retrouvés pendant l’enfance du schizophrène. Nous retrouvons en effet, une impulsivité, une agressivité, une hostilité, une agitation ainsi qu’une irritabilité plus importantes. Cannon et al. [3] soulignent d’ailleurs que ces troubles du comportement pourraient prédire le type de schizophrénie avec en l’occurrence une prédominance de signes positifs. À l’inverse, ces mêmes auteurs stipulent que les enfants ayant des troubles de la socialisation (isolés, très timides, etc.) seraient susceptibles de développer une schizophrénie avec des signes négatifs prédominants. Ces éléments sont à considérer avec prudence car ils n’ont pas été conÀrmés par d’autres études. S4 Les troubles du langage tels que les troubles du langage expressif, les troubles mixtes du langage, les troubles de l’articulation, les atypies langagières avec une écholalie semblent aussi plus fréquents chez les sujets schizophrènes [10]. Sur le plan psychomoteur, certaines études retrouvent des retards du développement moteur [e.g. 6]. Rosso et al. [15] montrent effectivement plus souvent des troubles de la coordination chez les futurs schizophrènes que chez les sujets contrôles. Sur le plan cognitif, on retrouve également chez les enfants devenus schizophrènes des QI plus faibles par rapport aux sujets témoins. Il faut noter que ce QI est d’autant plus faible que la schizophrénie débute tôt. Les fonctions exécutives semblent particulièrement déÀcientes chez les futurs schizophrènes. EnÀn, certaines études relatent pendant l’enfance du schizophrène plus de troubles de la concentration, de troubles de l’attention et de troubles de la mémoire verbale [2, 6, 14, 15]. D’autres études, la plupart scandinaves, ont étudié les parcours scolaires des sujets schizophrènes. Jones et al. [10], dans une étude prospective sur plus de 13 000 sujets, retrouvent un niveau scolaire plus faible chez les garçons par rapport aux sujets contrôles. En revanche, les Àlles schizophrènes ne semblent pas avoir eu plus de difÀcultés scolaires que les Àlles témoins. Les sujets schizophrènes ont par ailleurs été souvent considérés comme un peu atypiques, ou comme « hyperactifs ». Les troubles spéciÀques des apprentissages (dyscalculies, dyslexies) sont signiÀcativement plus fréquents chez les sujets qui ont développé une schizophrénie que chez les sujets sans troubles psychopathologique. En revanche, Cannon et al. [3] n’ont pas retrouvé de différences au niveau des apprentissages entre les futurs schizophrènes et les autres, mais plutôt au niveau des activités physiques et manuelles ce qui corrobore les difÀcultés psychomotrices décrites précédemment. À l’instar des troubles cognitifs, ces troubles des apprentissages seront d’autant plus importants que l’apparition du trouble débute tôt. A contrario, d’autres études mettent en évidence de très bons résultats scolaires chez les futurs schizophrènes [9]. EnÀn, pour Ànir avec les facteurs de risques développementaux, certains auteurs retrouvent une énurésie, des troubles du sommeil et des troubles de l’appétit plus fréquents. Certains ont retrouvé également des signes neurologiques mineurs et des anomalies physiques minimes, (PC augmenté, hypertélorisme, dermatoglyphes) ce qui signerait l’origine neuro-développementale de la maladie [11, 21]. Les facteurs de risque psychosociaux Certaines études ont identiÀé des relations mère-enfant de plus mauvaise qualité dans les antécédents des sujets schizophrènes. Tienari [16] a comparé des enfants de mères schizophrènes adoptés par des familles stables, avec des enfants de mères schizophrènes adoptés par des familles instables. Logiquement, les enfants élevés dans un milieu aversif ont développé plus fréquemment une schizophrénie que les enfants élevés dans un milieu stable. Cette étude D. Da Fonseca met bien en évidence l’impact des facteurs psychoaffectifs dans le déroulement de la maladie. L’isolement social est également un facteur de risque [17]. Le milieu social ainsi que la maltraitance ont été également proposés comme des facteurs de risque potentiels mais sans données vraiment signiÀcatives. D’autres études ont identiÀé chez les sujets schizophrènes des dynamiques intrafamiliales bouleversées et une communication discordante ou plutôt rigide. Cependant, le lien de causalité reste incertain. Ces difÀcultés familiales sont peut-être la conséquence des difÀcultés quotidiennes vécues par les parents. Cette dynamique familiale a incontestablement une inÁuence déterminante sur l’évolution du trouble. EnÀn, les travaux concernant l’émotionnalité exprimée (types éducatifs particulièrement hostiles et critiques), démontrent qu’il s’agit d’un facteur de risque de rechute signiÀcatif. Conclusion Il semble que l’enfance du schizophrène soit émaillée d’une multitude de facteurs de risque périnataux, développementaux et psychosociaux en comparaison à l’enfance des sujets sains. Ces multiples facteurs de risque sont-ils pour autant spéciÀques de la schizophrénie ? Il semble en effet, que chez les enfants présentant un trouble envahissant du développement, on retrouve des facteurs de risque assez similaires. De la même manière, ces facteurs de risque se retrouvent dans de nombreux autres troubles psychopathologiques. Nous pouvons donc penser que ces facteurs de risque environnementaux sont aspéciÀques dans la mesure où ils favorisent le développement de divers troubles psychiatriques. En revanche, ce sont probablement les facteurs génétiques associés qui vont déterminer le type de trouble psychopathologique. Ce modèle de vulnérabilité qui prend en compte à la fois les facteurs génétiques et les facteurs environnementaux semble actuellement le plus pertinent pour comprendre l’éthiopathogénie de la schizophrénie. Il n’existe donc pas dans l’enfance ou dans l’histoire développementale d’un sujet de signes qui nous permettent de prédire de manière certaine la survenue d’une schizophrénie. En revanche, il serait peut-être intéressant dans le futur d’essayer d’identiÀer des précurseurs plus spéciÀques de la schizophrénie. En effet, la plupart des études comparent l’enfance des sujets schizophrénies avec celle de sujets sains. Seules des études comparant l’enfance des sujets schizophrènes avec celle de sujets présentant d’autres troubles psychopathologiques pourraient permettre d’identiÀer des facteurs de risque vraiment spéciÀques. EnÀn, même si ces facteurs de risque sont peu spéciÀques de la schizophrénie, leur présence simultanée et leur persistance doivent alerter le clinicien sur la probabilité non négligeable de développer une schizophrénie. Il ne s’agit pas de présenter l’enfant comme un sujet à haut risque de schizophrénie, mais de lui proposer une prise en charge adaptée à ses réelles difÀcultés développementales. Ainsi, le suivi individuel, familial et scolaire devrait permettre de diminuer le risque de développer une schizophrénie. L’enfance du schizophrène Références [1] Brown AS, Cohen P, Greenwald S et al. Nonaffective psychosis after prenatal exposure to rubella. Am J Psychiatry 2000 ; 157 (3) : 438-43. [2] Cannon M, Caspi A, Moffi T et al. Evidence for early-childhood, pan-developmental impairment specific to schizophreniform disorder. Arch Gen Psychiatry 2002 ; 59 (5) : 449-56. [3] Cannon M, Jones P, Huttunen MO et al. School performance in Finnish children and later development of schizophrenia : a population-based longitudinal study. Arch Gen Psychiatry 1999 ; 56 (5) : 457-63. [4] Cannon M, Jones PB, Murray RM. Obstetric complications and schizophrenia : historical and meta-analytic review. 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