Schizophrénie et sujet âgé

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L’Encéphale (2009) Supplément 1, S41–S44
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p
Schizophrénie et sujet âgé
F. Limosin
CHU de Reims
MOTS CLÉS
Schizophrénie ;
Vieillissement ;
Gérontopsychiatrie ;
Surmortalité
prématurée
KEYWORDS
Schizophrenia ;
Ageing ;
Psychogeriatrics ;
Excess premature
Mortality
Résumé Malgré une mortalité prématurée qui reste environ 2 fois plus importante qu’en population
générale, l’allongement de la durée de vie moyenne des patients souffrant de schizophrénie et les
particularités cliniques et de prise en charge qui y sont liées interrogent nos pratiques et nous confrontent
à un double défi. En premier lieu, il est nécessaire de mieux caractériser ces patients âgés, en réalisant
des études spécifiques et rigoureuses, qu’elles soient épidémiologiques, cliniques, pharmacologiques ou
cognitives. Parallèlement, il apparaît essentiel de quantifier précisément l’offre actuelle de soins
spécialisés dans l’accueil, l’évaluation et la prise en charge de ces patients, afin de pouvoir développer
les structures alternatives les plus adéquates, et ainsi mieux répondre à ce véritable enjeu de Santé
Publique.
Abstract Despite premature mortality of still approximately twice that in the general population, the
increase in mean lifespan of people suffering from schizophrenia and the specific clinical and
management features of this disorder raise questions in our practice and present us with a dual
challenge. Firstly we need to better characterise these elderly patients by conducing specific rigorous
studies, epidemiological, clinical, pharmacological and cognitive. In parallel it would seem essential to
precisely quantify the current specialist care offered in receiving, assessing and managing these patients
in order to be able to develop the most appropriate alternative structures and best meet this true public
health challenge.
On assiste à une augmentation progressive et constante de
l’espérance de vie dans l’ensemble des pays occidentaux.
Entre 1950 et 2004, l’espérance de vie a augmenté de
13,3 ans pour les hommes et 14,6 ans pour les femmes,
soit en moyenne d’une année supplémentaire environ tous
les quatre ans [3]. En 2006, en France métropolitaine, l’espérance de vie moyenne était estimée à 84,1 ans pour les
* Auteur correspondant.
E-mail : Á[email protected]
ConÁits d’intérêts : none.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
femmes et 77,2 ans pour les hommes [11]. Cette évolution
démographique a de multiples implications, qu’elles soient
médicales, sociales ou économiques.
L’allongement de l’espérance de vie s’accompagne
d’une augmentation de la prévalence des pathologies liées
à l’âge. Parallèlement, le praticien est de plus en plus
confronté à des patients souffrant de pathologies d’évolu-
S42
tion chronique qui, avec l’âge, peuvent revêtir des expressions cliniques particulières et requérir des adaptations
thérapeutiques spéciÀques.
Dans le champ des troubles mentaux, cet allongement
de l’espérance de vie est également constaté chez les
patients souffrant de schizophrénie, même si il est de moindre ampleur. Ainsi, on observe encore chez les patients schizophrènes un risque de mortalité prématurée (avant l’âge
de 65 ans) 2 à 3 fois supérieur à celui constaté en population générale [5,12]. L’allongement de la durée de vie
moyenne des patients schizophrènes, même si il est moins
signiÀcatif qu’en population générale, implique néanmoins
diverses conséquences [4] : plus grande fréquence des
pathologies somatiques liées à l’âge, majoration des altérations cognitives, perte d’autonomie susceptible de nécessiter un changement du lieu de vie du patient.
Pourtant, les études spéciÀquement consacrées aux
patients schizophrènes âgés sont encore très peu nombreuses,
qu’elles soient épidémiologiques, cliniques, cognitives, en
imagerie cérébrale, ou qu’il s’agisse d’essais thérapeutiques.
Parallèlement, l’amélioration globale des soins dont
bénéÀcient les patients souffrant de schizophrénie a permis une diminution du nombre de lits d’hospitalisation et
des durées de séjour, avec développement de structures
ambulatoires alternatives, qu’elles soient sanitaires ou
médico-sociales. Mais ces structures alternatives n’ont pas
été conçues pour répondre aux besoins spéciÀques des
patients les plus âgés, et on constate aujourd’hui un manque criant de lieux de vie adaptés.
Face à ce qui peut être considéré comme un enjeu
majeur de Santé Publique, il est urgent de davantage
prendre en considération les spécificités du trouble liées à
l’âge, et de développer une offre de soins adaptés.
Santé physique et surmortalité prématurée
On observe chez les patients souffrant de schizophrénie un
risque de mortalité prématurée (avant l’âge de 65 ans) 2 à
3 fois supérieur à celui constaté en population générale,
l’espérance de vie d’un patient schizophrène étant en
moyenne amputée de 20 % [5,12]. La première cause de
cette surmortalité est le suicide [9], mais les autres causes
de mortalité (causes accidentelles, causes médicales) sont
également surreprésentées chez les patients schizophrènes. C’est particulièrement le cas des maladies cardiovasculaires et respiratoires [7]. Cette surreprésentation
s’explique en grande partie par une augmentation des facteurs de risque liés à la maladie (sédentarité, tabagisme,
alcoolisme, mauvaise hygiène alimentaire, surcharge pondérale (Encadré 1)). Un facteur de risque supplémentaire
est représenté par les effets iatrogènes de certains traitements, c’est notamment le cas du syndrome métabolique
induit par certains antipsychotiques. Concernant les cancers, les études épidémiologiques sont plus contrastées,
mais il semblerait néanmoins que, globalement, les patients
schizophrènes présentent, là encore, un risque majoré.
Le moindre accès aux soins somatiques des patients
schizophrènes représente un autre facteur explicatif de la
F. Limosin
surmortalité observée dans ce groupe de patients. Chez le
patient schizophrène, les pathologies somatiques sont
dépistées plus tardivement et bénéÀcient d’une prise en
charge thérapeutique souvent moins rigoureuse. En effet,
les patients schizophrènes présentent des difÀcultés d’identiÀcation des symptômes d’alerte (douleur, Àèvre…), parfois interprétées comme des manifestations délirantes,
ainsi qu’une moins bonne observance des traitements proposés. De surcroît, ces patients n’ont que rarement un
médecin généraliste référent. EnÀn, il existe parfois une
réticence des psychiatres à considérer ou à traiter les problèmes somatiques de leurs patients atteints de schizophrénie. À partir de l’étude CATIE, Nasrallah et al. [10] ont
ainsi montré qu’à l’inclusion, 30 % des patients présentaient un diabète non traité et 62 % une hypertension artérielle non prise en charge.
Afin d’améliorer la santé physique du patient souffrant
de schizophrénie et ainsi contribuer à la diminution de la
surmortalité prématurée, il convient avant tout de renforcer la prévention, en ayant pour premier objectif de
réduire les facteurs de risque, de surveiller étroitement la
tolérance à moyen et long des antipsychotiques prescrits,
et d’améliorer le dépistage des troubles organiques en
ayant recours plus systématiquement à un médecin généraliste référent et à la réalisation de bilans somatiques et
biologiques.
ENCADRÉ N° 1
Étude sur la prévalence de la surcharge pondérale
et de l’obésité chez les patients souffrant
de schizophrénie en France
En 2005-2006, a été menée une enquête nationale de
grande ampleur sur une population de plus de 5 700 patients
schizophrènes. L’échantillon était constitué d’une majorité
d’hommes (62 %), avec un âge moyen à l’inclusion de
37 ans. L’index de masse corporelle moyen était de 25,5,
avec une prévalence de surcharge pondérale de 29 %
(IMC > 25), et d’obésité de 17 % (IMC > 30) [8]. Les hommes
étaient surtout concernés par une surcharge pondérale
(prévalence de 31 % contre 17 % en population générale,
soit un risque d’environ x2). En revanche l’obésité touchait
davantage les femmes (prévalence de 22 % contre 8 % en
population générale, soit un risque de près de x3).
Évolution symptomatique avec l’âge
Malgré le biais d’évaluation représenté par la moindre
expression verbale chez les patients schizophrènes âgés,
on constate un abrasement des symptômes positifs, avec
réduction des productions délirantes. La même tendance
est retrouvée pour les symptômes thymiques aigus, mais
en revanche chez le patient schizophrène âgé on constate
une plus grande fréquence des symptômes dépressifs subsyndromiques. À l’inverse de la population générale, il
n’existe pas de pic de suicide chez le sujet schizophrène
âgé, le risque maximal se situant en début de maladie.
Schizophrénie et sujet âgé
Même si il est classique de décrire une tendance à la
majoration de la symptomatologie négative avec l’âge, il
convient de souligner que l’on ne dispose que de très peu
d’études cliniques rigoureuses réalisées chez le patient
schizophrène âgé.
Après 65 ans, les altérations cognitives liées au trouble se majorent principalement chez les patients ayant été
hospitalisés au long cours, avec des tableaux cliniques distincts des syndromes démentiels classiques.
Face à cette évolution symptomatique et compte-tenu
des profils de tolérance liés à l’âge, quel traitement antipsychotique privilégier chez le sujet schizophrène âgé ?
Globalement mieux tolérés que les neuroleptiques classiques, les antipsychotiques atypiques seront préférés, en
tenant compte néanmoins des facteurs de risque cardiovasculaires et athéromateux. Il a été en effet montré que
chez les sujets âgés déments, les antipsychotiques atypiques pouvaient être à l’origine d’accidents vasculaires
cérébraux. Il faut encore souligner ici le manque d’études
contrôlées, d’essais thérapeutiques réalisés chez le patient
schizophrène âgé, ne permettant pas de conclure sur l’opportunité d’une adaptation des posologies. Il semblerait
toutefois, et on peut se référer au consensus d’experts
dont les recommandations ont été publiées par Alexopoulos
et al. [1], que les posologies préconisées soient sensiblement inférieures à celles de l’adulte.
Les schizophrénies à début tardif
Les schizophrénies à début tardif, au-delà de 60 ans, sont
peu fréquentes et relèvent dans la majorité des cas d’un diagnostic différentiel, qu’il s’agisse d’étiologie organique, de
confusion, de démence, d’épisodes dépressifs majeurs avec
une expression symptomatique à type de délires, d’hallucinations. Il faut également souligner que chez les personnes
âgées autonomes, sans antécédents psychiatriques, 2 à 5 %
développent de façon isolée des idées délirantes, le plus
souvent de préjudice, et 4 à 5 % des hallucinations.
Deux autres diagnostics différentiels, psychiatriques,
doivent être éliminés : un épisode psychotique aigu réactionnel et un délire tardif de préjudice. L’épisode psychotique aigu réactionnel survient en général au décours d’événements de vie particulièrement stressants, et est souvent
associé à des déficits sensoriels. Le délire tardif de préjudice est essentiellement sous-tendu par des mécanismes
imaginatifs et interprétatifs, et des thématiques focalisés
sur certains aspects de la vie du sujet, comme les préoccupations autour de la santé, des biens ou de la morale. Très
souvent, on retrouve des symptômes anxieux et dépressifs,
ainsi qu’un contexte d’isolement social.
Sur le plan clinique, les formes de schizophrénie à début
tardif se caractérisent par une sur-représentation féminine,
une plus grande fréquence d’hallucinations, qu’elles soient
visuelles, tactiles ou olfactives, et de thèmes de persécution,
moins de symptômes dissociatifs et de symptômes négatifs,
un meilleur fonctionnement prémorbide, une meilleure
réponse aux antipsychotiques, notamment de deuxième
génération, et globalement un meilleur pronostic.
S43
ENCADRÉ N° 2
Évolution du concept de schizophrénie à début tardif
En 1911, Gilbert Ballet introduira le terme de « psychose hallucinatoire chronique », concept qui restera français. En 1914, Albrecht emploiera le terme de « paraphrénie
présénile », et Medow, en 1922, parlera de « psychose d’involution ».
C’est finalement Bleuler qui, en 1943, introduira le
terme de « schizophrénie à début tardif ».
En 1980, la troisième version du DSM exclura la possibilité de porter le diagnostic de schizophrénie en l’absence
de symptômes avant l’âge de 45 ans. En 1987, le DSM-III-R
le permettra, les versions ultérieures des principales classifications diagnostiques internationales (DSM-IV et CIM-10)
ne retenant plus de critère d’âge.
En 2000, Howard et al. publieront un article de référence sur la Late-Onset Schizophrenia (LOS) et la Very-LateOnset Schizophrenia-Like Psychosis (VLOSLP) [6].
La LOS se définit par un début des troubles après l’âge
de 40 ans, ce qui représente environ 20 % de l’ensemble
des cas de schizophrénie. Pour la VLOSLP, le début des
troubles survient après 60 ans. Dans la VLOSLP, les déficits
sensoriels sont très fréquemment associés et on retrouve
dans la majorité des cas un contexte d’isolement social. La
VLOSLP se caractérise également par la fréquence d’une
co-agrégation familiale de troubles de l’humeur, ce qui
permet de s’interroger sur les limites nosographiques de
cette entité, et de son « appartenance » réelle au spectre
de la schizophrénie. D’autant plus que l’efficacité des antidépresseurs dans ces formes très tardives a été rapportée
par plusieurs auteurs.
Prise en charge thérapeutique des formes
de schizophrénie à début tardif :
notamment dans le cadre des VLOSLP, il convient au préalable de tenir compte des éventuels déficits sensoriels
associés, de lutter contre l’isolement social et relationnel,
et de proposer une approche psychologique systématique.
Sur le plan médicamenteux, on privilégiera les antipsychotiques atypiques, après évaluation des éventuels autres
facteurs de risque d’accidents vasculaires. Concernant les
posologies recommandées dans les VLOSLP, il est préconisé
de débuter le traitement à une posologie correspondant
à environ 1/10e de la posologie moyenne efficace dans le
traitement de la schizophrénie de l’adulte.
Conclusion
Compte tenu de l’évolution démographique, et malgré
une surmortalité prématurée qui reste très importante
chez nos patients souffrant de schizophrénie, nous allons
être de plus en plus confrontés, dans notre pratique quotidienne, aux particularités cliniques et de prise en charge
des patients âgés.
S44
Dans ce contexte, il est urgent d’initier des études
rigoureuses et de grande ampleur, qu’elles soient épidémiologiques, cliniques, pharmacologiques ou cognitives.
L’objectif est également de mieux connaître l’offre de soins
actuellement disponibles en France pour l’accueil, l’évaluation et la prise en charge spécialisés de ces patients,
afin de pouvoir identifier les besoins exacts en structures
alternatives.
Il faut également raisonner en tenant compte des paramètres somatiques, et développer les actions de soins,
d’éducation et de prévention.
Références
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Using antipsychotic agents in older patients. J Clin Psychiatry
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F. Limosin
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[12] Saha S, Chant D, McGrath J. A systematic review of mortality in
schizophrenia : is the differential mortality gap worsening over
time ? Arch Gen Psychiatry 2007 ; 64 (10) : 1123-31.
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