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mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 9, novembre 2000
Prévalence
L’ a vènement des systèmes
critériologiques de dia-
gnostic (DSM IV ou
CIM 10) et des interviews
semi-standardisées offre à
la démarche épidémiolo-
gique des instruments de
mesure de la prévalence consensuellement
reconnus par la communauté scientifique
internationale. La revue des grandes études
conduites dans le monde depuis une dizaine
d’années (tableau I) permet de situer la pré-
valence à un an du trouble schizophrénique
entre 0,5 et 1,5 %, soit une valeur médiane
d’environ 1 % en population générale. La
prévalence sur la vie serait légèrement
supérieure (entre 1 et 1,5 %).
L’étude de l’incidence (taux d’entrée dans la
maladie) révèle, par ailleurs, une baisse sen-
sible dans les pays occidentaux depuis une
trentaine d’années. De fait, plusieurs études
(tableau II), surtout européennes, attestent de
ce phénomène difficilement interprétable :
s’agit-il d’un artefact nosographique (multi-
plication de diagnostics frontières tels que
borderline) ou d’une modification du rapport
morbidité exprimée/morbidité réelle (recours
moins fréquent à l’hospitalisation, prise en
charge hors des circuits de soins habituels :
sectes, groupes de marginaux…). Ou peut-
on considérer qu’il y a une réalité clinique de
cette diminution de la morbidité schizophré-
nique ? Certains y voient le résultat des trai-
tements précocement institués qui multiplient
les formes mineures (non nécessairement
diagnostiquées) ou bien la diminution du rôle
pathogène des facteurs de risque (meilleure
protection maternelle et infantile, améliora-
tion des conditions de vie…).
Mortalité
Le trouble schizophrénique entraîne une
baisse de l’espérance de vie. Celle-ci
résulte, bien sûr, du risque suicidaire,
puisque les schizophrènes y sont presque
autant exposés que les déprimés. Le pas-
sage à l’acte a préférentiellement lieu au
début de la maladie, à la faveur d’idées déli-
rantes ou d’une prise de conscience dou-
loureuse, voire dépressive, du handicap
généré par ce trouble.
En dehors du suicide, on observe également
une surmortalité des schizophrènes par
accident, du fait de conduites à risque, ou
par les conséquences des comorbidités
(alcoolisme et toxicomanie) qui concernent
plus d’un tiers de ces patients. De surcroît,
les schizophrènes souffrent plus souvent de
maladies infectieuses ou d’affections car-
diovasculaires et respiratoires, ainsi que de
troubles endocrinométaboliques (notam-
ment le diabète), susceptibles de mettre leur
vie en danger d’autant que leur compliance
au suivi médical de ces affections n’est pas
facilitée par leur psychopathologie.
Enfin, il faut noter l’existence d’un risque
iatrogène avec certains psychotropes
(fausse route, agranulocy-
tose) dont l’issue peut être
fatale (morts subites…).
Facteurs
psychosociaux
Le trouble schizophrénique est sensiblement
aussi fréquent chez l’homme que chez la
femme. Toutefois, il débute plus précoce-
ment chez l’homme (entre 15 et 25 ans,
moyenne 23 ans) que chez la femme (entre
25 et 35 ans, moyenne 28 ans). Comparati-
vement, le pronostic est plus favorable chez
les femmes qui s’avèrent donc avoir une
meilleure insertion sociale. Pour autant, tous
les schizophrènes, quel que soit leur sexe,
sont plus souvent célibataires (environ 80 %
des cas) et ont une moins bonne qualifica-
tion socioprofessionnelle et donc un niveau
socioéconomique inférieur à celui de la popu-
lation générale.
Les facteurs éthno-culturels sont difficiles à
évaluer pour cette pathologie assez univer-
sellement répandue sur la planète. On note
toutefois qu’elle est plus présente dans cer-
taines régions, comme la péninsule d’Istrie,
en Yougoslavie (isolat génétique ?), et
moins fréquente dans certains pays, notam-
ment en Asie (hétérogénéité diagnos-
tique ?). Par ailleurs, les migrants afro-
cubains du Royaume-Uni semblent plus
exposés que les Britanniques nés en Grande-
Bretagne ; en revanche, l’ÉPIS (Étude pilote
internationale sur la schizophrénie), menée
par l’OMS dans les années 1970, avait
constaté que le pronostic de ce trouble était
meilleur dans les pays du Tiers-Monde mal-
gré une infrastructure sanitaire plus précaire.
Les événements de vie stressants et les diffi-
Les fluctuations de la définition du concept de schizophré-
nie, depuis un siècle, n’ont que récemment permis à l’épi-
démiologie d’engager des études fiables sur cette entité
nosographique, que ce soit l’évaluation de la prévalence
ou l’identification des facteurs de risque.
* Service de psychiatrie d’adultes,
hôpital Albert-Chenevier, Créteil.
Mise au point
Épidémiologie
de la schizophrénie
F. Rouillon, V. Niro*
329
cultés psychosociales dans la biographie et
le développement psychoaffectif jouent un
rôle déterminant, mais difficilement quanti-
fiable, dans le déclenchement de la maladie
et dans les rechutes délirantes.
Facteurs biologiques
Les études d’épidémiologie génétique
(agrégation familiale, études sur jumeaux,
études sur adoptions) confirment toutes
l’existence d’un risque génétique qui reste
à identifier, la transmission étant proba-
blement complexe et loin de rendre compte
de l’ensemble du processus pathogénique.
La revue des travaux sur ce thème permet
de chiffrer le poids des facteurs d’hérita-
bilité selon le degré de parenté avec un
sujet atteint dans la famille (tableau III).
Les facteurs neurodéveloppementaux ont été,
en partie, découverts grâce à l’investigation
épidémiologique. En effet, c’est à partir de
l’observation d’une saisonnalité de naissance
(plutôt hivernale et printanière des schizo-
phrènes) que l’on a pu évoquer l’influence
d’une contamination virale, pendant la gros-
sesse, sur le développement du SNC avec la
survenue ultérieure d’un processus psycho-
tique. De même, les complications obstétri-
cales, particulièrement plus fréquentes chez
les schizophrènes à la naissance, pourraient
expliquer des anomalies neurodéveloppe-
mentales, responsables des troubles cognitifs
de ces patients.
Conclusion
Au-delà de son intérêt pour établir les sta-
tistiques sanitaires, l’épidémiologie de la
schizophrénie devrait permettre de contri-
buer à la compréhension de la genèse de ce
trouble par l’identification de facteurs de
risque et de leur relation avec des dimen-
sions psychopathologiques ou neuropsy-
chologiques retrouvées dans cette maladie.
Enfin, l’épidémiologie d’évaluation offre
des possibilités de comparaison des grandes
stratégies thérapeu-
tiques et d’apprécia-
tion des modalités
évolutives des
patients, chacune
d’elles en fonction des
caractéristiques psy-
chopathologies et psy-
chosociales. De
même, l’approche
médico-économique
permet d’éclairer les
choix d’orientation de
la politique sanitaire
afin d’utiliser les res-
sources budgétaires de
manière optimale.
mise au point
Auteur Méthode Critères Prévalence Prévalence
Dg (Période : 1 an) sur la vie
Levav et al. Birth cohort RDC 0,70 %
(1993) (1949-1958) 0,1 %
N = 4 914 (Israël) (schizo-affectif)
Regier et al. ECA DSM III 1 % 1,50 %
(1988) N = 19 640
(Éttas-Unis 5 états)
Bland et al. Population générale DSM III 0,30 %
(1988) N = 3 258 (Canada)
Canino et al. Population générale DSM III 1,50 % 1,60 %
(1987) N = 1 792 (Porto Rico)
Hwu et al. Population générale DSM III - 0,30 % (métropole)
(1989) N = 11 004 (Taïwan) 0,23 % (villages)
0,23 % (campagne)
Kessler et al. NCS (Usa) DSM III-R 0,52 % 0,69 %
(1994) N= 8 098
Auteurs Lieu Période Résultats
Eagles et Whalley (1985) Écosse 1969 – 1978 !
Munk-Jorgensen (1986) Danemark 1970 – 1984 !
Joyce (1987) Nouvelle-Zélande !
Folnegovic et al. (1990) Yougoslavie "
De Alarcon et al. (1990) Camberweell Afro-Cubains >>
Britanniques (x 4 à 8)
Der et al. (1990) Angleterre/Pays de Galles 1952 – 1970 !
Hafner et Gattaz (1991) Mannheim (Allemagne) "
Castle et al. (1991) Oxford (Angleterre) 1952 – 1970 !
Taux
Parents 1er degré
Parents 4,40 %
Enfants 12,30 %
Enfants (2 parents schizophrènes) 36,60 %
Frères et sœurs 8,50 %
Frères et sœurs (sans parent schizophrène) 8,20 %
Frères et sœurs (avec 1 parent schizophrène) 13,80 %
Jumeaux hétérozygotes sexes différents 5,60 %
Jumeaux hétérozygotes même sexe 12,00 %
Jumeaux homozygotes 57,70 %
Parents 2edegré
Oncles/tantes 2,00 %
Neveux/nièces 2,20 %
Petits-enfants 2,80 %
Demi-frères/Demi-sœurs 3,20 %
Parents 3edegré
Cousins 2,90 %
Tableau I. Prévalence de la schizophrénie.
Tableau III. Risque génétique. Prévalence du trouble schizophrénique
dans les familles de schizophrènes (d’après Faraone et Tsuang, 1995).
Tableau II. Incidence de la schizophrénie.
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