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Épidémiologie
de la schizophrénie
F. Rouillon, V. Niro*
Prévalence
L
es fluctuations de la définition du concept de schizophrénie, depuis un siècle, n’ont que récemment permis à l’épidémiologie d’engager des études fiables sur cette entité
nosographique, que ce soit l’évaluation de la prévalence
ou l’identification des facteurs de risque.
L’avènement des systèmes
critériologiques de diagnostic (DSM IV ou
CIM 10) et des interviews
semi-standardisées offre à
la démarche épidémiologique des instruments de
mesure de la prévalence consensuellement
reconnus par la communauté scientifique
internationale. La revue des grandes études
conduites dans le monde depuis une dizaine
d’années (tableau I) permet de situer la prévalence à un an du trouble schizophrénique
entre 0,5 et 1,5 %, soit une valeur médiane
d’environ 1 % en population générale. La
prévalence sur la vie serait légèrement
supérieure (entre 1 et 1,5 %).
L’étude de l’incidence (taux d’entrée dans la
maladie) révèle, par ailleurs, une baisse sensible dans les pays occidentaux depuis une
trentaine d’années. De fait, plusieurs études
(tableau II), surtout européennes, attestent de
ce phénomène difficilement interprétable :
s’agit-il d’un artefact nosographique (multiplication de diagnostics frontières tels que
borderline) ou d’une modification du rapport
morbidité exprimée/morbidité réelle (recours
moins fréquent à l’hospitalisation, prise en
charge hors des circuits de soins habituels :
sectes, groupes de marginaux…). Ou peuton considérer qu’il y a une réalité clinique de
cette diminution de la morbidité schizophrénique ? Certains y voient le résultat des traitements précocement institués qui multiplient
les formes mineures (non nécessairement
diagnostiquées) ou bien la diminution du rôle
* Service de psychiatrie d’adultes,
hôpital Albert-Chenevier, Créteil.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 9, novembre 2000
pathogène des facteurs de risque (meilleure
protection maternelle et infantile, amélioration des conditions de vie…).
Mortalité
Le trouble schizophrénique entraîne une
baisse de l’espérance de vie. Celle-ci
résulte, bien sûr, du risque suicidaire,
puisque les schizophrènes y sont presque
autant exposés que les déprimés. Le passage à l’acte a préférentiellement lieu au
début de la maladie, à la faveur d’idées délirantes ou d’une prise de conscience douloureuse, voire dépressive, du handicap
généré par ce trouble.
En dehors du suicide, on observe également
une surmortalité des schizophrènes par
accident, du fait de conduites à risque, ou
par les conséquences des comorbidités
(alcoolisme et toxicomanie) qui concernent
plus d’un tiers de ces patients. De surcroît,
les schizophrènes souffrent plus souvent de
maladies infectieuses ou d’affections cardiovasculaires et respiratoires, ainsi que de
troubles endocrinométaboliques (notamment le diabète), susceptibles de mettre leur
vie en danger d’autant que leur compliance
au suivi médical de ces affections n’est pas
facilitée par leur psychopathologie.
Enfin, il faut noter l’existence d’un risque
iatrogène avec certains psychotropes
328
(fausse route, agranulocytose) dont l’issue peut être
fatale (morts subites…).
Facteurs
psychosociaux
Le trouble schizophrénique est sensiblement
aussi fréquent chez l’homme que chez la
femme. Toutefois, il débute plus précocement chez l’homme (entre 15 et 25 ans,
moyenne 23 ans) que chez la femme (entre
25 et 35 ans, moyenne 28 ans). Comparativement, le pronostic est plus favorable chez
les femmes qui s’avèrent donc avoir une
meilleure insertion sociale. Pour autant, tous
les schizophrènes, quel que soit leur sexe,
sont plus souvent célibataires (environ 80 %
des cas) et ont une moins bonne qualification socioprofessionnelle et donc un niveau
socioéconomique inférieur à celui de la population générale.
Les facteurs éthno-culturels sont difficiles à
évaluer pour cette pathologie assez universellement répandue sur la planète. On note
toutefois qu’elle est plus présente dans certaines régions, comme la péninsule d’Istrie,
en Yougoslavie (isolat génétique ?), et
moins fréquente dans certains pays, notamment en Asie (hétérogénéité diagnostique ?). Par ailleurs, les migrants afrocubains du Royaume-Uni semblent plus
exposés que les Britanniques nés en GrandeBretagne ; en revanche, l’ÉPIS (Étude pilote
internationale sur la schizophrénie), menée
par l’OMS dans les années 1970, avait
constaté que le pronostic de ce trouble était
meilleur dans les pays du Tiers-Monde malgré une infrastructure sanitaire plus précaire.
Les événements de vie stressants et les diffi-
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cultés psychosociales dans la biographie et
le développement psychoaffectif jouent un
rôle déterminant, mais difficilement quantifiable, dans le déclenchement de la maladie
et dans les rechutes délirantes.
Tableau I. Prévalence de la schizophrénie.
Auteur
Critères
Dg
Prévalence
(Période : 1 an)
Prévalence
sur la vie
RDC
DSM III
0,70 %
0,1 %
(schizo-affectif)
1%
1,50 %
DSM III
0,30 %
DSM III
1,50 %
1,60 %
DSM III
-
DSM III-R
0,52 %
0,30 % (métropole)
0,23 % (villages)
0,23 % (campagne)
0,69 %
Facteurs biologiques
Regier et al.
(1988)
Les études d’épidémiologie génétique
(agrégation familiale, études sur jumeaux,
études sur adoptions) confirment toutes
l’existence d’un risque génétique qui reste
à identifier, la transmission étant probablement complexe et loin de rendre compte
de l’ensemble du processus pathogénique.
La revue des travaux sur ce thème permet
de chiffrer le poids des facteurs d’héritabilité selon le degré de parenté avec un
sujet atteint dans la famille (tableau III).
Les facteurs neurodéveloppementaux ont été,
en partie, découverts grâce à l’investigation
épidémiologique. En effet, c’est à partir de
l’observation d’une saisonnalité de naissance
(plutôt hivernale et printanière des schizophrènes) que l’on a pu évoquer l’influence
d’une contamination virale, pendant la grossesse, sur le développement du SNC avec la
survenue ultérieure d’un processus psychotique. De même, les complications obstétricales, particulièrement plus fréquentes chez
les schizophrènes à la naissance, pourraient
expliquer des anomalies neurodéveloppementales, responsables des troubles cognitifs
de ces patients.
Bland et al.
(1988)
Canino et al.
(1987)
Hwu et al.
(1989)
Birth cohort
(1949-1958)
N = 4 914 (Israël)
ECA
N = 19 640
(Éttas-Unis 5 états)
Population générale
N = 3 258 (Canada)
Population générale
N = 1 792 (Porto Rico)
Population générale
N = 11 004 (Taïwan)
Kessler et al.
(1994)
NCS (Usa)
N= 8 098
Conclusion
Au-delà de son intérêt pour établir les statistiques sanitaires, l’épidémiologie de la
schizophrénie devrait permettre de contribuer à la compréhension de la genèse de ce
trouble par l’identification de facteurs de
risque et de leur relation avec des dimensions psychopathologiques ou neuropsychologiques retrouvées dans cette maladie.
Enfin, l’épidémiologie d’évaluation offre
des possibilités de comparaison des grandes
Levav et al.
(1993)
Méthode
Tableau II. Incidence de la schizophrénie.
Auteurs
Lieu
Période
Eagles et Whalley (1985)
Munk-Jorgensen (1986)
Joyce (1987)
Folnegovic et al. (1990)
De Alarcon et al. (1990)
Écosse
Danemark
Nouvelle-Zélande
Yougoslavie
Camberweell
1969 – 1978
1970 – 1984
Der et al. (1990)
Hafner et Gattaz (1991)
Castle et al. (1991)
Angleterre/Pays de Galles
Mannheim (Allemagne)
Oxford (Angleterre)
stratégies thérapeutiques et d’appréciation des modalités
évolutives des
patients, chacune
d’elles en fonction des
caractéristiques psychopathologies et psychosociales. De
même, l’approche
médico-économique
permet d’éclairer les
choix d’orientation de
la politique sanitaire
afin d’utiliser les ressources budgétaires de
manière optimale.
Résultats
!
!
!
"
Afro-Cubains >>
Britanniques (x 4 à 8)
1952 – 1970
!
"
1952 – 1970
!
Tableau III. Risque génétique. Prévalence du trouble schizophrénique
dans les familles de schizophrènes (d’après Faraone et Tsuang, 1995).
329
Taux
Parents 1er degré
Parents
Enfants
Enfants (2 parents schizophrènes)
Frères et sœurs
Frères et sœurs (sans parent schizophrène)
Frères et sœurs (avec 1 parent schizophrène)
Jumeaux hétérozygotes sexes différents
Jumeaux hétérozygotes même sexe
Jumeaux homozygotes
Parents 2e degré
Oncles/tantes
Neveux/nièces
Petits-enfants
Demi-frères/Demi-sœurs
Parents 3e degré
Cousins
4,40 %
12,30 %
36,60 %
8,50 %
8,20 %
13,80 %
5,60 %
12,00 %
57,70 %
2,00
2,20
2,80
3,20
%
%
%
%
2,90 %
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