L Les anti-TNF diminuent-ils le recours à la chirurgie dans les MICI ?

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DOSSIER THÉMATIQUE
Les anti-TNF diminuent-ils
le recours à la chirurgie
dans les MICI ?
Do anti-TNF therapy reduce the need for surgery in IBD?
Laurent Peyrin-Biroulet*
L
es molécules anti-Tumor Necrosis Factor (antiTNF) [infliximab, adalimumab et certolizumab
pegol], introduites au milieu des années 1990
dans le traitement des maladies inflammatoires
chroniques intestinales (MICI), ont permis d’induire
et de maintenir une rémission clinique ainsi qu’une
cicatrisation muqueuse endoscopique, d’obtenir un
sevrage en corticoïdes et d’améliorer la qualité de vie
des patients. Une question majeure reste toutefois
en suspens : l’essor de ces biothérapies a-t-il durablement diminué ou simplement retardé le recours
à la chirurgie chez ces patients ?
Le point de vue de certains experts, qui souhaitent
coûte que coûte modifier l’histoire naturelle des
MICI, est qu’il faut utiliser larga manu, et tôt dans
l’évolution de la maladie, les molécules les plus puissantes à notre disposition, à savoir les anti-TNF,
pour éviter de recourir à la chirurgie. L’efficacité de
ces stratégies pour réduire à long terme le recours
à la chirurgie reste toutefois débattue, même si
le peu de données actuellement disponibles à ce
sujet ne permet pas de conclure définitivement à
ce sujet. Le point de vue d’une part non négligeable
des gastroentérologues est probablement que la
chirurgie doit être mûrement réfléchie mais qu’en
cas d’échec du traitement médical une résection
intestinale est indiquée et ne doit pas être retardée
sous peine d’opérer des patients, dont l’état de santé,
en général, est mauvais.
Les données concernant le risque de chirurgie sous
anti-TNF proviennent principalement de trois types
d’étude : les essais cliniques randomisés contrôlés,
les données des centres experts (referral centres)
et les études de population (population-based
studies). Seules les études de population permet-
tent par définition d’estimer précisément ce risque.
Cependant, elles sont difficiles à mener et peu ou
point de données sont disponibles à l’ère des antiTNF. Les essais cliniques randomisés incluent des
patients hypersélectionnés qui ne reflètent pas notre
pratique quotidienne, et les études observationnelles
provenant de centres experts sont biaisées du fait
qu’elles prennent en compte des patients ayant une
maladie sévère.
Anti-TNF et colectomie dans
la rectocolite hémorragique
Colectomie avant l’ère des biothérapies
Dans les études de population menées avant l’introduction des anti-TNF dans la rectocolite hémorragique (RCH), le risque de colectomie variait de 10
à 30 % 10 ans après le diagnostic. L’étude la plus
récente, provenant de la cohorte norvégienne IBSEN,
et menée selon une méthodologie rigoureuse, a
estimé que le risque de colectomie était de 10 %
à 10 ans (1).
Colectomie dans les essais randomisés
contrôlés
Dans les essais ACT 1 et ACT 2 (2), parmi les
728 patients souffrant d’une RCH modérée à sévère
qui ont reçu une perfusion d’infliximab ou de placebo
aux semaines 0, 2 et 6, puis toutes les 8 semaines,
le taux de colectomie était de 10 % dans le groupe
* Service d’hépato-gastroentérologie,
CHU de Nancy-Brabois, Vandœuvrelès-Nancy.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 | 17
Points forts
Mots-clés
Anti-TNF
Chirurgie
MICI
Keywords
Anti-TNF
Surgery
IBD
»» Les anti-TNF diminuent significativement le recours à une chirurgie abdominale majeure dans la maladie
de Crohn et la rectocolite hémorragique à un an dans les essais randomisés contrôlés contre placebo.
»» Dans la vraie vie, environ un patient sur cinq atteints d’une MICI devra toutefois subir une résection
intestinale à long terme sous anti-TNF.
»» Une question reste donc ouverte : les anti-TNF diminuent-ils durablement le recours à la chirurgie ou
ne font-ils que le retarder ? Les résultats provenant des études de population devraient permettre de
répondre prochainement à cette question.
»» En l’état actuel des connaissances, on ne peut recommander la prescription d’anti-TNF chez tous les
sujets atteints d’une MICI afin de modifier l’histoire naturelle de la maladie.
infliximab contre 17 % dans le groupe placebo
(p = 0,02) durant le suivi qui pouvait aller jusqu’à la
semaine 54. Dans l’essai scandinave de G. Järnerot et
al. (3), qui se sont intéressés aux poussées sévères de
RCH corticorésistantes (aussi appelées colites aiguës
graves en français), le taux de colectomie après une
perfusion d’infliximab était de 29 % (7/24) contre
67 % (14/21) dans le groupe placebo (p = 0,017).
Colectomie dans la vraie vie
Dans l’expérience de Louvain (Belgique) ayant repris
les données de 121 patients atteints d’une forme
modérée à sévère de RCH traitée par infliximab,
la probabilité de colectomie était élevée : 17 % à
33 mois (4). Dans notre expérience (manuscrit
soumis), le taux de colectomie à long terme est
également proche de 20 %.
Colectomie dans les études
de population
Il existe peu de données sur le risque de colectomie
dans la RCH dans les études de population. À Stockholm (Suède) sur la période 1999-2001, le taux de
colectomies était de 36 % (8/22) parmi les patients
traités par infliximab (moyenne de 2,6 perfusions)
pour une RCH (5). Mais le schéma d’administration
de l’infliximab, avec notamment la réalisation en
2009 de perfusions toutes les 8 semaines chez les
répondeurs initiaux, a considérablement varié en
l’espace de 10 ans, ce qui rend ces chiffres difficiles
à interpréter, ce d’autant que la taille de l’échantillon (n = 22) est trop faible pour un tel objectif
thérapeutique.
Anti-TNF et chirurgie
dans la maladie de Crohn
Résection intestinale
avant l’ère des biothérapies
Dans les études de population menées avant l’introduction des anti-TNF dans la maladie de Crohn, le
risque de résection intestinale était de 50 % 10 ans
après le diagnostic.
Résection intestinale dans les essais
randomisés contrôlés
Dans l’essai ACCENT 1 ayant inclus des patients
atteints d’une maladie de Crohn luminale réfractaire (6), à la semaine 54, seuls 11 patients sur 385
(3 %) traités par perfusions d’infliximab toutes les
8 semaines ont eu recours à une chirurgie abdominale majeure contre 14 sur 188 (7,5 %) dans le groupe
“traitement épisodique, à la demande” (p = 0,01).
Concernant l’adalimumab, dans l’essai CHARM (7)
qui avait aussi inclus des patients atteints d’une
maladie de Crohn luminale réfractaire, à un an, seuls
3 patients sur 517 (0,6 %) traités par adalimumab
avec des injections toutes les semaines ou toutes
les 2 semaines, ont eu recours à une chirurgie abdominale majeure contre 10 sur 261 (3,8 %) dans le
groupe placebo (p = 0,0005).
Dans l’essai ACCENT 2 qui concernait des patients
avec une maladie de Crohn fistulisante, généralement des fistules ano-périnéales, l’infliximab
administré toutes les 8 semaines chez les sujets
répondeurs initiaux était également significativement plus efficace que le placebo (8).
Résection intestinale dans la vraie vie
Tableau. Recours à une chirurgie abdominale majeure (colectomie ou résection intestinale le
plus souvent) dans la RCH et la maladie de Crohn à l’ère des anti-TNF et selon le type d’étude.
Essais cliniques (données à
un an dans le bras anti-TNF)
RCH
Maladie de Crohn
Centres
experts
Études de population
(peu de données)
10-29 %
17 %
36 %
< 3 %
15-20 %
17 %
18 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010
Dans l’expérience de Louvain ayant repris les
données de 614 patients traités par infliximab pour
une maladie de Crohn luminale réfractaire, le taux
de chirurgie abdominale majeure (principalement
une résection intestinale) pour la période 1997-2004
était de 23,5 % (114/614) après un suivi médian de
DOSSIER THÉMATIQUE
55 mois (9). Dans notre expérience au CHU de
Nancy, 15 % (8/53) des patients traités entre 2005 et
2008 par adalimumab pour un échec de l’infliximab
(intolérance ou perte de réponse) ont dû recourir à
une chirurgie abdominale majeure (10).
Résection intestinale
dans les études de population
Comme pour la RCH, peu de données sont disponibles sur le taux de chirurgie chez les patients
avec maladie de Crohn traités par infliximab et
inclus dans des études de population. Une seule
étude scandinave a retrouvé un taux de chirurgie
abdominale majeure égal à 17 % (33/191) chez des
patients atteints de la maladie de Crohn ayant reçu
en moyenne 2,6 perfusions d’infliximab entre 1999
et 2001 (5).
Conclusion
Globalement, environ un patient sur deux atteints
de la maladie de Crohn ou de RCH devra recourir à
une résection intestinale sous anti-TNF. Alors que les
anti-TNF semblent avoir significativement réduit le
recours à la chirurgie dans la maladie de Crohn, le
taux de colectomie avant l’avènement des anti-TNF
et celui observé à l’heure actuelle dans les essais
cliniques randomisés contrôlés mais aussi dans les
études observationnelles semblent identiques dans
la RCH. Toutefois, seules des études de population,
qui sont en cours, permettront de répondre à la
question suivante : les anti-TNF ont-ils simplement
retardé la date de la chirurgie ou ont-ils diminué
durablement le recours à une chirurgie abdominale
majeure ? Quoi qu’il en soit, le taux de chirurgie
sous anti-TNF reste élevé dans la vraie vie, autour
de 20 %, aussi bien dans la maladie de Crohn que
dans la RCH. Il n’est donc pas nécessaire de tout
tenter pour éviter une chirurgie qui, quoi que l’on
fasse, aura lieu chez un sous-groupe non négligeable
de sujets. Il paraît beaucoup plus intéressant d’identifier les patients qui ne bénéficieront pas d’un traitement par anti-TNF et chez qui la chirurgie doit
être réalisée dans les meilleures conditions. Ne pas
utiliser les anti-TNF dans les MICI en 2010 serait
une faute professionnelle, oublier de recourir à la
chirurgie le serait tout autant. Une autre question
reste en suspens : faut-il introduire les anti-TNF
tôt après le diagnostic de la maladie ? Les seules
données disponibles proviennent du désormais
célèbre essai clinique souvent appelé step-up versus
top-down publié dans The Lancet (11). Tout le monde
(ou presque !) a oublié que, dans cette étude, le
taux de résection intestinale pour maladie de Crohn
était quasi identique dans les deux bras (9,2 % dans
le groupe top-down versus 12, 5 % dans le groupe
step-up) [11]. On ne peut donc recommander, à
l’heure actuelle, un traitement agressif précoce
chez tous les patients chez qui l’on diagnostique
une maladie de Crohn en arguant du fait que seule
cette stratégie pourrait modifier l’histoire naturelle
des MICI. Les rapports coût-efficacité et bénéficerisque doivent plus que jamais nous guider dans
notre décision thérapeutique qui ne peut se faire
qu’au cas par cas.
■
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 | 19
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