Atelier : Conduites addictives chez les schizophrènes :

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L’Encéphale (2007) Supplément1, S38-S39
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p
Atelier : Conduites addictives chez les schizophrènes :
Quelle conduite à tenir ?
Synthèse réalisée par X. Laqueille
Hôpital Sainte-Anne, 75014 Paris
Il ne semble pas exister de spécificités cliniques du tableau
schizophrénique des patients présentant une addiction. En
revanche, on retrouve souvent des traits de personnalité
spécifiques associés : les schizophrènes héroïnomanes ont
ainsi souvent des traits marqués de recherche de sensation,
de désinhibition, ou des tendances antisociales.
Par ailleurs, comparativement aux autres toxicomanes,
les sujets schizophrènes présentent une plus grande vulnérabilité à la rechute, avec une sensibilité plus marquée à la
sollicitation de reprise de produit. Ces patients nécessitent
donc une vigilance plus importante et une prise en charge
plus structurée.
Ces traits de vulnérabilité de certains patients rendent
sans doute également compte du fait que certains patients
souffrant de schizophrénie peuvent prendre des substances
toxiques sans dommage et sans verser dans l’addiction,
tandis que pour d’autres, l’impact des toxiques sera beaucoup plus marqué.
Les pathologies addictives associées aux troubles schizophréniques sont des facteurs de gravité de la pathologie
psychotique, et souvent de résistance à la prise en charge ;
ces sujets présentent, d’une façon générale, plus d’abandons de traitement, plus de rechutes, plus d’hospitalisations, plus de tentatives de suicide, une moins bonne
observance et une socialisation de moins bonne qualité.
Certains praticiens constatent, dans ce sous-groupe de
patients schizophrènes consommateurs de toxiques, une
sorte de sentiment d’identité avec les toxicomanes, identité qu’ils vivent comme moins stigmatisante que le « sta-
tut » de schizophrène pour rendre compte de leur
marginalité sociale et psychique.
Épidémiologie
Sur le plan épidémiologique, la consommation excessive de
cannabis touche plus du quart des schizophrènes sur la vie
entière, celle d’alcool environ 40 %. L’addiction à l’alcool toucherait des sujets schizophrènes plus âgés que celle au cannabis. Le tabagisme est également un problème très important
de santé publique chez les schizophrènes, ces patients fumant
souvent de grandes quantités, et aspirant plus la fumée, ce
qui conduit à une mortalité plus importante.
Conduite à tenir
En terme de conduite à tenir, la première nécessité est
celle d’un meilleur dépistage des troubles addictifs chez
les sujets schizophrènes. Une prise de conscience est
nécessaire chez les psychiatres, qui sous-estiment l’importance des pathologies addictives chez leurs patients schizophrènes, et chez les soignants des centres de soins
spécialisés en toxicomanies, qui diagnostiquent difficilement des troubles schizophréniques chez les sujets toxicomanes. Enfin, les patients eux-mêmes sous-verbalisent et
banalisent leur consommation de toxiques, la considérant
comme sans conséquence car n’en percevant pas les risques.
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
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Atelier : Conduites addictives chez les schizophrènes : Quelle conduite à tenir ?
Une attitude de prévention serait souhaitable, par exemple en simplifiant au maximum les ordonnances de sortie des
sujets schizophrènes, en particulier pour ce qui concerne les
benzodiazépines et les antiparkinsonniens. Néanmoins, ces
produits « adjuvants » ont souvent pour effet d’améliorer
l’observance de ces patients, et le rapport bénéfice risque
de leur utilisation doit donc être soigneusement pesé.
Sur le plan tabagique, les patients recourent plus volontiers désormais, en particulier du fait des contraintes légales, à une aide thérapeutique au sevrage. Dans ce cadre,
les gommes ont un pouvoir addictogène plus important que
les patchs, car c’est l’effet de pic qui fait l’attrait addictif
d’un produit.
En cas de comorbidité schizophrénie-addiction, la question de la temporalité des prises en charge doit se poser :
la prise en charge initiale du trouble schizophrénique
contribue à diminuer l’importance des facteurs favorisant
l’addiction, mais à l’inverse, l’addiction induit une certaine résistance au traitement et une moins bonne adhésion aux soins.
L’attitude la plus fréquemment recommandée est une
prise en charge en parallèle des deux composantes de cette
comorbidité, avec une articulation aussi étroite que possible entre les intervenants.
Structures de prise en charge
Le lieu de la prise en charge de ces pathologies (prise en
charge unifocale ou bifocale) est également en question.
Dans les centres de soin spécialisés en toxicomanie, on
compte peu de psychiatres, tandis que dans les CMP, les
psychiatres ne se sentent pas suffisamment compétents
pour prendre en charge la toxicomanie de leurs patients
schizophrènes.
Il semblerait préférable que la prise en charge de ces
patients soit centrée sur une seule structure, car les adaptations thérapeutiques doivent se faire en parallèle : ce lieu
de référence est celui vers lequel le patient peut se tourner
en cas de recrudescence des symptômes ou de rechute. À
partir de cette structure « pivotale », il est possible d’orienter le patient vers des prises en charges diversifiées, dans
d’autres lieux, ponctuellement ou de façon suivie.
L’insertion du patient dans une structure de soin de
référence permet souvent, même en période floride, d’éviter un recours à l’hospitalisation, grâce au maintien du lien
thérapeutique.
Stratégies de prise en charge
Chez ces patients, le suivi doit être plus serré que chez les
patients qui présentent une seule des deux pathologies.
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Les prises en charge psychologiques permettent de travailler avec le patient sur la motivation à l’arrêt de l’addiction : au début, le but du patient est rarement de parvenir
à l’abstinence complète du produit, et les stratégies motivationnelles peuvent l’aider à en comprendre l’intérêt.
Sur le plan des stratégies médicamenteuses, la question des posologies est l’une des plus difficiles. Certains
patients nécessitent des posologies plus élevées d’antipsychotique.
Sur le plan des produits qui peuvent limiter l’addiction,
l’usage du bupropion est très mal documenté chez les
sujets schizophrènes. Il en est de même de la varénicline,
qui agit sur les récepteurs nicotiniques, mais a également
un effet dopaminergique.
Spécificités selon l’addiction
Pour le maintien de l’abstinence après sevrage d’alcool, le
recours à l’acamprosate est possible chez des patients bien
observants aux soins et dont l’existence est ritualisée. On
l’évitera chez certains patients psychotiques particulièrement impulsifs et caractériels qui présentent une dangerosité manifeste liée à l’alcool.
Dans les addictions au cannabis, il n’existe pas de traitement pharmacologique spécifique : la prise en charge est
essentiellement psychologique et motivationnelle. Le
sevrage nécessite de la part du patient une capacité à intégrer un cadre de soin. En revanche, il peut être nécessaire
de prendre en charge chez ces patients la dimension
anxieuse et éventuellement dépressive sous-jacente.
Dans les dépendances aux opiacés, le recours aux produits de substitution est possible chez les patients psychotiques. Ils permettent une alliance thérapeutique forte. Ils
peuvent être proposés en association avec les antipsychotiques. En cas de sur-consommation de cocaïne, des produits
comme l’olanzapine ou la clozapine pourraient avoir une
action de diminution de l’appétence. Par ailleurs, les neuroleptiques conventionnels bloquent les effets de la
cocaïne.
Conclusion
Les dépendances doivent être dépistées et traitées chez les
sujets souffrant de schizophrénie. Ces patients peuvent
présenter des modalités évolutives plutôt favorables, par
exemple sur un mode pseudo-psychopathique.
Une collaboration étroite doit être mise en place avec
le médecin généraliste, en particulier pour la prise en
charge des complications somatiques survenant chez ces
patients.
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